LES LIMITES DE LA PÉRÉQUATION


M. Yves Fréville, sénateur d'Ille-et-Vilaine

Nous sommes, en effet, au pied du mur en matière de péréquation. La Constitution, dans son article 72 pose clairement l'obligation de mettre en place des dispositifs de péréquation qui favorisent l'égalité entre les collectivités territoriales. De plus, dans la loi de finances en cours de discussion, nous avons globalisé l'ensemble des dotations aux collectivités locales. Cet ensemble de dotations représente une masse proche de 40 milliards d'euros, dont environ 35 milliards que je désignerai comme des « dotations mortes ». Ces dotations « fossilisées » regroupent les compensations d'impôts supprimés, les dotations de péréquation anciennes et les dotations qui dépendaient de critères démographiques, souvent très anciens. Nous réfléchissons aujourd'hui à ce que deviendra cette architecture d'ici juin 2004.

La contrainte globale vient du fait qu'il faut assurer la prévisibilité des dotations pour les collectivités territoriales. Cette impossibilité pour les collectivités de prévoir les ressources dont elles disposeront est un problème grave qui entrave leur capacité à planifier les investissements publics nécessaires à leurs missions.

Si on aboutit à la sanctuarisation des 35 milliards de dotations globalisées, on va consolider les rentiers. Il importe de trouver des critères nouveaux pour la péréquation. Il est généralement convenu d'égaliser le rapport avantage/effort, en prenant le ratio entre les dépenses et les charges d'une part et le potentiel fiscal d'autre part. Le but est d'harmoniser, pour un service donné, le taux de pression fiscale sur l'ensemble du territoire. C'est le principe de base sur lequel nous nous appuyons pour construire des mécanismes de péréquation.

Une fois ce principe rappelé, il faut se confronter à un certain nombre de sujets controversés que je vais aborder.

Le premier problème est le suivant : faut-il tenir compte de l'effort fiscal ?

Les dotations actuelles en tiennent compte. Plus on imposait le citoyen, plus on recevait des aides de l'Etat. On peut prendre l'exemple des dégrèvements d'impôt, qui sont une forme de péréquation déguisée. Il existe donc des régions vertueuses, qui ne bénéficient pas de ces aides, et d'autres dépensant plus, que l'Etat aide davantage en pourcentage. Dans un système de péréquation, faut-il continuer à aider ceux qui ont des pressions fiscales élevées ? Je pense qu'il faut être neutre par rapport aux politiques fiscales des différentes collectivités locales, et que l'Etat doit intervenir sur le potentiel fiscal. Il faudrait donc diminuer les aides accordées en fonction de l'effort fiscal quand il dépasse certaines limites.

Le deuxième point qui doit être éclairci est celui du potentiel fiscal. Cette idée permet de contourner le problème de l'effort fiscal que je viens d'évoquer. Ce potentiel est calculé en fonction des taux moyens de la fiscalité dans l'ensemble des collectivités locales, de sorte que celles ci sont mises à égalité sur le plan de l'effort fiscal. Cette notion était une grande idée en 1979. Son sens s'est tant délité depuis qu'on ne sait pas vraiment ce qu'il en reste, et son évaluation est faussée à cause des dégrèvements.

De plus, de nouvelles ressources sont apparues. Il faudrait peut-être étendre cette notion de potentiel fiscal à des éléments tels que les droits de mutation, dont les départements conservent aujourd'hui les deux tiers. C'est une ressource qui a connu une croissance très inégale selon les départements. Ne faut-il pas les prendre en compte ?

Si on introduit les dotations « fossilisées » dans les dotations forfaitaires, ne serait-il pas logique, en contrepartie de la garantie donnée aux collectivités locales de recevoir ces sommes, de les voir apparaître également dans leur potentiel fiscal ? Celui-ci deviendrait alors un potentiel financier.

Il faut enfin considérer le problème des charges. La première charge à retenir est celle de la population. Or, si on observe l'évolution des dotations de l'Etat ces dernières années, il est frappant de constater que les évolutions de populations ont été ignorées. Pour les départements, on a créé une dotation forfaitaire, qui est un minimum garanti par habitant, dont les quatre cinquièmes sont basés sur un critère de population fondé sur le recensement de 1975. Depuis, on augmente le taux moyen de la dotation sans tenir aucun compte de l'évolution de la population. Un département comme la Seine et Marne a, depuis cette date, 300 000 habitants supplémentaires à charge.

Un autre exemple est celui de la dotation forfaitaire des communes, qui tient compte du recensement de la population de 1990 à hauteur de 80 % de la masse totale. La commune de mon suppléant au Sénat comptait 13.000 habitants en 1999, contre 8.000 en 1990, soit une augmentation de 60 %. On lui a accordé la moitié de cette augmentation. Ce problème est général : on ne veut pas prendre en compte la charge la plus élémentaire qui soit, c'est-à-dire la population. Lors d'une réunion récente du groupe de travail du comité des finances locales sur la péréquation, nous avons demandé au ministre de l'intérieur une simulation pour déterminer l'impact d'une rectification des dotations globales en fonction des évolutions de la population.

Un autre sujet de controverse est celui de la prise en compte de la taille des communes dans la répartition des dotations. La question posée implicitement est celle de la répartition en fonction de la population en tenant compte des charges différentes qui peuvent exister entre les agglomérations urbaines et les communes de base. Il est peut-être souhaitable de consolider l'ancien système avant de se lancer dans une réforme sur laquelle il y a assez peu d'études. On sera peut-être amené à conserver un écart de 1 à 2, mais le pire serait de ne pas aborder ce sujet, ou de le traiter sans le soumettre au Parlement. J'ai effectué une étude sur les dégrèvements de la taxe d'habitation, qui montrait que le système bénéficiait essentiellement aux grandes villes, qui imposent plus, mais dont l'État dégrève mieux les contribuables. On peut décider d'aider les grandes communes urbaines, mais en démocratie, ce type de choix doit être expliqué.

Pour les autres charges, j'approuve la méthode adoptée par la Délégation du Sénat. Nous avons besoin d'indicateurs objectifs pour situer les départements les uns par rapports aux autres. C'est dans ce sens qu'il faut travailler. Le Sénat a su faire preuve d'imagination pour les départements, mais ce travail reste à faire pour les communes.

M. Jean François-Poncet : Monsieur le sénateur, je vous remercie. Vous approuvez la méthode que nous avons mise en oeuvre et vous mettez l'accent sur un certain nombre d'aspects qui n'ont pas été suffisamment développés dans notre étude, mais il n'y a pas dans vos propos d'objection de principe. Elle est bien sûr perfectible et des améliorations peuvent y être apportées. Ceci donne aux propositions que nous faisons une force qu'il est difficile d'ignorer.

M. Klopfer, comment réagissez vous à ce que vous avez entendu ?

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