6. M. Thomas GUERET, Analyste, Division environnement et efficacité énergétique, AIE

Merci Monsieur le Président, ma présentation s'organisera autour de la problématique de la demande de pétrole dans les transports, en s'inspirant du document Saving oil in a hurry dont je vous dirai deux mots, et qui ne couvre que partiellement ma problématique.

Il faut réduire la consommation des véhicules routiers par des actions de court, ou plus long terme, dans un contexte économique plus stable, avec une gestion plus claire de la demande de pétrole. La gestion à plus long terme est potentiellement très profitable (10 à 20 % en 10 ans, 30 à 40 % d'ici 2030 selon nos calculs), et repose sur trois axes :

- la réduction des distances parcourues ;

- les changements de modes, soit ce que nous appelons la maîtrise de la demande en mobilité, Alain MORCHEOINE l'a évoquée tout à l'heure ;

- l`amélioration de l'efficacité des véhicules dont nous avons beaucoup parlé aujourd'hui, ce ne sera pas l'objet principal de ma présentation même si ces questions sont suivies de près par l'AIE, mais je détaillerai un point spécifique : l'amélioration des composants.

Commençons par la gestion dans l'urgence, le livre Saving oil in a hurry a été fortement couvert par les medias au début de l'année, mais son titre mal traduit (ce livre n'existe toujours pas en français), par exemple dans Le Monde : « il est urgent d'économiser le pétrole ». Cette économie est urgente, certes, mais « économiser le pétrole dans l'urgence » eût été préférable, car ce livre fait en réalité le tour d'horizon des techniques disponibles pour agir dans ce sens.

Certaines mesures d'économie de pétrole se retrouvent dans la gestion à court et à long terme. Dans quels cas pouvons-nous être amenés à agir dans l'urgence ? Il peut, par exemple, se produire une rupture de l'approvisionnement en raison de facteurs géostratégiques, ou bien, les coûts peuvent menacer l'économie du pays, comme c'est le cas pour certains pays d'Asie du Sud-Est, presque au bord de la faillite. Il faut alors prendre des mesures drastiques, parfois pénibles, mais nécessaires compte tenu des enjeux. Le livre présente pour ce faire une panoplie de mesures ainsi que les coûts liés, mais traite uniquement du transport routier, le secteur qui consomme le plus de pétrole, tirant la demande mondiale à la hausse. Une autre publication traite de l'électricité, je pourrais vous la montrer après la réunion si cela vous intéresse. Etre efficace dans l'urgence, c'est prendre des mesures réduisant la demande sans délais. Ces mesures requièrent une importante préparation en amont, pour une plus grande efficacité. Il faut également des moyens d'information du public. Ce sont des mesures plus prégnantes que celles évoquées jusqu'à présent, par exemple, des restrictions de circulation dans le cadre d'une action dans l'urgence. Les mesures sont ici classées selon leurs coûts de mise en oeuvre et selon le pétrole qu'elles permettent d'économiser. Commençons par des mesures dont la mise en oeuvre coûte moins de 1 dollar par baril : par exemple, le covoiturage, (il en existe différents niveaux de mise en oeuvre, de la mise en place d'incitations à des pistes réservées exclusivement au covoiturage sur les autoroutes), le développement du télétravail, ou d'autres modifications concernant l'organisation de la vie sociale. Suivent des mesures à la mise en oeuvre plus coûteuse : les limitations de vitesse (15 dollars par baril), les mesures liées aux transports en commun (réserver des pistes pour la circulation des autobus), la gratuité des transports publics, qui est une mesure très coûteuse, comme l'augmentation de la fréquence du service, ou par exemple payer un ordinateur à des personnes afin qu'elles exercent une activité en télétravail.

Pour conclure, sur cette question de l'urgence, il existe des mesures permettant d'obtenir des résultats quasi immédiats, d'autant plus qu'elles seront préparées en amont afin de pouvoir alerter les différents secteurs publics concernés. Si plusieurs pays de l'AIE prennent des mesures importantes en même temps, il est possible d'obtenir une baisse de 1 million de barils par jour ou plus. A titre de comparaison, les mesures prises par l'AIE dans le cadre de la gestion de crise de l'ouragan Katrina ont occasionné des économies de l'ordre de 2 millions de barils par jour, provoquant une détente sur le marché mondial saluée par les différents acteurs.

L'angle d'attaque de l'action en urgence permet de considérer les différentes mesures existantes, y compris les mesures impopulaires ou n'étant pas économiques stricto sensu. Abordons maintenant la gestion à plus long terme. Une possibilité est de réduire les distances parcourues. Sur mon graphique, figurent à droite les villes des pays développés et à gauche celles des pays en voie de développement. En mauve vous voyez la distance moyenne parcourue pour chaque déplacement et en bleu le nombre de trajets quotidiens par personne. C'est sur ces facteurs qu'il faudra jouer pour réduire les distances parcourues. Ce n'est plus une gestion de crise mais une question d'organisation de la vie sociale quotidienne. Dès lors, comment opérer cette réduction de déplacements sans tomber dans la répression, en organisant différemment l'action publique ? L'urbanisme et les formes urbaines ont un rôle à jouer pour réduire ces distances car elles ont un impact majeur sur la demande. Les effets s'en font sentir sur plusieurs décennies, d'où la complexité de ce type de mesures. Plusieurs facteurs rentrent en effet en ligne de compte, par exemple : l'on peut chercher à éviter l'étalement urbain anarchique et favoriser plutôt l'étalement au long de voies de transports en commun, favoriser la densité urbaine, etc. Il faut aussi jouer sur les questions d'organisation relatives au télétravail, à la logistique, les plans de déplacements d'entreprises, les décisions des collectivités locales afin de réduire et rationaliser les distances parcourues. Par ailleurs, l'importance des comportements, des facteurs économiques (la différence entre les Etats-Unis et l'Europe en termes de mobilité est aussi liée aux différents niveaux de taxation du carburant et pas seulement à la densité des villes, je ne fais d'ailleurs pas de jugement de valeur à ce sujet) ne doit pas être négligée.

