THÈME DE LA MATINÉE : CE QUI ARRIVERA... QUAND ?

I. PREMIÈRE TABLE RONDE

VERS UNE ACCÉLÉRATION DES EFFETS
DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?

Participants :

• Dr Peter BACKLUND, Director, Research relations, National Center for Atmospheric Research, USA

• Mme Dominique DRON, Professeur à l'Ecole de Mines de Paris,

• M. Jean-Claude DUPLESSY, Directeur de recherche, Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, CNRS

• M. Dominique SANTINI, Directeur général adjoint de GENERALI Assurances

M. Claude SAUNIER -  Je donne tout de suite la parole à l'un de nos éminents invités, Peter BACKLUND, Directeur au Centre national américain de recherche sur le climat.

M. Peter BACKLUND - Merci beaucoup. Je suis enchanté d'être présent parmi vous.

Dans le cadre de ce colloque, on m'a demandé de vous présenter certaines preuves du dérèglement climatique et des évolutions futures afin de vous démontrer qu'il faut absolument gérer ce problème, et ce immédiatement.

Je travaille au Centre de Boulder, Colorado. C'est un institut de recherche universitaire. Nous sommes à l'origine de nombreux programmes afin de mettre en place des outils d'observation, d'explication et de mise en oeuvre.

J'aimerais commencer en évoquant certaines évidences concernant le changement climatique. On le sait parfaitement, certains gaz à effet de serre, le CO 2 , le méthane, etc., piègent la chaleur dans l'atmosphère.

Nous savons également, grâce aux mesures, que la combustion fossile ainsi que la déforestation et autres processus anthropiques augmentent la quantité de CO 2 et d'autres gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Cette teneur a augmenté de plus de 30 % depuis 1750 et l'on s'aperçoit qu'elle a atteint des niveaux inconnus depuis des millions d'années.

La concentration de méthane a augmenté de plus de 150 % depuis 1950 et de plus en plus d'observations et de modèles informatiques illustrent bien les effets du dérèglement climatique qui commence à impacter les écosystèmes marins et terrestres.

La température de la surface a crû de 0,6 degré. D'après les archives émanant des analyses des carottes glacières, cette décennie est probablement l'une des plus chaudes depuis 2 000 ans. Et au cours de ces 10 dernières années, on a enregistré les neuf années les plus chaudes du siècle passé.

Les glaciers au Groenland sont en train de fondre. L'épaisseur de la banquise se réduit dans l'hémisphère nord. Les effets du dérèglement climatique se font sentir tous les jours et au cours des 40 à 50 dernières années, l'évolution s'est accélérée. Je pense qu'on a franchi un seuil.

Nos simulations informatiques montrent que les facteurs naturels ne sont pas seuls en cause. On peut prendre en compte les volcans, la chaleur du soleil mais la seule façon de faire fonctionner la modélisation informatique est de considérer les gaz à effet de serre produits par l'activité humaine.

On observe des modifications dans les routes migratoires des insectes, des oiseaux et une migration des espèces tropicales. Ce dérèglement climatique va se poursuivre au 21 e siècle. Nous avons conduit des simulations pour le GIESC. Les recherches menées dans mon laboratoire montrent que les changements intervenant bientôt seront les plus importants que l'histoire ait connus depuis 10 000 ans.

Il semble que si les concentrations atmosphériques se maintiennent, c'est-à-dire que l'on réduit les émissions de CO 2 , la température mondiale augmentera quand même de 0,4 à 0,6 degré.

Or, les concentrations de CO 2 dans l'atmosphère vont augmenter de 800 PPM, soit plus 3,5 degrés. La montée des océans peut atteindre 20 à 30 cm, cela dépendra de la teneur dans l'atmosphère de gaz à effet de serre. La fonte de la banquise et des glaciers peut exacerber le problème. L'augmentation des précipitations mondiales, des pluies diluviennes, intervient également. Ces phénomènes climatiques vont s'aggraver et perdurer dans de nombreuses régions du monde, d'où un impact énorme sur la société et l'environnement.

L'augmentation des températures mais aussi celle des précipitations aggraveront les risques de sécheresses, d'inondations, de stress hydrique. Cela se vérifie notamment dans les pays en voie de développement.

Cela entraînera, bien sûr, l'apparition de nombreuses maladies et une modification du climat que l'on n'aura jamais vue auparavant (inondations des régions côtières et problèmes agricoles dans de nombreuses régions).

Comme je l'ai dit précédemment, les espèces de faune et de flore risquent de migrer vers le Nord.

Nous avons conduit des expériences de modélisation qui montrent que ce dérèglement climatique va se poursuivre au-delà du 21 e siècle. La montée du niveau des océans, et ce quel que soit le niveau d'émission de CO 2 , va se poursuivre au cours des 300 à 400 années à venir.

Pour éviter ces dérèglements climatiques, les émissions de gaz à effet de serre devront être réduites de manière significative.

Toutes ces données sont issues de nos travaux de modélisation. Lorsque nous nous référons aux observations, nous nous apercevons que notre modèle informatique sous-estime l'ampleur des dégâts.

D'énormes efforts ont été déployés aux États-Unis pour évaluer l'impact de ce dérèglement sur l'environnement et la population. Certaines de ces évolutions affecteront les écosystèmes, notamment les forêts, les terres agricoles. Nombre de ces évolutions qui interviendront vers 2050 concerneront la disparition de certaines espèces de poissons, la truite par exemple. Ces disparitions se produisent déjà à l'heure où nous parlons. Certaines essences d'arbres, notamment de pins, disparaissent en raison du stress hydrique. Il y a eu apparition de nouvelles sortes d'insectes alors que d'autres disparaissent, notamment dans l'état du Nouveau Mexique et au Groenland.

Les observations montrent que la fonte des glaciers est plus rapide que ce que l'on croyait. Bien entendu, cela conduira à une montée du niveau des océans. Un article publié la semaine dernière montre que cette fonte s'accélère et que les glaciers pourraient avoir disparu dans les prochaines décennies.

