ENTRETIEN AVEC M. ELBARADEI
DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AIEA

M. Xavier de Villepin s'est rendu à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) le 28 mai 2004. Il a rencontré à cette occasion le Dr Mohamed ElBaradei, directeur général de l'AIEA, ainsi que M. Pierre Goldschmidt, directeur général adjoint en charge du département des garanties et M. Jacques Baute, directeur du bureau de vérification nucléaire en Irak.

Au cours de l'entretien qu'il a accordé au rapporteur, M. ElBaradei a tout d'abord évoqué les raisons profondes qui poussaient certains Etats à développer des programmes d'armes de destruction massive et particulièrement des programmes nucléaires militaires. Il a rappelé qu'aux yeux de beaucoup, les armes nucléaires demeurent malheureusement associées aux notions de puissance et de prestige. Il a également souligné que de tels programmes pouvaient souvent être liés au sentiment d'isolement ou d'insécurité de certains Etats, un sentiment qui a pu s'accroître au Moyen-Orient après l'intervention américaine en Irak. Enfin, il a relevé les réserves réelles formulées par certains pays à l'encontre du traité de non-prolifération (TNP), notamment au Moyen-Orient où les pays arabes se sentent contraints par un engagement auquel Israël n'a pas souscrit.

M. ElBaradei a ensuite abordé les activités de l'AIEA concernant le programme nucléaire iranien, dans la perspective de la réunion du Conseil des gouverneurs devant débuter le 14 juin 2004. Il a mentionné les informations déjà recueillies par l'Agence avec la coopération des autorités iraniennes tout en indiquant que plusieurs questions essentielles restaient encore à clarifier, notamment en ce qui concerne la portée exacte des installations d'enrichissement d'uranium dont l'Iran a commencé à se doter et la nature des activités qu'elles ont permis d'effectuer.

M. ElBaradei a également évoqué le contexte politique dans lequel s'inscrivait l'examen des activités nucléaires de l'Iran par l'AIEA et les discussions conduites avec les trois pays européens qui ont initié la négociation en octobre 2003. Il a partagé l'opinion de M. Xavier de Villepin selon laquelle le renforcement des éléments conservateurs après les élections législatives du début d'année et les difficultés américano-britanniques en Irak pouvaient avoir une incidence sur l'attitude des autorités iraniennes dans la négociation. Il a souligné la nécessité de poursuivre cette négociation, estimant que sa rupture comporterait des risques importants et pourrait remettre en cause non seulement la ratification par l'Iran du protocole additionnel qu'il a signé mais également sa décision de suspendre les activités d'enrichissement d'uranium.

M. ElBaradei a estimé que le dossier nucléaire iranien pourrait difficilement être réglé sans faire intervenir d'autres éléments tels que la coopération économique ou les questions de sécurité régionale. Il a souligné la responsabilité de l'Union européenne en la matière, mais également celle des Etats-Unis.

S'agissant de la Corée du Nord, après avoir rappelé que l'AIEA n'est plus présente sur place et dispose donc d'encore moins d'informations qu'auparavant sur les activités nucléaires qui s'y déroulent, M. ElBaradei a évoqué le rôle particulier que jouaient les Etats-Unis dans les pourparlers à six, la motivation du programme nucléaire nord-coréen étant liée à la volonté du régime en place de se maintenir.

M. ElBaradei s'est félicité de l'action que l'AIEA avait pu mener en Libye après les révélations effectuées par cette dernière sur son programme nucléaire, désormais neutralisé. Il a ajouté que les informations recueillies à cette occasion sur le réseau du Dr Abdul Qadeer Khan étaient particulièrement précieuses, non seulement pour la connaissance du programme libyen, mais également parce qu'elles permettaient de connaître d'autres pays destinataires de matériels ou de technologies, même si tous n'ont pas, semble-t-il, de programme nucléaire actif.

M. Xavier de Villepin a ensuite demandé au directeur général de l'AIEA quelles étaient, à ses yeux, les principales mesures envisageables pour renforcer l'efficacité du régime de non-prolifération.

