C. LES PROPOSITIONS ALTERNATIVES À EUROMALE

Le choix effectué par le ministère français de la défense au sujet d'EuroMALE, avec une responsabilité globale confiée à EADS, ne fait pas l'unanimité au sien des industriels français du secteur.

1. le choix par le Royaume-Uni du drone tactique Watchkeeper est le résultat d'une démarche pragmatique

Au terme d'une compétition qui a opposé les sociétés BAE System, Thalès-UK, Northtrop Grumman, et Lockheed Martin, le Royaume-Uni a choisi, au mois d'août 2005, de doter son armée de terre d'un système de drones proposé par Thalès. Cette société « multi-domestique » possède des implantations industrielles au Royaume-Uni disposant d'une certaine autonomie par rapport à la société française.

L'approche de Thalès s'est fondée sur l'expression, par l'armée britannique, des demandes qu'elle voulait voir satisfaites, et a conduit à l'élaboration d'une « capacité en réseaux » pour une réponse optimale aux fonctions ISTAR (intelligence 8 ( * ) , surveillance, target acquisition 9 ( * ) , reconnaissance).

Le ministère britannique de la Défense a adopté dans ce domaine une démarche novatrice, en présentant aux industriels compétiteurs les besoins militaires à satisfaire, à charge pour eux de définir le système le plus adapté pour y répondre.

La société Thalès-UK a ainsi remporté un marché d'un milliard d'euros, dont 75 % seront consacrés aux différents systèmes (communication, senseurs) nécessaires à la reconnaissance, et 25 % à la plateforme elle-même. Cette répartition privilégiant le « logiciel » sur le « matériel » résulte d'une volonté affichée par Thalès de valoriser l'électronique, qui constitue son domaine d'excellence.

Ce programme qui pourrait être couplé au projet AGS (Alliance Ground Surveillance) de l'OTAN, est présenté, implicitement, comme une alternative du projet EuroMALE, dont la conception souffrirait de l'addition successive de capacités destinées à répondre aux besoins des partenaires potentiels de la France.

Le système Watchkeeper se compose de deux drones , l'un volant à une altitude suffisamment élevée pour le faire évoluer « au-dessus des nuages » (15 000 à 20 000 pieds, soit 5 000 m à 6 600 m). Cet engin est chargé de capter et de retransmettre des informations radar. Il est accompagné d'un deuxième engin, volant à plus basse altitude (autour de 6 000 pieds, soit 2 000 m), chargé d'effectuer une surveillance infrarouge et radioélectrique du sol. Ce drone basse altitude est équipé des capteurs les moins coûteux, car plus vulnérable que l'autre drone, dont l'altitude le préserve mieux, et qui est donc doté de capteurs plus sophistiqués.

Les deux drones sont aérotransportables, dans des avions de transport C 130, par exemple, ou chargeables sur des navires. Le système Watchkeeper a une endurance de 18 heures.

Ces plateformes seront réalisées sous maîtrise d'oeuvre de Thalès-UK et sous-traitées à une société conjointe, composée à égalité par Thalès et par la société israélienne Elbit qui fabrique la plateforme.

Cette solution permettra d'« européaniser » les droits de propriété industriels et les dessins des plateformes, permettant ainsi un transfert vers la Grande-Bretagne du savoir-faire d'Elbit, et assurant également la permanence de l'approvisionnement dans ce domaine.

C'est cet élément qui conduit au choix ultérieur de la plateforme la mieux adaptée, alors que le choix français pour EuroMALE, a été également déterminé par la volonté d'acquérir une autonomie européenne en matière d'édification d'une plateforme.

Les deux projets ne peuvent cependant être comparés terme à terme, car chacun répond à des objectifs différents.

Les promoteurs du Watchkeeper font valoir que l'option prise par le Royaume-Uni va permettre une mise en service opérationnelle rapide, et que cette offre sera placée sur le marché européen bien avant EuroMALE, dont un démonstrateur devrait voler au plus tôt en 2009.

Les apports cumulés du Watchkeeper et d'une plus grande implication de la France dans le programme AGS de l'OTAN confèreraient à notre pays une capacité de renseignements conciliant celle du drone tactique et du drone HALE, donc nettement plus développée que celle offerte par EuroMALE. Ce système peut s'illustrer ainsi :

Le système Watchkeeper

Le système Watchkeeper est un système de drone tactique d'observation et d'acquisition d'objectifs au profit d'une composante terrestre interopérable. Il doit assurer la permanence sur zone, une capacité tout temps et jour/nuit, être interopérable avec les moyens de l'OTAN, et doit pouvoir être raccordé aux systèmes d'information pour assurer la diffusion de l'information et du renseignement aux commandements de manoeuvres terrestres dans un contexte interarmées.

