N° 455

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 5 juillet 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de l'Observatoire de la décentralisation (1) sur la décentralisation de la formation professionnelle et de l' apprentissage ,

Par M. Roger KAROUTCHI,

Sénateur.

Cet observatoire est composé de : M. Jean Puech, Président ; MM. Philippe Darniche, Gérard Delfau, Roger Karoutchi, Michel Mercier, Vice-Présidents ; MM. Jean Arthuis, Joël Bourdin, François-Noël Buffet, Jean-Patrick Courtois, Philippe Dallier, Eric Doligé, Jean François-Poncet, Pierre Hérisson, Dominique Mortemousque, Henri de Raincourt, Bernard Saugey.

Décentralisation.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'évaluation de la décentralisation en matière de formation professionnelle et d'apprentissage doit nécessairement s'inscrire dans une perspective différente de celle qui avait été retenue pour le précédent rapport de l'Observatoire de la décentralisation, consacré au transfert du RMI et du RMA aux départements.

En effet, la décentralisation de la formation professionnelle et de l'apprentissage :

- est historiquement ancienne , puisque les régions sont compétentes en ce domaine depuis 1983 ;

- mais les dernières étapes de cette décentralisation , résultant des dispositions de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux collectivités locales, ne sont entrées en vigueur qu'au 1 er janvier dernier voire, dans certains cas, n'entreront en vigueur qu' au 1 er juillet 2005 (transfert aux régions des formations sanitaires) ou au 31 décembre 2008 (achèvement de la décentralisation de la commande publique à l'AFPA).

Or, si les vingt années de décentralisation dans le domaine de la formation professionnelle et de l'apprentissage ont déjà donné lieu à de nombreux rapports officiels de qualité, qu'il ne saurait être question, ici, de paraphraser, il parait également prématuré de vouloir évaluer, aujourd'hui, et faute du recul et des informations nécessaires, les nouvelles compétences récemment transférées aux régions en ce domaine .

L'observatoire de la décentralisation a toutefois estimé opportun de se saisir de ce sujet afin de pouvoir « accompagner », dès le début de sa mise en oeuvre, la dernière étape de la décentralisation de la formation professionnelle et de l'apprentissage actuellement en cours ainsi que le transfert, aux régions, des formations dans le secteur médico-social .

En effet, tout processus de décentralisation soulève inévitablement des interrogations, sinon des incompréhensions, entre les différents acteurs concernés.

L'exemple de la formation professionnelle et de l'apprentissage confirme toutefois, et de manière éclatante, que les inévitables difficultés initiales d'ajustement ne dissuadent nullement les collectivités territoriales d'assumer pleinement leurs compétences issues de la décentralisation, comme l'atteste :

- la définition et la mise en oeuvre, depuis vingt ans, de véritables politiques régionales dans le domaine de la formation professionnelle et de l'apprentissage ;

- se traduisant, notamment, par la mobilisation de ressources financières désormais supérieures aux montants initialement transférés par l'Etat.

Dans le présent rapport, l'Observatoire de la décentralisation a donc pour seule ambition d'identifier les éventuels « problèmes d'ajustement » constatés, à ce jour, dans l'achèvement de la décentralisation de la formation professionnelle et de l'apprentissage et, par ses observations ou ses suggestions, de contribuer à sa réussite .

I. LA RÉGION : UN ÉCHELON PERTINENT POUR LA DÉCENTRALISATION DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET DE L'APPRENTISSAGE

A. L'AFFIRMATION D'UNE COMPETENCE REGIONALE APRES VINGT ANS DE DECENTRALISATION

L'histoire de la formation professionnelle, traditionnellement gérée par les partenaires sociaux et par l'État, est celle de sa décentralisation progressive aux régions.

1. 1983-1993 : Deux étapes fondatrices et de récentes mesures d'ajustement

a) La loi du 7 janvier 1983 : le socle de la décentralisation de la formation professionnelle et de l'apprentissage
(1) L'affirmation d'une compétence de droit commun en faveur des régions

Simple lieu de déconcentration des pouvoirs de l'Etat dans les années cinquante et soixante, les régions sont devenues des établissements publics en 1972 avant de devenir des collectivités territoriales de plein exercice en 1982 et de se doter d'un conseil élu pour la première fois au suffrage universel en 1986.

