Rapport d'information n° 33 (2005-2006) de M. Philippe MARINI , fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 octobre 2005

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N° 33

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 octobre 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur les prélèvements obligatoires et leur évolution ,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM.  Bernard Angels, Bertrand Auban, Jacques Baudot, Mme Marie-France Beaufils, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Mme Nicole Bricq, MM. Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Claude Haut, Jean-Jacques Jégou, Roger Karoutchi, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.

Impôts et taxes.

INTRODUCTION

L'entrée en vigueur de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) est l'occasion de se pencher sur les différentes étapes de la procédure budgétaire.

Seul le Sénat, pour des raisons de calendrier, fait usage de la possibilité qui en est offerte aux assemblées par l'article 52 de la loi organique, d'organiser un débat sur le rapport du gouvernement qui comporte « l'évaluation financière pour l'année en cours et les deux années suivantes, de chacune des dispositions de nature législative ou règlementaire, envisagées par le gouvernement ».

Le contenu du rapport du gouvernement, tout à fait symétrique de celui du rapport économique, social et financier figurant en annexe du projet de loi de finances, conduit à ne pas esquiver la question de principe de l'utilité d'une telle démarche.

Un rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, pour quoi faire ?

En fait, loin de constituer un doublon avec la discussion budgétaire, ce rapport apparaît à votre commission des finances comme le moment de s'abstraire de l'urgence qui caractérise l'examen de la loi de finances de l'année, pour prendre du recul afin de mettre en perspective les mesures fiscales annoncées par le gouvernement et d'avoir une vue d'ensemble des prélèvements obligatoires .

Dans les rapports qu'elle a jusqu'à présent rédigés dans ce cadre, votre commission des finances s'est surtout efforcée de se donner un peu de visibilité sur tel ou tel aspect de notre fiscalité ou de faire avancer des idées, comme cela a été le cas, l'année dernière, avec la « TVA sociale ».

Cette année, la situation se présente, indépendamment de l'entrée en vigueur de la LOLF, sous un jour assez particulier pour un ensemble de raisons :

1) pour la première fois depuis 1996, le gouvernement soumet au Parlement une réforme d'ensemble d'un grand impôt, en l'occurrence l'impôt sur le revenu . Même si celle-ci ne sera effective qu'en 2007 sur les revenus de 2006, il convient d'en examiner la cohérence au regard des impératifs d'équité sociale et d'efficacité économique ;

2) le projet de loi de finances pour 2006 comporte d'importantes rectifications de frontières entre prélèvements sociaux et fiscaux , ce qui amène votre commission des finances à réfléchir sur les rapports entre le budget de l'Etat et celui de la sécurité sociale. Il y a là un besoin de clarification d'autant plus impérieux que les enjeux en sont, d'une part, la portée de la règle dite du « zéro volume », et d'autre part, la possibilité d'accroître la responsabilisation des assurés sociaux ;

3) le Conseil d'analyse économique a fait paraître un rapport intitulé « Croissance équitable et concurrence fiscale » de MM. Christian Saint-Etienne et Jacques Le Cacheux, qui renouvelle le débat en proposant une simplification radicale sur la base d'un diagnostic éclairant de l'état fiscal de la France.

L'année dernière, l'examen du projet de loi de finances pour 2005 avait été l'occasion de poser la question, dans le sillage du rapport de M. Michel Camdessus 1 ( * ) , de la viabilité du modèle social français ; cette année, c'est un nouveau rapport qui nous amène à nous interroger sur la soutenabilité de notre modèle fiscal, qui n'est que le reflet de notre modèle social, et le produit des politiques suivies par les majorités successives.

Le présent rapport d'information va partir d'un constat : le respect des règles du pacte de stabilité et de croissance dépendra, pour les prochaines années, dans une large mesure, de notre capacité à maîtriser les déficits sociaux , bien qu'il faille rappeler que du fait de sa masse, le déficit des administrations publiques en reste le facteur déterminant. La question fondamentale à cet égard est de savoir si un système de protection sociale a vocation à rester durablement déficitaire .

Lorsque l'on se penche sur l'évolution de ces vingt dernières années, l'on ne peut qu'être frappé par un constat : alors que la progression continue des prélèvements obligatoires n'est que difficilement contenue ces dernières années, la plupart des réformes entreprises ont consisté à prévoir l'allègement des impôts et d'eux-seuls, sans réduire les dépenses à due concurrence. Il en est résulté logiquement une explosion de la dette publique qui a donc joué le rôle de variable d'ajustement .

Une concurrence fiscale de plus en plus intense

Une bonne part de cette évolution tient aux effets de la concurrence fiscale qui apparaît aujourd'hui d'autant plus vive avec l'instauration de l'euro, et les taux de change fixes, qu'elle constitue un instrument privilégié pour renforcer l'attractivité du territoire.

De ce point de vue, la France se caractérise, comme le souligne le rapport du Conseil d'analyse économique, par une préférence pour des taux nominaux élevés qui du fait de la multiplication des exceptions, se concilient avec une pression fiscale effective beaucoup plus modérée.

LES EFFETS PERVERS DU MODÈLE FISCAL FRANÇAIS 2 ( * )

Pour votre commission des finances, « il y a un véritable modèle fiscal français. Celui-ci reflète largement un tempérament national caractérisé, en la matière, par un certain clientélisme et par une propension au perfectionnisme.

Par delà les alternances de ces trente dernières années, il est une constante de notre fiscalité : le souci de traiter les cas particuliers, malgré la passion très nationale pour l'égalité...

La France estime indispensable de lutter contre toutes les inégalités et en particulier d'assurer un égal accès aux services publics, alors que dans d'autres pays, on fait plus de place à l'égalité des chances qu'à celles des revenus directs ou indirects.

Il en résulte non seulement un niveau élevé des prélèvements obligatoires de façon à financer des services, satisfaits ailleurs souvent par l'initiative privée, mais encore une multiplication des régimes particuliers La France a donc tendance à afficher une pression fiscale nominale élevée, mais la compense immédiatement et très imparfaitement par une multiplication des exceptions.

Ainsi s'accumulent, pour les entreprises comme pour les particuliers, les régimes affichant le principe d'une fiscalité lourde, dont on ne peut justifier l'assouplissement que pour des motifs d'intérêt général.

Or, une telle logique a vraiment atteint ses limites, à la fois parce que les régimes spécifiques comportent des effets pervers, et parce qu'ils suscitent, de façon continue, des demandes reconventionnelles des catégories de contribuables qui veulent obtenir de préserver un avantage fiscal. Le cas de la déduction fiscale pour dons aux oeuvres d'aide aux personnes en difficulté est emblématique de cette « échelle de perroquet ». Enfin, l'insuffisance des ressources publiques et l'étroitesse croissante des marges de manoeuvre conduisent à définir des mesures de trop faible ampleur pour exercer de réels effets économiques.

La complexité de notre code général des impôts est la conséquence directe d'une telle logique en vertu de laquelle il n'est pas de règle générale qui ne soit assortie, tôt ou tard, de cas particuliers, quand on ne cherche pas directement à définir des régimes fiscaux spécifiques pour telle ou telle activité, ou tel ou tel contribuable.

A cela s'ajoute une réelle méfiance vis à vis des mécanismes du marché qui conduit à considérer la neutralité fiscale comme une principe discutable et à lui préférer des mécanismes d'incitation à une activité ou à un besoin jugés insuffisamment pris en compte par le jeu normal de l'offre et de la demande. Alors que dans d'autres pays, on estime qu'il suffit de laisser jouer ce qu'on a pris coutume de qualifier, depuis Adam Smith, la « main invisible », en France, il faut stimuler l'initiative par les mesures ad hoc, sans en avoir vraiment les moyens au demeurant.

Il faudrait en France avoir le courage de faire preuve d'un certain « minimalisme fiscal » c'est-à-dire évoluer vers un système dans on lequel on ne paye pas forcément moins d'impôt mais dans lequel les différents régimes fiscaux sont plus simples, plus fonctionnels, moins sophistiqués : t rop d'impôt tue l'impôt, mais trop d'exceptions finissent par dissoudre la règle, qui perd alors à la fois efficacité et légitimité . »

Le rapport précité de MM. Christian Saint-Etienne et Jacques Le Cacheux souligne d'emblée un paradoxe : les agents économiques sont, en matière d'impôts , sujets à ce que l'on pourrait qualifier d'illusion nominale : « La pression fiscale globale ou les taux faciaux d'imposition des bénéfices des sociétés, par exemple, dont la théorie indique qu'ils ne sont pas pertinents dans l'analyse des phénomènes de concurrence fiscale traditionnelle, sont cependant souvent considérés par les contribuables concernés et par les décideurs publics comme importants 3 ( * ) ».

Les auteurs du rapport du Conseil d'analyse économique poursuivent 4 ( * ) : « la puissance de la « concurrence par comparaison » éclaire sans doute aussi le rôle - symbolique - que jouent, dans les choix de localisation des entreprises, des facteurs tels que les cotisations sociales, par exemple, alors que, là encore, la théorie économique standard inciterait plutôt à ne leur accorder qu'une influence mineure, voire nulle en principe, sur les choix d'implantation des entreprises, dans la mesure où leur incidence, à long terme, est sur les revenus salariaux et non sur le coût de la main-d'oeuvre » 5 ( * ) .

Un aspect important de cette concurrence fiscale est donc son caractère subjectif , que résume l'expression de « compétitivité fiscale ressentie » employée par le rapport qui, même si elle diffère de la compétitivité réelle, est néanmoins celle qui conditionne les choix de localisation. Il y a une « sorte de primat politique et médiatique des taux nominaux ». Comme le souligne le rapport, « si les taux nominaux d'un pays sont très élevés dans un environnement faible, il n'est plus crédible, voire audible, d'arguer que les taux effectifs sont faibles 6 ( * ) ».

Il y a bien ainsi un coût spécifique des systèmes fiscaux comme le nôtre qui combinent des taux nominaux élevés avec un grand nombre d'exceptions destinées à faire baisser la charge fiscale réelle :

- coût administratif d'abord, car un système complexe et coûteux tant pour l'administration qui le gère, que pour les agents économiques qui investissent du temps ou de l'argent dans l'optimisation fiscale ;

- coût en terme d'image , aussi, auprès des agents économiques tant extérieurs qu'intérieurs, - ce n'est d'ailleurs que récemment qu'a été systématiquement indiqué sur la feuille d'impôt le taux moyen d'imposition.

On ne saurait qu'approuver la formule du rapport selon laquelle « la concurrence fiscale est une guerre tout autant psychologique que rationnelle 7 ( * ) ».

Votre rapporteur général rappelle que la concurrence fiscale est loin de ne présenter que des effets négatifs :

- il convient de distinguer la concurrence pour la localisation des activités et de l'emploi , (qui fait entrer en jeu des facteurs structurels tels que la situation et la taille des marchés, l'importance du savoir faire, la qualité des infrastructures et des biens publics, le dynamisme de la recherche, etc.) de la concurrence pour la localisation des bases d'imposition, qui dépend, elle, des régimes fiscaux de chaque pays dans lesquels s'effectue le processus productif ;

- il est également souhaitable de faire la part entre une concurrence fiscale saine , en ce qu'elle oblige les pays à se montrer économes de prélèvements et donc de moyens publics, et une concurrence « prédatrice » qui incite à rogner sur toutes les dépenses publiques non directement utiles aux facteurs les plus mobiles.

A cet égard, il faut rappeler la distinction classique, mais fondamentale, relative au caractère mobile ou non des facteurs de production , telle que votre rapporteur général l'avait exposée dans un rapport déjà ancien 8 ( * ) .

Si la France est si peu compétitive sur le plan fiscal, c'est que son modèle se caractérise par une fiscalité hyper-concentrée sur les facteurs de production les plus mobiles , capital et compétences, qui sont aussi ceux dont le rôle dans la croissance apparaît aujourd'hui de plus en plus déterminant.

Sur le plan mondial, mais aussi au sein même de l'Union européenne, avec l'entrée des pays de l'Est européen, on assiste à une baisse de la fiscalité sur les assiettes les plus mobiles que sont les bénéfices des sociétés, le patrimoine des individus et les revenus des salariés disposant des compétences les plus recherchées.

L'interpénétration des économies s'accompagne d'un accroissement de la mobilité des individus qui risque de provoquer un phénomène de « nomadisme fiscalo-social » caractérisé par des changements de résidence selon les coûts et les bénéfices propres à chaque système fiscal national, le cas échéant variable suivant les âges de la vie.

Refonder notre modèle fiscal

La France est donc confrontée à un défi, qui menace directement les modalités actuelles de financement de son modèle social. Peut-elle réagir et mettre en place un système fiscal acceptable sur le plan politique, qui tienne compte des réalités économiques ?

Il lui faut trouver l'énergie politique pour concilier simplicité, efficacité et justice d'une part, équité horizontale et verticale 9 ( * ) , d'autre part. Il convient également de chercher à optimiser le système fiscal en termes de rationalité économique . Deux choses sont importantes, à cet égard :

- que les frais de collecte soit faibles ;

- et que l'impôt soit , du moins tant que les mécanismes du marché fonctionnent de façon satisfaisante, neutre , c'est-à-dire qu'il affecte le moins possible les choix des agents économiques.

La succession récente de réformes ayant pour but d'alléger la pression fiscale pesant sur les agents économiques, résulte d'une tentative pour suivre une tendance mondiale à l'abaissement des prélèvements sur les facteurs mobiles . Aussi nécessaire et légitime cette politique soit-elle, à court terme, il faut souligner qu'elle n'est pas forcément soutenable à long terme.

Le mouvement général de baisse des taux d'imposition semble irréversible . Toutefois, dès lors qu'il n'est pas suffisamment compensé par un élargissement des assiettes, il place la France dans une situation difficile : telle est la raison pour laquelle votre rapporteur général aurait préféré que l'on puisse éliminer les niches au lieu d'en plafonner les effets.

Participer de ce mouvement mondial de baisse des impôts sans avoir les marges de manoeuvre budgétaires nécessaires, expose nos finances publiques à de graves dangers, à partir du moment où, sous toutes les majorités, se font jour des tentations d'allégements d'impôts non compensés.

En tout état de cause, il ne paraît guère possible d'abaisser durablement les impôts, quelle que soit la conjoncture, si les charges permanentes du secteur public ne sont pas réduites en conséquence.

L'augmentation de la dette résulte largement de cette asymétrie . Elle revient à financer à crédit des baisses d'impôt et à maintenir, en dépit des évolutions démographiques, une protection sociale, dont il faudrait se demander si l'on peut encore la financer , de façon quasi exclusive, au moyen de prélèvements obligatoires.

Cette problématique débouche naturellement sur une réflexion sur les assiettes taxables et les capacités contributives.

Il est tentant, prenant pour référence une « flat tax », d'alléger au maximum les impôts pesant sur les « assiettes mobiles » ; toutefois, imposer de moins en moins les plus-values à long terme ou la détention du patrimoine immobilier, contribue à concentrer encore davantage la charge des prélèvements fiscaux et sociaux sur les revenus courants du facteur de production le moins mobile, en l'occurrence le travail, au risque de pénaliser la compétitivité des entreprises.

Il n'est pas question ici de prétendre résoudre ces difficultés, mais simplement d'esquisser des problématiques qui permettront de mieux juger des réformes contenues dans le projet de loi de finances pour 2006, qu'il s'agisse de la redéfinition des relations entre l'Etat et les administrations de sécurité sociale ou du nouveau barème de l'impôt sur le revenu et des mécanismes de plafonnement dont il est assorti.

A cet égard, et même si le présent rapport d'information ne comporte pas de développements spécifiques sur ce sujet faute de disposer des éléments précis permettant d'effectuer des simulations, il est important de souligner que le plafonnement des prélèvements fiscaux que le gouvernement propose d'instaurer sous l'appellation de « bouclier fiscal », doit être conçu de la façon la plus large.

Votre rapporteur général est en mesure d'indiquer qu'il sera particulièrement attentif aux éléments qui seront pris en compte au numérateur comme au dénominateur de la fraction définissant le « bouclier fiscal ». Deux points peuvent à ce stade être tout particulièrement mis en avant : d'une part, il serait peu cohérent de ne pas prendre en compte la contribution sociale généralisée (CSG), qui constitue bien une imposition de toute nature ; d'autre part, il ne serait pas normal de faire figurer au dénominateur des revenus non taxables, tels que les plus-values exonérées en raison de la durée de détention de l'actif, dès lors que cela pourrait aboutir à taxer ce type de revenus au taux prévu par le « bouclier fiscal ». Enfin, il doit être clair que les revenus pris en compte au titre du plafonnement sont bien les revenus en numéraire des redevables et non les revenus en nature, issus, par exemple, de la jouissance de leur résidence principale.

A ce stade une mise au point s'impose. Cette approche n'est pas une mise en cause de la légitimité de l'impôt et de la dépense publique et encore moins l'amorce d'une « participation à la course au moins-disant fiscal ».

Des grands pays comme la France, l'Allemagne et l'Italie ont des avantages en termes de taille de marché et de qualité des infrastructures qui leur permettent de supporter des charges fiscales plus importantes. Ce qui compte, c'est que le rapport qualité/prix de la dépense publique soit attractif .

Un Etat peut se spécialiser sur la base d'un niveau élevé de biens publics et d'une fiscalité importante à la condition que la dépense publique soit efficace , et qu'un choix collectif soit explicitement exercé en ce sens. Tel est le défi que la LOLF va s'efforcer de relever à la condition que la volonté politique soit efficacement relayée par ceux qui, à tous les niveaux, ont la responsabilité de la mise en oeuvre des politiques publiques.

En d'autres termes, le débat sur le modèle fiscal est indispensable et, depuis de nombreuses années, votre commission espère y contribuer. Trop de choix lourds de conséquences résultent d'enchaînements administratifs ou de lâchetés collectives. Eclairer l'opinion sur les enjeux , permettre à nos concitoyens d'exercer leur droit de suffrage en toute connaissance de cause, telle est la première responsabilité d'une assemblée parlementaire . Le fait de poser chaque année de telles questions et d'interpeller aussi bien le gouvernement que l'opinion publique sur la cohérence et les conséquences de nos attitudes en matière de financement du secteur public par les prélèvements obligatoires est dont bien au coeur des missions relevant du Sénat de la République.

I. LE CONSTAT : LA PRESSION CONSTANTE DES DÉFICITS SOCIAUX

La part croissante des prélèvements sociaux ou affectés à la sécurité sociale dans l'ensemble de prélèvements obligatoires, les place naturellement au coeur d'une réflexion sur la maîtrise des dépenses publiques. L'instauration d'une loi de financement de la sécurité sociale en 1996 et tout récemment le vote de la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, constituent à l'évidence un progrès.

Mais, du point de vue du budget de l'Etat , dont il convient de rappeler qu'il est le garant en dernier ressort de l'ensemble, on ne peut que s'inquiéter d'un système qui crée la confusion par suite de l'enchevêtrement des flux croisés et de l'arbitraire de la répartition des organismes entre administrations d'Etat et de sécurité sociale et qui empêche que se mettent en place des mécanismes de régulation faisant clairement la place à une logique de responsabilité.

A. LA FRANCE TOUJOURS DANS LE PELOTON DE TÊTE EN MATIÈRE DE TAUX DE PRÉLÈVEMENT

1. Les comparaisons internationales

Parmi les principaux pays de l'OCDE, la France est celui où la part des recettes publiques 10 ( * ) dans le PIB est la plus élevée .

La part des recettes publiques totales dans le PIB des principaux pays de l'OCDE

(en %)

Source : OCDE

Prélèvements obligatoires et recettes publiques

1. La notion de prélèvements obligatoires

Selon l'OCDE , les prélèvements obligatoires se définissent par un triple critère :

- les flux doivent correspondre à des versements effectifs (ce qui conduit à ne pas comptabiliser les régimes de retraites directs d'employeurs, ne comprenant pas de circuit effectif de cotisations, comme dans la fonction publique et certaines grandes entreprises) ;

- les destinataires des versements doivent être des administrations publiques (ce qui conduit à exclure, notamment, les versements à des ordres professionnels, ou à des sociétés mutualistes) ;

- les versements doivent être non volontaires, c'est-à-dire en particulier être caractérisés par l'absence de contrepartie immédiate.

Au sein de l'Union européenne, la notion de prélèvement obligatoire ne figure pas dans le système européen de comptabilité nationale (SEC 95). Les impôts et les cotisations sociales y sont cependant définis selon des critères précis et contraignants.

2. La notion de recettes publiques

La notion de recettes publique sse distingue de celle de prélèvements obligatoires par le fait qu'elle comprend, outre ceux-ci, des recettes qui correspondent à des versements considérés comme « volontaires ».

C'est le cas, en ce qui concerne la loi de financement de la sécurité sociale, de certaines taxes ou cotisations professionnelles.

Dans le cas du budget de l'Etat, ne sont pas considérés comme des prélèvements obligatoires :

- certaines recettes qui sont la contrepartie d'un service rendu (redevance de télévision, amendes non fiscales, droits de timbre sur les passeports, cartes grises...) ;

- certaines recettes non fiscales.

Ainsi, en 2004 les recettes publiques correspondaient en France à 50,7 % du PIB, contre environ 45 % pour l'Allemagne et l'Italie, (qui sont dans la moyenne de la zone euro), 40 % pour l'Espagne et le Royaume-Uni, et 30 % pour le Japon et les Etats-Unis.

La situation de certains pays a connu des changements importants depuis 1980. Ainsi, l'Italie est passée d'un taux de 35 % en 1980 à un taux de 46 % en 2004. En sens inverse, le Royaume-Uni est passé d'un taux de 42 % en 1980 à un taux de 41 % en 2004. Le caractère modéré de cette diminution témoigne qu' il est plus facile d'accroître le poids des administrations publiques que de le réduire .

2. Une programmation 2007-2009 moins ambitieuse que les précédentes

a) Le passage des comptes nationaux en « base 2000 »

L'Insee a modifié en 2005 la « base » utilisée pour l'élaboration des comptes nationaux : alors que l'année utilisée pour base de l'indice des prix était l'année 1995, il s'agit désormais de l'année 2000. Cette opération s'est accompagnée de certains retraitements d'opérations. Au total, le taux de prélèvements obligatoires a été réduit d'environ 0,7 point de PIB : de 43,8 % du PIB en 2003 selon la « base 1995 », il ne serait plus que de 43,1 % du PIB cette même année selon la « base 2000 », comme l'indique le graphique ci-après.

