EXAMEN EN DÉLÉGATION

Mardi 18 novembre 2003 - Présidence de M. Joël Bourdin, président.

&&Perspectives macroéconomiques à l'horizon 2008 - Examen du rapport d'information&&

M. Joël Bourdin
, président , a ouvert la réunion de la Délégation en présentant les principales conclusions de son rapport relatif à des projections macroéconomiques sur cinq ans, couvrant la période 2004-2008 .

Il a souligné que si la modélisation macroéconomique ne permettait pas de faire des prévisions, elle permettait, en revanche, d'explorer des scénarios cohérents, éclairant utilement les problèmes de politique économique.

Il est d'abord revenu sur les prévisions de croissance pour 2003 et 2004.

Après le pic de croissance atteint en l'an 2000, la croissance de l'économie française n'a cessé de se ralentir ces trois dernières années. En 2003, l'économie française a frôlé la récession. La croissance du PIB ne devrait pas, cette année, excéder 0,2 %, si l'on se réfère à la prévision la plus récente émise par l'INSEE.

Il est probable que l'année 2003 marque le point bas du cycle, et que 2004 soit l'année de la reprise. La reprise devrait toutefois rester modérée : le gouvernement table sur 1,7 % de croissance l'année prochaine, le consensus des prévisionnistes est à 1,6 %. Ce rythme de croissance ne serait pas suffisant pour faire baisser le taux de chômage.

La prévision de croissance du gouvernement pour 2004 est très proche de la prévision moyenne des instituts. Mais le gouvernement table sur une hypothèse de déficit budgétaire inférieure à celle retenue par les instituts. Pour le gouvernement, en effet, le déficit des administrations publiques serait ramené de 4 % du PIB en 2003 à 3,6 % en 2004. Les instituts indépendants doutent que la réduction du déficit soit si prononcée, et s'attendent plutôt à une quasi-stagnation du solde budgétaire, en 2004, par rapport à 2003 (4 points de PIB de déficit après 4,1 points).

Autrement dit, les prévisions de croissance économique des instituts retiennent l'hypothèse d'un soutien budgétaire de l'activité plus accentué que dans la prévision gouvernementale.

Tous les prévisionnistes s'accordent pour considérer que l'impulsion de la reprise, l'année prochaine, viendrait de l'amélioration de l'environnement international de la France, et notamment de la croissance américaine. La croissance serait, en grande partie, tirée par les exportations, tandis que les moteurs internes de la croissance resteraient peu dynamiques.

De réels signes de reprise se sont manifestés aux Etats-Unis dans le courant de l'année 2003 ; l'orientation très expansionniste de la politique économique américaine depuis trois ans semble donc porter ses fruits. Le déficit des administrations publiques sera cette année aux Etats-Unis de l'ordre de 6 points de PIB. La Réserve fédérale a fixé ses taux directeurs au niveau, historiquement bas, de 1 %.

Cette analyse conjoncturelle fait apparaître la zone euro comme une zone économiquement dépendante. Le potentiel de croissance de la zone euro est trop faible pour lui permettre d'être un moteur de la croissance mondiale au même titre que les Etats-Unis. Elle est très influencée par les variations de la conjoncture observée aux Etats-Unis. Et elle dispose de peu de marges de manoeuvre dans le domaine budgétaire, en raison d'un niveau d'endettement public élevé, et des contraintes imposées par le Pacte de Stabilité et de Croissance.

Cette situation n'est pas sans inconvénients. D'abord la croissance de la zone euro, et de la France, est, dans ces conditions, très sensible à l'évolution du taux de change de la devise européenne. En 2003, la croissance française a été pénalisée par l'appréciation de l'euro. Une nouvelle appréciation de l'euro ralentirait la fragile reprise qui s'annonce. De plus, l'écart de croissance entre les Etats-Unis et l'Europe est source d'importants déséquilibres dans l'économie mondiale. Le déficit des comptes courants américains ne cesse de se creuser, ce qui fait peser les plus grands risques sur l'évolution future du taux de change euro-dollar.

M. Joël Bourdin, président , a ensuite présenté les projections à moyen terme réalisées par l'OFCE, pour le compte de la Délégation. Le premier scénario, qui tient lieu, cette année, d'hypothèse centrale de travail, est fondé sur la perspective d'un retour de l'économie française à une croissance proche de son potentiel, soit 2 % par an, sur la période 2005-2008. Le deuxième scénario est fondé sur la perspective d'une croissance plus rapide (2,7 % par an) sur la période 2005-2008.