En conséquence, elles se sont vues attribuer des compétences de plus en plus larges parmi lesquelles la formation professionnelle et l'apprentissage, prolongement naturel des nouvelles attributions régionales en matière de développement économique, d'aménagement du territoire et de planification.

Une loi fondatrice est à l'origine de ce transfert de compétences : la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, qui a accordé aux régions une compétence de droit commun pour la mise en oeuvre des actions d'apprentissage et de formation professionnelle continue. Il leur revient désormais d'élaborer, en toute autonomie, leur politique de formation et d'apprentissage, de définir leurs propres priorités, d'arrêter librement le choix de leurs actions et le mode de conventionnement avec les organismes de formation.

(2) Les limites des moyens transférés, dans un premier temps, aux régions

En contrepartie, l'article 82 de la loi du 7 janvier 1983 a confié à l'État des compétences d'attribution, certes limitativement énumérées, mais encore importantes, à l'époque :

- la compétence normative : elle couvre la définition du cadre législatif et réglementaire et le contrôle de l'application de l'obligation légale de financement de la formation par les employeurs ;

- les actions de portée nationale : elles concernent les stages assurés soit par un même organisme dans plusieurs régions, soit destinées à des stagiaires ou des apprentis sans considération d'origine régionale. Il en est ainsi des actions de formation financées par le Fonds national de l'emploi (dont celles assurées par l'Association nationale de la formation professionnelle des adultes -AFPA-) et des actions de formation en faveur des publics spécifiques : les illettrés, les détenus, les réfugiés et les personnes handicapées ;

- les actions de portée générale : elles découlent des programmes établis au titre des orientations prioritaires de l'Etat et définies annuellement par le Comité interministériel de la formation professionnelle et de la promotion sociale, après concertation avec les organisations professionnelles et syndicales au sein des instances prévues à cet effet. Il ne s'agit pas, pour ce type d'actions, d'une exclusivité de l'Etat, mais d'une obligation nationale à laquelle les partenaires sociaux et les régions doivent également contribuer ;

- les études et les actions expérimentales : il s'agit des études nécessaires à la préparation des politiques menées par l'Etat ainsi que de la définition des moyens permettant d'assurer l'information sur les politiques engagées.

Sur le plan financier, les crédits transférés par l'Etat aux régions ont d'abord concerné l'apprentissage et la formation continue des adultes ayant un emploi (essentiellement, le financement des cours de promotion sociale). En pratique, les régions ont bénéficié de deux abondements financiers : une dotation annuelle de décentralisation spécifique accordée par l'Etat (un milliard de francs en 1983) et réévaluée chaque année ; la perception du produit de l'impôt sur les cartes grises (1,15 milliard de francs en 1983).

En outre, les régions se sont vues reconnaître toute liberté pour répartir leurs dépenses entre les différents postes de formation. A cet effet, un fonds régional de l'apprentissage et de la formation professionnelle continue (FRAFP), servant de réceptacle de ces crédits ainsi que ceux votés par le conseil régional, est créé dans chaque région et sa gestion est confiée au conseil régional.

Au total, au moment du vote de la loi de 1983, les 4/5èmes des moyens publics d'intervention en matière de formation professionnelle restent de la responsabilité de l'Etat.

Cette répartition des attributions traduit bien l'approche de l'époque selon laquelle la formation professionnelle et l'apprentissage est d'abord un instrument de long terme de développement économique et de qualification des actifs. Ce n'est que progressivement, avec la montée du chômage, qu'elle deviendra un moyen de gestion conjoncturelle du chômage.

Si, par conséquent, l'Etat garde un large champ d'attribution, obligation lui est faite de consulter les régions sur le choix et la localisation de ses actions, sans que la loi n'ait, cependant, fixé les modalités opératoires de cette consultation.

b) La loi quinquennale pour l'emploi du 20 décembre 1993 : une réponse pertinente aux revendications régionales
(1) Des revendications régionales...