Le taux de prélèvements obligatoires en France

(en points de PIB)

Sources : Insee, rapport économique, social et financier, programme de stabilité 2005-2007

Cet impact du passage des comptes nationaux à la « base 2000 » sur le taux de prélèvements obligatoires s'explique en quasi-totalité par le fait que le PIB nominal a été revalorisé d'environ 1,5 point chaque année. Les prélèvements obligatoires représentant environ la moitié du PIB, cette réévaluation conduit mécaniquement à réduire leur part dans le PIB d'environ 0,7 point.

Il convient cependant également de mentionner quelques retraitements comptables d'importance relativement mineure , qui ont eu pour effet de minorer les prélèvements obligatoires de 1,9 milliard d'euros à 5,7 milliards d'euros de 1993 à 2002, mais qui en 2003 les ont majorés de 0,7 milliard d'euros. Ces retraitements sont indiqués par l'encadré ci-après.

Les retraitements concernant les prélèvements obligatoires lors du passage des comptes nationaux de la base 1995 à la base 2000

«
• La contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) est reclassée en impôts sur la production. Elle était auparavant classée en impôt sur les produits, mais, faute d'information, la ventilation par produit était très approximative. Ce reclassement est sans impact sur le montant des prélèvements obligatoires.

«
• L'institut français du Pétrole dont les services ne s'adressent pas aux seuls professionnels a été reclassé parmi les administrations ; la taxe qu'il perçoit sur l'essence et le gazole est reclassée (194 millions d'euros en 2001) en impôt sur les produits alors qu'il s'agissait de ventes de services en base 1995.

«
• Les prélèvements de l'État sur les fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations (2,5 milliards en 2001), au titre des garanties accordées par l'Etat, sont désormais enregistrés en dividendes et non plus en impôts.

«
• La redevance sur les fréquences radioélectriques perçue par l'Etat (122 millions en 2001), qui était classée en impôts à la production, est reclassée en rente, les fréquences radioélectriques étant considérées comme un actif non produit, à l'instar des traitements européens des UMTS.
»

Source : Insee,  « L'économie française - Comptes et dossiers », Edition 2005-2006

b) La nouvelle programmation pluriannuelle en « base 2000 »

L'article 50 de la LOLF, introduit par le Sénat en première lecture, prévoit que le rapport sur la situation et les perspectives économiques, sociales et financières de la nation (RESF) « présente et explicite les perspectives d'évolution, pour au moins les quatre années suivant celle du dépôt du projet de loi de finances, des recettes, des dépenses et du solde de l'ensemble des administrations publiques détaillées par sous-secteurs et exprimées selon les conventions de la comptabilité nationale, au regard des engagements européens de la France, ainsi que, le cas échéant, des recommandations adressées à elle sur le fondement du traité instituant la Communauté européenne ».

Ainsi, pour la première fois, un exercice de programmation pluriannuelle a été annexé au projet de loi de finances pour 2003. En pratique, ce document présente les mêmes données que le futur programme de stabilité. Le programme de stabilité est cependant plus détaillé, et accompagné d'une présentation « littéraire » plus conforme au « style communautaire ».

Afin de juger de l'exécution des précédentes programmations, et en particulier du programme de stabilité 2006-2008, et de les comparer à la nouvelle programmation, il convient de les convertir en « base 2000 ».

Une fois cette conversion effectuée, la nouvelle programmation semble nettement moins ambitieuse que l'ancienne, comme le montre le graphique ci-après.

Le taux de prélèvements obligatoires : programmation et exécution

(comptes nationaux en base 2000)

(en points de PIB)

(1) Conversion en base 2000 effectuée par votre commission des finances

Sources : Insee, programmes de stabilité, présent projet de loi de finances

Ainsi, après les « bonnes surprises » des années 2002, 2003 et 2004, le gouvernement anticipe une remontée du taux de prélèvements obligatoires , qui, de 43,9 % en 2005, atteindrait 44 % en 2006, soit un taux comparable à ceux de 1997, 1998 et 2000, nettement supérieur aux précédentes programmations.

En particulier, l'écart par rapport aux deux derniers programmes de stabilité (2005-2007 et 2006-2008) est important (plus de 0,5 point de PIB). Cela vient du fait que le gouvernement a révisé à la baisse sa prévision de croissance pour 2005, mais aussi d'une croissance des dépenses plus forte qu'initialement prévu.

3. La question des allègements fiscaux non compensés

Il convient à cet égard de rappeler que la baisse des prélèvements obligatoires, aussi souhaitable soit-elle, ne saurait être réalisée au prix d'une aggravation du déséquilibre des comptes publics.

Or, depuis une vingtaine d'années, les dépenses des administrations publiques ont toujours été nettement supérieures à leurs recettes, comme le graphique ci-après l'indique pour la période 1993-2004.

Recettes et dépenses des administrations publiques

(en points de PIB)

Source : Insee, comptes nationaux base 2000

Dans ces conditions, en l'absence de réduction parallèle des dépenses, un allégement des prélèvements obligatoires accroît le déficit public.

A titre d'illustration, on peut indiquer le coût annuel total d'un allégement fiscal financé par le déficit public, en prenant en compte l'augmentation de la charge de la dette, selon l'hypothèse d'un taux d'intérêt réel de 3 %, et d'une croissance réelle du PIB de 2 % par an : une mesure censée coûter 1 point de PIB chaque année, en coûterait 1,3 au bout de 10 ans et 1,5 au bout de 20 ans .

C'est pourquoi, dans le cadre du rapport d'information 11 ( * ) adopté en vue du débat d'orientation budgétaire pour 2006, votre commission des finances a retenu, parmi les sept principes devant, selon elle, guider la politique budgétaire, celui consistant à « s'interdire tout allégement fiscal non compensé et toute augmentation structurelle de dépenses non gagée, tant que le déficit structurel n'aura pas atteint un niveau inférieur ou égal à 1 % et que le rythme de croissance des dépenses publiques restera de l'ordre de celui observé par le passé, soit 2 % par an en volume ».

B. DES PRÉLÈVEMENTS SOCIAUX CROISSANTS

Si la France reste dans le peloton de tête en matière de taux de prélèvements obligatoires, cela résulte notamment de la dynamique des prélèvements sociaux , qui occupent une place croissante. Dans le cadre du présent rapport, votre rapporteur général a souhaité aborder deux questions essentielles : la dynamique des prélèvements sociaux d'une part, le partage des prélèvements entre l'Etat et la sécurité sociale d'autre part.

1. Une hausse des prélèvements sociaux inéluctable en l'absence de profondes réformes de structure

a) Des prélèvements sociaux représentant plus de la moitié des prélèvements obligatoires en 2006
(1) L'évolution des prélèvements sociaux

Les prélèvements sociaux constituent une part prépondérante des prélèvements obligatoires et représenteront en 2006 plus de la moitié de ceux-ci : 22,1 % du produit intérieur brut (PIB), soit 388,7 milliards d'euros, pour un total de prélèvements obligatoires égal à 44 % du PIB (775,1 milliards d'euros) .

On rappellera que la contribution sociale généralisée devrait rapporter 76,45 milliards d'euros en 2006, contre 57,48 milliards d'euros pou l'impôt sur le revenu.

Le tableau suivant retrace l'évolution des prélèvements sociaux depuis 2001.

Evolution du taux de prélèvements sociaux

(en points du PIB)

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Prélèvements sociaux

21,4

21,4

21,6

20,5

20,9

22,1

Evolution effective

0

0,1

- 0,2

0,1

1,2

Dont contribution de l'évolution spontanée

0

0,1

0

0,3

0,1

Dont contribution des changements de périmètre

0

0

0,9

0

1,1

Source : rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, projet de loi de finances pour 2006

On relève que cette évolution tient à trois facteurs :

- l' évolution spontanée , qui s'est révélée globalement neutre sur cette période ;

- les mesures nouvelles , comprises notamment dans la loi portant réforme des retraites 12 ( * ) et la loi relative à l'assurance maladie 13 ( * ) , qui ont systématiquement conduit à un accroissement du taux de prélèvements sociaux ;

- les changements de périmètre , qui concernent la prise en charge des exonérations de cotisations sociales : celle-ci incombait jusqu'en 2003 au Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC). Ce fonds ayant été budgétisé dans le cadre des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2004, les allègements de charges sociales ont alors été imputés sur le budget du travail, avant que le gouvernement ne décide, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006, de transférer cette charge à la sécurité sociale, en contrepartie de l'affectation de recettes fiscales.

Il convient, en outre, de souligner que la catégorie « ASSO », à laquelle on se réfère dans le tableau précédent pour apprécier l'évolution et le poids des prélèvements sociaux, ne donne pas une vision complète de ces derniers dans la mesure où plusieurs organismes liés à la sécurité sociale sont considérés comme des « organismes divers d'administration centrale » (ODAC) : la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), le Fonds de réserve des retraites (FRR), la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). D'après le rapport du gouvernement sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, le montant des prélèvements obligatoires perçus par ces trois organismes s'est élevé à 7,15 milliards d'euros 14 ( * ) en 2004 .

Votre rapporteur général relève également que la suppression de l'avoir fiscal, à laquelle votre commission des finances s'était opposée, devrait entraîner, en 2006, une perte de recettes de 550 millions d'euros pour la sécurité sociale, dont 400 millions d'euros pour le régime général, selon le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2005.

(2) Les principales mesures du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006

Plusieurs mesures contenues dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 devraient contribuer à accroître le poids des prélèvements sociaux. Les principales mesures, qui pèseront sur les ménages et les entreprises, sont les suivantes :

- la soumission aux prélèvements sociaux des intérêts produits par les plans d'épargne logement de plus de 10 ans dès la dixième année : cette mesure, qui ne constitue pas une augmentation des prélèvements obligatoires mais simplement une anticipation de leur perception, devrait avoir pour conséquence une augmentation du rendement de la CSG d'environ 860 millions d'euros en 2006 ;

- la mise en place d'une taxe exceptionnelle sur l'industrie pharmaceutique , qui devrait rapporter 300 millions d'euros ;

- l'extension de la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés (C3S) au secteur public relevant du secteur marchand, qui devrait représenter une recette de 140 millions d'euros ;

- différentes mesures modifiant le régime des exonérations de cotisations sociales , qui devraient rapporter 185 millions d'euros (fin de l'abattement existant pour le temps partiel, réduction du seuil des exonérations sur les indemnités de rupture du contrat, assujettissement des chambres d'hôtes aux cotisations sociales) ;

- enfin, le relèvement du taux de la taxe versée par les mutuelles au Fonds CMU , considéré comme un ODAC, qui devrait générer un produit de 170 millions d'euros .

Ces mesures devraient donc représenter un surcroît de recettes de 1,66 milliard d'euros, soit moins de 0,1 point de PIB.

Si le projet de loi de financement de la sécurité sociale contient ainsi des mesures accroissant le taux de prélèvements obligatoires, cela tient à la nécessité de faire face à une situation des finances sociales particulièrement dégradée.

Signalons que le gouvernement a par ailleurs annoncé l'augmentation de 0,2 point des cotisations sociales vieillesse - cette mesure d'ordre réglementaire étant prévue dans le cadrage financier de la réforme des retraites - ainsi que l'augmentation provisoire de 0,1 point du taux de la cotisation patronale affectée à la branche « accidents du travail - maladies professionnelles » (AT-MP).

Au total, le rapport du gouvernement sur les prélèvements obligatoires et leur évolution estime que la hausse des prélèvements sociaux résultant de mesures nouvelles représentera 3,21 milliards d'euros en 2006 , comme l'indique le tableau qui suit.

Incidence des principales mesures nouvelles sur les prélèvements sociaux en 2006

(en millions d'euros )

Mesures

Montant

PLFSS 2006

1 660

Hausses de cotisations au régime général

1 300

Hausses de cotisations décidées par les partenaires sociaux

280

Hausses de cotisations décidées par les partenaires sociaux

- 30

Autres mesures Sécurité sociale (*)

3 210

Total

3 210

Source : rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, projet de loi de finances pour 2006

(*) Il s'agit notamment de l'impact sur les cotisations sociales et sur la CSG du changement de mode de recouvrement des indépendants et de l'incidence sur les prélèvements sociaux de la suppression de l'avoir fiscal

b) Une situation particulièrement dégradée des finances sociales appelant des mesures correctrices
(1) 2005 : « la multiplication des foyers de déficit »

La sécurité sociale est aujourd'hui confrontée à une situation budgétaire particulièrement difficile. De ce point de vue, l'année 2005 est marquée par « la multiplication des foyers de déficit », pour reprendre l'expression de M. François Monier, secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale.

En effet, alors que le solde de l'ensemble des régimes de base de sécurité sociale suivait jusqu'à présent celui du régime général, il s'en écarte aujourd'hui en raison de l'apparition d'un déficit important du régime de protection sociale des exploitants agricoles (FFIPSA 15 ( * ) ), comme le montre le tableau suivant :

Note : ces prévisions n'intègrent pas les mesures correctrices éventuelles contenues dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

Au total, ce tableau, dont les projections pour 2006 ne tiennent pas compte des mesures de redressement prévues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, montre que la problématique du déficit de la sécurité sociale n'est plus celle du seul régime général, ce dernier devant par ailleurs faire l'objet d'une analyse différente suivant les branches considérées.

La situation financière particulièrement dégradée du Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (FFIPSA)


Dès sa création, le FFIPSA a hérité du handicap financier du BAPSA

- Un report à nouveau négatif de 3,2 milliards d'euros du BAPSA sur le FFIPSA au 1 er janvier 2005 :

A sa clôture, le 31 décembre 2004, le budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA) présentait un déficit d'exécution en droits constatés de l'ordre de 840 millions d'euros , d'après les chiffres du rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale dans son rapport de septembre 2005. Ce déficit d'exécution était le résultat d'un dépassement des dépenses de l'ordre de 300 millions d'euros et de moins-values de recettes de près de 500 millions d'euros, essentiellement due à une baisse du rendement des droits sur les tabacs.

En outre, à ce déficit d'exécution, il convient d'ajouter des dépenses de nature exceptionnelle imputables à l'année 2004 (passage aux droits constatés, mensualisation des retraites et reports de dépenses liées à la dotation globale hospitalière) pour un montant de 2,4 milliards d'euros .

Au total, au 1 er janvier 2005, date d'entrée en vigueur du FFIPSA, le résultat définitif du compte de résultat consolidé du BAPSA pour 2004 s'élevait à 3,2 milliards d'euros .

Selon le rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale de septembre 2005, « ce déficit cumulé correspond à une créance sur l'Etat qui devra figurer en tant que telle dans le bilan d'ouverture du FFIPSA ». En effet, le BAPSA, en tant que budget annexe, était soumis au principe budgétaire d'équilibre annuel, ce qui imposait à l'Etat d'équilibrer annuellement le BAPSA, comme tout autre budget annexe. Or, contrairement aux recommandations de la Cour des comptes, cette « créance » du FFIPSA sur l'Etat n'a pas été inscrite dans son bilan d'ouverture.

- L'héritage d'une structure de financement remaniée :

Dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2004 16 ( * ) , la structure de financement du régime de protection sociale des exploitants agricoles a été profondément remaniée avec la suppression de trois des taxes affectées à ce régime :

- la cotisation de 0,70 % incluse dans les taux de TVA, d'un montant de 4,4 milliards d'euros en 2003 ;

- le prélèvement sur le droit de consommation sur les alcools, d'un montant de 23 millions d'euros en 2003 ;

- la taxe sur les tabacs fabriqués, d'un montant de 109 millions d'euros en 2003, fusionnée avec les droits de consommation sur les tabacs à compter du 1 er janvier 2004.

En contrepartie, une quote-part du produit des droits de consommation sur les tabacs, fixée en loi de finances, a été affectée au BAPSA en 2004 et au futur FFIPSA à compter du 1 er janvier 2005. L'article 41 de loi de finances initiale pour 2004 précitée avait fixé cette quote-part à 52,36 % en 2004, correspondant à un montant de près de 5 milliards d'euros.

En 2005, en plus des droits sur les tabacs, le FFIPSA a bénéficié des autres recettes du BAPSA, parmi lesquelles les cotisations des assujettis, la part de CSG maladie affectée au régime des exploitants agricoles, les participations des autres régimes au titre de la compensation démographique, ou encore les subventions du Fonds de solidarité vieillesse (FSV). En outre, les statuts du FFIPSA prévoient également « une dotation de l'Etat destinée, le cas échéant, à équilibrer le fonds ».


Les prévisions des déficits d'exécution du FFIPSA pour 2005 et 2006 font état d'une situation financière critique

- Une situation financière critique :

Pour 2005, la prévision du déficit d'exécution du FFIPSA, qui figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, est de 1,7 milliard d'euros. Une ligne de trésorerie auprès du Crédit agricole a permis d'assurer le paiement des prestations, dans le cadre du plafond d'emprunt fixé par l'article 66 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 17 ( * ) à 6,2 milliards d'euros pour 2005.

Pour 2006, la prévision du déficit d'exécution du FFIPSA, qui figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, est, à nouveau, de 1,7 milliard d'euros. En outre, ce projet de loi de financement fixe le plafond d'emprunt auquel le régime des exploitants agricoles peut recourir pour couvrir ses besoins de trésorerie à 7,1 milliards d'euros, montant qui représente près de la moitié des dépenses de ce régime .

Votre rapporteur général ne peut que manifester son désaccord à l'égard de ce recours à l'emprunt comme mode de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles, estimant que le découvert n'est pas une solution tenable pour financer un déficit structurel .

- Les solutions proposées par le comité de surveillance du FFIPSA du 29 septembre 2005 :

Dans son avis rendu le 29 septembre 2005, le comité de surveillance du FFIPSA, au sein duquel siège notamment notre collègue Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis du projet de loi de financement de la sécurité sociale au nom de la commission des finances du Sénat, a appelé le gouvernement à prendre ses responsabilités et à analyser les modalités d'application des préconisations budgétaires formulées par le comité de surveillance, à savoir une diversification des ressources et, à moyen terme, une renégociation des règles de compensation démographique.

Votre rapporteur général ne peut qu'encourager le gouvernement à proposer rapidement des solutions au besoin de financement du FFIPSA afin d'éviter la faillite du régime de protection sociale des exploitants agricoles .

(2) Régime général : un redressement de l'assurance maladie permettant de compenser la dégradation de la situation des autres branches

La stabilisation du déficit du régime général entre 2004 et 2005 masque une évolution divergente des branches, la branche maladie connaissant un début de redressement tandis que les trois autres branches enregistrent un déficit croissant. Le tableau suivant retrace l'évolution des soldes du régime général dans son ensemble et de la branche maladie depuis 1990 :

Evolution des soldes du régime général et de la branche maladie depuis 1990

Source : commission des comptes de la sécurité sociale (septembre 2005)

(a) Le redressement de la branche maladie

L'amélioration du solde de la branche maladie devrait être très significative puisque le déficit à la fin de l'année 2005 s'établirait, selon les projections de la commission des comptes de la sécurité sociale, à 8,3 milliards d'euros, en baisse de 3,3 milliards d'euros par rapport à 2004 . Ce résultat doit être d'autant plus salué que le déficit tendanciel pour 2005 avait été évalué, au moment de la réforme de l'assurance maladie, à 16,3 milliards d'euros, soit 8 milliards de plus que le déficit attendu à la fin de l'année.

Ainsi, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) fixé pour 2005 (134,9 milliards d'euros) devrait, pour la première fois depuis 1998, être respecté en valeur . Cette évolution très positive tiendrait notamment à une faible évolution des dépenses de soins de ville, alors que les objectifs des établissements de santé pourraient être dépassés de 650 millions d'euros. La commission des comptes de la sécurité sociale souligne toutefois quelques ombres qu'il conviendra de suivre avec attention, à savoir la consommation des médicaments, le respect des engagements conventionnels pris par les professionnels de santé et les versements aux établissements sanitaires qui excèdent l'objectif assigné.

La Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a également connu une baisse de ses frais financiers de 400 millions d'euros en raison de la reprise de 35 milliards d'euros de déficits par la CADES fin 2004.

Cette embellie découle également du surcroît de recettes enregistré à la suite des mesures prévues par loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie. La CNAMTS bénéficierait ainsi, en particulier, d'une hausse de recettes de CSG évaluée à 2,7 milliards d'euros, d'une augmentation d'un milliard d'euros du produit des droits sur les tabacs, ainsi que de 800 millions d'euros correspondant au produit de la contribution additionnelle à la C3S.

Dans son rapport de juillet 2005, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie insiste sur l'importance des recettes dans le redressement actuel : « à système de recettes inchangées, la progression des dépenses prévues en 2005 serait supérieure à celle des recettes et le déficit 2005 serait de plus de 12,5 milliards d'euros ».

La branche maladie, dont le déficit au titre de l'année 2005 a d'ores et déjà été transféré à la CADES, devrait connaître un déficit de 7,2 milliards d'euros, hors mesures nouvelles prévues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, soit une diminution de 1,1 milliard d'euros par rapport à 2005 . D'après les analyses de la commission des comptes de la sécurité sociale, cette évolution résulterait à la fois d'un nouveau ralentissement des dépenses et d'une croissance dynamique des recettes.

Si l'on se peut se féliciter du ralentissement de la progression des dépenses, la situation n'en reste pas moins préoccupante, puisque, en dépit de cette amélioration, le déficit - avant mesures correctrices du projet de loi de financement de la sécurité sociale - serait plus élevé que ceux connus au cours de la période 1993-1997, dont le point bas, atteint en 1995, s'établissait à environ 6 milliards d'euros.

L'analyse du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie

« Selon le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale de juin 2005, le déficit probable de la branche assurance maladie du régime général s'établirait pour l'année 2005 à 8,3 milliards d'euros.

« Dans ces conditions et compte tenu des déficits des années antérieures, il resterait 6,7 milliards d'euros de disponible dans le plafond de transfert de dette à la CADES pour financer le déficit de 2006.

« Il n'est pas prévu à ce jour de recettes supplémentaires en 2006 (à l'exception d'une nouvelle tranche d'augmentation du forfait journalier). A taux de prise en charge inchangé, le déficit de l'assurance maladie ne sera contenu à 6,7 milliards d'euros que si l'ONDAM pour 2006 progresse à un rythme inférieur à l'évolution de ses recettes (résorber 1,6 milliard d'euros de déficit pour le ramener de 8,3 à 6,7 milliards d'euros représente 1,2 % de l'ONDAM).

