C. MERCREDI 4 OCTOBRE 2006

1. Ratification de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales par les États membres du Conseil de l'Europe

L'Assemblée a tenu un débat animé sur la ratification de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales par les États membres du Conseil de l'Europe.

Cette Convention vise à donner des droits spécifiques aux membres des minorités. La Belgique, la Grèce, l'Islande et le Luxembourg ont signé, sans la ratifier, cette Convention. Andorre, la France, Monaco et la Turquie refusent quant à eux de la signer. La conception française en la matière n'est pas d'octroyer des droits supplémentaires aux membres des minorités, mais d'assurer les mêmes droits à chacun des citoyens français sans distinction de race, d'origine ou de religion. Le débat a donc opposé les délégués dont les pays ont ratifié la Convention à ceux pour lesquels ce n'est pas le cas, sans qu'il soit trouvé un terrain d'entente.

M. Bernard Schreiner (Bas-Rhin - UMP) et Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - Soc) se sont exprimés.

M. Bernard Schreiner, député :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, le rapport de notre collègue Boriss Cileviès vise à inciter plusieurs pays, dont la France, qui n'ont ni signé, ni ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales à le faire.

Bien qu'il expose très clairement la position de mon pays, je tiens à vous rappeler les raisons pour lesquelles la France n'envisage pas de signer et de ratifier cette convention. La doctrine française sur les minorités doit être appréciée à partir de deux notions fondamentales dans notre système constitutionnel : d'une part, l'égalité des droits de tous les citoyens, d'autre part, l'unité et l'indivisibilité de la République. Ces deux notions sont reprises dans l'article premier de notre Constitution qui dispose : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ».

Un autre texte à valeur constitutionnelle, la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789, expose ces deux notions en rappelant à l'article premier que : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » et dans son article 3 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. »

Ces deux textes montrent bien que la France ne reconnaît pas la notion de minorité nationale. Elle ne reconnaît que des citoyens jouissant tous des mêmes droits dans le cadre d'une république indivisible. Et cet état de fait juridique est contrôlé par le Conseil constitutionnel qui, comme le rappelle le rapporteur, dans sa décision du 9 mai 1991 relative au statut de la collectivité territoriale de la Corse, a déclaré contraire à la Constitution la mention faite par le législateur de « peuple corse, composante du peuple français ». En effet, il ne saurait y avoir plusieurs peuples au sein d'une République indivisible.

Par ailleurs, selon l'article 54 de la Constitution, un engagement international qui comporterait une clause contraire à la Constitution ne pourrait être signé ou ratifié qu'après la révision de cette dernière. La France ne peut donc, sauf à modifier sa Constitution dans un sens qui serait contraire à toute sa tradition constitutionnelle, ratifier cette convention.

Cependant, mes chers collègues, malgré cette réalité, la France n'a pas à rougir de sa législation dans ce domaine, comme le reconnaît d'ailleurs le rapporteur. Si la France se refuse à reconnaître des droits collectifs et à organiser des politiques de discriminations dites «positives», fondées sur la race, la culture ou la religion, elle a mis en place depuis plusieurs années des textes qui garantissent aux personnes résidant sur le territoire français une égalité effective de leurs droits.

Dès novembre 2001, une législation spécifique a été élaborée afin de lutter contre toute forme de discrimination. L'accent a été porté sur l'accès au travail, au logement et à l'école. Sur le plan éducatif, des zones d'éducation prioritaires ont été créées et l'attribution de bourses au mérite est encouragée. C'est dans ce sens que s'inscrit le plan d'action pour l'égalité des chances, voté en mars dernier.

Une instance particulière, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, créée en décembre 2004, véritable médiateur, est chargée de veiller à l'application de ces textes. Ce dispositif a été renforcé par la loi du 3 février 2003 qui aggrave les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite et xénophobe.

