B. ORGANISER LA DÉFENSE ÉCONOMIQUE OPÉRATIONNELLE DES TERRITOIRES

La politique récente de pôles de compétitivité est doublement importante : elle renforce les réservoirs de compétences disponibles qui constituent un élément clé de la compétitivité à long terme ; elle crée un réseau d'écosystèmes qui, tout en stimulant la circulation des connaissances et donc leur développement, favorise cette notion essentielle qu'est la résilience 298 ( * ) , c'est-à-dire la capacité à absorber les chocs externes.

La transposition aux territoires, au sens économique du terme, d'une notion initialement conçue par les psychologues pour les individus a le mérite d'insister sur la dimension psychologique de la concurrence : tout comme l'individu, un pays, un territoire a besoin d'avoir confiance en lui pour anticiper, réagir et en tout cas cicatriser d'éventuelles blessures économiques .

Cette capacité à rebondir suppose de l'adaptabilité et de la souplesse. C'est cette adaptabilité que la mission d'information a constatée lorsqu'elle s'est rendue dans trois pays nordiques pour y observer la façon dont ils ont surmonté les crises et se sont adaptés à la mondialisation. Ces trois pays, la Finlande, la Suède et le Danemark, bien plus petits que la France, ont tous un horizon mondial ; chacun d'entre eux a su se remettre en cause après une crise d'adaptation de son modèle économique et social ; tous ont réussi à s'ouvrir sur le monde tout en conservant leur culture nationale et même en en faisant un élément de compétitivité.

1. La flexibilité du travail et la sécurisation des parcours professionnels, conditions de l'absorption des chocs externes

Le thème de la flexibilité du travail en France a été évoqué par plusieurs dirigeants auditionnés.

M. Denis Ranque a ainsi effectué un lien entre l'absence de flexibilité du travail et la localisation des centres de recherche : « Après nos atouts, j'aborderai nos faiblesses. A ce titre, il est important de ne pas nous handicaper. Je ne citerai donc qu'un seul des nombreux sujets présents dans la litanie récurrente des handicaps qu'entraîne une localisation en France : la flexibilité du travail. Qu'il s'agisse d'experts ou de recherche et développement, il apparaît aujourd'hui impossible d'exercer ces activités au premier plan mondial dans un contexte national qui conduit à une flexibilité minimale des effectifs. Si je devais citer une priorité défensive, c'est sur ce terrain que je la placerais . Après tout, dès lors que notre économie se spécialise dans les emplois à plus haute technicité et à plus haute valeur ajoutée, ce ne sont pas tant les niveaux des salaires qui m'inquiètent, ni le niveau des charges, mais bien l'absence de flexibilité. »

M. Henri de Castries a abordé le même sujet du point de vue de l'attractivité globale du territoire français plus que de celui de la localisation des centres de décision en déclarant : « Je pense que l'on a très sensiblement régressé du point de vue de l'attractivité, car notre culture est totalement décalée, ce qui est totalement distinct du fait que les entreprises françaises ont spectaculairement bien réussi leur mondialisation. Les 35 heures, l'ISF, les prélèvements fiscaux et sociaux par exemple, sont simplement inexplicables aux personnes qui à l'étranger sont chargées de prendre les décisions des délocalisations . Aujourd'hui, je dirais que Paris ne figure même plus sur la liste en Europe. »

Pour M. Franck Riboud, au contraire, « les lois sociales françaises ne constituent pas un frein à l'attractivité de la France. Je parle d'expérience car je connais bien les difficultés posées dans le cadre des restructurations. »

De leur côté, les représentants syndicaux auditionnés par votre rapporteur ont écarté l'hypothèse d'un dumping social et rejeté l'idée que le droit français du travail puisse être un handicap à la localisation des activités en France.

Pour l'essentiel, il convient de distinguer en la matière la protection de l'emploi et la durée du travail, qui influencent la localisation des centres de décision de façon vraisemblablement modérée, compte tenu de la spécificité des emplois concernés.

a) La protection de l'emploi : rigidités et souplesses

De nombreuses études ont confirmé ces dernières années l'existence en France d'un clivage sensible entre le régime assez contraignant pour les employeurs du contrat à durée indéterminé (CDI), et le régime plus souple du contrat à durée déterminée (CDD) et d'autres formes de travail précaire.