Les dix années qui séparent la première loi de décentralisation de la loi quinquennale n° 93-1313 du 20 décembre 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle voient s'exprimer des revendications fortes des régions pour un élargissement du champ de leurs compétences. Ces revendications sont de trois types :

- une demande de meilleure reconnaissance : la place encore importante de l'Etat et des entreprises dans la formation des actifs obligeant les régions à rechercher en permanence des partenariats multiples et complexes, les régions se sont mises à revendiquer un élargissement et une clarification de leurs compétences. Certes, toutes ne sont pas unanimes, notamment sur la gestion des programmes destinés aux publics spécifiques et aux chômeurs de longue durée, les unes considérant qu'ils doivent rester de la compétence de l'Etat pour des motifs de solidarité nationale, les autres craignant, en cas de transfert total, de se transformer en administration de gestion, fonction pour laquelle elles ne sont ni équipées ni organisées, au détriment d'une logique de mission qui est leur vocation d'origine. Toutefois, elles font toutes du transfert des programmes mis en oeuvre par l'Etat pour la formation et l'insertion des jeunes, leur première revendication, dans une logique de coordination plutôt que de gestion des programmes ;

- une consultation plus systématique : absentes des instances légales de concertation instituées avant la décentralisation de 1983 pour recueillir les avis des partenaires sociaux sur les projets de lois et de décrets et sur la mise en oeuvre des programmes de l'Etat, les régions demandent à être systématiquement consultés, au sein du Comité de coordination des programmes régionaux d'apprentissage (CCPRA) au sein duquel elles siègent depuis 1987. Ainsi, elles n'avaient pas été sollicitées sur les projets de loi relatifs à l'apprentissage ou à l'allocation formation reclassement en 1987, à la mise en oeuvre du crédit formation individualisé en 1990 ou sur l'adoption de plan national d'action sur l'emploi ou du Trajet d'accès à l'emploi (TRACE);

- un pouvoir de coordination élargi : même si l'Etat les y a incitées en l'absence de toute base légale, les régions n'avaient pas pu développer, vis-à-vis des autres acteurs, une compétence de coordination des actions de formation menées sur leurs territoires. Ainsi, les schémas régionaux d'apprentissage, prévus par les contrats de plan Etat-Régions pour évaluer et identifier les besoins de qualification, n'ont été élaborés que par une dizaine de régions avant qu'ils ne soient rendus obligatoires. Mais, ils n'auront pas vraiment eu de portée opératoire, en raison de leur qualité très hétérogène, ce qui conduira les régions à les abandonner progressivement au profit des nouveaux outils d'expertise et d'aide à la décision que sont les Observatoires régionaux de l'emploi et de la formation professionnelle (OREF) et les Centres d'animation et de ressources de l'information sur la formation (CARIF).

Considérant, par conséquent, que la décentralisation de la formation professionnelle est restée au milieu du gué , des élus régionaux de tous bords ont souhaité un élargissement des compétences régionales et des moyens supplémentaires. En avril 1990, les parlementaires de l'opposition de droite déposent même, au Sénat, une proposition de loi qui prévoit, entre autres, la décentralisation de l'AFPA.

Dès son entrée en fonction, le Gouvernement, conduit par Edouard Balladur présente un projet de loi dit « loi quinquennale sur le travail, l'emploi et la formation professionnelle ».

(2) ....largement satisfaites par la loi quinquennale du 20 décembre 1993

La loi quinquennale du 20 décembre 1993 comporte cinq dispositions majeures :

- le transfert des programmes antérieurement mis en oeuvre par l'Etat pour la formation et l'insertion des jeunes en difficulté : première satisfaction de la demande exprimée jusqu'alors par les régions, le transfert de ces programmes s'est achevé au 1 er janvier 1999. Deux blocs de compétences ont ainsi été transférés: d'abord, les actions qualifiantes destinées à des jeunes de 16 à 25 ans en juin 1994 ; ensuite, les actions de pré-qualification et d'insertion ainsi que le réseau d'accueil, d'information et d'orientation des jeunes selon un calendrier défini par la région et au plus tard au 31 décembre 1998 ;

- la création d'un plan régional de développement des formations professionnelles des jeunes (PRDFP) : élaboré par la région en concertation avec l'Etat (et notamment les recteurs) et après une large concertation des départements, du Conseil économique et social régional (CESR) et des acteurs socio-économiques, le PRDFP affirme la région dans son rôle d'animation et de mise en cohérence, au niveau territorial, des dispositifs de formation professionnelle initiale et continue des jeunes.