« La réalisation des économies prévues dans le plan de redressement est donc le gage de la tenue du déficit dans la limite précitée.

« Le retour vers l'équilibre en 2007 est un objectif extrêmement ambitieux à taux de prise en charge et à structure de recettes inchangés. Un équilibre des comptes dès 2007 conduirait en effet à fixer l'ONDAM 2007 au même niveau en valeur absolue que 2006.

« Rien ne serait pire pour y parvenir que de brusquer le cours des réformes en cours, dans les soins de ville comme dans le secteur hospitalier. La continuité est ici le gage du succès.

« Si l'évolution de la dépense remboursable ne permet pas d'atteindre l'équilibre attendu, il faudrait étudier la combinaison optimale entre un déport sur la CADES (mais le Haut Conseil n'y est pas favorable), un ajustement des taux de prise en charge et/ou un ajustement des recettes ».

Source : rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, juillet 2005

Si la réforme de l'assurance maladie menée en 2004 conduit à un redressement qu'il convient de saluer, les efforts doivent encore être poursuivis pour parvenir à l'équilibre de cette branche, qui ne sera pas atteint en 2007, contrairement à l'objectif affiché par le gouvernement lors de la discussion du projet de loi relatif à l'assurance maladie. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 devrait toutefois contribuer à limiter le déficit de la branche, les mesures qu'il propose devant permettre de ramener le déficit de l'assurance maladie à 6,1 milliards d'euros fin 2006.

(b) La dégradation de la situation des autres branches

Au contraire de la branche maladie, la branche vieillesse connaîtrait une dégradation de sa situation. Si celle-ci était prévue, elle a toutefois été anticipée d'environ deux ans en raison de la montée en charge du dispositif de retraite anticipée pour les « carrières longues » , qui a bénéficié à plus de 180.000 personnes au 30 juin 2005. La commission des comptes de la sécurité sociale évalue à 290.000 personnes les bénéficiaires de cette mesure d'ici la fin 2006. Le coût de ce dispositif est ainsi passé de 560 millions d'euros en 2004 à 1,3 milliard d'euros en 2005 et devrait atteindre 1,7 milliard d'euros en 2006. Les prestations versées par la CNAV ont également crû du fait de l'intégration des retraites des agents des industries électriques et gazières.

D'après les projections du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, le déficit de la branche vieillesse serait toutefois limité à 1,4 milliard d'euros en 2006, en particulier grâce à la hausse de 0,2 point des cotisations vieillesse, représentant un surcroît de recettes de 880 millions d'euros.

Rappelons que la réforme des retraites menée en 2003 devrait permettre de réduire d'environ un tiers le besoin de financement du régime général de l'assurance vieillesse à l'horizon 2020. L'équilibre de la branche vieillesse à l'horizon 2020 repose sur une hausse des cotisations vieillesse qui serait gagée par une baisse des cotisations d'assurance chômage, permise par le retour au plein emploi. Si l'amélioration prévue de la situation de l'emploi ne se produisait pas, l'ajustement devrait passer soit par l'absence de compensation de la hausse des cotisations vieillesse par la baisse des cotisations chômage - et donc par une hausse des prélèvements obligatoires - soit par une modification des droits à pension. Les rendez-vous réguliers fixés par la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites permettront d'actualiser les prévisions et d'en tirer les conséquences.

La branche famille connaîtra également en 2006 un déficit de 1,2 milliard d'euros , en raison, notamment, de la montée en charge de la prestation d'accueil du jeune enfant (le montant des prestations familiales accordées à la petite enfance devrait croître de 7,2 % en moyenne annuelle entre 2003 et 2007) et du dynamisme des dépenses d'action sociale et de logement.

Après avoir connu une aggravation assez nette de son déficit en 2005, en raison d'une croissance des recettes moins vive que celles des charges, la branche AT-MP poursuivrait sur cette tendance mais de manière plus atténuée, le déficit s'accroissant de 100 millions d'euros pour s'établir à 600 millions d'euros, si aucune mesure n'était prévue. La hausse de 0,1 point des cotisations accidents du travail et maladie professionnelle devrait toutefois ramener ce déficit à 175 millions d'euros en 2006.

(3) Les voies à explorer

Comme le relève M. François Monier dans son avant-propos au rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2005, « la sécurité sociale s'installe dans une situation de déficit très élevé. La phase actuelle de déficit de la sécurité sociale dépasse en gravité et bientôt en durée celle que la France avait connue au milieu des années 1990 après la récession de 1993, mais sans qu'on puisse l'attribuer cette fois à une conjoncture aussi négative . Certes, l'évolution de la masse salariale est depuis 2002 inférieure à sa tendance de longue période, mais elle ne s'est jamais effondrée. Le déficit actuel doit davantage que celui d'il y a dix ans à l'augmentation des dépenses. [...] Dans ces conditions, la simple stabilisation du déficit suppose un apport annuel de recettes nouvelles. Sa réduction requiert des actions très vigoureuses ».

Face à ces défis, votre rapporteur général estime que toutes les pistes de réforme possibles doivent être explorées, sans tabous ni a priori , et que, en particulier, les sujets de socialisation des besoins et de structure de financement de la protection sociale doivent être étudiés.

(a) Quelle socialisation des besoins ?

La problématique de la socialisation des besoins est essentielle et doit être explorée, en particulier dans le domaine de la santé.

Dans ce domaine, deux questions principales se posent : d'une part, la question de la répartition des rôles entre régimes obligatoires et organismes complémentaires, d'autre part, la question de la prise en charge par les assurés eux-mêmes de certains frais jusqu'ici supportés par la collectivité.

En France aujourd'hui, 76 % des dépenses de santé sont financés par des fonds publics, un niveau plus élevé que la moyenne des pays de l'OCDE qui se situe à 72 %. Le reste des dépenses de santé est assuré à hauteur de 14 % par les assurances privées et de 10 % par les versements nets des ménages, alors qu'aux Etats-Unis, par exemple, 35 % du total des dépenses de santé sont pris en charge par les assurances privées et 15 % par les consommateurs, et qu'en Suisse, 10 % seulement des dépenses totales de santé sont financées par les assurances privées tandis que 33 % sont payées directement par les consommateurs.

S'agissant de la répartition des rôles entre régimes obligatoires et organismes complémentaires , des propositions existent pour une plus grande rationalisation de ce partage. Ainsi, le groupe de travail de la commission des comptes de la sécurité sociale sur la « répartition des interventions entre les assurances maladie obligatoires et complémentaires en matière de dépenses de santé », présidé par M. Jean-François Chadelat, avait proposé, dans son rapport datant du mois d'avril 2003, la création d'une couverture maladie généralisée, consacrant l'existence d'un mécanisme de prise en charge à deux étages, le premier correspondant aux assurances maladie obligatoires, le second aux assurances maladie complémentaires. Le rapport préconisait notamment de faire des assurances maladie complémentaires un acteur à part entière de la couverture maladie et de définir certains actes ou certaines catégories d'actes pour lesquels les complémentaires santé pourraient devenir les acteurs pilotes du dispositif. Parmi ces actes, on peut penser notamment aux soins optiques, dentaires ou encore au domaine de l'appareillage au sens large.

La piste d'une redéfinition des champs d'intervention respectifs de l'assurance maladie obligatoire et de l'assurance complémentaire mérite donc d'être creusée.

S'agissant de la question de la responsabilisation des assurés sociaux , une réelle réflexion sur la définition des actes qui relèvent de la prise en charge par la collectivité, au nom du principe de solidarité, et de ceux qui relèvent de la responsabilité individuelle de l'assuré, doit aujourd'hui être menée.

Il est, en effet, nécessaire de remettre en perspective l'idée selon laquelle le remboursement social est seul garant de l'accès aux soins et de trouver le juste équilibre entre solidarité collective et responsabilité individuelle.

La responsabilisation des assurés sociaux peut prendre différentes formes : l'acceptation du déremboursement des médicaments à service médical rendu insuffisant, le développement des assurances privées et une participation accrue des patients eux-mêmes s'agissant de la couverture de pathologies résultant de conduites à risque imputable au seul assuré (comme par exemple, la pratique d'un sport à haut risque). Ainsi, il est possible d'envisager que des mécanismes d'assurance personnalisée prennent le relais de l'assurance maladie pour la couverture de certains frais accessoires ou relevant directement de la responsabilité individuelle du patient.

Dans cette optique le financement de la protection sociale pourrait reposer sur un nouvel équilibre entre prélèvements obligatoires et contributions volontaires.

(b) Quelle structure de financement pour notre protection sociale ?

L'autre question essentielle, déjà abordée dans le cadre du précédent rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, concerne la structure de financement de notre protection sociale.

On rappellera que l'essentiel du financement de cette dernière repose sur la taxation des revenus, via les cotisations sociales et la CSG, ainsi que le montre le graphique suivant, qui distingue les financeurs de la sécurité sociale :

La structure actuelle de financement de la sécurité sociale

Source : commission des comptes de la sécurité sociale (septembre 2005)

Dans un contexte de mondialisation de l'économie, il est essentiel de trouver un mode de financement dynamique qui ne pénalise pas l'emploi. Ce point est d'autant plus important que, rappelons-le, la soutenabilité à long terme du financement de la branche vieillesse repose sur une diminution très significative du chômage, permettant une compensation entre les cotisations chômage et les cotisations vieillesse.

C'est la raison pour laquelle votre rapporteur général invite le gouvernement à étudier de manière approfondie les modalités de mise en place d'un mécanisme de « TVA sociale », que votre commission des finances a déjà analysé à plusieurs reprises 18 ( * ) .

c) Une nouvelle loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale interdisant d'accroître la durée d'amortissement de la dette sociale

La nécessité de mener des réformes structurelles apparaît d'autant plus grande que la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale impose de nouvelles contraintes.

En effet, l'article 20 de la loi organique précitée a modifié l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale et empêche, à l'avenir, d'accroître la durée d'amortissement de la dette sociale.

Il dispose en effet que « tout nouveau transfert de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale est accompagné d'une augmentation des recettes de la caisse permettant de ne pas accroître la durée d'amortissement de la dette sociale ». La durée d'amortissement est alors appréciée « au vu des éléments présentés par la caisse dans ses estimations publiques ».

Les reprises de déficits prévues par la loi relative à l'assurance maladie

La loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie avait prévu que la CADES prendrait à sa charge les déficits cumulés de la branche maladie du régime général au 31 décembre 2003 ainsi que son déficit prévisionnel au 31 décembre 2004, dans une limite globale de 35 milliards d'euros.

La CADES a ainsi effectué quatre versements au profit de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) : 10 milliards d'euros le 1 er septembre 2004, 7 milliards d'euros le 11 octobre 2004, 9 milliards d'euros le 9 novembre 2004 et une nouvelle fois 9 milliards d'euros le 9 décembre 2004.

Le montant réel des déficits cumulés au 31 décembre 2004 s'étant élevé à 33,31 milliards d'euros, l'ACOSS a bénéficié d'un excédent de transfert de 1,69 milliard d'euros de la part de la CADES. Ce trop-perçu a été déduit du transfert relatif à l'exercice 2005.

En effet, la loi précitée relative à l'assurance maladie prévoit également le transfert à la CADES des déficits prévisionnels de la branche maladie au titre des exercices 2005 et 2006, dans la limite de 15 milliards d'euros.

En pratique, le déficit prévisionnel de la branche maladie pour l'exercice 2005 a été fixé à 8,3 milliards d'euros par le décret n° 2005-1255 du 5 octobre 2005, pris après avis du secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale. Compte tenu des versements déjà effectués, le montant net du transfert s'établit à 6,61 milliards d'euros, somme qui a été versée à l'ACOSS le 7 octobre 2005.

A cette date, le montant total de la dette reprise par la CADES s'élève à 100,776 milliards d'euros. Sur ce total, la CADES a déjà amorti 27,64 milliards d'euros au 30 juin 2005. Il lui reste donc, à ce jour, 73,136 milliards d'euros à amortir. On rappellera que la CADES est comptabilisée comme un ODAC.

2. Les problèmes de partage des ressources entre comptes sociaux et comptes de l'Etat

A côté de la situation budgétaire de la sécurité sociale proprement dite, il convient de porter une attention particulière aux relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, notamment à la lumière de l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006.

a) L'affectation de recettes à une autre personne morale : les domaines respectifs des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale

L'examen du projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale a permis de clarifier le cadre juridique applicable à l'affectation de recettes de l'Etat et de la sécurité sociale, en précisant le domaine réservé respectif des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.

L' article 36 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) dispose que « l'affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'Etat ne peut résulter que d'une loi de finances ».

L' article 1 er de la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) prévoit une protection similaire du domaine de la loi de financement de la sécurité sociale, sous réserve des dispositions précitées de la LOLF : « L'affectation, totale ou partielle, d'une recette exclusive des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, des organismes concourant à leur financement, à l'amortissement de leur dette ou à la mise en réserve de recettes à leur profit ou des organismes finançant et gérant des dépenses relevant de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, à toute autre personne morale ne peut résulter que d'une disposition de loi de financement. Ces dispositions sont également applicables, sous réserve des dispositions de l'article 36 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, à l'affectation d'une ressource établie au profit de ces mêmes régimes et organismes à toute autre personne morale que l'Etat ».

Il ressort des dispositions combinées de ces deux articles que les dispositions affectant des recettes de l'Etat à la sécurité sociale ne peuvent figurer qu'en loi de finances, que la ressource initiale soit exclusivement affectée à l'Etat ou qu'elle soit déjà partagée entre l'Etat et la sécurité sociale.

En revanche, des dispositions affectant à l'Etat, totalement ou partiellement, une recette exclusive de la sécurité sociale ne peuvent figurer qu'en loi de financement de la sécurité sociale.

b) La réforme du financement des exonérations de cotisations sociales, un enjeu pour la clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale
(1) Une débudgétisation permettant le respect de la norme de stabilité des dépenses de l'Etat en volume

Afin d'assurer le financement des allègements généraux de cotisations sociales, l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006, tel que déposé par le gouvernement, prévoit de remplacer la dotation budgétaire actuelle inscrite sur le budget du travail par l'affectation à la sécurité sociale d'un panier de recettes.

« L'inventaire à la Prévert » des 9 taxes et impôts visés par l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006 :

a) une fraction égale à 95 % de la taxe sur les salaires ;

b) le droit sur les bières et les boissons non alcoolisées ;

c) le droit de circulation sur les vins, cidres, poirés et hydromels ;

d) le droit de consommation sur les produits intermédiaires ;

e) les droits de consommation sur les alcools ;

f) la taxe sur les contributions patronales au financement de la prévoyance

complémentaire ;

g) la taxe sur les primes d'assurance automobile ;

h) la taxe sur la valeur ajoutée brute collectée par les commerçants de gros en produits

pharmaceutiques ;

i) la taxe sur la valeur ajoutée brute collectée par les fournisseurs de tabacs.

Ce panier de taxes a été fixé de telle sorte que leur produit « corresponde » au montant estimé des allègements de charges en 2006, soit 18,9 milliards d'euros.

Votre rapporteur général tient à souligner que, avant de répondre à une logique de clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, la mesure prévue par l'article 41 du projet de loi de finances est une commodité permettant le respect de la norme de stabilité des dépenses de l'Etat en volume, puisqu'elle permet d'exclure une dépense très dynamique, qui doit évoluer spontanément de 17,1 milliards d'euros en 2005 à 18,9 milliards d'euros en 2006.

Ceci posé, la solution retenue ne constitue pas un simple retour à la situation antérieure à 2004, puisque ces taxes seraient directement affectées à la sécurité sociale et non à un « fonds de nulle part » comme c'était le cas avec le FOREC.

Si la solution retenue dans le cadre de l'article 41 retient ainsi une option claire, il convient de s'assurer qu'elle contribue pleinement à la clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale.

En outre, elle ne règle en rien la question centrale de la maîtrise des dépenses sociales.

(2) Un nécessaire effort de lisibilité

Votre rapporteur général relève que la kyrielle de taxes proposées par l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006 ne contribue pas à la lisibilité ni à la simplicité.

La mesure proposée par l'article précité conduit également au partage de la taxe sur les salaires 19 ( * ) , 95 % du produit de celle-ci allant à la sécurité sociale tandis que les 5 % restants reviendraient à l'Etat.

Deux raisons justifient ce partage de la taxe sur les salaires :

- d'une part, la volonté d'attribuer des recettes correspondant exactement au montant anticipé des allègements de charge ;

- d'autre part, le souhait de conserver une marge de manoeuvre pour l'avenir, compte tenu des « clauses de revoyure » prévues par cet article 20 ( * ) .

Si votre rapporteur général comprend ces contraintes, il estime nécessaire d' explorer d'autres solutions plus lisibles que cet « inventaire à la Prévert », comme l'affectation d'une quote-part de TVA. D'après les informations recueillies auprès du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, un point de TVA à taux normal représente, en 2005, environ 5,7 milliards d'euros 21 ( * ) , ce qui signifie que le transfert à la sécurité sociale représenterait environ 3,3 points de TVA .

Ce financement des régimes de sécurité sociale par la TVA ne constituerait pas une nouveauté, puisque le budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA) a bénéficié, jusqu'en 2003, d'une part du produit de la TVA 22 ( * ) .

L'orientation vers une intégration des allègements de charges dans le barème de la sécurité sociale doit également faire l'objet d'une étude approfondie. Votre rapporteur général relève que cette solution conduit à substituer au débat sur les allègements de charges, dont il est dommage que le Parlement soit dessaisi compte tenu des doutes concernant leur efficacité économique, un débat sur la progressivité des charges.

c) La question des dettes de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale

Alors que l'exposé des motifs de l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006 insiste sur la simplification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale et qu'existe, plus généralement, une volonté d'établir clairement les responsabilités des différents acteurs, votre rapporteur général estime que la lumière doit également être faite sur les dettes de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale .

Dans son rapport annuel relatif à la gestion 2004, le contrôleur financier près le ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale et le ministère de la santé et des solidarités souligne la vive croissance des dettes de l'Etat envers la sécurité sociale, au titre de la section budgétaire « santé, famille, personnes handicapées et solidarité ». Alors que le niveau des dettes au titre de cette section budgétaire était estimé à 450 millions d'euros à la clôture de la gestion 2003, il s'établissait à 720 millions d'euros à la fin de la gestion 2004, soit une progression de plus 60 %.

Dans son rapport de septembre 2005, la commission des comptes de la sécurité sociale confirme cette évolution des dettes de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale, comme le montre le tableau qui suit.

Si l'on ne peut effectuer un rapprochement direct entre ces retards de paiement et le déficit de la sécurité sociale, il convient de souligner que la sécurité sociale supporte néanmoins un coût de trésorerie à ce titre.

Votre rapporteur général est d'autant plus attentif à cette évolution que celle-ci est, dans certains cas, le résultat d'une sous-évaluation récurrente des dotations inscrites en loi de finances initiale. En outre, il relève que certains dérapages auraient peut-être été moindres si le gouvernement avait mis en oeuvre les mesures votées par le Parlement, en particulier s'agissant de l'aide médicale de l'Etat.

II. LES ORIENTATIONS À PRENDRE EN COMPTE POUR L'AVENIR

Le récent rapport rédigé par MM. Christian Saint-Etienne et Jacques Le Cacheux pour le Conseil d'analyse économique (CAE), repose sur des analyses proches de celles de la commission des finances. Telle est la raison pour laquelle il a semblé utile d'en rendre compte même s'il ne peut à l'évidence être appliqué en l'état.

Il faut y voir également l'occasion, bien que les propositions qu'il contient ne tendent en aucune façon à préconiser l'application d'une « flat tax », de réfléchir à l'équilibre qu'il faut trouver, au sein de notre modèle fiscal, entre les principes de progressivité et de proportionnalité .

A. LE RAPPORT DE MM. CHRISTIAN SAINT-ETIENNE ET JACQUES LE CACHEUX

1. Un rapport attendu

Le Conseil d'analyse économique (CAE) a récemment publié un rapport de MM. Christian Saint-Etienne et Jacques Le Cacheux, intitulé « Croissance équitable et concurrence fiscale » , proposant une réforme d'ensemble de la fiscalité directe.

Ce rapport était d'autant plus attendu que sa publication s'était heurtée à certaines difficultés. Lors de son audition par votre commission des finances, le 22 juin 2005 23 ( * ) , M. Christian Saint-Etienne a indiqué que si ce rapport, qui avait été remis au Premier ministre le 2 juin 2005 et avait fait l'objet de certaines « fuites » dans la presse, n'avait alors pas été publié, c'était parce que sa présentation au Premier ministre, qui aurait dû avoir lieu le 16 juin 2005 et constituer un préalable à sa publication, avait été reportée sine die après le changement de gouvernement. Il a par ailleurs précisé que c'était la première fois que le Premier ministre, en l'occurrence M. Jean-Pierre Raffarin, avait dû lui-même autoriser la réalisation d'un rapport du Conseil d'analyse économique, et qu'il n'avait pas été autorisé à remettre un document écrit à votre commission des finances.

Le président de votre commission des finances, notre collègue Jean Arthuis, a bien entendu demandé communication dudit rapport.

Après l'avoir transmis à votre commission des finances, le gouvernement a finalement décidé d'autoriser sa publication, en octobre 2005.

2. La réforme de la fiscalité directe préconisée par le rapport

Le rapport du CAE propose une réforme des principales impositions directes, représentant globalement 12 points de PIB, soit l'impôt sur le revenu (IR), l'impôt proportionnel sur les plus-values, la CSG, l'ISF, les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) et l'impôt sur les bénéfices des sociétés (IS). Il n'englobe pas en revanche dans le champ de l'étude une éventuelle réforme de la TVA.

a) Un double objectif d'efficacité économique et d'équité

La réforme proposée par le CAE poursuit un double objectif d'efficacité économique et d'équité fiscale.

(1) Améliorer l'efficacité économique

Dans un souci d'efficacité économique , le rapport propose d'alléger la fiscalité des entreprises, en ramenant le taux d'IS à 18 %. En effet, si le taux d'IS des petits Etats européens converge vers 12-13 % (ce qui correspond notamment au taux pratiqué par l'Irlande et l'Estonie), celui des grands Etats européens converge vers 18-19 %. Les auteurs du rapport estiment en effet que les grands pays, qui offrent des marchés importants et des effets d'agglomération significatifs, peuvent maintenir des taux d'imposition légèrement supérieurs à des petits pays périphériques.

