LES FACTEURS FAVORISANT LES RISQUES ÉMERGENTS
EN MATIÈRE DE MALADIES ANIMALES TRANSMISSIBLES À L'HOMME - M. PHILIPPE VANNIER, DIRECTEUR DE LA SANTÉ ANIMALE À L'AFSSA (AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS)

Merci Monsieur le Député, je vais tenter d'être exhaustif, mais, en quelques minutes, cela sera difficile, je serai donc quelque peu schématique. Lorsque l'on parle d'émergence, nous devons aussi parler de réémergence, je donnerai quelques exemples de zoonoses qui ont fait l'objet d'une éradication dans la population animale, mais qui réapparaissent à la faveur de contacts, notamment avec la faune sauvage.

Je prendrai quelques exemples en santé animale pure, car les leçons que l'on peut tirer de la santé animale peuvent aussi avoir un impact sur la compréhension des phénomènes zoonotiques de transmission de maladie animale à l'homme. J'ai identifié six facteurs d'émergence et de réémergence, non exhaustifs, que je vais passer en revue.

Le premier facteur dont il faut comprendre l'impact, et qui n'est pas un phénomène de mode, est le réchauffement climatique qui influence le biotope des vecteurs puisque certaines maladies sont vectorielles, transmises par certains insectes piqueurs. Le réchauffement climatique a un impact de remontée vers le Nord de ces vecteurs et donc sur un certain nombre de maladies, dont des zoonoses, par exemple, la fièvre du Nil occidental ( West Nile ) a envahi tous les États-Unis en quelques mois et nous avons connu quelques épisodes en France et en Europe. C'est un Culicoides qui est responsable de cette transmission, il remonte vers le Nord à la faveur du réchauffement climatique. Il est également possible de citer des zoonoses bien plus graves, comme la fièvre de la vallée du Rift qui n'a pas encore touché l'Europe, mais qui le pourrait, au travers de la conjonction de deux facteurs : l'adhésion de nouveaux États membres à l'Union européenne (Chypre, Malte) peut représenter une voie d'entrée d'animaux infectés, et l'arrivée de moustiques ( Aedes et Culex) qui peuvent aussi transmettre cette zoonose, là encore il s'agit d'une conséquence du réchauffement climatique avec une remontée vers le Nord de ces moustiques.

L'évolution des structures d'élevage représente un facteur important. Sous la pression sociale, et sous d'autres facteurs dont certains économiques, on a vu augmenter aux États-Unis et en Europe le nombre d'exploitations en plein air qui influent sur l'influenza aviaire, des élevages de porc et de volaille, deux espèces qui permettent une recombinaison génétique des virus, qui sont en contact étroit avec la faune sauvage, notamment les oiseaux migrateurs, qui favorisent certaines épizooties. Les conditions sont très différentes entre l'Asie du Sud Est et l'Europe. En Asie du Sud Est, une étude de la FAO permet de définir des facteurs comme l'augmentation rapide de la densité des petits élevages avec une faible bio sécurité et une prévalence élevée des sources pathogènes qui conditionnent une extension très rapide des épizooties. En Europe, les choses diffèrent, les élevages industriels connaissent une très haute bio sécurité sans mélange d'espèces, en revanche s'il y a une interface importante entre les petits élevages de plein air et des élevages industriels, ce sont des conditions qui peuvent créer une émergence. Si la distance entre ces élevages est trop réduite, les élevages industriels peuvent favoriser une progression épidémique rapide. Nous devons donc prendre en compte certains facteurs pour comprendre le mécanisme de développement d'une épidémie et se garder d'une trop grande simplicité, parce que ça n'est pas la réalité. À cet égard, je vous recommande un excellent ouvrage publié par l'Organisation mondiale de la santé animale sur les zoonoses émergentes et les pathogènes en santé publique, suite à une excellente étude de la FAO qui détermine tous ces facteurs que je ne peux développer ici.