La phase d'élaboration des PRDFP a été un moment privilégié de dialogue entre les régions, l'Etat et les partenaires sociaux permettant la construction d'outils de diagnostic partagé sur les enjeux liés à l'emploi et à la formation. De plus, le PRDFP a été le moyen pour la région de s'affirmer comme un acteur pivot reconnu pour concevoir et mettre en oeuvre une politique globale et concertée de formation professionnelle des jeunes, tenant à la fois compte de la dimension économique de la région à travers l'emploi de jeunes et la compétitivité des entreprises et de l'aménagement du territoire à travers l'adéquation qualitative de l'offre de formation.

Toutefois, les PRDFP ont également mis en évidence des tensions entre la démarche de qualification portées par les conseils régionaux, les rectorats et les organisations professionnelles et la démarche d'insertion des publics en difficulté défendue par les services du Ministère de l'emploi ;

- l'extension des compétences du CCPRA : créé par la loi du 7 janvier 1983, le CCPRA, composé de représentants de l'Etat, des partenaires sociaux et des conseils régionaux, avait à l'origine pour mission de veiller à la cohérence et à la coordination des actions menées en matière de formation et d'apprentissage et de proposer des mesures d'harmonisation des programmes des régions afin d'assurer une égalité des chances d'accès à l'apprentissage et à la formation. La loi quinquennale élargit ces missions à la formulation de recommandations. Cependant, le CCPRA, en s'inscrivant dans une démarche d'évaluation globale de la politique de formation dans son ensemble, aura, pendant longtemps, négligé l'évaluation des dispositifs de formation eux-mêmes. De plus, la structuration très centralisée des partenaires sociaux a conduit à ce que la logique de branche l'emportât souvent sur les considérations d'ordre territorial ;

- la mise en place d'espaces jeunes dans les missions locales (ML) et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO) : ils doivent permettre aux jeunes de moins de 26 ans à la recherche d'un emploi ou d'une formation de trouver dans un même lieu l'ensemble des services dont ils ont besoin. A cette fin, des conventions devaient être conclues entre les régions, l'Etat, l'ANPE et les communes impliquées dans le financement des ML-PAIO. Si elles ont été signées dans l'ensemble des régions, leur mise en oeuvre a été parfois l'occasion de vives tensions sur les objectifs de ces structures ;

- l'extension des compétences consultatives des COREF : alors que l'article 77 de la loi quinquennale instituait une obligation de consultation des COREF par l'ANPE et l'AFPA, plusieurs obstacles sont venus limiter la portée de cette règle : la mauvaise lisibilité des missions de l'AFPA du fait de son double positionnement en tant que service public de l'emploi et en tant qu'organisme de formation soumis aux règles de la concurrence sur le marché de la formation  ainsi que l'absence de l'AFPA dans l'élaboration du PRDFP.

Dans son rapport remis au Premier ministre en septembre 1999, « Les acteurs de la formation professionnelle : pour une nouvelle donne », Gérard Lindeperg, député et conseiller régional, relevait que « c'est à la lumière de ce bilan qu'il faut repenser la fonction de coordination de la région. Une nouvelle dynamique territoriale serait en effet de nature à solidifier des partenariats et à dépasser les logiques d'attribution de publics qui demeurent peu pertinents ».

c) De récentes mesures d'ajustement : la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale et la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité
(1) Des lois d'adaptation...

La loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 relative à la modernisation sociale approfondit, d'une part, la décentralisation avec :

- la création d'un comité de coordination régionale de l'emploi et de la formation professionnelle dans chaque région, sous la co-présidence du préfet de région et du président du conseil régional ;

- la réforme de la collecte de la taxe d'apprentissage ;

- la coordination des financements des CFA autour du conseil régional.