Enfin, dans le cadre du MIT, nous avons mené une série d'études concernant l'impact du changement climatique sur les ouragans. Un nouveau changement climatique a commencé il y a 30 ou 40 ans. Les ouragans sont de plus en plus fréquents et gagnent en force. Ils sont de plus en plus destructeurs, de catégories 3 ou 4.

Aux États-Unis, un plus grand nombre d'ouragans, issus de l'océan Atlantique, risquent d'entrer dans le Golfe du Mexique.

Ces différentes évolutions, ainsi que je l'ai dit précédemment, sont liées à la combustion des fossiles. L'objectif de cette conférence est d'établir un calendrier. Nous ne disposons que de 30 à 40 ans pour modifier la tendance actuelle. Si nous ne prenons pas les mesures qui s'imposent, nous en ressentirons les conséquences. Merci infiniment.

M. Pierre LAFFITTE - Nous donnons la parole à Mme Dominique DRON, Professeur à l'École des mines de Paris, qui a déjà une longue carrière, malgré son jeune âge, dans le domaine qui nous intéresse.

Mme Dominique DRON - Merci de votre invitation.

Il y a, en effet, beaucoup à dire sur le sujet. Je voudrais cibler deux ou trois exemples.

Le premier : on parle de 0,5 ou 1 degré de plus. On a l'impression que c'est peu. Je voudrais illustrer ce que cela signifie : la canicule de 2003 représente moins de 1 degré de différence en température moyenne de l'année par rapport à l'année la plus chaude qui a précédé et pourtant, prenons le cas des écosystèmes, ceux-ci, tellement stressés, ont perdu l'équivalent de quatre ans de captation du carbone par la végétation européenne.

Alors que, dans les modèles, on considérait que la hausse du CO 2 dans l'atmosphère favoriserait la croissance des arbres, on s'aperçoit que des évènements extrêmes renversent complètement cette prévision.

Autre exemple de la radicalité possible des changements induits par une très petite différence de température touchant la morue de l'Atlantique : la température de cet océan s'est élevée d'un degré en superficie. Cela suffit pour que dans le plancton dont se nourrissent les alevins de morue, l'espèce septentrionale soit remplacée par celle du Sud.

On pourrait penser que cela n'a pas d'importance. Si, l'espèce du Sud est plus petite et moins chargée en lipides mais surtout le bloom, le moment où ses copépodes explosent, est déplacé dans le temps par rapport au bloom des alevins de morue.

Si vous ajoutez à cela que l'eau chaude bouge plus que l'eau froide, les alevins de morue ne parviennent plus à attraper ces copépodes plus petits. Un degré suffit à transformer 80 % des copépodes du Nord en 80 % de copépodes du Sud, d'où un bouleversement de l'écosystème.

Ces deux exemples démontrent que de petits écarts induisent des bouleversements radicaux dans les systèmes biologiques qui se sont ajustés pendant des centaines de millions d'années. Deuxième élément : effectivement, il faudra caler nos actions par rapport à ces modifications de contexte, non seulement en tenant compte d'événements extrêmes -je laisse le représentant du secteur des assurances évoquer cet aspect- mais aussi de l'adaptation aux modifications profondes du contexte, c'est-à-dire une élévation de température, disons, très brutale. On parle d'écarts de température 10 à 100 fois supérieurs à celle dont les écosystèmes ont « l'habitude » depuis plusieurs millions d'années.

Il faut savoir que pour nous les 10 000 dernières années ont été très stables du point de vue climatique. Ces années au cours desquelles la civilisation s'est développée ont été exceptionnellement invariables en termes de climat. Nous entrons là dans ce qui n'a pas de précédent géologique selon certains paléoclimatologues.

Enfin, ce n'est pas forcément ingérable tant qu'on reste dans des limites faibles de modification du changement climatique mais cela a deux conséquences. Ces limites relativement faibles ont rapidement des significations brutales. J'ai pris l'exemple de la morue mais je voudrais vous donner quelques idées au plan global :

- 1 degré de plus qui, en 1990, entraîne la disparition du récif corallien ;

- 2 degrés de plus correspondent à 1,5 milliard de personnes en pénurie d'eau sur le globe et à la perte de 25 à 50 % des espèces vivantes sur la planète selon les régions ;

- 2,5 degrés de plus, c'est la fonte de la calotte du Groenland, donc 5 à 6 m d'eau en plus dans les océans, 2,5 milliards de personnes en pénurie d'eau et la forêt amazonienne totalement remplacée par la savane avec tout ce que cela induit en termes d'équilibre planétaire climatique ;

- 3 degrés correspondent à l'inversion généralisée des flux de carbone végétaux, ceux-ci deviennent en grande majorité des sources de carbone, le sol produit des émanations de gaz à effet de serre (CO 2 et méthane) plus fortes que la captation des végétaux, changement total du puits de la biosphère et 3,5 milliards de personnes en pénurie d'eau.

Le scénario « business as usual » de l'Agence internationale de l'énergie se base sur 1 ou 2 degrés de plus en 2030...

Le pouvoir de captation des océans sera également revu à la baisse...

Je souhaite insister sur un troisième point selon lequel nous aurons à adapter nos systèmes de gestion du territoire au fonctionnement des sociétés et des économies en tentant de l'instaurer autrement que secteur par secteur.

Un exemple : on parle beaucoup de l'utilisation de la biomasse pour l'énergie, certes, mais pas à n'importe quel prix, je parle de prix de carbone.

On se rend compte que si l'utilisation de palmiers à huile pour produire du diesel se solde, comme c'est le cas aujourd'hui, par la déforestation de l'Indonésie ou si l'utilisation de grandes cultures au Brésil aboutit au recul de la forêt amazonienne, le bilan carbone total de l'utilisation de cette biomasse est moins bon que de continuer à mettre de l'essence dans la voiture.

Les sols, en effet, produiront plus de carbone que nous n'en sauverons en remplaçant les carburants fossiles. Il faut donc être attentif à ce que l'on fait « du champ à la roue » quand on essaie de définir des organisations et des nouvelles technologies.