Cet allégement de l'IS réduirait les recettes fiscales de 1 point de PIB, soit environ 15 milliards d'euros. Dans le même souci d'efficacité économique, il est proposé d'alléger la fiscalité pour les hauts revenus.

Bien qu'ils n'avancent pas de chiffrage précis à cet égard, les auteurs du rapport estiment que la réforme proposée augmenterait de manière importante la croissance du PIB. Ainsi, « le nouveau système fiscal français conduirait à une rapide expansion de la production, des revenus et donc des bases d'imposition. A nouveaux taux donnés, les recettes fiscales progresseraient significativement et ramèneraient rapidement les finances publiques à l'équilibre ».

Lors de son audition par votre commission des finances, M. Christian Saint-Etienne a estimé que la réforme permettrait de porter à moyen terme la croissance de l'économie française à 3-3,5 % par an.

Si, comme on le verra ci-après, l'accent mis sur les conséquences de la concurrence fiscale est excessif selon certains économistes, la réforme proposée fait l'objet d'un consensus de la part des économistes . Ils considèrent qu'il est économiquement souhaitable que le système fiscal repose sur des bases larges et des taux faibles, qu'il soit simple, et que les hauts revenus ne soient pas lourdement taxés.

(2) Augmenter les revenus des plus pauvres

Dans le souci précité d'équité fiscale, la réforme proposée par le CAE prévoit également d'accroître les revenus des individus se situant dans le premier décile de revenus :

- les ménages gagnant moins de 7.500 euros ou 10.000 euros par part (selon le scénario) ne paieraient pas d'IRPP ;

- la CSG serait totalement déductible de l'IRPP, et un crédit d'impôt de CSG serait instauré, plafonné, selon le scénario, à 600 euros 24 ( * ) ou 900 euros pour une personne seule, ce qui correspond à un revenu de respectivement 4.600 euros et 7.500 euros.

(3) Deux scénarios

On l'a vu, la réforme repose sur l'allégement de l'IS, pour un coût d'environ 1 point de PIB. Le CAE distingue deux cas de figure :

- dans un premier scénario (scénario A), cette charge serait reportée sur les ménages : ce sont les classes moyennes qui financeraient l'allégement de la fiscalité des entreprises, le système étant cependant conçu de manière à ce qu'aucun décile de revenus ne voie ses revenus diminuer de plus de 5 % ;

- dans un second scénario (scénario B), cette diminution de recettes fiscales ne serait pas compensée : aucun ménage ne verrait ses revenus diminuer du fait de la réforme, mais, à croissance du PIB inchangée, les prélèvements obligatoires diminueraient, ce qui aurait des conséquences dommageables sur le solde public si le supplément de croissance attendu n'avait pas lieu ou était insuffisant pour compenser ce phénomène, et si les dépenses publiques n'étaient pas réduites.

Dans les deux cas, les individus situés dans les deux déciles extrêmes de la distribution des niveaux de vie initiaux gagneraient en moyenne à la réforme.

Gain à la réforme en fonction du revenu initial

Source : Conseil d'analyse économique

b) Réorganiser le système fiscal autour de trois taux principaux

Contrairement à ce qui a parfois été affirmé, le rapport du Conseil d'analyse économique ne préconise pas la mise en place d'une « flat tax », c'est-à-dire d'un impôt proportionnel au revenu 25 ( * ) .

Afin d'atteindre l'objectif précité d'efficacité économique et d'équité, le système proposé par le CAE consiste à réorganiser le système fiscal français autour de trois taux principaux :

- le taux « central » serait fixé à 13 % ou 12 % (selon le scénario) ;

- ce taux serait assorti de deux taux principaux, de 0 % et 18 %, concernant en particulier, respectivement, l'IR des ménages gagnant moins de 7.500 euros (scénario A) ou 10.000 euros (scénario B) par part, et l'IS.

Cet abaissement des taux s'accompagnerait de la suppression de l'ensemble des allégements fiscaux , à l'exception :

- du quotient familial, qui est une exigence constitutionnelle ;

- de la prime pour l'emploi.

L'impôt sur le revenu comporterait trois tranches :

- pour les ménages gagnant moins de 7.500 euros ou 10.000 euros (selon le scénario) par part, le taux serait de 0 % ;

- pour les ménages gagnant entre 7.500 euros ou 10.000 euros par part et 50.000 euros par part, il serait de 12 % ou 13 % (selon le scénario) ;

- pour les ménages gagnant plus de 50.000 euros par part, il serait de 27 % ou 28 % (selon le scénario), incluant un nouvel « impôt sur les revenus de la fortune » (IRF), qui ne taxerait plus que les revenus (et disparaîtrait donc en tant qu'impôt sur le patrimoine), au-delà de 50.000 euros par part, et aurait un taux fixé de manière à permettre de rapporter autant de recettes que l'ISF actuel.

Le tableau ci-après synthétise l'ensemble des taux proposés par le CAE.

Les différents taux proposés par le Conseil d'analyse économique

Taux

Fiscalité des entreprises

Fiscalité des ménages

Fiscalité du capital

Les trois principaux taux

0 %

-

IR pour les revenus de moins de 7.500 euros par part (scénario A) ou 10.000 euros par part (scénario B)

-

« Taux central »

13 % (scénario A)

12 % (scénario B)

-

CSG, IR pour les revenus compris entre 7.500 euros (scénario A) ou 10.000 euros (scénario B) et 50.000 euros par part

Impôt sur les plus-values de long terme

18 %

IS

Prélèvement libératoire « normal »

Imposition des plus-values à court terme

Autres taux

Taxe professionnelle

2 % jusqu'à 1 million d'euros de VA, 2,75 % au-delà

-

-

Taxe sur les salaires

4,25 % jusqu'à 8.000 euros, 8,5 % entre 8.000 et 40.000 euros, rien au-delà

-

-

IRPP au-delà de 50.000 euros par part (incluant l'IRF)

-

28 % (scénario A)

27 % (scénario B)

-

Imposition totale du revenu (CSG + IR, incluant l'IRF)

Entre 7.500 euros (scénario A) ou 10.000 euros (scénario B) et 50.000 euros par part (1)

-

24,31 % (scénario A)

24,32 % (scénario B)

-

Plus de 50.000 euros par part (2)

-

37,36 % (scénario A)

35,76 % (scénario B)

-

(1) Par exemple, dans le cas du scénario A : 13 % de CSG + 13 % sur 87 % du revenu initial pour le taux normal de l'IR.

(2) Par exemple, dans le cas du scénario A : 13 % de CSG + 28 % sur 87 % du revenu initial pour le taux marginal de l'IR.

Source : Conseil d'analyse économique

3. La position de votre commission des finances

a) Un rapport rappelant quelques principes essentiels

Le rapport du CAE rappelle utilement quelques objectifs essentiels devant guider toute réforme de la fiscalité, affirmés depuis longtemps par votre commission des finances :

- allégement de la fiscalité des entreprises ;

- passage d'un système reposant sur des bases étroites et des taux élevés à un système reposant sur des bases larges et des taux faibles, ce qui implique en particulier la suppression des « niches » fiscales ;

- allégement de la fiscalité des hauts revenus ;

- allégement de la fiscalité du patrimoine (le rapport du CAE proposant d'aller jusqu'à la suppression de l'ISF).

En particulier, dans son rapport déposé en vue du débat d'orientation budgétaire pour 2005 26 ( * ) , votre commission des finances jugeait nécessaire de permettre la prise de décision à la majorité qualifiée des membres du Conseil des ministres de l'Union européenne en matière fiscale, afin en particulier d'harmoniser l'assiette de l'IS et d'en fixer un taux minimum.

La concurrence fiscale en matière d'IS est en effet une réalité incontestable, comme l'indique le tableau ci-après.

Taux d'IS et de TVA dans les nouveaux Etats-membres et les futurs pays adhérents

(en %)

IS 2003

IS 2004

TVA taux normal

TVA taux réduit

Bulgarie

23,5

19,5

20

-

Estonie

0 ou 26

0 27 ( * ) ou 26

18

5

Hongrie

18 (19,64 avec les taxes locales)

16 (19,64 avec les taxes locales)

25

15 ou 5

Lettonie

19

15

18

5 (au 1 er mai 2004)

Lituanie

15

15

18

9 ou 5

Pologne

27

19

22

7, 3 ou 0

Roumanie

25

25

19

0

Slovaquie

25

19

19

-

Slovénie

25

25

20

8,5

République tchèque

31

28

19 (au 1 er mai)

5

Chypre

15 ou 10

15 28 ( * ) ou 10

15

5

Malte

35

35

15

5 ou 0

Allemagne

25

25 29 ( * )

16

7

Espagne

35

35

16

7

Grèce

35

35

18

8

Royaume-Uni

De 0 et 30

De 0 à 30

17,5

5

France

33,33

33,33 30 ( * )

19,6

5,5

Irlande

12,5

12,5

21

13,5

Italie

34

33 31 ( * )

20

10

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

De même, il y a quelques années le rapport d'information sur les réformes fiscales en Europe réalisé conjointement par votre commission des finances et par la délégation pour la planification 32 ( * ) soulignait que, nonobstant les difficultés et réserves méthodologiques afférentes au retraitement de la pression fiscale afin de tenir compte des différences d'assiette, la France apparaissait, sur la dernière décennie, comme le deuxième pays le moins bien placé des Quinze, tant au regard des critères du taux implicite de taxation des entreprises 33 ( * ) que du taux effectif moyen d'imposition 34 ( * ) .

b) Des propositions ne pouvant être mises en oeuvre en l'état

Les propositions du CAE ne sauraient cependant être mises en oeuvre en l'état. Une refonte aussi globale de notre fiscalité directe suppose une légitimité politique intacte, c'est-à-dire qu'elle ne peut prendre place qu'en tout début de quinquennat.

De plus, le rapport préconise une réforme de la taxe professionnelle qui irait beaucoup plus loin que celle proposée par la commission Fouquet, puisque le nouvel impôt reposerait exclusivement sur la valeur ajoutée 35 ( * ) , ce qui présenterait en particulier l'inconvénient de rendre impossible la détermination d'une assiette locale, et donc la modulation des taux d'imposition par les collectivités territoriales.

Surtout, la réforme rencontrerait, si elle était ainsi formulée, des obstacles majeurs. On aurait en effet le choix entre mécontenter les classes moyennes, qui seraient davantage taxées pour financer l'allégement de l'IS (scénario A), et un financement de la réforme par le supplément de croissance, par nature aléatoire, qu'elle serait censée susciter, ou par une réduction des dépenses publiques (scénario B).

c) Une réforme moins justifiée par la concurrence fiscale que par des exigences d'efficacité économique

Le rapport justifie essentiellement la réforme proposée par la concurrence fiscale des autres Etats membres de l'Union européenne, et en particulier des nouveaux Etats membres.

Si la réforme proposée semble économiquement souhaitable, cet argument n'est pourtant pas le plus pertinent, si l'on en croit les commentaires annexés au rapport. Ainsi,  M. Jean-Philippe Cotis, économiste en chef de l'OCDE, écrit :

« Je ne suis pas très à l'aise (...) avec une justification de la réforme, qui serait trop exclusivement centrée sur les problèmes de concurrence fiscale. Nous savons encore peu de choses, en effet, sur les conséquences économiques concrètes de la concurrence fiscale et c'est par hypothèse que le rapport anticipe que celles-ci pourraient être très vite très lourdes. L'appel à la baisse des taux marginaux se présente donc un peu comme une nouvelle application du principe de précaution, la concurrence fiscale jouant ici le rôle d'une nuisance d'ampleur inconnue mais potentiellement très dommageable. Cette approche qui met fortement l'accent sur les coûts associés à l'intégration internationale, sans en rappeler peut-être suffisamment les bénéfices, peut conduire à une forme de « mercantilisme fiscal ». Elle risque d'être perçue comme une utilisation exagérée des périls extérieurs conduisant à justifier des politiques peut-être contraires à l'équité.

« Il existe déjà en France trop de tentations de justifier des réformes domestiques utiles par des arguments relevant de la contrainte extérieure. À la longue, ces arguments d'autorité tendent à aliéner l'opinion publique et à amputer la discussion des réformes d'une partie de son contenu. Une approche plus équilibrée de la réforme fiscale ne paraît pourtant pas impossible. (...)

« Parmi les justifications d'une réforme fiscale à la française, les coûts domestiques associés à un système complexe, peu lisible, et décourageant l'initiative méritent d'être valorisés en tant que tels et dans l'absolu ».

De même, dans son commentaire, M. Jacques Delpla (BNP-Paribas) écrit : « A la différence des auteurs, je ne crois pas que la raison principale d'un passage à une flat tax soit la concurrence fiscale des NEM [nouveaux Etats membres] (en revanche l'efficacité économique est une excellente justification) ». M. Jacques Delpla souligne en particulier que les nouveaux Etats membres ne représentent que 5 % du PIB de l'Union européenne, et que le travail, déjà peu mobile entre pays d'Europe de l'Ouest, le sera probablement encore moins des pays d'Europe de l'Ouest vers les nouveaux Etats membres, ne serait-ce que pour des raisons linguistiques.

d) Un rapport ne devant pas faire perdre de vue l'utilité d'une TVA sociale

Enfin, la réforme proposée, qui ne concerne que la fiscalité directe, ne doit pas faire oublier la pertinence du concept de « TVA sociale », préconisée par le président de votre commission des finances, notre collègue Jean Arthuis, et par votre rapporteur général.

Le rapport du CAE reconnaît d'ailleurs l'utilité de l'instauration d'une « TVA sociale », comme l'indique l'encadré ci-après.

Un rapport favorable à la « TVA sociale »

« Dans le cas d'une petite économie ouverte, qui n'influence pas les prix mondiaux des biens échangés et dont les salaires ne sont pas - ou ne sont que partiellement - indexés sur les prix à la consommation, le recours à la TVA pour le financement d'une part importante des dépenses publiques présente des avantages évidents : il permet en effet de faire supporter aux importations - avec une incidence sur les consommateurs nationaux et sur les producteurs du reste du monde qui dépend des élasticités-prix de la demande intérieure et de l'offre mondiale - une part de la charge financière, tandis que les exportations en sont exonérées.

(...)

« Financer notamment une partie de la protection sociale par la TVA, plutôt que par des cotisations sur le travail résident, permet de transférer une partie du financement de la protection sociale sur le travail et le capital non-résidents. La TVA, dans un monde de concurrence fiscale et sociale, est ainsi devenue le seul rempart envisageable permettant de protéger le travail résident, indépendamment des politiques actives (investissement productif, formation et R&D) qui en assurent le fondement compétitif.

« Tous les pays du nord de l'Europe, qui ont des systèmes économiques compétitifs et des systèmes sociaux très développés, font un large usage de la TVA. Il est temps, en France, de redécouvrir les avantages économiques et sociaux de la TVA qui complètent ses avantages techniques. La TVA, inventée en France, est plus que jamais un impôt d'avenir, juste, intelligent et social. »

Source : Christian Saint-Etienne, Jacques Le Cacheux, «Croissance équitable et concurrence fiscale », rapport du Conseil d'analyse économique, octobre 2005

De même, dans son commentaire annexé au rapport, M. Jean-Philippe Cotis estime que « pour asseoir la crédibilité du rapport, il serait également utile de mieux préciser les contraintes ou les raisons qui conduisent à écarter du champ des propositions certains instruments tels que la TVA. Comme le suggèrent, en effet, les comparaisons internationales, les pays à forte dépense publique ont tendance à accorder une large place à la TVA parmi les sources de recettes fiscales. Ses caractéristiques de neutralité contribuent grandement à limiter la progressivité des taux marginaux globaux dans les économies concernées. De ce point de vue, il n'est pas certain que le poids de la TVA ait atteint son niveau optimal en France. »

B. LA RÉFORME DE L'IMPOSITION DES MÉNAGES

Parmi les mesures du plan de « croissance sociale » présenté le 1 er septembre 2005 par le Premier ministre, M. Dominique de Villepin, figure une réforme de l'impôt sur le revenu se traduisant par une réduction de 3,5 milliards d'euros en 2007 pour les revenus 2006 , ce qui représente une baisse moyenne de 7 % à 8 % des cotisations. Cette réforme veut simplifier l'impôt sur le revenu, le rendre plus attractif pour les revenus « mobiles » tout en favorisant les « classes moyennes », et, enfin, plus juste, par l'instauration d'un plafonnement de certains avantages fiscaux.

Certaines considérations peuvent être déjà formulées, susceptibles de guider la position de votre commission des finances sur la réforme qui sera ainsi soumise au Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2006 36 ( * ) , bien que votre rapporteur général soit évidemment favorable aux orientations ainsi tracées.

D'emblée, il convient de rappeler que le principal « moteur » de la complexité de l'impôt sur le revenu réside dans le mécanisme du quotient familial. Nonobstant la simplification proposée d'une intégration de l'abattement de 20 % à un barème revu dans le sens d'une diminution du nombre de tranches, cet aspect demeure inchangé . Votre rapporteur général rappelle que cette spécificité française a le mérite de permettre une une taxation uniforme par unité de consommation, autorisant un traitement équitable des familles .

D'une façon générale, il considère qu' une baisse des taux obtenue en contrepartie d'un élargissement des assiettes, constituerait une démarche exemplaire en terme de rendement fiscal et d'efficacité économique , adoptée par de nombreux Etats partenaires, et dont on voit par exemple tous les effets bénéfiques dans les pays baltes, où il vient de se rendre.

Mais la réforme proposée ne s'inscrit pas dans ce schéma, car il n'est pas prévu d'élargir le champ des foyers imposables, qui, pourtant, ne représentent plus que la moitié des foyers fiscaux, nonobstant la généralité de la CSG, dont le produit excède celui de l'impôt sur le revenu 37 ( * ) .

Enfin, la coexistence de taux moyens d'imposition très inférieurs aux taux marginaux fait perdre la France sur tous les tableaux : les taux marginaux élevés nuisent à la compétitivité de notre système fiscal, qui tient largement à des questions d'image, alors même que la faiblesse relative des taux moyens limite le rendement de l'impôt. Le remède consiste à remettre en cause les avantages fiscaux afin de permettre, en contrepartie, une diminution substantielle du barème de l'impôt sur le revenu , lequel peut être encore rendu plus transparent par une intégration de l'abattement de 20 % sur les traitements et salaires, qui s'applique déjà à la plupart des revenus.

Dans cette dernière perspective, il apparaît que si la refonte du barème constitue une évolution opportune, le plafonnement des avantages fiscaux prévu par le gouvernement ne peut en être présenté comme la contrepartie suffisante .

1. Une refonte opportune du barème, mais selon des modalités encore discutables

a) Un barème enfin sincère et attractif pour les revenus « mobiles » grâce à l'intégration de l'abattement de 20 %

L'abattement de 20 % s'applique notamment aux traitements, aux salaires et aux pensions. Au total, plus de 90 % des revenus bénéficient de cet abattement avant l'application du barème. Dès lors, le taux marginal de 48,09 % ne trouve que rarement à s'appliquer. Ainsi, l'intégration de l'abattement de 20 % au barème présente l'avantage de la simplicité et d'une transparence favorable à l'attractivité de notre fiscalité du revenu. Ce type de refonte du barème avait été proposé par le Conseil des impôts dans son 18 ème rapport (2000).

En intégrant mathématiquement l'abattement de 20 %, le taux marginal serait ressorti à 38,5 %. Afin de ne pas privilégier outre mesure les revenus les plus élevés, pour lesquels le taux moyen d'imposition se rapproche du taux marginal, l'article 59 du projet de loi de finances pour 2006 prévoit d'en fixer le taux à 40 %, ce qui représente une baisse de 17 %.

Sans préjuger de la pertinence de ce calibrage, l'intégration de l'abattement de 20 % est une décision particulièrement heureuse dans le contexte d'une concurrence fiscale inévitable . Du reste, le dernier rapport du Conseil d'analyse économique « Croissance équitable et concurrence fiscale » 38 ( * ) préconise bien une baisse générale du barème de l'IR selon ce schéma, ayant préalablement relevé que « le taux d'imposition marginal pour les salariés les plus productifs et potentiellement les plus mobiles est le plus élevé en France parmi les pays (...) avec lesquels elle est en compétition la plus directe ».

Bien que le nouveau barème doive profiter aux très gros revenus 39 ( * ) , pour lesquels, dans le barème actuel, l'abattement de 20 % se trouve plafonné, il convient toutefois de nuancer la portée de cet avantage .

En effet -cet argument est souvent avancé-, les revenus les plus élevés seront les plus touchés par le plafonnement des niches fiscales. Surtout, pour ces catégories de revenu, la présente intégration -qui revient à déplafonner un abattement de 20 % ramené à 17 %- pourrait voir ses effets partiellement « absorbés » par le plafonnement général de la charge fiscale globale à 60 % du revenu disponible : quand bien même le barème n'aurait pas changé pour les revenus les plus élevés, la mise en oeuvre du « bouclier fiscal » général eût alors été susceptible de leur procurer un bénéfice supplémentaire correspondant à celui du maintien du plafonnement de l'abattement 40 ( * ) . Votre commission fait actuellement procéder au chiffrage de ce qui relève, pour l'instant, d'une intuition forte.

b) L'intérêt et la difficulté de cibler les vastes « classes moyennes »
(1) Une réforme de grande envergure procurant un bénéfice épars

Un certain flou affecte les contours des classes moyennes, qui peuvent parfois apparaître comme les « laissées pour compte » des politiques publiques, sur lesquelles se concentreraient, sans échappatoires, les prélèvements sociaux et fiscaux. Cibler les classes moyennes , c'est assurément ne vouloir mécontenter personne, mais c'est aussi devoir viser large, au risque de procurer un avantage diffus et, finalement, de décevoir tout le monde .

La réforme doit profiter aux ménages au sein desquels le revenu annuel par contribuable est, grosso modo , compris entre 10.000 euros et 30.000 euros. Seraient ainsi concernés, 70 % des ménages imposables, et représenterait un coût de 2,8 milliards d'euros, soit 80 % des 3,5 milliards d'euros d'allègement annoncé. Par foyer fiscal appartenant à la « classe moyenne » ainsi définie, la diminution de l'impôt peut atteindre 20 %, mais elle oscillerait, dans la majorité des cas, entre 7 % et 13 %, soit un gain relativement faible en valeur absolue.