Le premier scénario suppose une reprise, modérée, de la consommation des ménages et de l'investissement des entreprises.

La consommation serait soutenue par la progression du revenu des ménages, et par la baisse du taux d'épargne, qui reviendrait de 16,5 % en 2003 à 14,6 % en 2008.

La hausse de l'investissement des entreprises serait, de son côté, financée par un recours plus large à l'emprunt. Dans la projection, le taux d'autofinancement des entreprises baisse de près de 14 points entre 2004 et 2008.

En matière d'évolution des dépenses publiques, les projections sont calées sur les hypothèses présentées par le gouvernement dans sa projection pluriannuelle de finances publiques pour la période 2005-2007. La progression de la dépense publique serait très ralentie sur la période (+1 % par an seulement). Cette politique d'assainissement budgétaire coûterait, chaque année, environ 0,6 point de croissance à l'économie française.

Ce rythme de croissance de 2 % par an ne serait pas suffisant pour assurer, spontanément, une diminution du chômage. Le chômage reste stable à l'horizon de la projection, et se maintient à un niveau de 9,6 % de la population active.

Le deuxième scénario est plus favorable, puisqu'il envisage une croissance de 2,7 % par an sur la période 2005-2008.

La réalisation de ce scénario supposerait une progression de la consommation et de l'investissement particulièrement dynamique. Il faudrait que la consommation des ménages progresse de plus de 3 % par an, et que l'investissement des entreprises progresse de plus de 7 % par an, sur la période 2005-2008.

Cette progression plus rapide de la consommation et de l'investissement productif serait acquise grâce à une baisse très prononcée du taux d'épargne des ménages, et du taux d'autofinancement des sociétés. Le taux d'épargne reviendrait à 12,5 % du revenu disponible des ménages en 2008, soit son plus bas niveau depuis le milieu des années 1980. Le taux d'autofinancement des sociétés chuterait de 16 points entre 2004 et 2008. Ce scénario repose donc sur une hypothèse de désépargne intensive de la part des agents.

Cette croissance à 2,7 % suscite suffisamment de créations d'emplois pour faire baisser le taux de chômage, de 9,6 % en 2004, à 7,5 % en 2008. Cette baisse du taux de chômage ne s'accompagnerait d'aucune tension inflationniste significative.

M. Joël Bourdin, président, a ensuite formulé quelques observations.

Il a d'abord souligné que, dans ces deux scénarios, le retour de la croissance est conditionné à une hypothèse de baisse significative du taux d'épargne des ménages. Or, on sait que le taux d'épargne des Français a continûment augmenté depuis une vingtaine d'années. Postuler un tel renversement de tendance représente donc une hypothèse économique forte. Deux éléments rendent toutefois envisageable une baisse de l'épargne de précaution des ménages dans les années à venir : la récente réforme des retraites, tout d'abord, qui réduit les incertitudes sur le financement futur des régimes par répartition ; le choix fait par le gouvernement d'assainir durablement les finances publiques joue également en ce sens. Dans le deuxième scénario, la baisse du taux de chômage est un facteur supplémentaire de baisse du taux d'épargne. Il ressort de ces analyses que le retour de la confiance des ménages est une condition indispensable à la reprise économique.

M. Joël Bourdin, président, a ensuite commenté le choix fait par le gouvernement d'appliquer, à partir de 2004, une politique budgétaire très restrictive. Motivé par un objectif d'assainissement des finances publiques à long terme, ce choix se paye, à moyen terme, par une moindre croissance de l'économie française. Cette orientation restrictive de la politique budgétaire permet de satisfaire aux engagements européens de la France, et de maîtriser l'évolution de la dette publique. Mais il n'est pas sûr qu'elle représente le choix le plus approprié dans une période de reprise économique fragile. Il serait peut-être plus judicieux d'attendre que la croissance économique se soit consolidée avant de mener une politique franchement contra-cyclique.

Puis M. Joël Bourdin , président , a présenté les tendances des finances publiques sur la période 2004-2008.

