B. CONTRÔLER LA MULTIPLICATION DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES

1. Regrouper les AAI intervenant dans des secteurs connexes ?

A observer la multiplication des autorités administratives indépendantes, qui interviennent dans des secteurs parfois très proches, peut surgir la question de leur fusion.

Le législateur a d'ailleurs déjà procédé à de tels regroupements, par exemple au sein de l'Autorité des marchés financiers, qui a opéré la fusion de la Commission des opérations de bourse, du Conseil des marchés financiers et du Conseil de discipline de la gestion financière. Chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître le succès de cette réorganisation.

Serait-il aujourd'hui pertinent de procéder à de nouveaux regroupements ?

M. Jean-Marie Pontier relève que « l'un des problèmes en France est sans doute de savoir, surtout dans la perspective envisageable de « couvrir » de nouveaux domaines par des AAI, s'il ne conviendrait pas de regrouper au moins certaines d'entre elles au sein de sortes de « super-AAI » dont un des mérites au moins serait l'unification inévitable des règles et des procédures applicables. Ainsi l'on a pu constater que, dans certains pays, les fonctions qui sont celles que nous avons attribuées à une AAI particulière, le Défenseur des enfants, étaient assurées par l'équivalent du Médiateur. De même on peut s'interroger sur la multiplication d'autorités dans le domaine de la régulation. La prise en compte de la spécificité de chaque domaine n'implique peut-être pas nécessairement la création, dans chaque cas, d'une AAI . »

Dans l'étude conduite par Mme Marie-Anne Frison-Roche, sont mises en évidence des convergences entre certains AAI, suscitées notamment par l'évolution des techniques. Ainsi, « la convergence en matière de télécommunication et d'audiovisuel rend moins évidente la distinction entre le contenant et le contenu, ce qui remet en discussion la distinction précédente entre l'Autorité de régulation des télécommunications (contenant) et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (contenu). »

Un autre croisement de compétences peut être identifié dans les secteurs bancaire et financier. Ainsi, alors que les établissements bancaires sont aujourd'hui des acteurs essentiels du secteur financier, les compétences respectives de l'Autorité des marchés financiers, de la Commission bancaire et du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement paraissent se recouper.

Mme Marie-Anne Frison-Roche considère d'ailleurs que « s'il y a une fusion envisageable, cela pourrait être à l'intérieur de la régulation bancaire, entre la Commission bancaire et le CECEI, qui ont le même objectif prudentiel, la première en aval, le second en amont, fonction qui serait exercée en continu par une autorité unique de régulation prudentielle bancaire. »

L'intervention croissante des assurances dans le domaine bancaire et financier pourrait même conduire à imaginer la fusion des autorités de contrôle de ces deux secteurs de plus en plus proches (AMF et ACAM).

Par ailleurs, la France a choisi de créer des autorités administratives indépendantes de régulation sectorielles et de maintenir une autorité, le Conseil de la concurrence, chargée de sanctionner les comportements anticoncurrentiels. Or, les premières ont pour mission de « favoriser l'ouverture à la concurrence de secteurs naguère monopolistiques » (Marie-Anne Frison-Roche). La loi organise alors les rapports entre ces autorités -CSA, ARCEP, CRE- et le Conseil de la concurrence 89 ( * ) .

Toutefois, lors de l'ouverture à la concurrence du secteur postal, l'extension des compétences de l'Autorité de régulation des télécommunications a été préférée à la création d'une nouvelle entité, même si, comme le souligne Mme Marie-Anne Frison-Roche, ces deux secteurs obéissent à des logiques différentes.

De même, lors de l'ouverture à la concurrence du marché du gaz, l'extension des compétences de la Commission de régulation de l'électricité parut plus cohérente que la création d'une autorité nouvelle.

Notre collègue M. François-Michel Gonnot, député, rapporteur du projet de loi relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie, avait ainsi estimé que cette extension des compétences de la Commission de régulation de l'électricité « avait le mérite de permettre une certaine optimisation des moyens, sans faire obstacle à la nécessaire prise en compte des spécificités du secteur gazier par une organisation interne adaptée » 90 ( * ) .

Pourtant, le législateur, face à la possibilité de réaliser de nouvelles fusions, a parfois préféré d'autres solutions. L'extension des missions de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) à la réalisation des informations publiques aurait pu constituer une occasion pour le législateur de fusionner cette autorité avec la CNIL.