M. ElBaradei a considéré que le renforcement du contrôle des exportations constituait aujourd'hui certainement l'une des toutes premières priorités. Les groupes de fournisseurs nucléaires prennent des décisions qui n'ont pas force obligatoire et ils ne comportent qu'un nombre réduit des pays. Les Etats non-parties au TNP, comme l'Inde et le Pakistan, n'y participent pas, de même que des pays disposant de capacités technologiques, comme la Malaisie. Il est donc nécessaire d'associer davantage d'Etats autour de règles internationales de contrôle des exportations de biens et technologies nucléaires.

M. ElBaradei a ensuite souligné la nécessité de mieux contrôler l'accès aux activités du cycle du combustible nucléaire. Il a précisé qu'une réflexion était lancée parmi les Etats membres de l'AIEA sur la possibilité de confier à une structure multinationale la diffusion des technologies et des équipements nécessaires pour l'enrichissement de l'uranium et le retraitement du combustible irradié. Il a cité en exemple le rôle que joue déjà en ce domaine l'Urenco, consortium créé par l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, qui démontre la faisabilité et l'intérêt d'une approche multinationale des activités liées au cycle du combustible.

Il a ajouté qu'il fallait également se préoccuper des stocks existants d'uranium hautement enrichi, en remplaçant chaque fois que cela est possible ce type de combustible par des matières moins sensibles, notamment dans les réacteurs de recherche. Il s'est réjoui à cet égard de la décision du gouvernement américain, annoncée à l'AIEA le 26 mai par le secrétaire à l'énergie M. Spencer Abraham, de consacrer 450 millions de dollars à un programme mondial de lutte contre la prolifération nucléaire visant notamment, dans le cadre d'un accord américano-russe, à rapatrier aux Etats-Unis d'ici la fin de l'année 2005 l'uranium hautement enrichi d'origine russe situé dans des installations de recherche insuffisamment sécurisées.

Le renforcement des pouvoirs de vérification de l'AIEA constitue, aux yeux de M. ElBaradei, la troisième priorité. Il passe par l'universalisation du protocole additionnel aux accords de garanties, qui doit devenir la norme, et par l'octroi à l'Agence de ressources supplémentaires pour mener à bien ses activités. Le directeur général de l'AIEA a également souligné la nécessité de développer, en matière de renseignement, les moyens propres de l'Agence, notamment l'acquisition d'images satellitaires, ce qui ne dispense pas de renforcer la collaboration avec les services de renseignement des Etats membres. M. ElBaradei a également souhaité qu'un lien plus étroit soit établi entre les régimes de contrôle des exportations et les activités de vérification, ces dernières étant nécessairement dépendantes d'informations détenues par les fournisseurs.

M. ElBaradei a estimé que le rôle du Conseil de sécurité des Nations Unies en matière de lutte contre la prolifération devait impérativement être revalorisé, de manière notamment à ce que toute atteinte grave aux engagements internationaux ne reste pas sans réponse. L'automaticité des sanctions, sans possibilité d'exercer le droit de veto, pourrait être envisagée en cas de violation du TNP.

Enfin, il a émis le souhait qu'une action plus résolue en matière de désarmement permette de montrer au monde que l'arme nucléaire ne doit pas être considérée comme la réponse aux besoins de sécurité du futur.

M. Xavier de Villepin a demandé à M. ElBaradei si les propositions qu'il formulait exigeraient de nouveaux instruments internationaux ou une modification des statuts de l'AIEA

M. ElBaradei a considéré que le renforcement des pouvoirs et des moyens de vérification de l'AIEA pouvait s'effectuer sans modification du mandat actuel de l'Agence. En ce qui concerne les différentes améliorations nécessaires pour renforcer les régimes de non-prolifération, il s'est demandé s'il ne serait pas envisageable de les rassembler au sein d'un instrument international, par exemple sous la forme d'un protocole complétant le TNP.

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