(2) Une réforme située « en relais » d'une amélioration des droits pour les foyers modestes

Cette diminution de l'imposition de la classe moyenne s'accompagne d'une revalorisation concomitante des droits des salariés les plus modestes. A cet effet, c'est malheureusement la prime pour l'emploi (PPE) 41 ( * ) , dans sa configuration actuelle, qui a été retenue dans le projet du gouvernement.

Votre rapporteur général rappelle qu'il ne considère pas la prime pour l'emploi comme un instrument très efficace pour encourager l'activité, en raison de sa complexité, de son illisibilité et, partant, de son imprévisibilité.

Certes, le gain résultant de la réforme de l'impôt sur le revenu prévue pour 2006 arriverait bien « en relais » de l'amélioration de la PPE (applicable dès les revenus de 2005) résultant de l'article 3 du projet de loi de finances pour 2006 : entre 1 et 1,4 SMIC, la PPE diminue toujours linéairement pour s'annuler à 1,4 SMIC mais en partant d'un niveau un peu plus élevé, tandis que les premières cotisations d'impôt sur le revenu croîtraient à un rythme légèrement moins soutenu.

c) Les inévitables « effets pervers » d'une baisse du nombre de tranches
(1) Vue théorique

La diminution du nombre des tranches ne constitue peut-être pas un objectif fiscal en soi . Certes, dans la perspective de tendre, à terme, vers un système fiscal inspiré par le modèle de la « flat tax » 42 ( * ) , le passage de sept à cinq tranches, ainsi que le propose le gouvernement, constituerait une avancée significative.

Cependant, il semble qu' en terme de concurrence fiscale, le taux marginal constitue, plus que le nombre de tranches et les taux correspondants 43 ( * ) , l'élément décisif . Ainsi, il n'est pas certain que le barème doive nécessairement rompre avec la philosophie de notre fiscalité du revenu, marquée par un attachement véritable à la progressivité des taux.

Or, une diminution du nombre de tranches entraîne forcément des effets de seuil importants si elle n'est pas assortie d'une baisse du taux effectif 44 ( * ) de la tranche marginale . « L'étage » est alors toujours aussi élevé, tandis que l'on réduit le nombre des « marches », ainsi qu'illustre le graphique ci-dessous :

En conséquence, une diminution du nombre de tranches entraîne forcément des effets importants sur le montant de l'impôt dû pour certains niveaux de revenu imposable.

(2) Les effets induits par le nouveau barème proposé

En réalité, compte tenu de l'intégration de l'abattement de 20 %, dont le plafonnement revenait à créer une tranche supplémentaire pour les plus hauts revenus, la réforme proposée ramène le barème non pas de sept tranches à cinq tranches, mais bien de huit tranches à cinq tranches , ce qui ne peut qu'engendrer des distorsions importantes dans l'évolution des taux d'imposition.

Dans le cadre du projet de barème, le premier effet induit, qui concerne les classes moyennes, a été recherché : la baisse du taux effectif de la troisième tranche (cf. tableau ci-dessus) permet de procurer un avantage croissant jusqu'à un palier situé à environ 25.000 euros de revenus par contribuable, seuil au dessus duquel le gain fiscal diminue rapidement, le taux d'imposition marginal de 30 % excédant alors largement le taux qui prévalait dans l'ancien barème. Dans une perspective d'encouragement de l'activité, ce fort ressaut pose cependant un premier problème.

En revanche, le deuxième effet induit n'a peut-être pas été voulu : il se trouve une zone de revenus, comprise entre environ 70.000 euros et 130.000 euros par contribuable, qui enregistre un gain moyen assez sensible en valeur absolue, pouvant atteindre 5 % de la cotisation d'impôt sur le revenu.

Enfin, le troisième effet , qui concerne les revenus très élevés (pour lesquels l'abattement de 20 % se trouve aujourd'hui plafonné), résulte directement de la diminution du taux marginal de 48,09 % à 40 %. La baisse de 17 % paraît considérable. Elle est à relativiser ( supra ) compte tenu de la mise en place du « bouclier fiscal » et du plafonnement des avantages fiscaux.

En tout état de cause, il résulte des simulations menées par votre commission des finances qu'en théorie, il n'était guère possible d'élaborer de meilleur barème en se fixant simultanément comme objectifs :

- l'intégration de l'abattement de 20 % au barème ;

- un gain fiscal d'environ 10 % pour les « classes moyennes » ;

- l'absence généralisée de perte fiscale ;

- un barème ramené à cinq tranches.

Votre commission des finances ne doit cependant pas écarter l'éventualité de proposer un barème moins déséquilibré et surtout moins coûteux, en renonçant éventuellement à l'objectif des cinq tranches . Une telle mesure de redressement serait cohérente avec le constat de la relative inefficience du plafonnement des avantages fiscaux simultanément mis en place.

d) Réflexion en faveur d'une déductibilité intégrale de la CSG

La CSG s'applique aux traitements et salaires, au taux de 7,5 %, dont 5,1 % sont déductibles. Une mesure de simplification bienvenue consisterait à rendre la CSG intégralement déductible et à gager cette dépense fiscale par une hausse à due concurrence du barème, ce dernier demeurant attractif grâce à l'intégration de l'abattement des 20 %.

Sans cette mesure, l'« opération vérité » du barème prévue dans le projet de loi de finances pour 2006 ne serait pas menée à son terme . Aujourd'hui, du fait de la non déductibilité de 2,4 points de CSG et de la CRDS, le taux marginal, concernant les revenus du travail, ressort en réalité à 49,56 % et non pas à 48,09 %. Avec un taux marginal de 40 %, le taux réel d'imposition des revenus du travail après prélèvements sociaux s'établirait à 41,22 %.

De toute façon, il est logique qu'une recette destinée aux organismes de sécurité sociale soit traitée comme une cotisation obligatoire, et soit donc intégralement déductible du revenu imposable.

2. Le plafonnement des niches fiscales, première étape d'une démarche vertueuse ?

a) Au milieu du gué

La liste des « niches » dont le plafonnement est proposé correspondrait aux seuls « avantages qui sont la conséquence d'une situation choisie par le contribuable » . A défaut d'une remise en cause générale, ce critère est a priori judicieux dans le cadre d'une démarche guidée par l'équité . Sur les 184 dépenses fiscales (parmi 527) recensées dans le « bleu » « Evaluation des voies et moyens » rattachées à l'impôt sur le revenu, le plafonnement concernerait ainsi 19 d'entre elles.

Pour 17 de ces dépenses fiscales, un plafonnement général est prévu à raison de 8.000 euros par foyer majoré de 750 euros par personne à charge et de 5.000 euros en présence d'une personne handicapée. Il est également prévu un plafonnement spécifique concernant les deux réductions d'impôt sur le revenu relatives aux investissements dans les départements d'outre-mer. Son montant peut être calculé de la même façon que pour le plafonnement général, ou représenter 15 % du revenu net imposable si ce montant est plus favorable au contribuable.

Votre rapporteur général estime que le plafonnement proposé n'est bienvenu qu'à la condition de constituer un premier pas, une première étape vers une remise en cause générale des avantages fiscaux 45 ( * ) qui puisse être compensée, à rendement de l'impôt inchangé, par une baisse générale du barème.

b) Un risque de prolifération

Il serait à craindre que la nouvelle logique imprimée par le plafonnement des avantages fiscaux ne soit pas celle d'une réduction de leur nombre, mais celle d'une prolifération sous contrôle de la dépense fiscale .

Le projet de loi finances pour 2006 n'apporte-t-il pas déjà, ainsi, son lot d'« améliorations », avec la création d'un crédit d'impôt pour favoriser la mobilité des chômeurs de longue durée ou des salariés perdant leur emploi à la suite d'un plan social (article 7), le renforcement des avantages liés à l'acquisition d'un véhicule propre (article 66) ou les dépenses d'équipement de l'habitation principale dès lors qu'elles amélioreraient la « performance énergétique » des logements (article 67) ?

Si le gouvernement n'adoptait pas pour objectif final une remise en cause générale des différentes niches fiscales, la présente tentative d'une diminution de la dépense fiscale pourrait bien tourner court, sous l'effet conjugué des lobbys et des experts en stratégie fiscale. Au total, il ne resterait alors de la réforme qu'une nouvelle complexification de la fiscalité du revenu, étant entendu que la simplification du barème tient davantage de la présentation.

Déjà pour 2007, le gain fiscal résultant du plafonnement proposé, évalué par Bercy à 50 millions d'euros, soit seulement 0,1 % du produit de l'impôt sur le revenu et moins de 1,2 % des dépenses fiscales plafonnées, paraît ténu et sans commune mesure avec le coût de la réforme du barème...

Le rapport précité du Conseil d'analyse économique « Croissance équitable et concurrence fiscale » préconise une suppression intégrale des « niches » dans le cadre d'une baisse générale du barème de l'IR assorti d'un renforcement de la CSG, pour un niveau de prélèvement obligatoire globalement inchangé. Ainsi, la logique adoptée par le gouvernement, qui maintient les avantages fiscaux tout en poursuivant la baisse du barème au prix d'une baisse du rendement de l'impôt sur le revenu s'inscrit en contradiction complète par rapport aux principales orientations du rapport du Conseil d'analyse économique...

c) Les grandes options d'un mécanisme de plafonnement : « familialisation » ou « conjugalisation » ?

Une « familialisation » du plafond constituerait un objectif discutable : dans l'impôt sur le revenu, la prise en compte des personnes à charge se fait au travers du quotient familial, et l'on comprendrait mal au nom de quoi ce mécanisme se trouverait renforcé dans le cas particulier du plafonnement des avantages fiscaux. Dans le dispositif proposé, il semble que la majoration retenue de 750 euros par personne à charge ne doive pas être considérée comme un véritable élément de « familialisation » du dispositif de plafonnement. Elle vise simplement à ne pas pénaliser les nombreuses familles bénéficiant de la réduction d'impôt pour l'emploi d'une personne à domicile. En effet, cette réduction peut atteindre dans le cas général 6.000 euros plus 750 euros par enfant à charge dans la limite de 2 enfants. Sans la majoration proposée, le potentiel d'avantages fiscaux mobilisables en sus de cette réduction d'impôt aurait été réduit d'autant pour les familles.

En revanche, le système proposé , en attribuant le plafond par foyer fiscal et non par contribuable, aboutit à favoriser les célibataires au détriment des couples formant un foyer fiscal , avec, lors du mariage ou de la souscription d'un PACS, un plafond fortement diminué, passant de 16.000 euros (+ majorations) à 8.000 euros (+ les mêmes majorations). Cette asymétrie est d'autant plus frappante que certains avantages fiscaux prennent justement en compte le nombre de contribuables, en différenciant l'avantage procuré aux célibataires et aux couples. Ainsi, les voies d'une « conjugalisation » de plafonnement mériteraient sans doute d'être explorées .

C. UNE REMISE À PLAT DES POLITIQUES FAMILIALES TROP COÛTEUSE POUR ÊTRE MISE EN oeUVRE DANS L'IMMÉDIAT

Il a paru également intéressant de porter à la connaissance du Sénat un ensemble de réflexions, émanant d'horizons différents, qui touchent à la politique familiale et à la question des taux d'imposition à l'entrée du barème. Il y a là une question centrale pour l'analyse des moyens les plus efficaces pour inciter à la reprise d'une activité.

1. Comment mieux combiner les revenus du travail avec ceux de la solidarité

Dans un rapport publié en avril 2005, intitulé « La nouvelle équation sociale », M. Martin Hirsch , président d'Emmaüs, indique les voies d'une meilleure articulation entre les revenus du travail et ceux de la solidarité.

Il constate qu'un allocataire du RMI voit son revenu disponible diminuer quand il reprend un emploi à quart-temps et qu'il ne constate aucun gain à mi-temps, compte tenu des aides sociales facultatives et des frais engendrés par la reprise du travail.

En enregistrant l'effet de l'ensemble des transferts dont bénéficient les ménages les plus modestes, il ressort que les taux marginaux d'imposition sont proches de 100 % jusqu'à 0,4 SMIC -ce qui signifie que les gains à la reprise d'un emploi pour ce type de rémunération sont quasi nuls-, diminuent brutalement jusqu'à 30 % de 0,4 SMIC à 0,7 SMIC, puis oscillent de façon erratique entre 30 % et 50 % de 0,7 SMIC à 1,9 SMIC.

La réforme proposée vise à faire en sorte que, pour les ménages pauvres ou modestes, tout revenu supplémentaire tiré du travail n'entraîne pas de diminution des prestations supérieure à 50 % de ce revenu . Il serait mis en place un « revenu de solidarité active » (RSA) qui intègrerait les minima sociaux existants (RMI, ASS 46 ( * ) , API 47 ( * ) ), les aides fiscales telles que la prime pour l'emploi et, éventuellement, les aides au logement. En revanche, les prestations familiales demeureraient inchangées et ne seraient pas absorbées par le RSA.

La prestation épouserait la situation existante pour les personnes sans activité, puis elle évoluerait avec l'augmentation du revenu : pour les revenus les plus faibles (jusqu'à 0,7 SMIC) la progression du RSA serait rapide, puis elle diminuerait ensuite, sans que cette diminution ne puisse obérer plus de la moitié du revenu supplémentaire, conformément à l'objectif principal de la réforme. Par ailleurs, le niveau du RSA serait modulé en fonction de la situation familiale.

L'auteur du rapport évalue le coût de la création du RSA « dans une fourchette de coût ex ante allant de 6 à 8 milliards d'euros ». Sans préjuger des difficultés liées à la mise en oeuvre concrète d'une telle réforme, laquelle « suppose que la prestation puisse être gérée indifféremment par l'un des services publics qui gère l'une des prestations concernées par la rénovation de notre dispositif d'aide sociale », votre rapporteur général ne peut qu'adhérer à la démarche visant à supprimer les effets de seuil, qui constituent autant de trappes à inactivité.

Un rapport de notre collègue Valérie Létard 48 ( * ) , fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat et intitulé « Minima sociaux : concilier équité et reprise d'activité », dresse également le constat de nombreux effets de seuil et d'une « probable désincitation à l'emploi ». Tout en affirmant son intérêt pour l'ambitieuse réforme proposée par M. Martin Hirsch, elle estime que, dans un premier temps, outre le mécanisme temporaire d'intéressement à la reprise d'activité déjà instauré, il conviendrait de généraliser le système du quotient familial et celui de la dégressivité aux différentes aides existantes .

2. Comment mieux prendre en compte les charges des familles

Dans un rapport du Conseil d'analyse économique , intitulé « La famille, une affaire publique », M. Michel Godet et Mme Evelyne Sullerot relèvent que, malgré les transferts fiscaux et sociaux existants, le niveau de vie des familles baisse avec le nombre d'enfants. Ainsi, la politique familiale n'atteint pas son objectif qui est, autant que faire se peut, de compenser le coût de l'enfant.

« Il faut cesser de confondre politique familiale et politique sociale » enjoignent les auteurs qui souhaitent renforcer le « volet horizontal » de la politique familiale pour « éviter la paupérisation relative des familles avec enfants ». Dans cette perspective, il conviendrait de « familialiser » la CSG par le recours à un mécanisme du type de celui du quotient familial, et de ramener le coefficient conjugal de 2 parts à 1,7 part en affectant les recettes fiscales subséquentes à l'augmentation des allocations familiales à partir du troisième enfant.

Votre rapporteur général estime que, dans un contexte budgétaire dégradé et au moment où le gouvernement entreprend une simplification de l'impôt sur le revenu représentant une dépense fiscale importante, il serait particulièrement inopportun de poursuivre une réforme de la CSG aboutissant à sa complexification tout en diminuant son rendement. En outre, nonobstant la qualification d'« imposition de toute nature » 49 ( * ) de la CSG par le Conseil constitutionnel, l'affectation de son produit aux organismes de sécurité sociale ne laisse planer aucun doute sur sa nature véritable, qui est celle d'une cotisation sociale, habituellement proportionnelle au revenu et indifférente à la situation familiale du cotisant.

Concernant l'abaissement du coefficient conjugal , il paraîtrait de nature à procurer une moindre incitation au mariage , qui est cependant une institution protectrice de la famille , et qu'il convient justement, ainsi, de protéger et d'encourager.

Le rapport suggère enfin de supprimer la décote de l'impôt sur le revenu au motif qu'il pénalise les couples modestes et les familles nombreuses. Selon ses auteurs, « le caractère antifamilial de la décote vient de ce qu'elle s'applique à la totalité de l'impôt et non pas à l'impôt par part de quotient familial ». Votre rapporteur général observe que si la suppression de la décote peut être intéressante pour les familles nombreuses , l'objectif poursuivi, pour les couples modestes, paraîtrait contrarié par la fixation du coefficient conjugal à 1,7 part au lieu de 2 parts.

Votre rapporteur général rappelle que la décote est également critiquable en ce qu'elle crée un effet de seuil important puisqu'elle engendre un taux marginal d'imposition dégressif pour les bas salaires. Sa suppression progressive, qui avait été entamée par le gouvernement de M. Alain Juppé en 1995, mais non aboutie, devrait consister en un relèvement de la tranche supérieure de l'impôt, de telle sorte qu'il n'y ait pas de « perdant », ce qui représenterait une nouvelle dépense fiscale .

Au total, les réflexions issues des rapports Hirsch et Godet, Sullerot, pour intéressantes qu'elles soient, ne sauraient déboucher à terme prévisible, notamment en raison des coûts insupportables qu'ils induiraient et qui devraient être compensés par ailleurs.

III. QUELQUES DÉCISIONS NÉCESSAIRES À COURT TERME

Votre rapporteur général a souhaité, enfin, compléter le présent rapport d'information par quelques considérations de nature sectorielle en fonction de l'actualité, soit qu'elles résultent de travaux spécifiques comme c'est le cas de la fiscalité de l'immobilier, qu'il a été amené à étudier à l'occasion d'une étude sur les perspectives de ce marché 50 ( * ) , soit qu'elles correspondent à des projets de réformes annoncés par le gouvernement pour le projet de loi de finances pour 2006 ou pour la prochaine loi de finances rectificative de fin d'année.

A. QUELLE COHÉRENCE POUR LA FISCALITÉ DE L'ÉPARGNE ?

Après une « législature pour rien » en matière d'épargne et de modernisation des placements financiers, diverses dispositions ont été adoptées depuis quelques mois qui font de la fiscalité de l'épargne un chantier important de l'actuel gouvernement, sans que sa cohérence d'ensemble apparaisse avec toute la clarté nécessaire.

Certes, une priorité a été affirmée en ce qui concerne le développement de l'épargne retraite. Mais l'alourdissement des prélèvements sociaux, les mesures d'incitation à la consommation, favorisées par le déblocage de l'épargne salariale, la suppression de l'avoir fiscal, et son remplacement par un crédit d'impôt moins avantageux, ont pu, ici et là, accréditer l'idée que le volume d'épargne était aujourd'hui trop important en France et qu'il convenait de rééquilibrer, le cas échéant par des incitations fiscales, un arbitrage épargne/consommation trop peu favorable à la croissance.

Or, dans un rapport 51 ( * ) de votre commission des finances relatif à l'épargne, « D e l'importance de l'épargne et des dangers de la mal aimer », notre collègue Alain Lambert, alors rapporteur général, soulignait que « la fiscalité est impuissante à modifier le volume de l'épargne » 52 ( * ) . Le XXI ème rapport du Conseil des impôts 53 ( * ) consacré à la fiscalité dérogatoire « Pour un réexamen des dépenses fiscales » rappelle d'ailleurs « qu'il n'est pas démontré que les mesures dérogatoires aient un effet sur le niveau global de l'épargne ». Naturellement, sur le plan macro-économique, il convient de trouver néanmoins un équilibre global entre fiscalité des revenus du capital et fiscalité des revenus du travail de manière à ne pas perturber l'allocation des ressources.

Dans ses voeux aux forces vives, le 4 janvier 2005, le Président de la République a traité de la fiscalité de l'épargne, en des termes récemment repris par le ministre de l'économie et des finances et dont la traduction législative devrait figurer dans la prochaine loi de finances rectificative : « il faut mettre la fiscalité de l'épargne au service de l'investissement et donc de l'emploi. Je demande au Gouvernement d'étudier en particulier une modulation de la fiscalité, pour taxer davantage celui qui achète une action pour la revendre très vite, mais alléger l'impôt pour l'investisseur de long terme. Les plus-values immobilières sont exonérées après 15 ans. Il faut en faire autant pour l'investissement en actions, qui crée de l'activité. Et je souhaite que la prochaine loi de développement des entreprises adapte notre fiscalité pour encourager systématiquement l'investissement dans les petites et moyennes entreprises ».

Cette initiative n'a pas été de nature à clarifier complètement les objectifs assignés à la fiscalité de l'épargne.

Il convient tout d'abord de rappeler que la fiscalité de l'épargne est fondamentalement une fiscalité du revenu . Elle est donc affectée par les mesures proposées par le gouvernement en ce qui concerne la réforme de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et le plafonnement des niches fiscales.

Il est en outre justifié que les revenus de l'épargne, en particulier ceux de l'épargne financière (intérêts, dividendes et plus-values), puissent faire l'objet d'un traitement fiscal dérogatoire par rapport aux revenus du travail car l'épargne constitue le reliquat d'un revenu non consommé, après taxation de celui-ci . Il convient de rappeler enfin le rôle que l'épargne joue en matière d'investissement, et de souligner que la détention d'une part croissante de la capitalisation boursière de la place de Paris 54 ( * ) par des fonds de pensions américains tient à l'incitation forte que constitue outre-Atlantique l'absence de retraite par répartition sur la constitution de l'épargne privée. De ce point de vue, soutenir l'épargne, du moins celle investie en actions, constitue un acte de « patriotisme économique », qu'il s'agisse d'ailleurs de souscrire à des titres d'entreprises françaises ou d'entreprises étrangères...

Le paysage fiscal de l'épargne est aujourd'hui particulièrement touffu. Lorsque les régimes liés aux placements sont aussi variés qu'aujourd'hui en France, il convient d'examiner si les dispositifs ne sont pas contradictoires, et s'ils respectent un des principes énoncés par votre commission des finances en matière d'épargne : « la fiscalité de l'épargne doit assurer la neutralité entre actifs de même nature (par exemple tous les titres de taux doivent être traités de la même manière, quel que soit le support) ». Le rapport précité souligne en outre que si « la fiscalité est impuissante à modifier le volume de l'épargne, en revanche elle est très influente sur la structure de l'épargne, c'est à dire sur l'orientation des placements ».