Il a d'abord distingué les deux composantes du solde budgétaire : le solde conjoncturel d'une part, qui dépend de la position de l'économie dans le cycle ; et le solde structurel, d'autre part, qui dépend des choix délibérés réalisés en matière de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires.

Dans les deux scénarios, la maîtrise des dépenses permet de faire diminuer, chaque année, le déficit structurel des administrations publiques de 0,5 ou 0,6 point de PIB. Cet effort de rigueur budgétaire exerce un effet dépressif sur l'activité, et pèse sur le dynamisme des recettes fiscales.

Dans le scénario de croissance à 2 %, un important déficit conjoncturel se maintient tout au long de la période de projection. Le déficit des administrations publiques est encore de 2,2 points de PIB en 2008. Dans le deuxième scénario, la croissance, plus vive, génère davantage de recettes fiscales, de sorte que le déficit public est de seulement 0,9 % du PIB en 2008.

Les prélèvements obligatoires diminuent en 2004 et 2005, sous l'effet des baisses d'impôts proposées par le gouvernement, puis sont stabilisés à 43,5 % du PIB.

Les dépenses publiques sont soumises à une contrainte forte, puisqu'elles ne progressent que de 1 %. Cette norme de dépense représente une importante rupture par rapport au rythme passé de croissance des dépenses publiques qui est de l'ordre de 2,2 % par an (hors service de la dette). Il faut souhaiter que cet effort de maîtrise des dépenses ne pénalise pas excessivement, comme ce fut le cas par le passé, l'investissement public. Respecter cette norme de dépense implique, en outre, une maîtrise salariale dans la fonction publique.

M. Joël Bourdin, président, a poursuivi son exposé par la présentation de variantes commandées à l'OFCE.

Dans une première variante, il a été demandé à l'OFCE de modéliser, les conséquences budgétaires d'une poursuite de la progression des dépenses à leur rythme tendanciel. Une telle évolution permettrait de soutenir la croissance, qui serait plus élevée d'environ 0,5 point de PIB par rapport au compte central, mais au prix d'une dégradation sensible des comptes publics. En 2008, le déficit des administrations publiques représenterait encore 3 % du PIB et la France serait en infraction avec les règles du Pacte de stabilité sur toute la période de projection.

Une autre variante modélise les conséquences d'une baisse de 30 % de l'impôt sur le revenu. La baisse d'impôt exerce un effet de relance sur l'activité, mais dégrade le solde budgétaire, à hauteur de 0,6 point de PIB par rapport au compte central, à l'horizon 2008.

Une troisième variante montre qu'une hausse de l'inflation offrirait, en revanche, des marges de manoeuvre budgétaires supplémentaires à un pays comme la France, à condition que la hausse de l'inflation ne se généralise pas à l'ensemble de la zone euro.

Une évaluation des conséquences financières de la récente réforme des retraites a également été demandée à l'OFCE, afin d'en mesurer les effets sur la période de projection. A l'horizon 2008, cette réforme va occasionner un surcroît de dépenses, un peu inférieur à trois milliards d'euros en retenant les hypothèses économiques les plus pessimistes. La mise en oeuvre de la réforme sera très progressive, et les mesures qui vont entrer en application les premières sont précisément celles qui vont occasionner des dépenses supplémentaires. Il s'agit, en particulier, de la mesure qui permet aux salariés ayant cotisé 40 ans de partir en retraite avant l'âge de 60 ans, et de la hausse du minimum contributif.

Ce point sur la réforme récente des retraites a permis à M. Joël Bourdin, président, d'introduire la quatrième partie du rapport qui fait un point d'étape sur la question du taux d'emploi des seniors. Par « seniors », on entend ici les personnes âgées de plus de 55 ans.

La France se caractérise par un taux d'emploi des seniors particulièrement bas : leur taux d'emploi est de seulement 34 %, pour une moyenne européenne de 39 %. Aux Etats-Unis, ou dans les pays scandinaves, ce taux avoisine ou dépasse les 60 %.

Le faible taux d'emploi des seniors est problématique. Il réduit le potentiel de croissance de l'économie française. Dans un contexte de vieillissement démographique, il est urgent de relever le taux d'emploi des seniors pour éviter que la croissance ne bute, à l'avenir sur des pénuries de main-d'oeuvre. De plus, la réforme des retraites votée l'été dernier est fondée sur un allongement de la durée de cotisation des assurés sociaux. Pour que la réforme réussisse, il est donc important que les salariés français restent plus longtemps dans l'emploi, faute de quoi les économies réalisées sur le « risque-vieillesse » seraient, au moins en partie, absorbées par les charges induites sur le « régime chômage ».