Enfin, dans l'organisation du fonctionnement des sociétés, devra être pris en compte le fait qu'en Europe de l'Ouest nous bénéficions depuis plusieurs siècles d'un climat plutôt sympathique dans lequel les évènements extrêmes sont faibles et où la prévisibilité des conditions météorologiques et climatiques est bonne.

Ce climat bien moins violent que celui de nos voisins d'Outre-Atlantique n'existera plus. Il faut l'admettre. Je n'annonce pas forcément la catastrophe intégrale mais il faut réellement diviser par deux les émissions du monde d'ici à la moitié de ce siècle et donc de quatre à cinq celles des pays industrialisés pour ne pas dépasser de plus de 2 degrés la température moyenne du globe, ce qui signifie chez nous pas plus de 3,5 degrés. On est déjà à plus 5 ou 6 sur l'Arctique.

Cela veut dire que dans les prévisions en termes d'investissements et de frais d'exploitation, deux aspects devront être envisagés :

- viser davantage la robustesse des systèmes et la performance sectorielle parce que, dans les territoires qui seront trop vulnérables aux chocs, les meilleures entreprises ou les procédés les plus fins ne fonctionneront pas, donc la robustesse des cohérences sera nécessaire,

- consacrer plus de moyens qu'avant à la prévention et à la réparation des dommages, c'est la réalité des choses. Cela signifie aussi qu'acteurs publics ou privés, dès lors que seront établies des prévisions budgétaires, tactiques ou stratégiques sur l'adaptation du fonctionnement, il faudra se dire qu'une partie plus importante qu'avant de la capacité de financement devra être consacrée à la réparation et à la prévention des dommages de manière à laisser aux territoires un minimum de robustesse.

M. Pierre LAFFITTE - Merci. Je pense que tout le monde a bien saisi l'importance de ce que représente ce petit degré et ses dangers considérables, y compris dans les migrations de populations massives.

M. Jean-Claude DUPLESSY - Au stade actuel, nous avons déjà entendu énormément d'informations scientifiques, je vais essayer d'amener quelques compléments.

Je veux insister sur le fait qu'il reste un message à diffuser : nous sommes loin d'avoir tout compris sur le climat. Je ne saurais trop faire un plaidoyer pour que l'on renforce les études et les recherches pour la compréhension dans la façon dont le débat évolue. Je ne saurais trop vous en remercier...

Quelques idées très simples quant au fait que la France n'est pas à l'abri du changement climatique : nous avons sur notre territoire des preuves de ce changement très courantes. Le nombre de jours de gel diminue de façon systématique depuis plus de 30 ans. Les températures les plus basses n'existent pas, les températures d'hiver sont en augmentation permanente. De la même façon, les plus hautes sont aussi en train d'augmenter. Les températures de la nuit augmentent plus que celles du jour, c'est simplement l'une des signatures de l'effet de serre, le gaz carbonique intervient fortement au moment où le soleil n'est plus là pour nous réchauffer.

Deuxième point sur lequel insister : nous avons maintenant, en dépit de ce que disent certains détracteurs, de plus en plus de preuves du changement climatique que nous vivons actuellement. D'une part il est assez unique, mais d'autre part il est fortement induit par les activités humaines.

M. BACKLUND a décrit tout ce qu'un laboratoire de modélisation peut faire pour démontrer que l'on a besoin de mettre les gaz à effet de serre et les poussières émises par les activités humaines dans les modèles et de les représenter correctement pour simuler raisonnablement ce qui se passe. Autrement dit, on ne peut éviter de faire appel aux activités humaines pour expliquer le changement climatique.

Nous avons étudié ce qui s'est passé depuis des milliers d'années. Dans la communauté des paléontologues, nous avons observé le caractère absolument unique du changement climatique qui se produit depuis 20 ans. On le connaît grâce aux données météo : pratiquement la totalité de la planète est en train de subir un réchauffement plus ou moins intense selon les endroits.

On a connu d'autres fluctuations climatiques dans le dernier millénaire, par exemple « le petit âge glaciaire », qui correspond à l'époque de Louis XIV à Napoléon III, et une période plus chaude appelée « le climat médiéval ».

Maintenant que l'on est capable de documenter ce millénaire, on s'aperçoit que pendant que cela se réchauffait pendant 10 ou 15 ans sur l'Europe, d'autres parties du globe se refroidissaient.

Les années favorables décrites dans les enregistrements chinois ne correspondent pas à celles favorables en Europe. Cela signifie qu'un changement climatique se manifeste par des oscillations. Trouver une tendance continue et monotone est difficile. Nous y sommes arrivés aujourd'hui : notre cause est différente de celles naturelles pour expliquer cette tendance uniforme sur l'ensemble de la planète.

Ce sont deux points qui, véritablement, nous permettent d'affirmer que les hommes jouent un rôle dans cette situation.

Autre point, au risque de jouer les Cassandre : il y a possibilité de rupture d'équilibre au sein du climat. Ce que nous avons découvert il y a moins de 15 ans maintenant, nous ne l'avons pas réellement exploité. Effectivement, le climat est susceptible de fluctuations extrêmement brutales. On a des exemples de plus de 10 degrés au large de la France en moins de 70 ans. Vous pouviez naître sous le climat du Groenland et finir avec celui de Nice.

Ces ruptures d'équilibre, on en connaît de nombreuses possibilités d'exemple. Je vous en liste trois dont les conséquences sont importantes :

- La possible perturbation de la circulation de l'océan à l'échelle globale génèrera, finalement, une perturbation du flux de chaleur que l'hémisphère Sud fournit à l'hémisphère Nord.

- La fonte possible de la calotte du Groenland, en ce moment en raison du réchauffement encore modeste, s'accélère. Cependant comme il pleut et neige plus sur les hautes altitudes, le bilan s'équilibre plus ou moins. Il y a une certaine compensation mais cette limite remonte au fur et à mesure que la température se réchauffe. Dès lors que le sommet du Groenland sera franchi, la fonte sera initiée définitivement.

