(2) Les éléments constitutifs de la nationalité des entreprises, une alchimie complexe

A l'occasion de son audition par la mission commune d'information, M. Henri de Castries 78 ( * ) a développé une comparaison saisissante entre la nationalité des entreprises et la Grande Armée napoléonienne, « avec toutes les limites que cela comporte ; en effet, quelle était sa nationalité, celle de son chef, un mélange des troupes qui la composaient ? Quand elle est entrée en Russie, les Français étaient en minorité. »

De fait, la détermination de la nationalité des entreprises se présente comme une opération singulièrement délicate, qui relève de l' approche multicritère du faisceau d'indices . Dans une contribution significativement intitulée « L'entreprise cosmopolite n'existe pas 79 ( * ) », M. Jean-Michel Charpin s'est ainsi efforcé de circonscrire les « cinq dimensions principales [qui] permettent d'appréhender les liens d'une entreprise avec un pays particulier ». A ce titre, il passe en revue :

- la dimension financière (l'origine des détenteurs du capital) ;

- la dimension territoriale (en distinguant la notion de localisation, « qui traduit la répartition géographique effective des activités d'une entreprise », de celle d'ancrage, « qui répond à une interaction dense entre l'entreprise et le territoire, composante de son identité et de sa compétitivité ») ;

- la dimension scientifique et technique (en décrivant sa nature ambivalente, à la fois internationale, du fait des nouvelles technologies de l'information et de la communication ainsi que de la mobilité des chercheurs, et centralisatrice, compte tenu de l'importance des effets d'agglomération propres à la recherche) ;

- la dimension culturelle (en envisageant la culture d'entreprise comme liée à une culture nationale) ;

- la dimension institutionnelle (les spécificités nationales de l'environnement socio-juridique dans lequel évolue l'entreprise).

Lors de son audition précitée, M. Jean-Michel Charpin a jugé « assez miraculeux » qu'il soit possible d'identifier aisément la nationalité de la quasi-totalité des entreprises, dans la mesure où, « dans la plupart des cas, on ne saurait pas trop expliciter le critère qui détermine ce type de classements » : « la détermination de la nationalité d'un groupe [semble] aller de soi dans la plupart des cas, alors même qu'il serait relativement complexe d'expliciter la liste des critères utilisés pour déterminer cette nationalité et l'importance qu'on attache à chacun d'entre eux ».

Cependant, chacune des personnalités auditionnées par la mission commune d'information, toutes interrogées sur le sujet, ont présenté les critères qui, d'après elles, permettaient de déterminer la nationalité d'une entreprise. Les réponses ont pu fluctuer mais, de l'ensemble, deux indicateurs se détachent nettement comme fondamentaux :

- d'une part, la nationalité des dirigeants ;

- d'autre part, « la réalité de l'implantation territoriale », pour employer une formule de M. Gérard Mestrallet 80 ( * ) .

Selon ce dernier, « une entreprise française est une entité dirigée par des Français en majorité, qui a ses centres de décision principaux en France, et qui n'a pas que sa tête dans ce pays ».

De même, pour M. Jean Peyrelevade 81 ( * ) , « la nationalité d'une entreprise [...] est celle de son centre de décision, c'est-à-dire de son état-major. Cela peut être distinct de la nationalité juridique. Pour savoir de quelle nationalité est une entreprise enregistrée au Luxembourg ou en Hollande, il faut se demander où se situe son siège central et qui sont ses dirigeants. Avec ce critère, on s'aperçoit qu'il y a, en général, peu d'hésitation sur la nationalité des entreprises : il existe peu d'entreprises dont la nationalité, avec ce critère, ne soit pas clairement affirmée. »

Le critère de la détention du capital semble plus discutable. Certes, lorsqu'il entreprend d'énumérer « les éléments de nationalité [selon lui] les plus importants, allant du plus pertinent au moins pertinent », M. Christian Streiff, président-directeur général de PSA Peugeot-Citroën 82 ( * ) , cite tout d'abord « la structure du capital. Je pense que cette structure, qui peut évoluer très rapidement dans certains groupes dont le capital est entièrement flottant, reste un critère absolument fondamental », précise-t-il.

Le Président, M. Alain Juillet, Haut responsable chargé de l'intelligence économique au Secrétariat général de la défense nationale 83 ( * ) ,, juge « totalement erronée » une appréciation de la nationalité des entreprises fondée sur celle de l'actionnariat : il fait observer que « 47 % des entreprises du CAC 40 considérées comme des entreprises françaises sont composées en majorité par des capitaux étrangers ». On a par ailleurs signalé, plus haut, la faible influence sur la gestion des firmes que paraissait comporter la nationalité de l'actionnariat.

M. Christian Streiff, au demeurant, en mentionnant les autres aspects, à ses yeux déterminants, de la nationalité des entreprises, outre la composition nationale des équipes dirigeantes, a visé « les endroits où se crée le coeur de la valeur ajoutée de l'entreprise pour l'avenir, c'est-à-dire là où se trouvent son savoir et ses connaissances », tandis que M. Gérard Mestrallet a estimé que « le maillage d'un territoire donné, la présence très forte auprès des pouvoirs publics, dans un environnement juridique et financier de proximité avec lequel il existe une symbiose culturelle, est très important et participe de la nationalité d'une entreprise ».

C'est que, dès lors qu'on cherche à affiner les critères de la nationalité d'une grande entreprise, on en revient rapidement au constat, formulé par M. Jean-Michel Charpin, suivant lequel « il est nettement plus difficile d'arriver à déterminer la nationalité d'une entreprise en épluchant des critères donnés qu'en effectuant des sondages qui seront parfaitement convergents ».

* 78 Audition du 19 octobre 2006.

* 79 Contribution écrite aux IV es Rencontres économiques d'Aix-en-Provence organisées par Le Cercle des économistes, « L'entreprise européenne dans la compétition mondiale », 9-11 juillet 2004.

* 80 Audition précitée du 19 octobre 2006.

* 81 Audition précitée du 20 septembre 2006.

* 82 Audition du 8 février 2007.

* 83 Audition du 21 septembre 2006.

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