D'autre part, elle a renforcé le contrôle exercé sur les organismes de formation avec la mise en place d'une déclaration d'activité.

Enfin, elle a étendu la validation des acquis de l'expérience (VAE) à toutes les certifications professionnelles et intégré la formation dans les négociations de branche.

La loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité confie des compétences nouvelles aux conseils régionaux :

- l'extension du PRDFP aux formations délivrées aux adultes;

- la définition d'un schéma régional des formations de l'AFPA, à partir du 1 er janvier 2003 ;

- la prise en charge par les régions de l'indemnité compensatrice forfaitaire, dite prime d'apprentissage, versée aux employeurs d'apprentis et dont le montant est désormais modulable. En contrepartie, et sur la base de la dépense prévisible qu'il supportait en 2002, l'État s'engage à compenser la charge qui en résulte.

(2) ...qui sont restées au milieu du gué

Comme l'a relevé Pierre-André Périssol, député, dans son rapport publié en juin 2003, « Régionalisation de la formation professionnelle », les lois de 2002 n'ont pas su aller au-delà des aménagements techniques, plusieurs difficultés étant restées sans réponse.

En ce qui concerne les politiques de formation, on observe une articulation incomplète entre les compétences de l'Etat en matière d'emploi et celles des régions relatives à la formation , notamment en ce qui concerne certains dispositifs de formation comme les stages d'insertion et de formation à l'emploi (SIFE). Par ailleurs, le transfert de la coordination des dispositifs de VAE aux seules régions qui le souhaitent conjointement avec l'Etat a eu pour effet d'en limiter la portée opérationnelle.

En ce qui concerne les structures, la Cour des comptes n'a pas manqué de pointer, dans son rapport de 2002, que la dispersion des commanditaires empêchait une structuration de l'offre régionale de formation ce qui conduit à une situation paradoxale où ce sont les organismes de formation qui mettent en concurrence les financeurs eux-mêmes plutôt que l'inverse.

De plus, ce marché restait fortement déséquilibré par le positionnement ambigu de l'AFPA , à la fois service public et organisme de formation.

Du côté des multiples réseaux d'accueil, d'information et d'orientation , leur cloisonnement rend leur action illisible auprès des jeunes contraints alors de s'orienter vers l'enseignement professionnel par défaut.

Enfin, en ce qui concerne l'apprentissage, le rapport Périssol précité relevait que « les inégalités considérables entre CFA et l'absence de transparence doivent trouver des solutions, soit, dans une amélioration du système existant -les dispositions de la loi de modernisation sociale vont dans ce sens mais sont-elles vraiment opératoires et suffisantes ?- soit, dans une réflexion plus large, même si elle est complexe, sur la correction des inégalités territoriales liées à l'organisation de la taxe d'apprentissage ». En effet, alors qu'elles étaient déjà pleinement compétentes en matière d'apprentissage, les régions n'avaient qu'une faible maîtrise de la taxe d'apprentissage collectée et se trouvaient confrontées à de fortes inégalités de ressources.

Par conséquent, en réponse aux insuffisances des lois de 2002, une nouvelle impulsion était nécessaire.

2. Les régions face à leurs nouvelles libertés et responsabilités : la loi du 13 août 2004

a) Un principe : la consécration de la compétence générale des régions

Dans un objectif de clarification, la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales réaffirme le principe selon lequel, à partir du 1 er janvier 2005, les régions ont l'entière responsabilité de l'apprentissage et de la formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d'un emploi , dès lors que ces formations ne relèvent pas de l'entreprise ou de l'assurance chômage, faisant ainsi d'elles les véritables pilotes de la formation professionnelle.

Ce principe implique que les conseils régionaux définissent et mettent en oeuvre la politique régionale d'apprentissage et de formation professionnelle.