- Un autre problème similaire concerne la calotte antarctique de l'Ouest qui déborde sur l'océan. Elle est léchée par les eaux peu profondes de l'océan. Ces eaux se réchauffent, on le mesure en ce moment. Léchée par en dessous, cette langue est déstabilisée, d'où des répercussions très loin à l'intérieur de la calotte glaciaire, ce qui peut la faire fondre.

Groenland d'un côté et Antarctique de l'autre mesurent 6 m chacun, soit 12 m de plus dans le niveau de la mer. Ce sont des phénomènes à seuils. Pour l'instant, nous sommes sûrs que des seuils existent. Si le changement climatique n'est pas trop fort on ne les franchira pas, sinon cela deviendra irréversible.

L'état de la science est le suivant : nous savons que ces seuils existent mais ne savons pas où ils se trouvent.

Je vais conclure sur ce point en indiquant qu'il est indispensable de bien réaliser que nous avons énormément de sujets à comprendre dans le comportement de ce qu'on appelle « le système climatique ».

Sur l'océan, l'atmosphère, les glaces, la végétation, nous avons énormément de recherches à mener et allons au-devant de surprises, certaines très désagréables. Nous devons étudier pour tenter de prévoir la situation et, bien évidemment, il appartient aux hommes politiques de mettre en place une politique énergétique nous garantissant, avant même que nous soyons capables de déterminer précisément ce que sont ces seuils, que nous ne les franchirons pas.

M. Dominique SANTINI - Voilà la position des assureurs nécessairement plus économique puisque basée sur le constat des sinistres déclarés et réglés.

Je crois que tout le monde s'accorde sur certains points : le climat de notre planète se réchauffe inéluctablement. Les causes de ce réchauffement sont à la fois naturelles mais surtout, maintenant, anthropiques. Quoi que l'on fasse pour le réduire, l'effet de l'inertie du climat est tel que nous allons vers un réchauffement prévu pour la fin de ce siècle compris, selon les situations, entre 1,5°C et 5,8°C, selon les climatologues.

Tout cela pour dire que nous avons la quasi-certitude que les effets dommageables des évènements naturels ne pourront aller que s'accentuant.

Quelques chiffres : en 2004 il a été enregistré par les assureurs, sur le plan mondial, 650 catastrophes naturelles pour un coût économique évalué à 120 Mds € en pertes économiques, dont 36 étaient assurés.

L'année passée, pour ne parler que de la situation aux États-Unis, les ouragans Katrina, Rita et Wilma ont coûté de l'ordre d'une centaine de milliards de dollars dont la moitié sera prise en charge par les assureurs et réassureurs.

En France, au cours des 25 dernières années les assureurs ont été confrontés à trois catégories de dommages :

- ceux couverts par le régime obligatoire de solidarité instauré par la loi de 1982 pour couvrir les sinistres consécutifs aux catastrophes naturelles. Il s'agit d'inondations et de sécheresses. Entre 1990 et 2003, ce sont 11 Mds€ indemnisés au titre des catastrophes naturelles, soit une moyenne annuelle de 770 Ms€.

- deuxième catégorie de dommages rencontrés, ceux consécutifs aux tempêtes, à la grêle et au poids de la neige. La garantie tempête est obligatoire depuis 1990 au titre des contrats dommages aux biens. Pour ces trois phénomènes, environ 10 Mds€ ont été indemnisés dont 6,7 Mds€ au titre des tempêtes de 1999, Lothar et Martin. On est encore sur une moyenne de plus 700 M€ à l'année

- Enfin, dommages aux récoltes pris en charge par le régime de calamités agricoles, ce fonds aura réglé, entre 1990 et 2003, 1,8 Md€, soit une moyenne de 130 M€.

Au total, 21 Mds€ auront été réglés au titre des catastrophes naturelles en France sur la période 1990/2003, soit 1,5 Md€ à l'année.

Je ne prends pas en compte les biens non assurés (les voiries, les réseaux, les biens appartenant à l'État) et ne parle pas des assurances de personnes avec la surmortalité consécutive à la canicule de 2003.

Après les constats, les perspectives : essentiellement trois éléments feront l'objet d'une surveillance toute particulière de la part des assureurs dans les années qui viennent parce que, de leur évolution, dépendra le maintien de l'assurabilité des conséquences dommageables du réchauffement climatique.

Le premier élément à surveiller est l'évolution de la fréquence et de l'intensité des catastrophes naturelles. Il faut savoir que les ressources du régime actuel sont de l'ordre de 1,2 Md€. La seule sécheresse de 2003 est évaluée en termes de coût entre 1,2 et 1,5 Md€ actuellement.

On nous prédit que des événements identiques deviendront monnaie courante dans les décennies à venir...

Nous aurons à surveiller l'évolution des enjeux économiques, c'est-à-dire la concentration des richesses dans les zones les plus exposées. L'activité et les concentrations migratoires sont, en effet, essentiellement dans des zones en bordure de littoral ou de fleuve, voire parfois en zone sismique, ce qui accroît le potentiel de dommages économiques et de risques de pertes humaines.

Enfin, et c'est le dernier levier sur lequel nous voulons insister, favoriser les actions de prévention et d'adaptation en relation avec les pouvoirs publics, dont c'est le premier rôle en la matière : État, collectivités territoriales, administrations doivent promouvoir des actions et des dispositifs préventifs.

Sur ce point, j'aurais, au nom des assureurs, trois suggestions fortes à formuler :

- La première concerne les cartes d'aléas pour une meilleure connaissance des expositions et des enjeux. Il faudrait que la France se dote d'une cartographie à la fois nationale, homogène, exhaustive et publique et, en particulier, sur les trois risques majeurs que sont les inondations, la sécheresse et le risque sismique.

- Par ailleurs, trop peu de communes sont dotées de plans de prévention des risques naturels. Il y a beaucoup de prescriptions, il faudrait passer au stade de leur mise en oeuvre. Les prescriptions et mises en oeuvre doivent être accélérées et surtout l'État doit absolument contrôler davantage la pertinence de leur application et leur efficacité.

