B. LES EXPERTS : UN ÉQUILIBRE À TROUVER ENTRE COMPÉTENCE ET INDÉPENDANCE

Le parcours qui aboutit à la commercialisation d'un médicament est composé de plusieurs étapes au cours desquelles sont analysées les caractéristiques du produit au regard des exigences de la sécurité sanitaire (balance bénéfice/risque) et de l'amélioration du service médical rendu. Le bon déroulement de ces étapes nécessite un important travail d'expertise plus particulièrement exécuté au sein des deux instances que sont la commission d'AMM et la commission de la transparence.

Les crises sanitaires récentes ont renforcé l'exigence de sécurité et de transparence exprimée par les patients à l'égard des autorités sanitaires. Cette question s'est focalisée sur les modalités de réalisation de l'expertise dont la crédibilité est devenue un enjeu majeur pour le bon fonctionnement des agences.

Les enjeux de cette organisation se focalisent autour de deux principes, celui de la compétence des experts et celui de leur indépendance.

1. Les modalités de recours à l'expertise ont été précisées au cours des dernières années

Les deux principales institutions intervenant dans le domaine du médicament, l'Afssaps, au sein de laquelle travaille la commission d'AMM, et la HAS, dans le cadre des missions de la commission de la transparence, partagent une approche similaire de l'expertise fondée sur le recours à des experts extérieurs à l'institution. Cette communauté de vue s'explique à la fois par une histoire commune et par une conviction partagée sur l'efficacité du modèle en place.

Si le cadre théorique de l'expertise bénéficie d'un consensus, l'environnement juridique et déontologique au sein duquel ont pu se développer les activités d'expertise nécessaires à l'exécution des missions confiées à ces deux agences a connu des évolutions importantes visant à optimiser le recours aux experts et à aménager les procédures de recrutement.

a) Un modèle consensuel fondé sur le recours à l'expertise externe

De par son antériorité au sein de la galaxie des agences sanitaires, mais également en raison du nombre d'experts auxquels elle a recours pour l'exécution de ses missions, l'Afssaps peut être considérée comme un exemple significatif pour analyser les modalités selon lesquelles les agences sanitaires sont susceptibles de recourir à l'expertise.

Ce modèle se caractérise par un recours massif à l'expertise externe. Il se distingue des modèles retenus par les agences sanitaires américaine ou allemande qui privilégient l'expertise interne.

Ce recours à l'expertise externe, que l'Afssaps considère comme inévitable, est justifié par la nécessité de pouvoir faire appel aux meilleurs spécialistes disponibles en fonction des dossiers à instruire par les différentes instances mises en place au sein de l'agence (onze commissions consultatives, trois comités et cinq groupes d'experts). La justification de ce recours massif à des experts extérieurs est donc leur compétence.

Cette supériorité tiendrait à plusieurs éléments. Le premier est la possibilité de recourir à un spécialiste lorsque l'agence doit instruire un dossier concernant un produit qui ouvre un nouveau champ thérapeutique, ce qui peut être le cas pour les maladies rares ou orphelines.

La deuxième raison de ce choix tient à l'expérience que ces experts acquièrent par leur pratique quotidienne dans les établissements de santé. Ce contact régulier avec le terrain leur permet de demeurer au contact des patients et de mieux évaluer les stratégies thérapeutiques disponibles et leurs effets.

La troisième tient à la compétence que ces experts tirent de leur collaboration avec l'industrie pharmaceutique. Les agences souhaitent bénéficier des effets indirects de ces collaborations qui, pour l'ensemble des acteurs (professionnels de santé, agences sanitaires, laboratoires pharmaceutiques), sont le seul moyen disponible pour que les experts possèdent un haut niveau de spécialisation et le conserve.

L'Afssaps souligne même que de tels rapports et participations constituent une source de connaissance précieuse lorsqu'ils donnent à l'expert une familiarité avec le dernier état des connaissances et l'innovation thérapeutique. L'ensemble de la communauté du médicament, à de rares exceptions près, considère que ces collaborations légitiment la compétence des experts et apportent des garanties supplémentaires en termes de sécurité sanitaire, lorsque les autorités font appel à des personnalités ainsi qualifiées.

L'audit mené conjointement par l'IGF et l'Igas en 2002 reconnaissait que le recours à l'expertise externe permettait de « mobiliser les spécialistes de la question sur des dossiers très pointus » et soulignait ses autres avantages, notamment pour :

« - compenser la faiblesse numérique des moyens internes ;

« - utiliser dans des conditions financières avantageuses une ressource scientifique de haut niveau ».

Environ 600 experts sont mobilisés pour siéger dans les différentes commissions une ou deux demi-journées par mois et au total, environ 2.000 experts, sont nommés sur proposition du directeur général de l'agence. Ils participent à la préparation des « avis et délibérations des commissions, l'instruction des différents dossiers inscrits à l'ordre du jour peut être confiée à des rapporteurs extérieurs, experts consultés oralement ou par écrit sur les différents points de l'ordre du jour 27 ( * ) . »

Leur collaboration consiste bien en une activité d'expertise et de conseil puisque la décision finale sur les différents dossiers que traite l'agence relève de son directeur général.

La grande majorité des experts externes sont des médecins hospitaliers ou hospitalo-universitaires, seule une centaine d'entre eux exerçant à titre libéral.

Ce mode de collaboration présuppose la compatibilité entre la qualité professionnelle de l'expert et l'activité d'expertise entreprise pour le compte de l'agence. Or, un décalage peut exister au regard des différences de méthodologie susceptibles d'exister entre les activités scientifiques exercées dans le cadre de la recherche hospitalo-universitaire et les compétences indispensables à l'évaluation d'un dossier pour le compte de l'Afssaps. Cet écart est comblé, semble-t-il, par la coopération entre les experts internes et externes et par l'expérience qu'acquièrent ces derniers au fur et à mesure de leurs vacations pour le compte de l'agence.

La direction de l'agence n'esquive pas ce problème et fait du renforcement de cette coopération entre les experts internes et externes un axe de travail à développer. L'efficacité de cette coopération est indispensable pour assurer une instruction optimale et homogène de l'ensemble des dossiers soumis à expertise.

La question d'une formation à l'expertise délivrée aux intervenants extérieurs mérite néanmoins d'être examinée.

Ces experts externes collaborent avec les équipes de l'agence qui contribuent également à l'analyse des dossiers.

Ce sont donc trois « catégories » d'experts qui prêtent ainsi leur concours à la préparation des décisions de l'agence : les experts internes employés par l'institution, les experts externes membres des commissions et des groupes de travail, et les experts externes intervenant ponctuellement en tant que rapporteurs.

Ce recours à une expertise mixte, au sein de laquelle collaborent une évaluation interne et une évaluation externe, est une spécificité française qui retient maintenant l'attention des agences étrangères notamment après la mise en cause de la qualité de l'expertise interne produite par la Food and Drug administration (FDA) américaine à l'occasion de la crise du Vioxx.

* 27 Afssaps, note au conseil d'administration sur la situation de l'expertise (séance du 8 juillet 2005).

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