La médiocre performance française en matière de taux d'emploi s'explique principalement par l'existence, jusqu'à une date toute récente, de dispositifs publics incitatifs à la cessation précoce d'activité. La réforme des retraites de 1982 a accentué la tendance à la baisse du taux d'emploi des seniors. Les pouvoirs publics, pensant lutter ainsi contre le chômage, ont également longtemps encouragé les programmes de préretraite.

La loi de 2003 portant réforme des retraites rompt avec les politiques antérieures, et multiplie les incitations à la poursuite de l'activité des seniors. Elle restreint l'accès aux préretraites ; elle allonge la durée de cotisation requise pour bénéficier d'une retraite à taux plein ; elle encourage les salariés à poursuivre leur activité professionnelle, même s'ils ont déjà droit à une retraite à taux plein, en instituant un mécanisme de surcote.

La réforme, pour porter pleinement ses fruits, doit être complétée par une politique de formation tout au long de la vie. Les seniors sont, en effet, les plus confrontés au risque d'obsolescence des connaissances, et les entreprises hésitent à investir dans la formation de leurs salariés les plus âgés. M. Joël Bourdin, président , a donc souhaité qu'un effort particulier soit mené en leur faveur.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Philippe Leroy s'est interrogé sur l'impact de l'environnement international sur la croissance française dans les projections.

M. Joël Bourdin, président , a rappelé que la reprise, en 2004, serait due, en grande partie, au dynamisme de l'économie américaine. Concernant les projections à moyen terme, elles sont construites sur une hypothèse, conventionnelle, de contribution nulle du commerce extérieur à la croissance. Cela revient à supposer que le reste du monde croît au même rythme que l'économie française.

M. Marcel Lesbros a souligné la grande dépendance de la France par rapport au cycle économique américain.

M. Joël Bourdin, président , a indiqué que l'économie américaine représentait près de 25 % du PIB mondial, ce qui fait d'elle le moteur de l'économie internationale.

M. Philippe Leroy a alors évoqué l'éclatement de la « bulle internet », survenu en 2000, et en a conclu à la grande difficulté de la prévision économique.

M. Joël Bourdin, président , s'est dit persuadé que, en dépit de l'existence de phénomènes spéculatifs, les nouvelles technologiques étaient susceptibles de contribuer fortement à l'accroissement des gains de productivité dans l'économie française. Il a rappelé que le « paradoxe de Solow » s'était dénoué aux Etats-Unis dans les années 1990 : la diffusion des nouvelles technologies, notamment informatiques, s'est accompagnée d'une accélération des gains de productivité.

Il a aussi exposé les difficultés inhérentes à tout exercice de prévision économique, en mentionnant les incertitudes qui entourent, en particulier, la modélisation du comportement d'épargne des ménages. Depuis plusieurs années, le taux d'épargne des ménages français est supérieur à ce que les modèles usuels laisseraient supposer.

M. Phillippe Leroy a insisté sur l'importance de la confiance des agents économiques, ménages et entreprises, dans la dynamique de la croissance économique. Les responsables politiques doivent tenir un discours approprié, susceptible de ramener la confiance.

M. Joël Bourdin, président , a dit partager ce sentiment : les décisions d'investissement des entreprises, ou les décisions de consommation des ménages comportent une dimension psychologique. De ce point de vue, la récente réforme des retraites et la volonté du gouvernement d'assainir les finances publiques sont de nature à renforcer la confiance des ménages, en réduisant les incertitudes sur l'avenir.

M. Marcel Lesbros a alors indiqué que le succès de la stratégie de politique budgétaire du gouvernement était conditionné au comportement d'épargne des agents privés : la diminution des déficits publics, qui a, par elle-même, un effet négatif sur la croissance, devrait réduire les craintes des agents relatives à l'évolution future de la dette publique, et les inciterait à investir et à consommer davantage.

La délégation a ensuite adopté le rapport relatif aux perspectives économiques de la France à l'horizon 2008.

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