- Les coûts consécutifs à la sécheresse sur le bâtiment sont énormes. Il convient d'édicter des normes de construction pour les bâtiments à construire à partir d'une certaine date, de manière que ceux situés dans des zones sujettes à l'hydratation et la déshydratation soient construits dans les règles de l'art.

En conclusion, je veux synthétiser de la façon suivante : le réchauffement climatique et son accélération, tels que le constatent les assureurs, pèsent et pèseront plus lourdement sur le coût de nos protections.

Deuxièmement, la couverture des événements naturels est aujourd'hui à la frontière de l'assurabilité. Il faut savoir que les assureurs ne peuvent que mutualiser des risques gérables et évaluables, et encore dans la limite de la solvabilité des marchés. Il en va de même pour les réassureurs qui font appel à leur tour aux marchés financiers pour mutualiser la couverture de sinistres au niveau planétaire. C'est pourquoi l'État doit absolument intervenir en dernier ressort afin d'organiser la solidarité au-delà des capacités des marchés et imposer sans faiblesse les actions de prévention nécessaires à la maîtrise de ce type de risque et au développement durable dont il est fortement question.

M. Pierre LAFFITTE - Je donne la parole à la salle pour qu'elle formule ses remarques.

M. Michel PETIT - J'ai été l'un des représentants de la France dans le groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) pendant 10 ans. Je continue de suivre ses travaux.

Je souscris à tout ce qui a été dit par les scientifiques. J'ajouterai un point important à propos de l'inertie du système climatique. Pour le moment, nos émissions ne cessent de croître année après année. Si on veut les diviser, et c'est ce qu'il faut faire, par un facteur 2 à l'échelle mondiale d'ici 2050, il faut absolument que ces émissions se réduisent.

Entre le moment où le pic des émissions sera atteint et celui où on verra la courbe de la concentration des gaz à effet de serre commencer à diminuer, il s'écoulera plusieurs décennies et encore plus avant que la température elle-même ne se stabilise.

Nous ne devons pas penser attendre de voir que les catastrophes se produisent sinon nous condamnons toutes les générations à venir à subir un réchauffement climatique très largement supérieur à celui qui nous a enfin décidés à agir.

Autre point sur lequel je souhaite insister de nouveau : on parle souvent de réchauffement global parce que c'est une valeur commode. Plusieurs de mes collègues ont déjà mentionné le fait que par exemple, dans l'Antarctique, le réchauffement correspond à trois fois le réchauffement climatique moyen présent. Se posent des problèmes de fond de permafrost, de terre gelée en permanence, tout à fait dramatiques dans ces pays.

M. Ghislain de MARSILY , Professeur à l'université Pierre et Marie Curie et membre de l'Académie des Sciences.

Je formulerai deux remarques inspirées de ce que j'ai entendu et d'un rapport de l'Académie des Sciences, « Rapport pour la Science et la Technologie », qui paraîtra en septembre s'adressant aux problèmes de l'eau. Nous avons regardé les conséquences que peut avoir le changement climatique sur les ressources en eau et sur l'alimentation des personnes. Ce qui a été dit par les orateurs, en particulier Mme DRON, est tout à fait exact.

Quand on parle du climat, il ne faut pas oublier l'importance extrême de la démographie. Nous allons passer d'ici 2050 de 6 et quelques milliards d'êtres humains à 9. Le point sur lequel nous avons insisté dans notre rapport était de dire que pour nourrir ces 9 milliards de personnes il n'y a pas d'alternative à mettre en culture un milliard d'hectares de plus. Où se trouve-t-il ? Eventuellement en Afrique et en Amérique du Sud.

Madame DRON, vous avez parlé de la déforestation de l'Amazonie, elle est inévitable pour nourrir 9 milliards de personnes. Les effets cités de sources de carbone au lieu de puits de carbone de la végétation doivent être impérativement pris en compte.

Il n'est pas utile de vouloir faire de l'énergie avec la biomasse, il faudra aggraver encore plus que cela ne l'est l'utilisation de l'espace et le puits de carbone. C'est extrêmement important et personnellement je doute que la planète soit capable en 2050 de subir à la fois le contrecoup de l'effet climatique et de nourrir 9 milliards de personnes. Nous allons droit dans le mur.

Je reviens sur la biomasse. Une conférence a eu lieu il y a une dizaine de jours sur le thème : « Peut-on nourrir 9 milliards de personnes et produire de l'énergie par le biais de la biomasse ? » La réponse est sensiblement non. On peut en faire un peu. Quoi qu'il en soit, les besoins alimentaires vont interdire de généraliser la biomasse comme ressource alternative à la production d'énergie.

Mon dernier point n'a rien à voir mais il est très important. Comme l'ont dit MM. DUPLESSY et  BACKLUND, pour comprendre l'évolution des climats il faut avoir des données nombreuses et fiables sur l'évolution des paramètres climatiques et en particulier -je suis hydrologue- des débits des fleuves, des précipitations, etc.

Actuellement, le monde entier se trouve dans une phase dramatique de réduction, pratiquement d'un facteur 10 à 100, de la disponibilité de ces données. Ceci pour deux raisons, d'abord dans les pays en voie de développement, du fait des difficultés économiques, ces informations ne sont plus récoltées mais, plus grave, dans les pays en développement, les contraintes économiques font que ces données confidentielles sont vendues.

Les chercheurs n'ont donc plus accès aux débits des grands fleuves pour savoir s'il y a de façon mesurable évolution dans les débits. Cela peut être facilement réparé au niveau de la France et de l'ONF. Aussi une mesure doit être prise pour que les chercheurs, peut-être avec trois mois de délai, mais au plus tard dans l'année qui vient, disposent de ces données climatiques.

M. ELGHOZI , auditeur - Bonjour.

J'apprécie, Messieurs SAUNIER et LAFFITTE, que vous ayez établi ce rapport extrêmement important pour que le public prenne conscience des effets néfastes de la pollution.