En effet, le nouvel article 13 de la loi du 17 juillet 1978, issu de l'ordonnance du 6 juin 2005, dispose que toute réutilisation d'informations publiques contenant des données à caractère personnel est soumise aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978. Tout traitement visant à réutiliser de telles données devra par conséquent faire l'objet de formalités préalables auprès de la CNIL.

La CADA devant assurer le contrôle de l'application du principe de liberté de réutilisation des informations publiques, à des fins commerciales ou non, l'exercice de ces nouvelles compétences aurait pu être assuré dans le cadre d'un regroupement avec la CNIL.

L'ordonnance du 6 juin 2005, transposant la directive 2003/98/CE du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des données du secteur public, a cependant maintenu deux AAI distinctes. Néanmoins, afin d'améliorer leur articulation sur ce point d'intersection de leurs compétences, elle a prévu, comme l'a indiqué M. Jean-Pierre Leclerc, président de la CADA, à votre rapporteur, qu'un membre de cette autorité soit une personnalité qualifiée en matière de protection des données personnelles, nommée sur la proposition du président de la CNIL.

Ainsi, le regroupement de certaines AAI peut sembler a priori propice à une organisation plus cohérente des AAI intervenant dans des secteurs connexes.

Toutefois, l'adjonction de nouvelles compétences aux autorités existantes et la mise en place de mécanismes «d'interrégulation » 91 ( * ) constituent également des outils adéquats pour une rationalisation de ces différentes entités.

En effet, comme le montre Mme Marie-Anne Frison-Roche, « l'adjonction d'une nouvelle mission (comme la transformation de l'ART pour devenir l'ARCEP et prendre en charge la régulation postale) est un exercice moins périlleux que la fusion proprement dite, car celle-ci oblige à réconcilier dialectiquement deux cultures, deux corps de professionnels, ce qui est plus difficile que l'embauche et l'ajout ».

Il apparaît donc souhaitable que le législateur, avant d'envisager la création de nouvelles AAI, vérifie si les missions correspondantes ne peuvent être confiées à une autorité préexistante. Evitant ainsi l'atomisation de ces entités, il pourrait favoriser des économies d'échelle et assurer une meilleure identification de chaque autorité.

Recommandation n° 6 :

L'Office considère que le législateur ne doit pas rejeter a priori toute réorganisation du paysage des AAI qu'il a créées. Il estime que l'examen régulier de l'activité de chaque autorité par les organismes parlementaires compétents peut, le cas échéant, faire émerger des possibilités de fusion ou d'absorption de nature à simplifier notre système d'autorités administratives indépendantes, notamment en matière de régulation.

Recommandation n° 7 :

L'Office préconise la réalisation, avant la création de toute nouvelle AAI, d'une évaluation approfondie visant à déterminer si les compétences qui seraient confiées à cette nouvelle entité ne pourraient être assumées par une autorité existante.

* 89 Lorsque le Conseil de la concurrence est saisi, en application de l'article L. 430-5 du code de commerce, de concentrations ou de projets de concentration concernant, directement ou non, un éditeur ou un distributeur de services de radio et de télévision, il recueille l'avis du CSA. Le Conseil de la concurrence communique, à cet effet, au CSA toute saisine relative à telles opérations. Le CSA transmet ses observations au Conseil de la concurrence dans le délai d'un mois suivant la réception de cette communication. En outre, le CSA saisit le Conseil de la concurrence des pratiques anticoncurrentielles dont il a connaissance dans les secteurs de la radio et de la télévision. Cette saisine peut être assortie d'une demande de mesures conservatoires dans les conditions prévues à l'article L. 164-1 du code de commerce. De même, aux termes de l'article L. 5-8 du code des postes et des communications électroniques, le président de l'ARCEP saisit le Conseil de la concurrence des abus de position dominante et des pratiques entravant le libre exercice de la concurrence dont il pourrait avoir connaissance dans le secteur des communications électroniques et dans le secteur postal. Le Conseil de la concurrence communique à l'ARCEP toute saisine entrant dans le champ de compétence de celle-ci et recueille son avis sur les pratiques dont il est saisi dans le secteur des communications électroniques.

* 90 Cf. rapport fait au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie par M. François-Michel Gonnot, Assemblée nationale, n° 400 (26 novembre 2002).

* 91 Cf. les risques de régulation, l'hypothèse de l'interrégulation, Marie-Anne Frison-Roche, dir., Presses de Sciences-Po/Dalloz, coll. Droit et économie de la régulation, tome 3, p. 69-80.

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