Une simplification, en fonction d'objectifs clairement définis, s'impose, conformément à l'esprit de la LOLF. L'inscription des dépenses fiscales dans les « programmes » du budget général permet de disposer d'informations plus précises sur l'étendue de la fiscalité dérogatoire en matière d'épargne, sur les objectifs qui lui sont assignés, et sur ses « performances » . Les dépenses fiscales liées à l'épargne figurent au sein du programme 134 « Développement des entreprises » de la mission « Développement et régulation des entreprises », qui fait l'objet du rapport spécial de notre collègue Eric Doligé, du programme 135 « Développement et amélioration de l'offre de logement », du ressort du rapport spécial de notre collègue Roger Karatouchi, du programme 145 « Epargne » de la mission « Engagements financiers de l'Etat », examiné par le rapport spécial de notre collègue Paul Girod.

Trois questions paraissent devoir être posées, selon votre rapporteur général :

- Faut-il vraiment aujourd'hui une préférence fiscale pour l'épargne liquide et/ou sans risque, par ailleurs réglementée ?

- Comment favoriser la détention de l'épargne de long terme, investie en actions, tant dans les titres cotés que dans les titres non-cotés ?

- Quel doit être le traitement fiscal de l'épargne à risque ?

1. Des mesures dérogatoires permettant de défiscaliser partiellement ou complètement les trois quarts du stock d'épargne

a) Le poids de la dépense fiscale en matière d'épargne

Selon le XXI ème rapport précité du Conseil des impôts relatif à la fiscalité dérogatoire, les imperfections des marchés peuvent justifier des régimes de faveur pour certains revenus de l'épargne.

La dépense fiscale liée à l'épargne est supérieure, dans le projet de loi de finances pour 2006, à 11 milliards d'euros. Les trois principales dépenses fiscales liées à l'épargne sont, dans l'ordre, celle liée à l'assurance-vie, puis celle liée aux dividendes d'actions et enfin celle liée à l'épargne logement 55 ( * ) .

La dépense fiscale liée à l'épargne

(en millions d'euros)

Mesure

Résultat estimé

pour 2004

Évaluation pour 2005

Évaluation pour 2006

Exonération des intérêts et primes versés dans le cadre de l'épargne logement

1.900

1.720

1.700

Exonération des intérêts des livrets A

450

440

440

Exonération des intérêts des livrets bleus

50

50

50

Exonération des intérêts des CODEVI

170

180

180

Exonération des intérêts des livrets d'épargne populaire

120

100

90

Exonération des intérêts du livret jeune

40

40

40

Exonération des revenus provenant de l'épargne salariale

370

375

410

Réduction d'impôt au titre de la souscription de parts de FIP

5

5

10

Réduction d'impôt au titre de la souscription en numéraire de parts de PME

120

120

125

Exonération des dividendes et avoirs fiscaux capitalisés sur un plan d'épargne en actions

500

490

370

Exonération des produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation (assurance-vie)

3.250

3.680

3.510

Déduction des cotisations versées au titre de l'épargne retraite individuelle (PERP)

-

320

430

Exonération des produits des plans d'épargne populaire

640

630

610

Abattement sur certains revenus de capitaux mobiliers

360

360

270

Avoir fiscal attaché aux dividendes d'actions françaises

3.630

3.990

-

Abattement de 50 % sur certains revenus distribués de sociétés françaises ou étrangères

-

-

2.050

Prélèvement libératoire sur les produits de placements à revenu fixe

590

460

460

Exonération des gains de cessions de valeurs mobilières réalisés dans le cadre d'un plan d'épargne en actions

820

820

820

Total

13.015

13.780

11.565

Source : projet de loi de finances pour 2006

On observe l'incidence de la suppression de l'avoir fiscal, qui a presque divisé par deux la charge budgétaire liée aux distributions de dividendes. Ce seul changement suffit à expliquer la baisse globale de l'ordre de 2 milliards d'euros constatée entre les lois de finances 2005 et 2006.

b) 75 % de l'encours d'épargne est partiellement ou non imposé

Comme le montre le tableau ci-dessous, qui retrace la répartition du patrimoine financier des ménages par produit, les trois-quarts de l'encours d'épargne étaient, partiellement ou totalement, défiscalisés fin 2004. Les encours peu fiscalisés, comme l'assurance vie, progressent beaucoup plus vite que l'encours des comptes titres par exemple. L'indexation du taux du livret A sur le taux de marché n'a pas diminué l'encours de cette épargne réglementée : l'encours s'est établi à 110,2 milliards d'euros en 2004 contre 109 milliards d'euros en 2003. Ceci montre bien, au passage, que cette indexation n'a pas eu d'effets macro-économiques et que l'on aurait dû la réaliser bien plus tôt...

Encours de l'épargne des ménages au 31/12/2004

(en milliards d'euros)

Nature des produits

EPARGNE LONGUE

PERP

0,7

Epargne salariale

67

Comptes à terme

35,5

Comptes titres

293,2

Plans d'épargne logement

226,3

Plans d'épargne populaire

87,6

Plans d'épargne en actions

90,3

Assurance Vie

858

LIVRETS DEFISCALISES ET NON DEFISCALISES

Livrets bleus (Crédit Mutuel)

16,4

Livrets A (CNE+CEP)

112,3

Livrets jeunes

6,1

Livrets d'épargne populaire

56,7

CODEVI

45,6

Comptes d'épargne logement

38,6

Livrets soumis à l'impôt

100,7

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

2. Une préférence fiscale pour l'épargne liquide et/ou sans risque ?

a) Faut-il encourager fiscalement l'épargne liquide ?

Dans la structure de l'épargne, 19 % des encours restent « liquides », ce qui est manifestement excessif par rapport aux besoins des ménages et est sous-optimal par rapport aux besoins de financement des entreprises.

Les mesures dérogatoires en faveur de l'épargne, au lieu de jouer un rôle correctif par rapport à la tendance naturelle des Français de se constituer un « bas de laine », les y incitent au contraire. Les placements directs en actions des ménages restent en-deçà de ce qui paraît souhaitable en économie de marché. Les exonérations fiscales attachées à certaines catégories d'épargne liquide comme le livret A expliquent sans doute l'attachement des Français pour une épargne de court terme, peu risquée certes, mais aussi désormais peu rémunératrice et peu utile sur le plan économique.

On doit certes considérer que l'incitation fiscale du livret A permet d'alimenter les fonds d'épargne qui constituent le support des prêts au logement social. Si toutefois ce circuit, dont le monopole est confié aux Caisses d'épargne et à La Poste, n'existait pas, un mécanisme de collecte par le système bancaire de l'épargne destinée au logement social pourrait être mise en place, par exemple sur le modèle des CODEVI, et assurerait tout aussi bien le financement du logement social.

En outre, les encours dont bénéficie la Caisse des dépôts et consignations à travers l'épargne liquide réglementée pour financer la politique du logement social excèdent largement les besoins : selon les annexes au budget général , 55,8 % seulement des ressources des fonds d'épargne ont été employés au financement du logement social en 2004. Ceci s'explique assez largement par le coût excessif de la collecte et par le niveau trop élevé des taux susceptibles d'être consentis aux organismes H.L.M.

De plus, en ce qui concerne le livret A, présenté comme un produit d'épargne populaire, le plafond de dépôt (15.300 euros), comme la possibilité de disposer au sein d'un ménage d'autant de livrets que celui-ci compte de membres, dévoient en pratique l'objet social de ce produit.

En 2004, si 56,2 % des livrets disposaient d'un encours inférieur à 152 euros, une très petite minorité (6 %) enregistrait, par le jeu des intérêts cumulés, des dépôts supérieurs au plafond de dépôt de 15.245 euros. Cette toute petite minorité détenait 43,4 % des encours au 31 décembre 2004 (47,8 milliards d'euros). Elle profitait donc à ce titre de 43,4 % de la dépense fiscale liée au livret A (440 millions d'euros). Cette situation est une absurdité sociale et reflète une hypocrisie majeure, bien souvent dénoncée par votre rapporteur général.

Plusieurs pistes pourraient être imaginées afin de rendre une certaine vertu fiscale au livret A, tout en conservant à la fois son caractère social et son emploi en faveur du logement. La banalisation du livret A et sa distribution par l'ensemble du réseau bancaire permettrait d'abaisser le coût de collecte et de diminuer ainsi les taux pouvant être consentis en faveur des organismes du logement social. Cette banalisation compenserait les effets, en termes de décollecte, d'une fiscalisation partielle du livret A , au moins pour les revenus d'intérêt du livret A au delà du plafond de dépôt de 15.300 euros. Le contribuable aurait le choix entre le prélèvement libératoire de 27 % ou l'intégration à l'IRPP. Les ménages non imposables ne seraient donc pas touchés. Cette fiscalisation permettrait donc de rendre au livret A son caractère véritablement populaire. Il n'est pas compréhensible que les gouvernements successifs refusent de voir cette évidence.

b) Pourquoi encourager fiscalement l'épargne sans risque ?

L'encours des plan d'épargne logement (PEL) et celui des comptes épargne logement (CEL) ont respectivement atteint, au 31 décembre 2004, 226,3 milliards d'euros et 38,6 milliards d'euros. Ces montants restent à des niveaux élevés en dépit de l'intervention de l'article 80 de la loi de finances initiale pour 2003, adopté à l'initiative de votre commission des finances, qui conditionne depuis lors l'octroi de la prime à l'obtention d'un crédit immobilier. Certains avaient à l'époque exprimé des craintes à l'égard de cette mesure : manifestement, elles n'avaient pas lieu d'être.

La dépense fiscale liée au caractère non imposable des intérêts acquis sur un PEL ou CEL s'établit à 1,7 milliard d'euros, sans tenir compte de la prime d'Etat, qui fait l'objet d'une prévision de crédits de 1,1 milliard d'euros pour 2006 56 ( * ) .

Or seulement 6,7 % des dépôts d'épargne logement ont été transformés en prêts en 2004. La tendance se dégrade puisque ce taux était de 8,1 % en 2003. L'explication est très simple : les taux de marché sont aujourd'hui bien inférieurs à ceux qu'un épargnant peut obtenir par le biais de l'épargne logement. Les PEL et CEL ne sont plus aujourd'hui des supports d'épargne logement, mais des supports d'épargne sans risque, sans projet particulier.

Faut-il inciter fiscalement à l'épargne sans risque, pour un coût fiscal de 1,7 milliard d'euros, sans aucun ciblage, en outre, sur les épargnants les moins favorisés 57 ( * ) ? Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 prévoit déjà une taxation au titre de la CSG, de la CRDS et des impositions sociales additionnelles des plans d'épargne logement dont la durée 58 ( * ) dépasse dix ans. Ne faut-il aller plus loin et prévoir une taxation pleine et entière du PEL et du CEL, avec une option possible entre un prélèvement libératoire de 27 % ou l'intégration à l'IRPP, ne serait ce que pour les PEL de plus de dix ans ? Votre rapporteur général est favorable à une telle évolution, qui nécessitera, là aussi, d'oser dire la vérité aux épargnants .

3. Des pistes pour favoriser la détention de l'épargne de long terme

Plusieurs supports peuvent aujourd'hui être mobilisés en faveur de l'épargne en actions de long terme : le compte titre, le plan d'épargne en actions (PEA), l'assurance vie et le plan d'épargne retraite populaire (PERP). Ces deux derniers supports sont en outre privilégiés pour la constitution d'une épargne de très long terme, liée à la préparation de la retraite.

a) Comment inciter davantage à la détention d'actions à long terme par les épargnants ?

Selon les enquêtes de la Banque de France, la durée de détention moyenne apparente des actions françaises par les ménages était en 2004 de 5 ans et neuf mois. L'existence du plan d'épargne en actions (PEA), dont le plafond a été relevé en loi de finances pour 2003 59 ( * ) de 120.000 à 132.000 euros, à l'initiative de votre commission des finances, explique sans nul doute la fidélisation des épargnants français. La valeur des titres figurant dans les PEA à fin décembre 2004 représentait environ 30,7 % de l'ensemble des portefeuilles-titres des ménages et 52,3 % des seules valeurs éligibles au PEA.

Pour les actions détenues sur les comptes titres, la fiscalité de droit commun est de 27 %, au-delà d'un montant de cessions annuelles de 15.000 euros. Ce taux est un des plus élevés d'Europe.

La réforme des plus-values immobilières, introduite par l'article 10 de la loi de finances initiale pour 2004, prévoyant une dégressivité de la taxation de 10 % par année de détention au-delà de cinq ans, a permis de mieux inciter fiscalement à l'investissement de long terme dans l'immobilier, tout en ramenant l'horizon d'investissement de 22 ans à 15 ans aujourd'hui, ce qui est plus réaliste sur un plan économique.

Le principe de neutralité fiscale, qui incite à ne pas privilégier telle ou telle classe d'actifs, et qui doit s'appliquer à l'épargne à long terme, a incité le Président de la République à définir les grandes lignes d'une réforme du même type pour la détention d'actions. Cette réforme est hautement souhaitable, à condition qu'elle soit réaliste sur un plan économique.

L'horizon d'investissement ne peut être aussi long qu'en matière immobilière. De ce point de vue, la durée moyenne de détention (5 ans et neuf mois), ainsi que les modalités de fonctionnement du plan d'épargne en actions 60 ( * ) , qui prévoit une exonération totale des plus-values au-delà de 5 années, et après 8 ans, la possibilité d'effectuer des retraits sans clôture du PEA, permettent de déterminer la durée de détention au-delà de laquelle les plus-values peuvent être exonérées : entre 5 et 8 ans.

Par ailleurs, il convient de renoncer à l'idée punitive consistant à taxer, sous prétexte de défiscalisations des plus-values de long terme, les plus-values de court terme des particuliers . Alourdir la taxation des plus-values dites de court terme, c'est sur un plan macro-économique, renoncer à la liquidité des marchés, empêcher les agents de réaliser les arbitrages nécessaires et évincer encore davantage les petits actionnaires des marchés actions. Est-ce raisonnable alors que 40 % de la capitalisation boursière est détenue par des non-résidents, non assujettis à la fiscalité des plus-values ? Les ménages ne représentent déjà plus que 8 % du marché actions, contre 43 % aux Etats-Unis...

Enfin, il convient de préserver le plan d'épargne en actions qui a fait ses preuves en termes d'incitation fiscale à l'épargne longue investie en actions, pour un coût relativement limité.

Il faut se féliciter que le gouvernement semble tenir compte de ces trois paramètres dans la réforme qui a été annoncée au Sénat par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie lors de la discussion générale du projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition, le jeudi 20 octobre 2005, et qui devrait être présentée dans le projet de loi de finances rectificative pour 2005. L'exonération des plus-values d'actions serait progressive à l'issue d'une période de conservation minimale de 5 ans 61 ( * ) , l'exonération étant totale à l'issue d'une durée de détention de 8 ans. Le PEA serait préservé.

Cette réforme, qui parait à première vue raisonnable, constitue un signal positif en direction des détenteurs d'actions, notamment ceux détenant des participations substantielles (plus de 25 %). Elle s'ajoute à d'autres signaux pertinents, comme celui ayant conduit à inciter au transfert des contrats d'assurance vie en euros vers les contrats multi-support dans la loi de modernisation de l'économie.

b) Assurer neutralité de la fiscalité pour les actifs destinés à préparer la retraite

L'article 82 de la loi de finances initiale pour 2004 a créé le dispositif fiscal relatif au plan d'épargne retraite populaire (PERP). En matière d'offre de produits d'épargne retraite, le PERP est néanmoins soumis à une concurrence assez vive venant d'autres produits comme l'assurance-vie, et notamment les contrats souscrits en euros.

Le PERP n'a pas encore trouvé sa place : seulement 700 millions d'euros ont été collectés en 2004, pour un objectif initial d'un milliard d'euros. Sans doute faut-il laisser le temps au produit de s'installer : le contrat « Madelin » a lui aussi connu un démarrage progressif ; il est aujourd'hui souscrit par un tiers des professions indépendantes. Encore faut-il que le PERP soit réellement attractif pour les épargnants, et pas seulement en matière de fiscalité . La création de PERP « actions » permettrait aux épargnants d'avoir un produit d'épargne-retraite dont le rendement doit être, sur longue période, supérieur à l'assurance-vie.

c) Quel traitement fiscal pour l'épargne à risque ?

En 2004, les personnes physiques détenaient 22 % des fonds investis dans le capital risque, principalement par le biais du financement intermédié des fonds communs de placement dans l'innovation et des fonds d'investissement de proximité. Les fonds communs de placement dans l'innovation ( FCPI ) ont été créés par la loi de finances pour 1997 (n° 96-1181 du 30 décembre 1996), et constituent une catégorie de fonds communs de placement à risques tournée vers l'innovation. L'article L. 214-41 du code monétaire et financier prévoit des contraintes spécifiques d'allocation. L'actif de ces fonds doit ainsi être constitué pour 60 % au moins de valeurs mobilières, parts de SARL et avances en compte courant émises par des sociétés présentant un caractère innovant. Les fonds d'investissement de proximité (FIP), créés par la loi pour l'initiative économique n° 2003-721 du 1 er août 2003, sont des fonds à vocation régionale , régis par l'article L. 214-41-1 du code monétaire et financier. Leur actif doit être constitué, pour 60 % au moins , de valeurs mobilières, parts de SARL et avances en compte courant, émises par des PME ayant leur siège dans un Etat membre de l'Union européenne et exerçant leurs activités principalement dans des établissements situés dans la zone géographique choisie par le fonds et limitée à une région ou deux ou trois régions limitrophes.

Les levées de fonds des FCPI atteignent chaque année environ 370 millions d'euros. Les FIP, pour leur première année d'existence, avaient collecté, en 2004 90 millions d'euros.

Par ailleurs, les épargnants peuvent directement investir dans les PME non cotées en bénéficiant d'une réduction d'impôt de 25 %, comme pour les FCPI et les FIP, mais avec un plafond différent.

Le plafonnement des niches fiscales envisagé par le gouvernement devrait réduire substantiellement la collecte des FCPI et des FIP. L'investissement direct dans les PME devrait perdre de son attrait fiscal. D'une certaine manière, ceci est sain car les investisseurs devraient investir dans les fonds de capital risque ou dans le non coté en fonction de la seule rentabilité économique, sans attendre un effet d'aubaine fiscal. Néanmoins, l'incitation fiscale à la prise de risque, réelle, prise par les investisseurs, est susceptible de disparaître. Demeurera l'espérance d'un gain plus élevé, lié à la prise de risque, que celui qui peut être attendu d'un investissement dans les sociétés cotées.

B. QUELLES ÉVOLUTIONS POUR LA FISCALITÉ IMMOBILIÈRE ?

Dans le secteur du logement, comme dans la plupart des secteurs économiques, les effets des mesures fiscales sont à la fois mal connus et mal mesurés. Les évolutions récentes du marché immobilier et la sensibilité de l'opinion sur ce sujet -l'immobilier constituant toujours l'investissement le plus lourd des ménages- doivent aujourd'hui plus encore qu'hier inciter à une extrême prudence dans l'utilisation de l'arme fiscale.

1. Un marché perturbé

Le marché de l'immobilier résidentiel manifeste un certain nombre de tensions et de déséquilibres dont l'amplitude est encore incertaine.

Deux phénomènes l'affectent qui ne sont pas sans lien entre eux.

a) Une offre déséquilibrée

L'offre de logements ne répond plus à la demande dans certains secteurs : excédentaire sur quelques segments, elle est quasi-inexistante dans d'autres. Ce déséquilibre se manifeste notamment par :

- l'insuffisance de la construction de logements sociaux ;

- la persistance d'un parc privé fortement dégradé ou vacant ;

- la saturation du marché sur certains secteurs comme les logements de type « Robien », notamment hors de la région parisienne et des secteurs géographiques les plus tendus, soulignée par un récent rapport d'information de la commission des affaires économiques 62 ( * ) .

b) Une augmentation excessive des prix

La forte hausse des prix de l'immobilier résidentiel, parce qu'elle est en grande partie spéculative, est source de risque. Le phénomène de « bulle immobilière », particulièrement sensible à Paris et dans certaines grandes agglomérations, résulte de la convergence de plusieurs facteurs :

la croissance rapide du nombre des ménages pour des motifs démographiques autant que sociologiques ;

des taux d'intérêt historiquement bas ;

l'allongement de la durée de remboursement ;

l'augmentation de la pression foncière.

Du décalage entre des prix extrêmes et des capacités d'endettement des ménages limitées par l'atonie de la croissance économique est née la peur de l'éclatement de cette bulle immobilière, dont votre commission des finances a souhaité mesurer la réalité et l'imminence.

A partir de données fournies par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et plusieurs instituts spécialisés, votre commission des finances a donc étudié les perspectives d'évolution du marché immobilier et son contexte macro économique 63 ( * ) .

Il ressort de cette étude que si un retournement de la tendance haussière du marché de l'immobilier résidentiel est certain à court et moyen terme, celui-ci ne prendra sans doute pas la forme d'une crise majeure mais d'une inflexion lente des prix, permettant un reversement en douceur du cycle actuel. Toutefois, la concrétisation simultanée d'autres risques, et la diffusion de crises immobilières survenant à l'étranger, pourraient contrarier ce scénario de « soft landing » et conduire à un vrai décrochage des prix immobiliers.

L'étude menée par votre commission identifie, par ailleurs, la mise en place d'avantages fiscaux pour l'investissement locatif comme l'un des facteurs conjoncturels principaux concourant à la hausse des prix de l'immobilier résidentiel.

Les avantages fiscaux « Périssol », « Besson », « Robien »

(en % de la FBCF logement des ménages)

Source : « Y a-t-il un risque de bulle immobilière en France ? », Bulletin de la Banque de France, n° 129, septembre 2004

Votre commission recommande, en conséquence, la plus grande prudence dans les interventions des pouvoirs publics afin de ne pas prolonger une politique procyclique de soutien à la demande, qui nourrirait l'inflation du marché.