La capacité recherchée vise à permettre une intervention simultanée sur deux théâtres d'opérations, l'un qualifié de «moyen» (type Irak), et l'autre qualifié de « petit ».

Durant les cinq ans de la phase de compétition (1999 - 2004, période de sélection), Thalès a développé des «environnements synthétiques » permettant la simulation de l'ensemble du système et des différentes solutions possibles, pour répondre aux problèmes posés par la spécification, la mise en oeuvre, la modélisation des véhicules aériens et des moyens au sol.

Grâce à ces « environnements synthétiques », les militaires britanniques peuvent déjà s'entraîner en situation.

Dans son approche capacitaire, Thalès a évalué plusieurs dizaines de véhicules aériens suivant une liste de critères, dont l'endurance en vol, la fiabilité, la capacité d'évolution, les coûts de mise en oeuvre, la vulnérabilité, mais aussi la possibilité de maîtrise européenne de sa fabrication et ses évolutions.

Cette sélection a permis de choisir une plateforme, issue du Hermes 450 d'Elbit, caractérisée par :

o 30 000 heures de vol en conditions opérationnelles ;

o une endurance de plus de 17 heures de vol permettant d'assurer la persistance exigée par les missions de surveillance ;

o une faible vulnérabilité, permise par une signature de détection réduite ;

o une capacité d'emport, permettant l'utilisation de charges utiles nouvelles, dont le radar et le système de décollage et atterrissage automatique -ATOL-, développé et produit en France ;

o une mise en oeuvre par un nombre limité d'opérateurs ;

o une grande facilité de déploiement.

Le montage industriel permet la maîtrise de la plateforme et de ses évolutions en Europe par l'établissement d'une société de droit britannique au Royaume-Uni.

Le véhicule aérien n'est qu'un des éléments qui composent un système de drones, caractérisé par des apports techniques élevés dans le système de commandes au sol, et dans le segment aérien.

La valeur principale du système Watchkeeper réside dans le segment au sol et les capteurs :

L'approche capacitaire conduit à définir le système répondant aux besoins dans le respect du budget initial, l'ensemble étant validé sur des « environnements synthétiques » associés à des modèles de coûts.

Watchkeeper permet d'assurer :

• une surveillance 24h/24 et 7j/7 du théâtre d'opérations ;

• une exploitation en temps réel des renseignements ;

• une dissémination des informations analysées aux bons niveaux de commandement des forces armées ;

• puis, après analyse, une dissémination des objectifs aux différents moyens d'actions (artillerie, aviation, hélicoptère d'attaques, forces spéciales, forces navales...).

La mise en situation d'un tel système lors de déploiement extérieur en coalition est prise en compte pour assurer l'interopérabilité avec les forces alliées.

La commande, par l'armée britannique, du système Watchkeeper à Thalès, pour un milliard d'euros, a conforté la place de cette société au sein des fournisseurs de drones. Lors de son audition par la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, le 25 janvier 2006, M. Denis Ranque, Président-directeur général de Thalès, a rappelé que ce programme avait été remporté par sa société à l'issue d'une large compétition et au terme d'un processus original qui avait conduit le client, en l'occurrence l'armée britannique, à décrire une demande capacitaire en laissant à l'industriel le soin de construire un système d'armement de nature à la satisfaire. Le budget sera affecté, pour les deux tiers, au système sol et, pour un tiers, à la partie aéroportée, comprenant la plateforme elle-même et les senseurs embarqués.

La plateforme proprement dite représentera environ un dixième de la valeur total du système. Les besoins français en matière de reconnaissance aérienne pourraient donc être assurés par le système tactique Watchkeeper dont les évolutions permettraient de fournir 70 % des capacités d'EuroMALE pour 30 % de son coût, combiné avec l'engagement pris par la France, dans le programme AGS de l'OTAN en matière de surveillance stratégique. Cette combinaison pourrait présenter, pour un coût inférieur, une alternative fonctionnelle beaucoup plus intéressante aux projets de drones de reconnaissance à l'étude en France. En cas d'exportation vers la France, les adaptations nécessaires du système, comme la transmission de données, le traitement d'images, l'intégration dans les chaînes de commandement seraient réalisées par Thalès France.

* 8 renseignement

* 9 acquisition d'objectif

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