Deux remarques : le cyclone Katrina a été évoqué à plusieurs reprises. Des effets aggravants en termes de dégât sont aussi liés à l'absence de décision politique concrète puisque les habitants de La Nouvelle-Orléans réclamaient depuis plus de 50 ans que les digues, extrêmement anciennes et non adaptées aux cyclones, soient refaites.

Le cyclone Katrina n'est pas le premier à survenir à La Nouvelle-Orléans mais le septième, de mémoire. Il fait, en effet, partie des trois plus graves qu'a subis cette ville.

Les habitants de La Nouvelle-Orléans avaient réclamé au Congrès américain des budgets pour refaire ces digues. Leur rupture, puisque cette ville est en dessous du niveau de la mer, vous l'avez compris, a particulièrement aggravé les dégâts.

Par ailleurs, je m'intéresse à l'environnement depuis plusieurs années. J'habite la banlieue lyonnaise. J'ai constaté que les capteurs de pollution dans notre pays, avancé au plan technologique, ne sont pas disponibles dans toutes les villes de France et les mesures de polluants sont sélectives. On a l'habitude de dire que l'on trouve ce que l'on cherche et, naturellement, on ne trouve pas ce que l'on ne cherche pas... Je pense aux particules, aux dérivés benzéniques, à différents types de polluants dont certains sont connus pour leurs vertus péjorativement cancérogènes. Il est donc important que les pouvoirs politiques prennent des décisions sérieuses et pas seulement sur les mesures de ces polluants.

Pour la région lyonnaise, il existe un réseau, COPARLY, dont les décisions se bornent à des recommandations de limiter l'effort physique, la sortie des femmes enceintes, des enfants et des personnes âgées. Cela fait sourire dans le sens que l'accumulation de ces toxiques aériens a probablement un effet néfaste sur le long terme pour la santé humaine. Aucune étude claire sur le sujet de l'impact n'a été délivrée.

Que la France soit en avance sur son attitude responsable quant aux effets néfastes de l'accroissement de gaz à effet de serre et de réchauffement de la planète n'est pas ce qui m'ennuie, mais plutôt de savoir quels sont les moyens dont dispose notre pays pour proposer des incitations sérieuses de réduction aux pays les plus producteurs de polluants et de gaz à effet de serre. Je pense à l'Inde et plus particulièrement à la Chine.

L'Europe dispose-t-elle de moyens politico-économiques suffisants pour inciter ces pays à réduire leur pollution ? Si la France accomplit tous les efforts possibles, cela ne suffira pas pour un impact mondial.

Enfin le droit de polluer s'achète. En effet, certains pays ont la possibilité de payer des taxes pour leur permettre de dépasser le quota de pollution.

En conclusion, quelles incitations concrètes proposez-vous ? Peut-être cela apparaît-il dans votre rapport auquel je n'ai pas eu accès.

M. Pierre LAFFITTE - Nos conclusions conduisent à ce que les pays qui ne s'adonneraient pas aux mêmes vertus puissent y être contraints en changeant les règles de l'Organisation mondiale du commerce. Ce sera vu dans d'autres tables rondes.

Mme Annie BARBIER - Je travaille au CRDT de Paris. Je suis responsable du site : « Education à l'environnement pour un développement durable » de l'académie de Paris.

Je vous remercie de vos propositions mais suis atterrée de nous voir aussi peu nombreux dans une salle particulièrement éclairée et une climatisation aussi poussée...

Quand va-t-on se décider à agir autrement ? J'agis de même mais je fais part néanmoins de mon étonnement.

Mme Dominique DRON - A propos de l'utilisation d'espaces pour la nourriture, etc. il est vraiment temps d'examiner les questions agricoles autrement que d'une façon monobloc comme jusqu'à présent.

Un exemple : on trouve en Californie des développements de méthodes d'agriculture complètement biologique qui s'appellent « biologiques intensifs » qui permettent de nourrir des personnes avec cinq fois moins d'espace, 20 fois moins d'énergie et 10 fois moins d'eau.

Ce n'est pas pour rien qu'aux États-Unis des programmes de recherche sont lancés sur la manière donc fonctionnent les écosystèmes naturels comme les grandes prairies. L'idée est de savoir comment un écosystème peut produire constamment autant de biomasses sans intrant.

J'ajoute que la pression sur l'espace vient du fait qu'il faut nourrir les personnes mais aussi, si l'on veut que la planète et les écosystèmes, nos supports de vie, passent la transition climatique, nous sommes obligés d'aménager des territoires et la planète de manière à préserver des corridors de migrations biologiques et des espaces dans lesquels la pression sur les écosystèmes est atténuée au maximum. C'est de leur biodiversité que viendra la plasticité d'adaptation à ce choc très rude qui nous attend de l'ensemble des écosystèmes de la planète.

Il faut produire de l'énergie, loger des personnes et les nourrir mais prévoir la ceinture de sécurité biologique d'adaptation à ce changement climatique. Cela ne fait pas partie des idées spontanées dans notre beau pays.

M. Claude SAUNIER - M. BACKLUND peut-il préciser le point de vue des chercheurs et des difficultés de dialogue entre eux et les responsables politiques aux États-Unis actuellement ?

Au moment où nous étions en mission aux États-Unis, il y avait de bonnes et de mauvaises nouvelles. Au titre des mauvaises, comme certains gouvernements, celui américain restreignait les crédits notamment destinés aux chercheurs. Le grand centre de recherche en matière d'agronomie de la banlieue de Washington, dans lequel nous étions, venait d'apprendre qu'il lui faudrait supprimer la moitié de ses effectifs sur des programmes d'ailleurs relativement modestes.

Simultanément, trois jours après le discours sur l'état de l'Union, le Président BUSH indiquait sa volonté d'orienter les États-Unis vers davantage d'autonomie énergétique. Ce qui a d'ailleurs donné lieu à plusieurs types d'interprétations.