2. Une fiscalité confuse

Dans un contexte perturbé et pour échapper aux contraintes budgétaires, la tentation reste grande de faire de la fiscalité un instrument de redressement des déséquilibres et de correction des évolutions tendancielles, en complément de dépenses budgétaires directes.

D'autant plus qu'en matière immobilière, les aides fiscales sont présentées comme ayant le double avantage de soutenir l'activité économique et de répondre à des besoins sociaux.

Pourtant, il n'existe toujours pas d'instrument fiable permettant de mesurer avec exactitude l'effet bénéfique des mesures mises en place sur ce secteur de l'économie.

Plus encore, construite par strates successives, poursuivant des objectifs multiples, et marquée par une grande complexité, la fiscalité du logement se révèle incapable d'anticiper les modifications profondes de la société dans le long terme.

a) Quelle efficacité pour les niches fiscales immobilières ?

Dans un rapport d'information présenté au nom de la commission des finances en 1996 sur l'évaluation de la fiscalité du logement 64 ( * ) , notre collègue Alain Lambert avait établi un bilan des dépenses fiscales en faveur du logement.

S'appuyant sur le fascicule « voies et moyens » annexé au PLF 1996, il recensait 443 dépenses fiscales dont trente-neuf dépenses fiscales concernant le logement, et dont vingt-trois sont chiffrées (59 %).

Il déplorait également l'absence de mesure systématique des effets de ces dépenses fiscales sur l'économie, suggérant « avant toute prise de décision, de se poser quatre questions :

« 1. Combien coûte (ou rapporte, le cas échéant), la mesure aux finances publiques, à comportement inchangé des contribuables ?

« 2. Quel sera son impact probable sur les comportements ?

« 3. En conséquence, quelles seront les retombées sur l'économie du logement et l'économie en général ?

« 4. Finalement, une fois réalisés les effets de la mesure, quel retour peut-on en attendre pour les finances publiques ? ».

Dix ans plus tard, un constat identique pourrait être dressé.

Les dépenses, en outre, n'ont cessé d'augmenter. Elles étaient estimées 65 ( * ) , en 1996, à 3.049 millions d'euros hors exonération du plan d'épargne logement. Pour 2006, l'évaluation des dépenses fiscales rattachées aux programmes logement atteint 9.573 millions d'euros en 2006 contre 8.736 millions d'euros en 2005 soit une progression de 9,6 %.

Les dix mesures les plus coûteuses de 1996

(en millions d'euros)

Intitulé de la mesure

Montant

Réduction d'impôt au titre des intérêts des emprunts contractés pour l'acquisition, la construction ou les grosses réparations

1.128,12

Déduction des dépenses de grosses réparations et d'amélioration de logements locatifs

731,76

Réduction d'impôts au titre des dépenses de grosses réparations, d'isolation thermique de la résidence principale

335,39

Exonération des organismes d'HLM

208,86

Réduction d'impôt au titre des dépenses engagées pour la construction ou l'acquisition de logements neufs destinés à la location

204,28

Application du taux de 5,5% aux terrains à bâtir achetés par des organismes HLM

167,69

Exonération du revenu des logements loués à certaines personnes défavorisées

74,70

Déduction des déficits et charges foncières afférents aux monuments historiques et opérations de restauration immobilière

68,60

Déduction forfaitaire de 35 et 25% sur les revenus des propriétés urbaines neuves affectées à usage d'habitation principale (dispositif Quilès-Méhaignerie)

47,26

Exonération des plus-values de cessions de titres d'OPCVM de capitalisation en cas de réinvestissement dans le logement

45,73

Total

3.012,39

Les dix mesures les plus coûteuses de 2006 (hors dispositif DOM)

(en millions d'euros )

Intitulé de la mesure

Évaluation pour 2006

Taux de 5,5% pour les travaux portant sur des logements achevés depuis plus de deux ans

4.350

Exonération des intérêts et primes versés dans le cadre de l'épargne logement

1.700

Déduction des dépenses de grosses réparations et d'amélioration

1.070

Taux de 5,5% pour les livraisons à soi-même d'opérations de construction de logements sociaux à usage locatif ou destinés à la location-accession ; pour les livraisons à soi-même de travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien de logements sociaux à usage locatif ; pour la vente de logements sociaux neufs à usage locatif ou destinés à la location-accession

790

Crédit d'impôt au titre d'une avance remboursable ne portant pas intérêt (prêt à taux zéro)

515

Crédit d'impôt pour dépenses d'acquisition afférentes à l'habitation principale

420

Déduction dégressive sur les revenus des logements loués à usage d'habitation principale pour les investissements réalisés à compter du 3 avril 2003

300

Déduction dégressive sur les revenus des logements neufs loués à usage d'habitation principale (sous conditions de loyer et de ressources du locataire à compter du 01/01/1999) pour les investissements réalisés jusqu'au 3 avril 2003 : dispositif BESSON

130

Déduction dégressive sur les revenus des logements neufs loués à usage d'habitation principale (sous conditions de loyer et de ressources du locataire à compter du 01/01/1999) : dispositif PERISSOL

80

Déduction forfaitaire majorée sur les revenus des logements neufs et des logements loués sous conditions de loyer et de ressources du locataire

70

Total

9.425

b) Recentrer l'intervention de l'Etat

Les dernières annonces en matière de fiscalité immobilière, figurant soit au sein du projet de loi de finances pour 2006 soit dans le programme « Engagement national pour le logement » présenté le 22 septembre 2005 par le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, font craindre que les recommandations de prudence en la matière ne soient, encore une fois, oubliées.

Si l'on peut, en effet, se féliciter de la proposition de supprimer la contribution sur les revenus locatifs à compter de l'imposition des revenus de 2006, en vertu du principe de neutralité fiscale entre investissement immobilier et placement mobilier, d'autres mesures sont plus contestables.

C. QUELLES PERSPECTIVES POUR LA FISCALITÉ LOCALE ?

1. Taxe professionnelle : des ambitions revues à la baisse

Lors de l'annonce de ses voeux aux « forces vives de la nation » le 6 janvier 2004, le Président de la République a annoncé, à une échéance qui restait à définir, la suppression de la taxe professionnelle , qui devait être remplacée par « un nouveau dispositif qui ne pénalise pas l'industrie et prenne mieux en compte la diversité des activités économiques ».

La commission de réforme de la taxe professionnelle , présidée par M. Olivier Fouquet , président de la section des finances du Conseil d'Etat, a été mise en place par le Premier ministre le 26 février 2004. Cette commission, dont faisaient partie le président de votre commission des finances, notre collègue Jean Arthuis, ainsi que votre rapporteur général, comprenait également des représentants des collectivités territoriales, du monde de l'entreprise ainsi que des administrations compétentes de l'Etat. Elle a remis son rapport définitif le 21 décembre 2004.

Votre commission des finances avait de son côté mis en place, le 11 février 2004, un groupe de travail , comprenant notamment son président et son rapporteur général, ainsi que des membres issus de l'ensemble des sensibilités politiques représentées en son sein. Ce groupe de travail a réalisé de nombreuses auditions de février à juin 2004, qui ont fait l'objet d'une communication en commission le 20 juillet 2004 .

a) Les propositions de la commission Fouquet, aujourd'hui abandonnées
(1) La réforme proposée

La réforme proposée par la commission Fouquet avait pour objet non d'alléger la taxe professionnelle, mais de la rendre plus neutre économiquement.

(a) Le « coeur » de la réforme

La commission Fouquet proposait de remplacer la taxe professionnelle par deux impositions distinctes :

- l'une, reposant sur la valeur ajoutée , à un taux fixé localement, dans les limites d'un plancher et d'un plafond nationaux (de 1,2 % et 3,2 %), et répartie entre établissements en fonction de la valeur locative foncière et des effectifs ;

- l'autre, reposant sur les valeurs locatives foncières , à un taux fixé localement.

Cela aurait rendu la taxe professionnelle économiquement plus neutre , parce qu'elle aurait moins surtaxé l'industrie.

Actuellement l'industrie fournit 49 % des recettes de taxe professionnelle. Le scénario retenu par la commission Fouquet aurait ramené ce pourcentage à 44 %.

Cela n'aurait pas permis d'atteindre une neutralité économique parfaite, puisque l'industrie, considérée au sens « large » retenu pour le besoin des simulations, correspond à environ 37 % de la valeur ajoutée nationale.

(b) Des préconisations plus « polémiques »

La commission Fouquet faisait des réformes plus « polémiques », qui avaient moins de chances d'être mises en oeuvre :

- suppression d'un certain nombre d'exonérations, concernant en particulier les agriculteurs (en contrepartie du projet d'exonération de TFPNB), les sociétés coopératives d'artisans et de bateliers, les institutions de prévoyance, ainsi que les collectivités publiques et leurs établissements ;

- suppression de la part régionale ou départementale de la taxe professionnelle ;

- révision des valeurs locatives.

(2) Le gouvernement a un temps envisagé de mettre en oeuvre les principales propositions de la commission Fouquet, en compensant partiellement les transferts entre entreprises

Le gouvernement a tout d'abord envisagé de mettre en oeuvre les principales propositions de la commission Fouquet.

Le scénario de la commission Fouquet reposait sur l'hypothèse d'un produit fiscal constant , si l'on exceptait la suppression éventuelle de la part régionale, qui aurait allégé l'imposition des entreprises de 2 milliards d'euros. Cette suppression aurait supposé un effort budgétaire important de la part de l'Etat, que ce dernier ne pouvait raisonnablement envisager.

b) Vers un simple allégement de la taxe professionnelle

Invité, le 14 juin 2005, de la manifestation « Planète PME » 66 ( * ) , M. Dominique de Villepin, Premier ministre, a indiqué que, pour lui, l'objectif de la réforme était « d'alléger la charge, non pas de la transférer ».

De fait, le gouvernement cherche, non à faire une réforme d'ensemble de la taxe professionnelle pour la rendre plus neutre économiquement comme le proposait le rapport Fouquet, mais, plus modestement, à l'alléger.

Cela s'explique par les fortes oppositions auxquelles se seraient heurtées les propositions de la commission Fouquet, à cause des importants transferts de charges qu'aurait suscités leur mise en oeuvre.

(1) La prorogation de la période d'entrée dans le dispositif de dégrèvement pour investissement nouveau

Une première réforme consisterait à prolonger la période d'entrée dans le dispositif de dégrèvement pour investissement nouveau (DIN), qui résulte de la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 pour le soutien à la consommation et à l'investissement.

(a) Le droit existant

Actuellement, seules bénéficient du dispositif les entreprises ayant réalisé des investissements en 2004 ou en 2005. Si l'on met de côté les entreprises nouvelles 67 ( * ) , le dégrèvement concerne les cotisations dues en 2006 et en 2007, ce qui découle du fait que les bases de l'année n sont prises en compte pour le calcul des impôts de l'année n+2.

Le coût du dégrèvement pour les investissements réalisés une année donnée étant de l'ordre de 1,4 milliard d'euros, le dispositif doit coûter environ 1,4 milliard d'euros en 2006 et 2,8 milliards d'euros en 2007.

(b) Le dispositif proposé

La mesure prévue par le projet de loi de finances pour 2006 consisterait à permettre aux entreprises d'entrer dans le dispositif postérieurement à 2005.

Le dégrèvement s'appliquerait désormais pendant trois ans à hauteur de 100 % de la valeur du bien la première année, 2/3 la deuxième année et 1/3 la troisième année.

Cette mesure serait neutre pour les collectivités territoriales, le dégrèvement étant entièrement compensé par l'Etat.

Elle bénéficierait essentiellement à l'industrie.

(2) La réforme du plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée

L'autre réforme envisagée consiste à réformer le plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée.

(a) Le droit existant

Actuellement, les entreprises ne peuvent en principe payer de cotisation de taxe professionnelle supérieure, selon le cas, à 1 %, 3,5 %, 3,8 % ou 4 % de leur valeur ajoutée.

Depuis la loi de finances initiale pour 1996, ce plafonnement ne prend pas en compte les augmentations de taux décidées après 1995. Il s'agissait de « responsabiliser » les collectivités territoriales. Ainsi, les entreprises paient 1,4 milliard d'euros de plus que ce qu'elles paieraient si le plafonnement était complet.

(b) Le dispositif proposé

Le projet de loi de finances pour 2006 propose de fixer le plafond à un taux unique de 3,5 % de la valeur ajoutée, et de prendre en compte les taux effectivement pratiqués.

Sur la base des taux de l'année 2004, ce dispositif coûterait environ 1,4 milliard d'euros par an à l'Etat, ce dernier compensant le manque à gagner aux collectivités territoriales.

Il favoriserait le secteur industriel, qui, selon les estimations de la commission Fouquet, verrait ses cotisations baisser de 7,4 %, contre 4,5 % pour les services, 2,3 % pour le commerce et 1 % pour le secteur financier.

Cependant, afin de ne pas inciter les collectivités territoriales disposant sur leur territoire d'une entreprise plafonnée à augmenter leur taux d'imposition, le projet de loi de finances prévoit que le coût du plafonnement suscité par les augmentations de taux réalisées postérieurement à l'année 2004 sera à la charge des collectivités territoriales. C'est ce qu'on appelle le « ticket modérateur ».

La réforme n'entrera en vigueur qu'à compter de 2007.

Ainsi, les collectivités ayant augmenté leur taux en 2005 ou en 2006 auront la possibilité de le baisser en 2007, afin de ne pas payer le « ticket modérateur ». Cependant, si elles maintenaient leur taux à leur niveau de 2004, il en résulterait pour elles un coût de 469 millions d'euros .

Ces dispositions, et en particulier leur impact sur les finances des collectivités territoriales, seront présentés en détail dans le rapport général relatif au projet de loi de finances pour 2006.

A titre de première réaction, votre rapporteur général estime que, pour coûteuses pour l'Etat que ce soient ces mesures (1,3 milliard d'euros de prise en charge supplémentaire en 2006), elles sont plus raisonnables et plus respectueuses de l'autonomie locale que l'application des conclusions de la commission Fouquet. Toutefois, il réserve encore son appréciation définitive, n'ayant pas connaissance de simulations chiffrées et précises reflétant les incidences du plafonnement sur les budgets d'un échantillon représentatif de collectivités territoriales, et en particulier d'établissements publics de coopération intercommunale à taxe professionnelle unique.

2. La taxe foncière sur les propriétés non bâties, une imposition à préserver

a) La situation actuelle : des propriétés agricoles d'ores et déjà exonérées pour les parts départementale et régionale

La taxe foncière sur les propriétés non bâties est établie chaque année sur les propriétés non bâties de toute nature situées en France, à l'exception de celles qui sont expressément exonérées. Elle est établie d'après la valeur locative cadastrale de ces propriétés.

Depuis la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 de finances pour 1993, les propriétés agricoles non bâties sont exonérées des parts régionale et départementale de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Dans le cas des départements, cette exonération s'est faite de manière progressive, et n'est totale que depuis 1996 68 ( * ) .

Ainsi, le produit total de la taxe a été en 2004 de 919 millions d'euros, dont 869 millions d'euros perçus par les communes.

A titre de comparaison, le produit total des quatre taxes directes locales a été en 2004 de 53.524 millions d'euros. La taxe foncière sur les propriétés non bâties ne correspond donc qu'à 1,7 % des recettes de ces quatre taxes.

b) Une suppression de la TFPNB agricole inopportune

Le président de la République a annoncé le 21 octobre 2004 à Murat (Cantal), en présence de MM. Hervé Gaymard, alors ministre de l'agriculture, et Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, son intention de réformer la taxe sur le foncier non bâti, avec pour objectif « son élimination progressive pour les exploitants agricoles ».

Selon le président de la République, « L'Etat [en fait les collectivités territoriales] doit adapter sa fiscalité aux évolutions de l'environnement économique ». Le président de la République a donc « demandé au gouvernement d'ouvrir avec les représentants des collectivités territoriales une concertation en vue de réformer la taxe sur le foncier non bâti ». Il a précisé qu'« une telle réforme ne peut s'envisager que si elle préserve les ressources propres des collectivités locales concernées » 69 ( * ) .

Votre commission des finances du Sénat a mis en place un groupe de travail sur le sujet, présidé par son président, notre collègue Jean Arthuis et associant au total 15 sénateurs issus de l'ensemble des sensibilités politiques représentées en son sein.

La commission n'a pas publié de rapport mais ses travaux ont fait l'objet d'un compte-rendu et d'une note de travail diffusée à tous ses membres ainsi qu'aux ministres concernés. Par ailleurs, elle a diffusé le 7 juillet 2005 un communiqué de presse dans lequel elle estime que « l'élimination de la TFPNB agricole, même si elle était limitée aux seuls exploitants agricoles, n'est pas opportune ».

Il conviendra donc d'examiner avec attention l'article 9 du projet de loi de finances pour 2006, qui prévoit d'instaurer une exonération de 20 % de TFPNB pour les terres agricoles. Selon les conclusions de votre groupe de travail, un tel dispositif, coûteux pour l'Etat ne répond à aucune attente sérieuse des professionnels, déstabiliserait les finances des plus petites communes, et perturberait inutilement les relations entre propriétaires et exploitants agricoles.

Extraits du communiqué de presse de la commission des finances en date du 7 juillet 2005

« Tout d'abord, cette suppression serait dommageable aux plus petites communes. La TFPNB représente en effet 21 % du produit des impôts directs locaux des communes de moins de 500 habitants, et pour 2.267 d'entre elles ce pourcentage s'élève à plus de 50 %. Bien que cette suppression doive être compensée, on peut s'inquiéter de ses conséquences sur la libre administration des communes concernées, voire sur l'autonomie financière de celles-ci, et donc d'une possible inconstitutionnalité de la mesure au regard de ce principe.

« Ensuite, la plupart des 12 personnalités auditionnées par le groupe de travail en mars-avril 2005 se sont déclarées opposées à la suppression de la TFPNB agricole. Seuls la fédération nationale de la propriété privée rurale et les représentants de certains syndicats agricoles (Jeunes Agriculteurs - JA - et FNSEA) s'y sont déclarés favorables. Les associations de maires (association des maires de France, association des petites villes de France, association des maires ruraux de France) s'y sont naturellement opposées, de même que l'assemblée permanente des chambres d'agriculture (dont les ressources dépendent du rendement de la TFPNB). De manière plus paradoxale, certains représentants du monde agricole (coordination rurale, fédération nationale des syndicats de propriétaires forestiers et sylviculteurs) se sont déclarés favorables au maintien de la TFPNB agricole, considérant, en particulier, que la TFPNB leur permet de bénéficier de contreparties de la part de la commune. Ce point de vue n'est cependant pas celui de JA et de la FNSEA.

« Enfin, dans le contexte budgétaire actuel, l'Etat ne semble pas avoir les moyens financiers de supprimer la TFPNB agricole, dont le coût serait compris entre environ 350 millions d'euros et 850 millions d'euros, selon qu'elle concernerait ou non les seuls exploitants agricoles.

« S'il n'est donc pas opportun de supprimer la TFPNB, il serait en revanche opportun de la réformer, en particulier en permettant une révision des bases, devenues obsolètes, et iniques à l'intérieur du périmètre d'un établissement public de coopération intercommunale mettant en recouvrement cette taxe à l'aide d'un taux uniforme. Reste en suspens l'éventuelle imposition des bâtiments consacrés aux activités « hors sol » au titre du foncier bâti . »

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 19 octobre 2005, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président , la commission a entendu une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.

Après avoir rappelé que le Sénat avait le privilège, du fait de son calendrier budgétaire, de pouvoir organiser un débat sur les prélèvements obligatoires, en application de l'article 52 de la LOLF, M. Philippe Marini, rapporteur général , procédant à l'aide d'une vidéoprojection, a indiqué qu'il se situait cette année dans la perspective d'une réforme d'ensemble de l'imposition des ménages, avec la mise en place d'un plafond général d'imposition et d'un plafonnement des « niches fiscales » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006. Puis il a estimé que notre modèle fiscal reflétait, dans une certaine mesure, notre modèle social, mais que, seule, la recherche de l'efficacité économique et sociale devait désormais guider nos choix, que l'on considère l'excellent rendement de la fiscalité de certaines nouvelles républiques issues du bloc socialiste pratiquant des taux bas sur des assiettes larges, ou que l'on réfléchisse à l'effet d'un transfert de cotisations sociales sur la TVA afin de rendre les assiettes sociales non « délocalisables » (mécanisme connu sous le nom de « TVA sociale »). Enfin, il a précisé que les déficits publics se situaient toujours sur la crête des 3 % du produit intérieur brut (PIB), malgré la perception de soultes importantes liées à l'adossement, au régime général de la sécurité sociale, de certaines charges de retraites, encore que les montants concernés fussent plus faibles en 2006 qu'en 2005.

Abordant le sujet des prélèvements obligatoires, M. Philippe Marini, rapporteur général , a signalé que les recettes publiques françaises, qui représentaient 50,7 % du PIB, étaient, en proportion, supérieures à la moyenne de la zone euro, qui s'établissait à 45 %. Le taux des prélèvements obligatoires devrait atteindre 44 % en 2006, contre 43,9 % en 2005, nonobstant un changement de base statistique ayant eu pour effet de réduire ce taux d'environ 0,7 % du PIB.

Puis il a rappelé que, depuis une vingtaine d'années, les dépenses des administrations publiques avaient toujours été nettement supérieures à leurs recettes. Il convenait ainsi, conformément à l'un des principes dégagés par la commission des finances dans le cadre du rapport d'information adopté en vue du débat d'orientation budgétaire pour 2006, de « s'interdire tout allègement fiscal non compensé, toute augmentation structurelle non gagée, tant que le déficit structurel [n'aurait] pas atteint un niveau inférieur ou égal à 1 % et que le rythme de croissance des dépenses publiques [resterait] de l'ordre de celui observé par le passé, soit 2 % par an en volume ».

Concernant, en particulier, les prélèvements sociaux, M. Philippe Marini, rapporteur général , a noté que ces derniers, qui devraient s'élever en 2006 à 388,7 milliards d'euros, représenteraient, à eux seuls, plus de la moitié des prélèvements obligatoires. Reprenant à son compte l'expression de M. François Monier, secrétaire général des comptes de la sécurité sociale, il a constaté « la multiplication des foyers de déficit ». Le plus important serait toujours constitué par la branche maladie avec un solde déficitaire de 7,2 milliards d'euros en 2006, mais toutes les lignes correspondant aux différents régimes de base seraient désormais négatives, à part celle correspondant à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Il a souligné que le régime des exploitants agricoles, avec l'apparition d'un déficit de 1,9 milliard d'euros, participait largement à l'accentuation du déficit général, qui devrait s'élever à 16 milliards d'euros en 2006. M. Jean-Jacques Jégou a alors précisé que la dette accumulée par le régime des exploitants agricoles ressortait, en réalité, à 3,2 milliards d'euros.