Il sera possible aussi d'agir sur les changements de mode, entre le non motorisé, les transports publics et les déplacements en véhicules particuliers. Il existe une grande variété de situations. Il faut alors favoriser les transports publics. Les systèmes de bus rapides rencontrent, par exemple, un franc succès à l'AIE. Ces systèmes sont expérimentés par de grandes villes d'Amérique du Sud, le débit de passager sur quatre voies réservées aux autobus équivaut à trois fois celui des six voies affectées aux voitures qui l'entourent. L'efficacité du trafic est importante. Les retombées de ce type d'infrastructures bénéficient aussi aux automobilistes. Le potentiel de cette mesure est important, mais les coûts paraissent élevés en première analyse. Pourtant s'ils sont rapportés à la logique de fonctionnement urbain ou comparés à d'autres services rendus par ailleurs (sociaux, environnementaux,...), cette mesure vaut alors la peine d'être appliquée.

A propos des modes non motorisés, en fonction de l'urbanisme et des équipements, il est possible de favoriser l'usage de la bicyclette et la marche à pied, par le partage de la voirie par exemple, et l'on fera absorber par des modes utilisant moins les surfaces publiques, ce qui est pris à la voiture. Le tableau présenté détaille les mesures douces et dures, à court et à long terme, (l'échelle est arbitraire) et permet de comprendre que certaines mesures peuvent être mises en oeuvre rapidement, une fois un cadre légal établi ; en témoigne l'exemple de la mise en place d'une circulation alternée selon le numéro de plaque minéralogique en cas de pics de pollution atmosphérique. D'autres sont plus longues à mettre en place : les réalisations en termes de transports publics ou d'infrastructures souterraines ; certaines sont plus simples, car moins coûteuses ou moins compliquées politiquement, par exemple, le développement du télétravail ou du covoiturage.

Concernant l'efficacité énergétique des nouveaux véhicules, je dirai deux mots même si cela a été largement abordé : je rappelle que l'efficacité énergétique repose sur un ensemble de facteurs, ainsi, il est possible de réduire les émissions de CO 2 du véhicule sans réduire l'émission globale : si l'on prend l'exemple des biocarburants, certains nécessitent du pétrole en quantité - que ce soit pour les engrais utilisés, le transport ou l'utilisation du sol - avec un rendement final négatif ; d'autres biocarburants sont plus efficaces, nous l'avons vu dans la présentation de PierPaolo, c'est également vrai de l'hydrogène, il faudra donc s'assurer des techniques développées.

J'effectue par ailleurs une distinction entre la meilleure efficacité testée (c'est-à-dire prise en compte par des tests de consommation normalisée) et l'amélioration de l'efficacité sur la route, soit l'utilisation réelle. En tests normalisés, des technologies sont déjà disponibles. Selon nos estimations, 25 % seraient possibles d'ici 2020 pour les voitures neuves, avec des coûts maîtrisés. Quant à l'amélioration de l'efficacité sur route il faut faire intervenir une « approche composants ». Il est possible d'améliorer des composants qui ne sont pas pris en compte par les tests normalisés. Nous pouvons évoquer aussi la conduite, qui n'est pas mesurée par ces tests. Des appareils aident le conducteur à optimiser sa conduite. Les potentiels sont très élevés, soit 5 % d'amélioration des consommations globales des véhicules en ce qui concerne les pneus (jusqu'à 10 % dans les pays en voie de développement) idem pour la climatisation, 2 % pour l'éclairage (en passant aux diodes électroluminescentes, au xénon, etc.). Citons également la possibilité d'huiles moins visqueuses, les procédés start and stop, etc., dont le potentiel n'est pas entièrement pris en compte par les tests normalisés. Dans ce domaine, à l'AIE, nous organisons les 15 et 16 novembre, un premier séminaire sur cette approche composants. Nous parlerons essentiellement de pneus et nous balayerons d'autres techniques, un intervenant de l'Ecole des mines effectuera un exposé sur l'air conditionné. C'est un exemple typique de nos actions : faire se rencontrer industriels, chercheurs, experts du monde entier et « régulateurs », c'est-à-dire des délégués des pays membres qui viennent enrichir leurs connaissances sur un sujet, en faisant un tour d'horizon des techniques et politiques disponibles pour favoriser ensuite une émulation.

Quel est le véhicule propre, le véhicule de l'avenir ? Si le véhicule est pris dans un embouteillage, il ne sera pas efficace, c'est pour cela qu'il faut une conception globale de la propreté du véhicule incluant le fonctionnement de l'ensemble des transports urbains.

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