Le troisième facteur qui me semble important, qui a été évoqué par Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY, est celui de l'évolution des comportements humains et des modes de conservation, notamment en Asie du Sud Est où se sont développés le SRAS, l'influenza aviaire et l'Ebola liés à des nouveaux commerces, à des nouveaux marchés asiatiques où l'on trouve un grand nombre d'animaux, des espèces différentes sur le même lieu et, bien entendu, une forte concentration humaine. L'influenza aviaire découle de conditions commerciales tout à fait particulières, mais le SRAS provient d'une région de Chine où l'on consomme une variété de civette palmée qui a fait l'objet de nouveaux marchés pour ces animaux - dont nous ne sommes pas encore certains qu'ils sont à l'origine du virus -, mais cette concentration humaine et de civette palmée sur les marchés a été à l'origine de l'épidémie. Le cas de l'Ebola est également très intéressant, comme d'autres virus qui peuvent avoir des sources simiesques (je pense notamment au Sida), où la déforestation, les contacts de la population humaine et des chasseurs avec le dépeçage des grands singes peuvent amener une sortie de ces virus par un contact étroit avec la population animale. Par le biais des mouvements de populations, facteur culturel important dont je reparlerai, il arrive que l'on trouve dans le Thalys entre Bruxelles et Paris ce que l'on appelle du « bush meat », ces viandes d'animaux sauvages d'Afrique, qui voyagent par vingt ou trente kilos et échappent parfois aux douaniers. Ces viandes sont consommées en France, en Belgique et en Europe, elles peuvent être contaminées par un certain nombre de virus et de bactéries pouvant être dangereux et pathogènes pour l'homme.

Le quatrième facteur particulièrement important réside dans les mouvements illégaux et incontrôlés d'animaux et de produits d'origine animale avec des flux d'immigration légale ou illégale de quelques populations humaines avec des spécificités culturelles, gastronomiques, voire religieuses. Nous avons quelques exemples très précis en la matière, notamment avec l'épidémie de rage canine suite à l'importation illégale d'un chien du Maroc qui était contaminé. Il n'y a pas eu de cas humain, mais la maîtrise de cette rage a posé de nombreux problèmes, sachant que la personne ayant introduit le chien en France était sans doute un dealer qui a parcouru tous les festivals d'été compliquant particulièrement la gestion de cet épisode. La fièvre aphteuse, qui n'est pas une zoonose, qui s'est déroulée au Royaume-Uni en 2001 trouve son origine dans les eaux grasses (déchets de cuisine) d'un restaurant asiatique qui ont été données, sans respect des réglementations européennes, à un élevage de porc qui a ensuite contaminé tout le pays et une grande partie de l'Europe. De plus, cette fièvre aphteuse est apparue en février, au moment de l'Aïd-el-Kabir, une fête religieuse musulmane qui entraîne un mouvement très important de moutons qui ont, eux aussi, contribué à diffuser la fièvre aphteuse en Europe. Je n'aborde pas les pestes porcines, également répandues par les eaux grasses, mais qui ne sont pas des maladies zoonotiques.

Un autre facteur est le réassortiment de gènes avec apparition d'un nouvel agent. L'influenza aviaire, qui sera abordée par Monsieur Jean-Claude MANUGUERRA, en est un exemple. Le Sud de l'Europe est actuellement touché par une épidémie de fièvre catarrhale ovine, qui n'est pas une zoonose, mais où l'on constate un réassortiment de nombreux gènes amenant le développement de nouveaux sérotypes. Se sont également produites, en santé animale, des émergences liées à l'évolution de la production porcine, avec intensification, spécialisation et importants mouvements de jeunes animaux qui ont été favorables à l'émergence de certaines pathologies animales.

Le dernier facteur que j'évoquerai réside dans l'évolution des procédés technologiques dans l'industrie agro-alimentaire et l'industrialisation d'un certain nombre de procédés, voire de diffusion, soit de farines, soit d'aliments destinés à la consommation humaine, qui ont été à l'origine des encéphalites spongiformes bovines puisque la modification venait des procédés technologiques de traitement des farines animales.

Voici, Mesdames et Messieurs, de façon schématique, les facteurs essentiels que je peux évoquer pour tenter de donner une explication. Si nous les comprenons, nous pouvons mieux prévenir ces émergences ou réémergences.

Mme Marie-Christine BLANDIN

Merci pour ces informations diverses et variées, je regarderai maintenant les valises dans le Thalys, que j'emprunte régulièrement ! Nous allons maintenant entendre le Docteur Jean-Claude MANUGUERRA, qui a été salué par le Ministre, sur le dossier de la grippe aviaire, en vous signalant que la saisine dont l'Office a fait l'objet a été sans doute fortement éclairée par ce contexte de peur médiatique de la grippe aviaire reposant sur des faits réels.

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