Parmi les bonnes nouvelles, il y avait celle de la prise de position de 80 églises évangélistes qui demandaient au gouvernement américain de prendre des mesures pour laisser la planète dans l'état dans lequel il l'avait trouvée.

C'est une opinion publique partagée, dont une des difficultés nous a été exprimée par les chercheurs. Nous avons passé trois-quarts d'heure avec le Pr. CHU, Directeur du Lawrence Livermore National Laboratory à Berkeley, prix Nobel. Il a témoigné de ses difficultés à convaincre de la pertinence de ses analyses les responsables politiques mais aussi l'opinion américaine dont on voit qu'elle aura du mal à changer radicalement de mode de développement, d'ailleurs fondamentalement assez semblable au nôtre, avec quelques excès : 5 % de la population mondiale et 25 % de la production CO 2 .

M. Pierre LAFFITTE - Il a même ajouté être prêt personnellement, et la majorité des scientifiques américains aussi, à s'associer à une espèce de fédération mondiale des bonnes volontés en vue du changement radical de perception et d'aider à la transition énergétique. C'est une réponse partielle.

Mme Dominique DRON - Ce sont des questions de diplomatie climatique.

Prenons le cas de pays différents : la Chine, l'Inde et les États-Unis. Les premiers ont bien compris que le mode de vie américain, c'est-à-dire, grosso modo , une consommation énergétique double, par point de PIB, à la consommation européenne, n'était pas raisonnable. Ce sont des pays à zones très densément peuplées, des pays en développement. Même si cela va très vite, ils ont besoin d'assurer les besoins de base de beaucoup de personnes.

Notamment pour tenir la stabilité politique des mégapoles, l'exode rural est massif en Chine, ils doivent assurer le plus possible l'alimentation en eau et énergie. L'efficacité énergétique est encore plus vitale pour eux que pour nous. Ils ne peuvent s'offrir un excès de production énergétique par rapport à leur population. Même s'ils sont très riches, cela ne tient pas.

La préoccupation de l'efficacité énergétique est cruciale pour eux, d'autant que la Chine, comme l'Inde, sont très touchées par les effets du changement climatique. Regardez, la désertification en Chine va vite et la sécheresse en Inde pose vraiment de graves problèmes. On ne peut dire qu'ils ne soient pas sensibilisés. Leur difficulté est de trouver un équilibre entre ce qu'il faut de développement pour faire tenir le pays et la préoccupation des Chinois et des Indiens, plus profondément ancrés dans leur culture, de la nécessité de relations harmonieuses avec la nature.

Maintenant il faudra les aider ; cela veut certainement dire des transferts conséquents pour qu'ils puissent bénéficier des organisations et des meilleures technologies, au moins pour ce qui concerne le bâtiment et le transport. La manière dont chaque pays joue ses avantages, c'est la vie.

S'agissant des États-Unis, j'aimerais que notre collègue américain donne son avis. Ayant participé aux négociations climatiques, j'ai eu l'impression, pendant un bon moment, que le gouvernement américain avait le sentiment qu'il pouvait rejouer le coup du protocole de Montréal, à savoir nier la gravité de la situation jusqu'à, en mettant suffisamment d'argent, proposer l'équivalent des HFC du protocole de Montréal pour le CO 2 .

Mes interlocuteurs semblaient penser que ces progrès technologiques arriveraient vite, en moins de 10 ans. Il semble qu'ils aient un peu changé d'avis, si j'en crois le coordonnateur américain, et surtout les États-Unis sont grands et la politique du gouvernement fédéral n'est pas celle des États dont un bon tiers est actif.

M. Peter BACKLUND - Concernant la position du gouvernement américain dans les négociations, je ne fais pas partie du gouvernement, j'étais dans le précédent, je ne suis donc pas qualifié pour répondre.

A propos de la liberté des scientifiques et des chercheurs aux États-Unis, certaines agences qui financent la recherche découragent les scientifiques de s'exprimer mais ceux-ci se rebellent. Une évolution importante est intervenue au niveau des agences qui essayaient de contrôler la liberté de la « presse scientifique ». C'est là une avancée très positive dans la communauté scientifique américaine qui, de manière globale, est de plus en plus militante.

Les scientifiques aux États-Unis parlent plus de la nécessité de lutter contre l'effet de serre de manière agressive. Des enquêtes sont menées. Les discussions budgétaires sont difficiles. Bien entendu, l'attribution des financements pose problème mais les scientifiques présentent leurs arguments afin d'éclairer le travail des politiques.

Je pense qu'enfin cet effort sera couronné de succès et que le financement de la recherche va s'améliorer. Par exemple, la recherche concernant les océans et l'atmosphère reçoit de plus en plus de financements. Je suis relativement optimiste concernant la communauté scientifique aux États-Unis.

Ce pays a un système politique relativement complexe. Le gouvernement fédéral n'a pas fait beaucoup sur le sujet au cours de ces sept années mais, au niveau local des États, de plus en plus d'efforts sont déployés. Dans ma petite ville de Boulder, le gouvernement local a décidé de faire cavalier seul et de respecter le protocole de Kyoto. Nous avons mis en place des normes très draconiennes concernant les énergies renouvelables. Un certain pourcentage de l'énergie doit provenir de sources renouvelables dans les 10 à 15 ans à venir. Ce sont des évolutions positives.

De manière globale, aux États-Unis, il est vrai que la recherche en matière d'énergie ne reçoit pas suffisamment de financements. Beaucoup de travail est nécessaire dans ce domaine. Il nous faut examiner le potentiel que représentent la biomasse et l'efficacité énergétique, comment ces différentes notions s'imbriquent et le financement n'est pas à la hauteur des besoins.

Il s'agit là d'un potentiel de recherche énorme qui permettrait de mettre au point de nouvelles méthodes ou technologies qui, ensuite, pourraient faire l'objet d'un transfert.