Le champ d'intervention des conseils régionaux est étendu, en outre, à deux autres domaines :

- ils se voient confier l'organisation, sur leur territoire, du réseau des centres et points d'information et de conseil sur la VAE et doivent assister les candidats ;

- ils ont obligation d'assurer l'accueil en formation qualifiante de la population résidant sur leur territoire, ou dans une autre région si la formation désirée n'y est pas accessible. Une convention fixe les conditions de prise en charge de la formation par les conseils régionaux concernés.

b) Des moyens : une meilleure maîtrise des outils de la formation professionnelle et de l'apprentissage

Afin de leur permettre d'avoir une maîtrise globale de la politique régionale, la loi du 13 août 2004 confie explicitement aux régions la responsabilité d'adopter et de mettre en oeuvre le PRDFP , jusqu'alors sans pilote clairement identifié. De plus, elle donne aux régions une liberté totale pour définir les formations visées par le PRDFP.

L'élaboration des PRDFP évolue favorablement, la plupart des régions ayant, sinon déjà conclu un nouveau PRDFP, du moins engagé la concertation dans ce but.

En ce qui concerne spécifiquement l'apprentissage, l'autonomie des régions est renforcée : d'une part, elles se voient confier l'enregistrement des contrats d'apprentissage pour ceux qui ressortent de la région. D'autre part, elles obtiennent la liberté de déterminer la nature, le niveau et les conditions d'attribution de la prime d'apprentissage versée aux employeurs d'apprentis.

En ce qui concerne la formation professionnelle continue, la loi prévoit un financement de la protection sociale des stagiaires dès lors que l'action de formation est prise en charge, y compris pour les formations non rémunérées. Elle ouvre également la possibilité pour les régions d'accorder aux stagiaires une rémunération supérieure aux barèmes nationaux.

Surtout, conformément à une demande exprimée par le Sénat 1 ( * ) , elle prévoit un transfert progressif aux régions des crédits consacrés aux stages AFPA traditionnellement à la charge de l'État. Les régions deviendront donc les donneurs d'ordre exclusifs de l'AFPA au titre de la commande publique. Les crédits transférés se rapportent à la formation, à la rémunération des stagiaires et aux prestations associées à la formation (accompagnement, hébergement et restauration).

Ce transfert, qui a vocation à être effectif au plus tard le 31 décembre 2008 , pourra intervenir dès le 1 er janvier 2005 pour les régions qui auront signé, avec le préfet de région et l'AFPA, une convention tripartite définissant le schéma régional des formations et le programme d'activité régional de cette association. Si la convention n'a pu être signée à cette date, il appartiendra au préfet d'arrêter le schéma régional.

3. L'urgence d'un partenariat Etat-régions au nom de la cohésion sociale

a) La nécessité de mieux distinguer politique de formation et politique d'emploi : une demande des régions...

Malgré des lois successives qui ont toutes prétendu à un objectif de clarification des compétences régionales et de l'Etat, force est de constater que les régions s'interrogent encore à ce sujet.

Comme le constate le conseil régional d'Ile de France, « la responsabilité des régions en matière de formation professionnelle et d'apprentissage reste assortie d'exceptions, qui conduisent en fait à une compétence partagée, source d'opacité et d'incohérences. De plus, il s'avère difficile d'élaborer à l'échelon régional une stratégie commune tant les positions des différents acteurs, y compris au sein de l'Etat entre administrations, peuvent être parfois divergentes ».

En effet, certains dispositifs de formation ont continué de relever d'une compétence partagée : les stages d'insertion et de formation à l'emploi (SIFE) et les stages à d'accès à l'emploi (SAE), le dispositif insertion, réinsertion, lutte contre l'illettrisme (IRILL), les formations ouvertes et à distance et ressources éducatives (FORE) et les ateliers de pédagogie personnalisée (APP).

L'Etat a justifié le non transfert des SIFE et SAE par le fait qu'ils relèvent, non pas de la formation professionnelle, qui est de la responsabilité des régions,  mais de la politique de l'emploi, qui incombe à l'État.

Quant aux programmes IRILL, FORE et APP , s'ils n'ont pas vocation à apparaître dans la loi, tout transfert éventuel aux régions devant relever de l'arrêté et de la loi de finances, il n'en demeure pas moins qu'aucune décision en ce sens n'a été prise.