M. Philippe Marini, rapporteur général , a abordé la réforme du financement des exonérations de cotisations sociales figurant à l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006. Ce dernier prévoyait de remplacer la dotation budgétaire inscrite sur le budget du travail par l'affectation à la sécurité sociale d'un panier de taxes, précisant que ce changement de portage entachait le respect de la norme de progression budgétaire « zéro volume ». En effet, la dépense correspondante, qui s'établissait à 17,1 milliards en 2005, devrait augmenter spontanément de 1,8 milliard en 2006. Il a également estimé qu'il serait probablement plus clair de substituer une quote-part de TVA à l'« inventaire à la Prévert » que constituaient les neuf taxes et impôts visés par l'article 41 précité, sans exclure la possibilité de procéder, simplement, par prélèvement sur recettes.

Enfin, M. Philippe Marini, rapporteur général , a souhaité commenter la réforme fiscale proposée dans le récent rapport de MM. Christian Saint-Etienne et Jacques Le Cacheux, après avoir préalablement souligné que celui-ci n'engageait pas le gouvernement. Il a indiqué que, dans un objectif d'efficacité économique, les auteurs du rapport proposaient de ramener le taux de l'impôt sur les sociétés à 18 %, taux vers lequel les grands Etats européens convergeaient, tandis que celui des petits Etats s'établissait aux alentours de 13 %. Ils préconisaient également de fixer le taux d'imposition marginal de l'impôt sur le revenu après prélèvements sociaux à 36 % contre 53,2 % en 2005, et de supprimer l'impôt sur la fortune (ISF), destiné à être « remplacé » par un « impôt sur les revenus de la fortune » qui aurait constitué la troisième tranche d'un barème rénové de l'impôt sur le revenu. Puis il a relevé que, dans un objectif d'équité, le rapport précité suggérait que les ménages gagnant moins de 7.500 euros par part (ou 10.000 euros selon le scénario) ne paient pas d'impôt sur le revenu, que la contribution sociale généralisée (CSG) soit totalement déductible et assortie d'un mécanisme de crédit d'impôt. Enfin, il a précisé que le rapport retenait deux scénarios : l'un dans lequel les classes moyennes finançaient l'allègement de la fiscalité des entreprises, sans que leur perte de revenus nette ne puisse excéder 5 %, l'autre n'opérant pas de compensation de la diminution des recettes fiscales, mais supposant une forte diminution des dépenses publiques.

En conclusion, M. Philippe Marini, rapporteur général , a souligné l'intérêt de la démarche suggérée par les auteurs du rapport dans le cadre d'une forte concurrence fiscale, avec, notamment, la suppression des niches fiscales qui étaient devenues la contrepartie de taux nominaux élevés. Mais il a critiqué, en particulier, la réforme de la taxe professionnelle proposée par ailleurs, et, d'une façon générale, le rôle prédominant accordé à la concurrence fiscale, alors que les facteurs internes à notre économie suffisaient amplement à justifier la plupart des évolutions pressenties.

En tout état de cause, M. Philippe Marini, rapporteur général , a souligné la pertinence du concept de « TVA sociale », simplement évoqué de façon incidente par le rapport précité, car elle doit permettre de favoriser simultanément l'activité et l'emploi.

Un large débat s'est alors instauré.

Mme Nicole Bricq a relevé que les comparaisons internationales sur la structure des prélèvements obligatoires présentées par le rapporteur général ne faisaient pas apparaître la situation dans les pays d'Europe du Nord. Elle s'est déclarée en accord avec le rapporteur général pour considérer que la fiscalité représentait un débat politique majeur. Elle a noté que la part relative de l'impôt sur le revenu au sein des prélèvements obligatoires diminuait et a estimé que l'on s'orientait vers une « flat tax ». Elle s'est déclarée ouverte aux propositions d'adaptation de la TVA, mais a jugé que le basculement vers les cotisations sociales soulevait des difficultés. Elle a observé que les capitaux n'étaient pas tous surtaxés.

Elle a rappelé l'analyse développée devant la commission par M. Christian Saint-Etienne, suivant laquelle le « taux intrinsèque réel » d'imposition, défini comme le rapport entre les recettes fiscales et l'assiette fiscale globale, était en France de seulement 10,5 % hors TVA, soit environ un niveau deux fois plus faible que ce que les auteurs envisageaient avant d'approfondir ce point.

Mme Marie-France Beaufils a relevé que les comparaisons internationales présentées n'offraient pas une vision d'ensemble des systèmes de prélèvements obligatoires des pays de l'Union européenne. S'agissant de l'évolution des recettes sociales, elle a observé que celle-ci devait être appréciée à la lumière des pertes d'emploi. Elle a souligné que le caractère progressif de l'impôt sur le revenu constituait un élément de justice et a estimé, plus globalement, qu'il convenait d'analyser l'incidence des prélèvements obligatoires sur l'activité économique. Après avoir relevé que la mise en place d'une TVA sociale produirait des effets sur le revenu des ménages, elle a suggéré de taxer davantage les capitaux qui ne participent pas à l'activité économique.

M. Serge Dassault a souligné les difficultés budgétaires actuelles et s'est interrogé sur la pertinence des allègements de charges sociales. Il a ensuite suggéré à la commission de faire des propositions d'économies dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2006.

M. Jean Arthuis, président , a précisé que le débat sur les allègements des charges sociales interviendrait dans le cadre de la présentation de l'équilibre général du budget.

M. Joël Bourdin a mis en garde contre le modèle consistant à faire « table rase » du passé, estimant qu'il fallait faire preuve de réalisme dans la conduite des réformes.

M. Jean-Jacques Jégou a mis l'accent sur le contenu de la dépense publique, et a jugé que des réformes structurelles étaient nécessaires afin de dégager des marges de manoeuvre. A cet égard, il a relevé l'opportunité présentée par les départs massifs à la retraite de fonctionnaires. Il a ensuite indiqué que l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006 aboutissait à sanctuariser la taxe sur les salaires, ce qui présentait un effet pervers.

Puis il a souligné la situation particulièrement difficile du Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (FFIPSA) et a estimé que ce problème devait être réglé rapidement. Il a également fait valoir que le déficit de l'UNEDIC devait être pris en compte dans les réflexions de la commission.

M. Aymeri de Montesquiou a estimé qu'il convenait d'apporter une attention particulière à l'impact économique des prélèvements obligatoires. Puis il a insisté sur la nécessité d'apprécier l'efficacité de la dépense publique.

M. Philippe Adnot a observé que les comparaisons de prélèvements obligatoires entre différents pays devaient faire l'objet d'analyses prudentes. Il a apporté son soutien à la proposition d'instaurer une « TVA sociale », puis s'est prononcé en faveur d'un impôt sur le revenu à taux unique. Il a estimé qu'un changement radical devait intervenir. Enfin, prenant l'exemple de la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, il a souligné que la maîtrise des prélèvements obligatoires passait notamment par une analyse approfondie du coût des différentes mesures contenues dans les projets de loi présentés au Parlement.

M. Adrien Gouteyron a relevé que « l'inventaire à la Prévert » des taxes affectées à la sécurité sociale pour assurer le financement des allègements de charges sociales constituait une mesure peu satisfaisante et s'est interrogé sur les actions envisagées par la commission afin d'y remédier.

M. Jean Arthuis, président , a indiqué que le débat sur les prélèvements obligatoires constituait un moment privilégié pour avoir une vue d'ensemble de notre système fiscal. Il s'est déclaré favorable à l'affectation d'une quote-part de TVA à la sécurité sociale, rappelant que le budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA) bénéficiait jusqu'en 2003 d'une part de cet impôt. Il a toutefois souligné l'importance de la communication dans la mise en place d'une mesure de ce type, afin de bien en expliciter les enjeux et la portée.

En réponse aux différents intervenants, M. Philippe Marini, rapporteur général , a indiqué que la solution consistant à affecter une part de TVA à la sécurité sociale méritait d'être creusée et qu'il conviendrait d'examiner la pertinence des allègements de charges, estimant qu'une économie d'environ 10 milliards d'euros pourrait être réalisée sur ce poste de dépenses.

Il a estimé que les changements apportés au système de prélèvements obligatoires devaient s'inscrire dans une démarche globale et lisible et a observé que la conduite du changement en matière fiscale suivait, parfois, des voies imprévisibles.

Après avoir rappelé le lien entre modèle fiscal et modèle social, il a jugé nécessaire d'analyser l'impact économique des finances publiques, en portant une attention particulière à la valeur ajoutée de la dépense publique par rapport à la dépense privée. Il a souligné que le gouvernement avait, depuis 2002, accru la part relative des investissements dans les dépenses publiques, ce dont il s'est tout particulièrement félicité.

Il a reconnu que la « sanctuarisation » de la taxe sur les salaires représentait un effet pervers induit par les mesures proposées par l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006 et qu'il était donc nécessaire de passer en revue les autres solutions envisageables.

Enfin, il a estimé que, si l'approche des prélèvements obligatoires pouvait différer suivant la sensibilité politique, il était toutefois possible de se retrouver sur les questions de fond. Il a relevé que le débat sur les mérites d'une taxe proportionnelle sur les revenus par rapport à ceux d'une taxe progressive était mené dans la plupart des pays et a fait valoir que la CSG faisait partie des impôts pesant sur le revenu.

Puis la commission des finances a donné acte au rapporteur général de sa communication et en a, à l'unanimité, autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information .

LE SYSTÈME FISCAL ENTRE VOLONTÉ ET RÉALITÉS

En vue du prochain débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, qui se tient chaque année au Sénat avant la discussion des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, en application de l'article 52 de la LOLF, M. Philippe Marini (UMP, Oise) , rapporteur général, continue de mettre l'accent sur la compétitivité de notre système fiscal.

Afin de mettre en perspective les réformes annoncées pour les prochaines lois de finances, le rapport revient, à partir de réflexions des milieux académiques sur les objectifs préconisés de longue date par la commission des finances du Sénat : simplicité et transparence avec la suppression des niches fiscales ; adaptation à la concurrence fiscale par la réduction des prélèvements pesant sur les entreprises, les capitaux et les compétences.

Soulignant qu'une réforme fiscale globale suppose une légitimité politique intacte, le rapport traite en particulier de la réforme annoncée du financement des exonérations de cotisations sociales, qui non seulement permet de contourner la norme « zéro volume » applicable à la croissance des dépenses de l'Etat, mais brouille également les relations entre finances de l'Etat et de la Sécurité sociale.

La commission des finances du Sénat a estimé qu'il serait préférable de substituer à l'« inventaire à la Prévert » que constituent les neuf taxes et impôts devant être transférés à la Sécurité sociale pour financer ces exonérations, une quote-part de TVA. Une telle affectation serait cohérente avec le thème de la « TVA sociale », qui doit, selon elle, occuper une place centrale dans la nécessaire refondation du modèle fiscal français.

* 1 « Le sursaut Vers une nouvelle croissance pour la France ». La Documentation française. Paris, 2004.

* 2 Rapport d'information n° 389 (2003-2004) de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur le débat d'orientation budgétaire pour 2005.

* 3 Opus cité page 20.

* 4 Opus cité page 20.

* 5 Prolongeant l'analyse, on peut aussi se demander qui paie en définitive l'impôt. La théorie économique, qui n'est pas la réalité, laisse penser que les entreprises sont normalement en mesure de répercuter les impôts mis à leur charge sur les agents, consommateurs à travers des hausses de prix, ou épargnants à travers une moindre rémunération des apporteurs de capitaux

* 6 Opus cité page 32.

* 7 Opus cité page 34.

* 8 La concurrence fiscale en Europe : une contribution au débat. Rapport d'information n° 483 (1998-1999).

* 9 L'équité horizontale implique que deux personnes en situation identique soient traitées de la même façon, c'est le principe d'égalité de traitement ; l'équité verticale consiste à imposer plus les foyers fiscaux ayant les revenus les plus importants.

* 10 Le taux de recettes publiques prend en compte l'ensemble des recettes publiques. Certaines recettes ne sont pas considérées comme des prélèvements obligatoires. C'est le cas, en ce qui concerne la loi de financement de la sécurité sociale, de certaines taxes ou cotisations professionnelles, et, en ce qui concerne la loi de finances initiale, de certaines recettes non fiscales.

* 11 « Les sept piliers de la sagesse budgétaire », rapport d'information n° 444 (2004-2005).

* 12 Loi n° 2003-775 du 21 août 2003.

* 13 Loi n° 2004-810 du 13 août 2004.

* 14 Le montant est même supérieur et atteint plus de 8 milliards d'euros si l'on inclut dans ce champ le Fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, aujourd'hui englobé dans la CNSA. Toutefois, ainsi que l'a souligné à plusieurs reprises votre commission des finances, le positionnement de cette CNSA, annoncée comme une cinquième branche de la protection sociale, demeure ambigu. De la même manière, le Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie (Fonds CMU), qui a perçu 269,5 millions d'euros de prélèvements obligatoires en 2004, est comptabilisé comme un ODAC.

* 15 Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles,établissement public qui a « pris le relais » du BAPSA .

* 16 Loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003.

* 17 Loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004.

* 18 Se reporter notamment au rapport d'information n° 52 (2004-2005) de votre rapporteur général sur les prélèvements obligatoires et leur évolution ainsi qu'au rapport d'information n° 416 (2004-2005) de notre collègue Jean Arthuis sur la globalisation de l'économie et les délocalisations d'activité et d'emplois.

* 19 Sur ce point, se reporter au rapport d'information n° 8 (2001-2002) de notre collègue Alain Lambert sur la taxe sur les salaires.

* 20 Trois mécanismes sont en effet prévus : une régularisation en 2007 pour tenir compte du montant effectif des exonérations de cotisations sociales en 2006 ; une modification de la liste des impôts et taxes affectés dans le cas où les allégements de charges seraient eux-mêmes modifiés ; des rendez-vous en 2008 et 2009, le gouvernement devant remettre un rapport analysant les écarts éventuels entre les recettes des impôts et taxes affectés et la perte de recettes résultant des allégements de charges l'année précédente. En cas d'écart supérieur à 2 %, une commission indépendante serait alors chargée de rendre un avis sur d'éventuelles mesures d'ajustement.

* 21 On estime en effet qu'un point de taux super-réduit « rapporte » 449 millions d'euros, un point de taux réduit 2,287 milliards d'euros et un point de taux normal 5,729 milliards d'euros.

* 22 L'article 1609 septdecies du code général des impôts prévoyait l'institution, au profit du BAPSA, d'une cotisation de 0,70 % incluse dans les taux de la taxe sur la valeur ajoutée.

* 23 Bulletin des commissions n° 30 de la semaine du 25 juin 2005.

* 24 Par exemple, si une personne seule doit 1.500 euros de CSG, elle n'acquitte que 900 euros. Si elle doit 400 euros, elle ne paie rien.

* 25 Le CAE indique cependant que le taux permettant de maintenir les recettes constantes serait, pour un tel impôt, de 13 %.

* 26 Rapport d'information n° 389 (2003-2004).

* 27 En Estonie, le taux de 0 % est applicable aux bénéfices réinvestis, et le taux de 26 % aux bénéfices distribués.

* 28 Le taux de droit commun est de 10 % ; il est porté à 15 % pour la part des bénéfices excédant 1,7 million d'euros.

* 29 Soit un taux effectif de 26,37 % en intégrant la majoration de 5,5 % de l'IS. La prise en compte de la Gewerbesteuer (taxe locale) conduit à des taux de 39,6 % en 2003 et 38,3 % en 2004.

* 30 Auquel s'ajoute, le cas échéant, une contribution additionnelle de 3 % et une contribution sociale de 3,3 %.

* 31 En incluant l'IRAP, taxe locale dont l'assiette est plus large que le bénéfice fiscal, les taux effectifs sont portés à 38,3 % en 2003 et 37,3 % en 2004.

* 32 « Une décennie de réformes fiscales en Europe : la France à la traîne » - Rapport d'information n° 343 (2002-2003) de MM. Joël Bourdin et Philippe Marini.

* 33 Le taux implicite de taxation des entreprises rapporte les prélèvements directs sur les entreprises soumises à l'IS à leur excédent brut d'exploitation.

* 34 Le taux effectif moyen d'imposition des entreprises exprime les prélèvements sur le revenu des entreprises (impôt sur les sociétés + impôts sur les revenus reçus des entreprises), estimé à partir d'un taux de rendement donné.

* 35 A un taux de 2 % jusqu'à 1 million d'euros de valeur ajoutée, et de 2,75 % au-delà.

* 36 Elle figure au sein des articles non rattachés de seconde partie, dont l'effet est décalé par rapport à la mise en oeuvre du budget.

* 37 En ordre de grandeur, le produit de la CSG s'élève à 70 milliards d'euros contre 50 milliards d'euros pour celui de l'impôt sur le revenu.

* 38 Rapport précité de MM. Christian Saint-Etienne et Jacques Le Cacheux.

* 39 Il se trouvait 105.000 revenus excédant 117.900 euros au titre de l'impôt sur le revenu pour 2002. Il est à noter que la réforme envisagée n'apportera aucun profit aux professions libérales, aux artisans et commerçants ou chefs d'entreprises qui ne font pas leur déclaration par l'intermédiaire d'une association agréée ou d'un centre de gestion agréé : si ces contribuables, réputés sous-déclarer leurs revenus, ne bénéficient pas aujourd'hui de l'abattement de 20 %, l'article 60 du projet de loi de finances pour 2006 prévoit d'appliquer un coefficient de majoration à leurs revenus déclarés de nature à neutraliser l'intégration de l'abattement.

* 40 De fait, l'intégration de l'abattement, à lui seul, diminuerait sensiblement le nombre de cas d'imposition globale « confiscatoires ».

* 41 La prime pour l'emploi concerne les revenus inférieurs à 1,4 fois le SMIC. Un salarié travaillant à temps plein au SMIC touche aujourd'hui une PPE de 538 euros. Au terme de l'article 3 du projet de loi de finances pour 2006, son montant serait porté à 705 euros en 2006 puis à 802 euros en 2007.

* 42 Il s'agit d'un système fiscal à taux unique d'imposition sur la consommation, les revenus du travail, l'épargne des particuliers ou les bénéfices des sociétés. D'ores et déjà, un tel système a été introduit en Estonie, en Russie, en Serbie, en Ukraine, en Slovaquie et en Roumanie. Ce système peut être considéré comme le point d'aboutissement logique des réformes fiscales d'inspiration libérale accomplies au Royaume uni et aux Etats-Unis dans les années quatre-vingt, puis en Europe continentale depuis les années quatre-vingt-dix, qui ont tendu à une baisse des taux d'imposition compensée par un élargissement des assiettes .

* 43 A cet égard, votre rapporteur général se demande s'il est absolument indispensable que les taux intermédiaires « tombent rond ».

* 44 C'est à dire en y intégrant l'effet de l'abattement des 20 %.

* 45 Le Conseil des impôts, dans son vingt-et-unième rapport intitulé « La fiscalité dérogatoire », avait insisté sur le nombre, le coût mal maîtrisé, la complexité et l'efficacité incertaine des avantages fiscaux.

* 46 ASS : allocation de solidarité spécifique.

* 47 API : allocation de parent isolé.

* 48 Rapport d'information n° 334 (2004-2005).

* 49 Au sens de l'article 34 de la Constitution.

* 50 « Le marché immobilier français en situation de retournement : analyse et conséquences ». Rapport d'information n° 6 (2005-2006).

* 51 Rapport d'information n° 82 (1997-1998).

* 52 Le premier principe de votre commission des finances en matière d'épargne est le suivant : « l'épargne est importante : sans épargne, pas d'investissement, sans investissement pas de croissance durable ».

* 53 « La fiscalité dérogatoire ». Pour un réexamen des dépenses fiscales. Les éditions des Journaux officiels 2003.

* 54 Au 31 décembre 2003, la capitalisation boursière des entreprises du CAC 40 était détenue à 43,9 % par les non-résidents.

* 55 La prise en charge budgétaire de la prime d'épargne logement figure, elle, au sein du programme 145 « épargne » de la mission « Engagements financiers de l'Etat ».

* 56 Les engagements hors bilan de l'Etat liés au PEL et au CEL sont respectivement de 7,5 milliards d'euros et de 1,9 milliard d'euros.

* 57 Ce ciblage existe par ailleurs, c'est l'objet du plan d'épargne populaire.

* 58 La durée contractuelle maximale est de 10 ans.

* 59 Loi n° 2002-1575 du 30 décembre 2002.

* 60 Créé par la loi n° 92-666 du 16 juillet 1992.

* 61 L'exonération serait constatée sur les trois années suivantes par tranche d'un tiers.

* 62 Rapport d'information n° 442 (2004-2005) sur les facteurs fonciers et immobiliers de la crise du logement présenté par M. Thierry Repentin au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.

* 63 Rapport d'information précité n° 6 (2005-2006) sur « Les perspectives d'évolution du marché immobilier et son contexte macro-économique ».

* 64 Rapport d'information n° 456 (1995-1996) sur l'évaluation de la fiscalité du logement présenté par M. Alain Lambert au nom de la commission des finances.

* 65 Pour les seules dépenses chiffrées.

* 66 Il s'agissait d'une manifestation organisée le 14 juin 2005 au Palais des Congrès, et destinée aux dirigeants de PME.

* 67 Les investissements concernés doivent donc avoir eu lieu entre le 1 er janvier 2004 et le 31 décembre 2005. Cependant, ce dégrèvement concerne les cotisations dues au titre de 2005, 2006 et 2007. Ce paradoxe (les bases de l'année n sont normalement prises en compte pour le calcul des impôts dus l'année n+2) vient du fait que dans le cas des entreprises nouvelles, le décalage est de seulement un an. La référence à l'année 2005 concerne donc les seules entreprises nouvelles créées en 2004.

* 68 Dans le cas des départements, les propriétés concernées sont exonérées à concurrence de trois neuvièmes en 1993, de cinq neuvièmes en 1994, de sept neuvièmes en 1995 et de la totalité à compter de 1996.

* 69 Maire Info, 22 octobre 2004.

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