En Inde et en Chine, vous avez raison, je pense que la Chine dépassera bientôt les États-Unis en termes de production de gaz à effet de serre mais, dans ces pays, une grande majorité de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, aussi le développement prend-il le pas dans la lutte contre l'effet de serre. Ces deux éléments ne sont pas incompatibles. Une politique doit conjuguer les deux et les États-Unis, ainsi que les autres pays, doivent aider la Chine et l'Inde dans ce domaine.

M. Pierre LAFFITTE - Je passe la parole à M. SANTINI pour qu'il nous fasse part de ses remarques concernant notamment l'assurabilité. Quand les risques ne seront-ils plus assurables ? C'est inquiétant.

M. Dominique SANTINI - Le mécanisme actuel d'assurance des catastrophes naturelles en France repose sur une association, un partenariat entre les assureurs du marché traditionnel et la Caisse centrale de réassurance, l'État, celle-ci venant en limite supérieure jusqu'à l'illimité en complément des garanties qui peuvent être offertes par les marchés traditionnels.

Si je prends l'exemple, par similitude, de ce qui existe sur le marché du terrorisme, un pool a été constitué pour trouver une solution à la couverture des actes de terrorisme. Je me réfère donc aux capacités qui ont pu être trouvées sur le marché mondial, elles sont de l'ordre de 2 Mds€. Vous voyez qu'en matière de catastrophes naturelles, l'encaissement total du marché est de 1,2 Md€, la capacité à en supporter beaucoup plus se situe entre 1,5 et 2 milliards.

M. Pierre LAFFITTE - Si on les dépasse ?

M. Dominique SANTINI - C'est l'État qui vient au-delà des couvertures des assureurs.

M. Pierre LAFFITTE - Et si Bercy dit non ?

M. Dominique SANTINI - Je ne sais pas ce qui se passera.

M. Pierre LAFFITTE - C'est ce qui se produira. Les finances de l'État ne sont pas illimitées. La planche à billets n'existe plus.

M. Dominique SANTINI - Certes, mais on tombe dans un problème très politique de discussions, précisément entre les fédérations des assureurs et l'État, de savoir jusqu'où on peut à la fois, imposer la garantie obligatoire et la couverture des catastrophes naturelles et/ou du terrorisme. Il y obligation légale d'assurer et, simultanément, ne pas offrir aux citoyens la couverture en illimité de la garantie de l'État et demander finalement aux capitaux privés d'être les seuls à supporter cette couverture.

En fait, les limites actuelles de capacité sur le marché mondial sont de l'ordre de 2 Mds€. On voit les difficultés à faire appel à des ressources financières venant d'autres pays, la réassurance étant mondiale. Les principaux réassureurs mondiaux suisses et allemands n'ont pas envie de répondre à l'obligation légale de réassurance française.

M. Pierre LAFFITTE - Nous avions une réunion franco-allemande, à Sophia Antipolis, dans laquelle un grand réassureur international nous a fait part de ses énormes inquiétudes en apprenant que le nombre de catastrophes naturelles avait été multiplié par 10 depuis 15 ans.

M. Dominique SANTINI - Une solution - c'est une piste que nous creusons au sein du Comité européen des assurances, placé au niveau de la Communauté européenne, au-delà des garanties des États - consisterait à constituer un fonds de compensation, c'est encore un embryon.

Il y aurait lieu de creuser l'idée d'une solidarité européenne pour la couverture des catastrophes naturelles en empilages successifs par rapport aux couvertures offertes d'abord par le marché privé, ensuite par les États locaux et par une couverture transnationale qui permettrait de mieux équilibrer, entre les pays, la nature des catastrophes et leur situation géographique.

M. Pierre LAFFITTE - On en arrive à une organisation mondiale.

Mme Dominique DRON - Cela veut bien dire que de nouveau nous ne pouvons plus considérer ce qu'il est possible de faire en termes de choix de dépenses à l'aune de nos réflexes précédents. Il est clair que s'il faut plus dépenser à un endroit, il le faut moins ailleurs et éviter que les dépenses soient trop exposées à des risques. Je pense à tout ce qui est infrastructures.

M. Pierre LAFFITTE - La conclusion, si je cite notre rapport, est indiscutablement le début d'un changement de société sans lequel nous allons droit dans le mur de toute façon.

Il faut que cela se fasse et plus tôt nous le préparerons, mieux nous serons armés à moins subir les dégâts correspondants. Notre préoccupation est de savoir si nous avons le temps de réagir pour un changement de mix énergétique. C'est une transition vers la nouvelle table ronde que Claude va piloter, en direction d'une nouvelle forme qui demandera de l'énergie, une volonté politique continue et de l'argent.

M. François ANDRÉ - Je suis hydroélectricien et j'habite la Haute-Normandie qui compte six réacteurs nucléaires et une centrale thermique. La production s'élève à environ 50 milliards de KW électriques et on « recrache » dans la mer 100 milliards de KW thermiques, d'où une élévation de la température de l'eau et des changements parmi les poissons.

Au niveau mondial, quel est l'impact de la production d'électricité sur le changement climatique au niveau thermique ?

M. Pierre LAFFITTE - Actuellement la production d'électricité représente 40 % des émissions de CO 2 mondiales. Les effets de ce gaz sont infiniment plus importants que la production thermique et les rejets des centrales nucléaires.

M. Michel PETIT - En fait, le soleil envoie sur la terre 10 000 fois la consommation énergétique mondiale. Par conséquent, toutes les pollutions thermiques que vous évoquez sont complètement négligeables par rapport au phénomène d'absorption du rayonnement solaire et celui infrarouge qui doit équilibrer ce rayonnement solaire pour que la planète reste à une température donnée.

Tous ces problèmes de pollution thermique sont négligeables.

M. Pierre LAFFITTE - Cela peut avoir des effets ponctuels.

M. Michel PETIT - A l'échelle mondiale, des microclimats peuvent y être associés mais ce n'est pas là qu'est le problème.

Mme Dominique DRON - En revanche, en termes de rendement énergétique ce n'est pas terrible ! On peut faire mieux que perdre les deux tiers !

M. Claude SAUNIER - Nous remercions les parties prenantes.

Fin de la table ronde à 11 h 20.

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