Par ailleurs, si les régions seront pleinement compétentes pour la formation des demandeurs d'emploi, l'État a vocation à garder une compétence résiduelle en matière de formation des publics dits spécifiques , qu'aucune base légale n'est venue sécuriser sur le plan juridique. Tel est le cas des formations délivrées aux détenus, aux illettrés, aux réfugiés, aux résidents de l'outre-mer et aux militaires en reconversion.

En outre, constatant en ce domaine que l'Etat n'assure pas toujours le financement de ces formations, les régions ont d'ores et déjà et volontairement engagé des crédits pour compenser cette défection. De fait, si l'Etat souhaite conserver la compétence en matière de formation des publics spécifiques, il est indispensable qu'il l'assume clairement, c'est-à-dire en apportant les financements nécessaires.

b) ....qui, cependant, ne justifie pas les soupçons de reprise en main de la formation par l'Etat

Les conseils régionaux considèrent qu'à peine la loi relative aux libertés et aux responsabilités locales a t-elle été votée que l'Etat est venu en remettre en cause les acquis, à travers la loi n°2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.

En pratique, ce sentiment concerne surtout l'apprentissage.

D'abord, la loi de cohésion sociale a remplacé le fonds national de péréquation de la taxe d'apprentissage (FNPTA) par un fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage , qui accueillera directement le produit de la taxe d'apprentissage.

Le fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage

Créé par la loi n°97-940 du 16 octobre 1997, le fonds national de péréquation de la taxe d'apprentissage, doté de l'autonomie financière, reçoit en recettes une partie de la taxe d'apprentissage et, en dépenses, les reversements de celle-ci aux fonds régionaux d'apprentissage et de la formation professionnelle continue (FRAFP).

La loi de programmation pour la cohésion sociale l'a remplacé par un fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage dont les recettes seront constituées des ressources actuelles du FNPTA, des recettes provenant de la suppression de certaines exonérations et des sommes perçues par le Trésor public au titre de la taxe d'apprentissage non libératoire. Ce fonds est divisé en deux sections :

- La première correspondrait à la vocation de l'actuel fonds national de péréquation. Son montant (150 millions d'euros) sera maintenu au niveau actuel du FNPTA. Le mécanisme de répartition entre les régions, qui relève du domaine réglementaire, est modifié afin de répondre à l'observation formulée par les inspections quant à son faible effet redistributif et de mieux satisfaire les besoins des régions au regard des efforts réels qu'elles déploient en faveur de l'apprentissage.

- La seconde section (130 millions d'euros en 2005 puis 200 millions d'euros en 2006) sera exclusivement destinée, par l'intermédiaire des FRAFP, au financement des actions et mesures mises en oeuvre en application de contrats d'objectifs et de moyens.

Source : Ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale (2004)

Selon le conseil régional de Champagne-Ardenne, « la création de ce fonds n'est pas de nature à conforter les compétences régionales dans le domaine de l'apprentissage ».

Celui de Haute Normandie relève, quant à lui, qu' « elle constitue une remise en cause de la décentralisation en matière d'apprentissage...Il faudrait qu'un texte garantisse à la collectivité bénéficiaire de transferts de compétences que l'Etat ne remettra pas en cause la loi de décentralisation. La loi de cohésion sociale est une illustration flagrante de ce type de dysfonctionnement ».

Quant à la région Bourgogne, elle se demande  « s' il n'y a pas un risque de dérive vers la cogestion d'une compétence des régions, dans la mesure où l'affectation des crédits par l'Etat de la seconde section du fonds correspond à des objectifs précis de l'Etat, même lorsque ces derniers peuvent être en totale contradiction avec des situations et/ou des politiques régionales dans ce domaine, d'où une certaine crainte de recentralisation de l'apprentissage évoqué par l'Association des Régions de France (ARF) ».

Toutefois, ce jugement apparaît quelque peu excessif. Dans la mesure où l'Etat s'est fixé un objectif de 500.000 apprentis en cinq ans, il est normal qu'il se soit donné les moyens d'atteindre cette ambition.