Si la France refuse le communautarisme, elle veille à ce que tous bénéficient des mêmes droits et respecte ainsi la tradition républicaine qui est la sienne depuis 1789. Si elle ne peut juridiquement ratifier la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, elle respecte pleinement les objectifs de ce texte et c'est bien là le plus important. »

Mme Josette Durrieu, sénatrice :

« La France n'a ni signé ni ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. Et pourtant, notre rapporteur convient que notre République s'est dotée, je cite, « d'un arsenal juridique de lutte contre la discrimination sous toutes ses formes». Une loi récente a encore renforcé, sous le contrôle d'une autorité indépendante, la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique. « Quoiqu'il ne corresponde pas du tout à l'esprit de la Convention-cadre, au final, le système français est très protecteur des droits des personnes », reconnaît notre rapporteur au paragraphe 20 de son exposé des motifs.

Notre collègue Cileviès souligne encore, au paragraphe 49, que « force est de constater que tous les États qui ne sont pas partie à la Convention-cadre respectent d'ores et déjà dans leur législation et leur pratique » les principes de cette Convention. Marcel Proust, fin connaisseur de l'âme humaine, a écrit : « tous les quoique sont des parce que ». Ne pourrait-on appliquer ce paradoxe à la situation de mon pays vis-à-vis de la Convention-cadre ?

Certes, nous n'avons pas signé ni ratifié la Convention, mais nous en avons énoncé les principes dès la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789. L'égalité des droits ne s'applique-t-elle pas au bénéfice de chaque citoyen quelle que soit son origine ethnique, à supposer que cette notion puisse avoir un sens juridique, et quelles que soient ses convictions politiques ou ses croyances religieuses ? Je voudrais d'ailleurs nuancer l'affirmation contenue dans le paragraphe 18, selon laquelle la France, république laïque, confinerait l'exercice des croyances religieuses à l'espace privé. La législation française dispose seulement que la République observe et garantit la neutralité des autorités publiques à l'égard de toutes les religions.

Il en découle que la loi votée par le Parlement l'emporte sur les normes fondées sur des prescriptions religieuses. Ainsi, les lois civiles organisant l'égalité de l'homme et de la femme, le mariage, les successions, l'emportent sur des prescriptions religieuses qui autoriseraient la polygamie et l'inégalité dans le consentement au mariage et dans les droits successoraux.

Si la protection des droits des minorités apparaît comme l'alternative à la remise en question des frontières des États à la suite des bouleversements de 1918 et de 1945, peut-on regarder la sacralisation de la notion de minorité comme seule garantie du respect des Droits de l'Homme en Europe ?

C'est que la notion même de minorité ne connaît pas de définition juridique, pas même dans la Convention-cadre. Et cette notion connaît une évolution considérable quand il ne s'agit plus seulement de protéger les populations historiquement distribuées de part et d'autre des frontières européennes, mais bien de faire place aux groupes récemment installés en Europe.

Peut-on encore parler, comme le fait le préambule de la Convention-cadre, de minorités historiques ? La nation française n'est-elle pas en train de reconnaître sa dette à l'égard des soldats des anciennes colonies, qui contribuèrent, au péril de leur vie, à la victoire de 1918 et à la libération de 1945 ? Pourquoi offrir à leurs descendants installés en France des droits particuliers, c'est-à-dire réduits ? Ils ont pleinement la nationalité française au titre du droit du sol où ils sont nés. De plus, la France offre à 150 000 personnes chaque année la plénitude des droits de citoyen par le processus de « naturalisation ».

Enfin, compte tenu de la composition nouvelle des minorités installées sur notre sol, est-il bien opportun de consacrer des droits particuliers derrière lesquels se profilerait un « statut personnel » archaïque et d'ailleurs rejeté par de nombreux individus qui pourraient être revendiqués comme membres par les leaders des communautés d'immigration récente ? Je pense aux femmes, qui feraient un marché désastreux avec la reconnaissance de normes alignées sur des coutumes perpétuant une inégalité d'un autre âge.

Pour ma part, je défendrai le progrès que peut apporter la Convention européenne des Droits de l'Homme à toutes les personnes installées sur le territoire européen, qu'elles aient ou non la citoyenneté d'un de nos États, et que leur origine les relie à telle ou telle communauté d'origine géographique et/ou religieuse particulières.

La caractéristique même de l'Europe, c'est la conciliation entre diversité culturelle et principes d'égalité et d'universalité des droits, garantis tant par nos Constitutions que par la Convention européenne des Droits de l'Homme. »

A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Recommandation (n° 1766) .

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