C. RÉHABILITER L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES ACTIONNAIRES

Cette tendance à la relative marginalisation de l'actionnaire individuel s'accompagne en outre de la moindre importance que revêt le droit politique dont dispose tout actionnaire, c'est-à-dire celui de voter, au profit de l'objectif patrimonial lié à l'espérance de plus-value et à la perception des dividendes. Au sein des organes sociaux des entreprises, le conseil d'administration (CA) ou le directoire tendent de plus en plus à devenir l'épicentre de la décision et de l'influence, au détriment de l'assemblée générale (AG) des actionnaires . Si cette dernière n'a certainement pas vocation à exercer un droit de regard sur l'ensemble des décisions de gestion et doit préserver la souplesse et la réactivité nécessaires à la bonne marche de la société, la cohérence et l'équilibre des pouvoirs au sein de l'entreprise supposent que l'AG puisse être pleinement associée aux orientations générales prises par la direction et aux décisions susceptibles d'affecter les droits patrimoniaux des actionnaires.

Le caractère structurant d'une ingénierie financière toujours plus complexe dans le franchissement des grandes étapes de la vie des sociétés 61 ( * ) , comme l'impression diffuse chez les actionnaires individuels que l'exercice de leurs droits politiques ne serait que de peu de poids pour soutenir un cours de bourse aux déterminants aussi multiples qu'indiscernables, n'ont fait qu'entretenir la relative désaffection des actionnaires et, le cas échéant, la condescendance des directions pour les AG. Le mythe de la « démocratie actionnariale » paraît dans ces conditions bien vain : formalisme des AG, faible participation au vote des investisseurs institutionnels, focalisation sur des dispositions médiatiques, telles que les rémunérations des dirigeants, plutôt que sur des aspects au moins aussi essentiels que sont les conditions de recours au marché ou les axes stratégiques de l'entreprise.

La LSF entendait donc permettre une certaine réhabilitation de l'AG . Votre rapporteur général a pleinement souscrit à cet objectif 62 ( * ) , non pas pour affaiblir en retour le nécessaire pouvoir de décision et de contrôle du CA, mais en vue de rééquilibrer la traditionnelle relation entre gestionnaire et propriétaire, selon la logique de « checks and balances » chère à Montesquieu. Il importe néanmoins de se démarquer d'une vision trop irréaliste et idéaliste du fonctionnement de l'AG, imprégnée, par analogie, d'une certaine nostalgie du régime d'assemblée : sa légitimité ne réside pas essentiellement dans son pouvoir de veto sur les décisions du conseil, mais dans la transparence et l'exhaustivité de l'information qui lui est livrée. N'oublions pas en effet qu'en dernière instance, l'actionnaire insatisfait peut « voter avec ses pieds » en cédant ses titres , ce qui à grande échelle constitue un pouvoir d'autant plus dissuasif que le cours de bourse figure souvent parmi les principaux objectifs des directions générales. Parallèlement, le CA doit concilier le caractère collégial de ses décisions avec l'épanouissement d'un principe interne du contradictoire, incarné par ses différents comités, en particulier ceux de rémunération et d'audit, qui mériteraient une meilleure reconnaissance légale.

La rémunération des dirigeants , prisme ô combien invoqué ces deux dernières années s'agissant du gouvernement d'entreprise, fournit à cet égard un cas d'application éclairant : d'aucuns ont pu plaider en faveur d'une soumission des rémunérations des principaux dirigeants pour l'exercice à venir à l'approbation préalable des actionnaires. Une telle mesure serait à la fois naïve, démagogique et contraire au principe fondamental de la liberté de gestion. Il est en revanche plus opportun - ainsi que le disposait la loi NRE du 15 mai 2001 - d'étendre le champ comme la profondeur de l'information fournie aux actionnaires dans ce domaine , c'est-à-dire de leur indiquer de façon claire, à chaque exercice, l'évolution de l'ensemble des composantes de la rémunération (salaire fixe, bonus, stock-options...) et des avantages différés (indemnités de départ et de retraite) des directeurs généraux, des membres du comité de direction, et le cas échéant des mandataires sociaux. Le vote des actionnaires peut, quant à lui, fixer le seul cadre général et non le détail de l'évolution des rémunérations, a fortiori s'il a une incidence sur le capital, selon le même esprit que les dispositions de l'article L. 225-177 du code de commerce, s'agissant de l'octroi de stock-options 63 ( * ) .

* 61 Evolution confortée par la réduction temporelle des cycles de croissance et l'intensification de la pression concurrentielle, qui ont créé une « ardente obligation » à la croissance externe, financée par des titres plutôt que par emprunt ou trésorerie, compte tenu des sommes en jeu.

* 62 Dont participe le vote des gérants d'OPCVM selon un principe de « comply or explain », introduit à l'initiative de votre commission des finances et prévu par l'article 66 de la LSF.

* 63 L'assemblée générale extraordinaire, sur le rapport du CA (ou du directoire) et des commissaires aux comptes, peut autoriser le CA ou le directoire à consentir des stock-options au bénéfice des salariés ou de certains d'entre eux, et fixer le délai d'utilisation de cette autorisation.

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