A l'occasion des débats au Sénat sur le projet de loi de cohésion sociale, le Gouvernement avait ajouté que « nous savons que l'apprentissage est une compétence des régions, mais nous voulons le développer, nous voulons faire en sorte qu'on y recoure davantage et qu'on améliore la qualité du service. Or cela a un coût. L'Etat ne va pas en transférer ipso facto la charge sur les régions mais, en respectant les compétences de celles-ci, il va alimenter subsidiairement le financement. Nous voulons le faire de manière claire, sans pour cela recréer une administration d'Etat chargée de l'apprentissage ».

Quant aux conventions d'objectifs et de moyens qui, selon certains conseils régionaux comme celui de Champagne-Ardenne « remettent directement en cause les compétences régionales », il ne semble pas anormal, dans la mesure où les régions ont annoncé leur intention de privilégier leurs propres dispositifs de formation, comme les emplois-tremplins, au détriment des mesures défendues par le Gouvernement, que ce dernier n'ait pas souhaité organiser son propre échec en confiant aux conseils régionaux la mise en oeuvre d'une politique qu'il a décidé, comme sa compétence normative l'y autorise. Dès lors, ainsi que l'avait expliqué le Gouvernement à l'occasion des débats relatifs au projet de loi de cohésion sociale, « il s'agit avant tout, pour l'Etat, de développer l'apprentissage dans le plan de cohésion sociale et de trouver la meilleure façon de respecter la compétence des régions, qui, vous le savez, est, depuis les lois de 1982 et 1983, régulièrement enrichie en matière d'apprentissage. Le Gouvernement ajoutait que « l'objectif de la convention est de permettre à l'Etat de cofinancer l'effort d'apprentissage des régions. C'est logique dans la mesure où il entend développer ce mode de formation initiale et en améliorer la qualité ».

De la même manière, votre rapporteur se félicite que ce soit sur initiative sénatoriale la maîtrise du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) ait été confiée à l'Etat, plutôt qu'aux régions afin de répondre à un souci d'aménagement équilibré du territoire. Le rapporteur de la commission des Affaires sociales du Sénat, notre collègue Louis Souvet « constatant que les régions privilégient désormais le développement d'outils nouveaux qui leur soient spécifiques a souhaité , à juste titre, que le CIVIS, qui est un outil intéressant, ne tombe pas en déshérence. Le Sénat a également adopté un amendement confiant à l'État le soin de mettre en oeuvre le droit à l'accompagnement personnalisé accordé aux jeunes les plus éloignés de l'emploi. Cette mesure est de nature à éviter des différences de traitement selon les régions ».

Enfin, votre rapporteur relève avec satisfaction, tout comme l'Association des régions de France du reste, que la loi de cohésion sociale a re- confié à l'Etat l'enregistrement des contrats d'apprentissage et non pas aux régions comme annoncé dans la loi relative aux libertés et responsabilités locales. Selon Denis Jacquat, député et co-auteur de cet amendement de simplification, « le transfert vers les régions de l'enregistrement des contrats d'apprentissage soulève des difficultés pratiques de mise en oeuvre liées à l'imbrication des compétences de l'État et de celles de la région. Il en résulte un dispositif lourd et complexe d'échanges d'informations. Ce partage de responsabilités sera source de complexité pour l'employeur, qui aura la plus grande difficulté à distinguer ce qui relève de la région et ce qui relève de l'État ».

En se donnant les moyens réels d'atteindre ses objectifs en matière d'emploi, qui doit relever de sa compétence, le Gouvernement a exprimé un souci légitime de lutter efficacement contre le chômage. Il n'y a donc pas lieu de soupçonner l'Etat de remettre en cause les acquis de la décentralisation. D'ailleurs, le 30 juin dernier, Jean-Louis Borloo, Ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale a conclu avec l'Association des régions de France (ARF) une convention de partenariat relatif à la mise en oeuvre du volet « emploi » du plan de cohésion sociale , ce qui a permis à l'ARF de se féliciter de la participation des régions au co-pilotage du service public de l'emploi.

Au demeurant, il s'est efforcé de tenir ses engagements pour assurer une compensation financière des transferts de compétences aux régions.

* 1 Rapport d'information n° 447 (1999-2000) de Michel Mercier, « Pour une République territoriale : l'unité dans la diversité ».

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