2. La nécessaire consécration juridique des groupes de sociétés

Les groupes de sociétés sont une réalité économique de plus en plus fréquente, mais leur reconnaissance juridique n'est que partielle . Cela est particulièrement vrai en droit des sociétés, qui définit les notions de filiale 358 ( * ) , de participation 359 ( * ) , de contrôle (conjoint ou exclusif, direct ou indirect) et d'influence notable au regard des comptes sociaux 360 ( * ) ou consolidés 361 ( * ) , mais ne prévoit aucune définition ni régime de l'entité susceptible de cristalliser des relations stratégiques, commerciales, fiscales, comptables et financières entre diverses sociétés.

Le droit fiscal paraît plus avancé puisqu'il comporte un régime spécifique pour les groupes intégrés (cf. supra ), établit une distinction entre les titres de placement (considérés comme « spéculatifs ») et les titres de participation (qui relèvent davantage d'une stratégie de long terme), et fait explicitement référence, dans le régime de lutte contre la sous-capitalisation de l'article 212 du code général des impôts, à une notion de groupe 362 ( * ) . Le contenu comme la portée de cette définition du groupe sont intéressants en ce qu'ils se situent à mi-chemin du droit fiscal et du droit des sociétés et illustrent la cohérence économique et juridique du groupe 363 ( * ) , justifiant des dispositions particulières au regard de la lutte contre la sous-capitalisation.

La jurisprudence témoigne d'une appréciation contrastée de l'intérêt de groupe . Le Conseil d'Etat, en matière fiscale et plus particulièrement au regard de la théorie prétorienne de l'acte anormal de gestion, s'est jusqu'à présent refusé à reconnaître l'existence d'un intérêt de groupe 364 ( * ) liant les sociétés d'un groupe fiscalement intégré, et porte une appréciation moins souple que pour les relations entre mère et filiales 365 ( * ) . En revanche, la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un important arrêt de 1985 366 ( * ) , a donné une définition juridique du groupe et a accepté que les concours financiers apportés par les dirigeants d'une société à une autre soient justifiés par l'intérêt du groupe.

Le régime optionnel de contrôle renforcé en droit allemand

La législation allemande - et en particulier le titre III de la loi du 6 septembre 1965 relative aux sociétés par actions, consacré aux sociétés économiquement liées - établit une distinction entre les groupes à structure contractuelle , dans lesquels un contrat d'entreprise lie la société dominée à celle dominante, et les groupes de fait , caractérisés par la domination économique d'une société sur une autre, notamment par la détention d'une participation majoritaire.

Dans un groupe de fait, les sociétés dominées doivent établir un rapport de dépendance, vérifié par des commissaires aux comptes, qui rend compte de toutes les relations juridiques avec la société dominante. Il s'agit d'une formalité lourde destinée à inciter les groupes de fait à devenir des groupes de droit.

Le régime juridique des groupes de droit est marqué par l'organisation du contrôle de la société mère et par la protection des créanciers et actionnaires minoritaires. La domination de la société mère est organisée par le contrat d'entreprise, qui permet une consolidation des bénéfices et la compensation intra-groupe des profits et pertes. Cette intégration fiscale s'accompagne d'un pouvoir de contrôle étendu sur la société dominée, qui contribue à légaliser des opérations contraire à l'intérêt social de cette dernière, dès lors que ces opérations servent les intérêts de la société contrôlante ou d'autres sociétés soeurs du groupe.

La contrepartie réside dans la protection des créanciers et des actionnaires minoritaires. La protection des créanciers résulte de la consolidation des résultats. La loi prévoit également que lorsque prend fin la situation de domination, la société contrôlée doit retrouver l'équilibre économique qui était le sien avant son appartenance au groupe. Un mécanisme de réserve légale , de 10 % du capital social, permet de limiter le transfert des bénéfices de la filiale à la société contrôlante.

La protection des actionnaires minoritaires, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas adopté le contrat d'entreprise, se traduit par la compensation du préjudice résultant de sa conclusion, selon trois modalités possibles :

- le rachat de leurs actions à un prix équitable (procédure analogue au droit de rachat du droit français) ;

- l'échange de leurs actions contre des actions de la société dominante ;

- ou l'attribution d'un dividende prioritaire, indépendamment du résultat de l'exercice.

Source : rapport au Premier ministre sur la modernisation du droit des sociétés, M. Philippe Marini, 1996

Il reste que le groupe trouve sa dynamique dans la répartition concertée et contrôlée des activités, et donc des risques, des sociétés qui le composent. Les sociétés ne décident plus de leur gestion en fonction de leur seul intérêt social, mais un nouveau centre de décision donne naissance à de nouvelles relations, influencées par une stratégie commune. La reconnaissance de l'intérêt de groupe n'implique pas la dissolution des intérêts sociaux individuels, mais doit permettre de présumer la normalité des opérations intra-groupe et de la circulation des actifs.

La mission commune d'information plaide donc en faveur de la mise en place d'un droit des groupes, d'essence contractuelle mais organisé et encadré par la loi, qui pourrait s'inspirer du régime allemand de l'« Organschaft » (cf. encadré ci-dessous). Un tel régime optionnel, supposant la mise en place d'une convention de contrôle et le transfert de certaines obligations et responsabilités à la société contrôlante, permettrait de consacrer une réelle cohérence entre le droit commercial et le droit fiscal (en particulier les régimes du bénéfice mondial consolidé et de l'intégration fiscale).

* 358 Article L. 233-1 du code de commerce.

* 359 Article L. 233-2 du code de commerce.

* 360 Article L. 233-3 du code de commerce.

* 361 Article L. 233-16 du code de commerce.

* 362 Entendue comme « l'ensemble des entreprises françaises ou étrangères placées sous le contrôle exclusif d'une même société ou personne morale, au sens du II de l'article L. 233-16 du code de commerce ».

* 363 Dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2006, M. Philippe Marini, rapporteur général, considérait ainsi que le nouveau régime de lutte contre la sous-capitalisation tendait « à privilégier opportunément la logique de groupe intégré par rapport à celle de l'individualisation des situations de sous-capitalisation », et représentait « un pas important vers l'émergence d'un véritable droit des groupes ».

* 364 Refus renouvelé dans un arrêt « Société SEEE » du 28 avril 2006.

* 365 S'agissant notamment des abandons de créances et de la déductibilité des aides apportées à une filiale en difficulté.

* 366 Arrêt Rozenblum du 4 février 1985. L'existence d'un groupe résulte de la constatation « d'un lien logique minimal, en vue de la réalisation, selon une stratégie bien définie au préalable, d'un objectif économique commun, profitable à l'ensemble et par là-même à chacun de ses éléments mis dans une structure juridique, financière et économique suffisamment précise et apparente pour faire ressortir une véritable entité ».

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