La rupture du CDI à l'initiative de l'employeur a lieu dans des conditions fort encadrées et relativement coûteuses 299 ( * ) .

Au-delà de cet épisode emblématique qu'est la jurisprudence sur le contrat « nouvelle embauche », la rupture du CDI reste assez étroitement encadrée par la loi et la jurisprudence. De façon générale, la procédure de licenciement a été conçue pour donner aux intéressés le temps de se préparer à un nouvel emploi (préavis, congé de reclassement) et pour garantir que les alternatives au licenciement ont été convenablement prises en compte.

Par ailleurs, si le coût direct du licenciement, fixé par la loi, est relativement faible puisque les indemnité légales représentent 2 mois de salaire pour 10 ans d'ancienneté et 8 mois de salaire pour 30 ans d'ancienneté, le coût moyen réel d'un licenciement a été estimé entre 5 à 7 mois de salaire moyen compte tenu du coût des congés de reclassement pour les entreprises importantes, des montants d'indemnité fixés dans les conventions collectives et des fréquents frais de justice.

La montée en puissance des contrats à durée déterminée (CDD) et du travail en intérim, qui représentent plus de 75 % des embauches, tempère-t-elle ce que le régime du CDI pourrait avoir de dissuasif pour la localisation en France des centres de recherche, pour reprendre l'exemple évoqué par M. Denis Ranque ?

Le recours au CDD est assez étroitement encadré, même si la liste des cas autorisés a été progressivement allongée. Actuellement, la loi admet l'embauche en CDD pour favoriser le retour à l'emploi des salariés âgés, pour le remplacement d'un salarié de l'entreprise quel que soit le motif de l'absence ou de la suspension du contrat de travail (à l'exception de la grève), pour le remplacement d'un salarié en CDI dont le départ définitif est accompagné de la suspension de son poste, pour faire face à un accroissement temporaire d'activité, dans les cas d'activité saisonnière, dans le cadre du contrat de professionnalisation ou du contrat initiative-emploi, ou en cas d'usage ancien (cette hypothèse couvre une vaste gamme d'activités, de l'exploitation forestière à la recherche scientifique dans le cadre d'une convention internationale).

On constate que les variations conjoncturelles d'activité généralement invoquées à l'appui des propositions d'assouplissement du régime juridique du contrat de travail ne correspondent pas nécessairement à ces cas de figure. Par ailleurs, l'indemnité de licenciement s'élève dans le cas du CDD à 10 % du salaire total perçu pendant la durée du contrat. Ce pourcentage est bien supérieur à celui des indemnités de licenciement à payer à un salarié sous CDI. Enfin, les CDD ne peuvent généralement pas être renouvelés et leur durée totale ne peut excéder 24 mois. Si le salarié poursuit sa mission dans l'entreprise au-delà de cette durée, le CDD doit être transformé en CDI. Quel que soit son succès auprès des employeurs, le CDD n'est donc pas le facteur de flexibilité que certains dirigeants appellent de leurs voeux.

L'émergence d'un contrat de travail unique , comme mise en oeuvre de l'un des principaux engagements présidentiels, est sans doute l'orientation qui permettra de surmonter toutes ces contradictions , mais les négociations à venir sur le sujet s'annoncent longues et complexes, et leur aboutissement demeure peu prévisible.

* 298 En écologie, la résilience est la capacité d'un écosystème ou d'une espèce à récupérer un fonctionnement et/ ou un développement normal après avoir subi un traumatisme ; en psychologie, la résilience est un phénomène psychologique consistant à prendre acte de son traumatisme pour ne plus vivre dans la dépression.

* 299 Le licenciement doit en effet être explicitement justifié par une « cause réelle et sérieuse », sous réserve du cas particulier du contrat « nouvelles embauches » (CNE) créé par l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005. Il convient de noter que la tendance au renforcement sur le long terme de la protection du CDI, sensible depuis le transfert à l'entreprise en 1973 de la charge de la preuve de la justification d'un licenciement, a culminé avec la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, dont le Conseil constitutionnel a annulé l'article 107, modifiant le régime du licenciement pour motif économique, en considérant que « le cumul des contraintes que cette définition fait ainsi peser sur la gestion de l'entreprise a pour effet de ne permettre à l'entreprise de licencier que si sa pérennité est en cause ; qu'en édictant ces dispositions, le législateur a porté à la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l'objectif poursuivi du maintien de l'emploi ».

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