III. UNE ÉLECTRICITÉ DURABLEMENT PLUS CHÈRE ?

Ces développements consacrés à la production de l'électricité seraient incomplets si étaient omises les problématiques liées à son prix de vente, partie intégrante de la sécurité d'approvisionnement. La compétitivité des prix de l'électricité constitue en effet l'un des trois grands objectifs de la politique communautaire de l'énergie et doit donc être conciliée avec ses deux autres piliers. Surtout, la mise à disposition aux consommateurs de l'électricité dont ils ont besoin, à tout instant et en tout point du territoire, ne peut faire l'économie d'une analyse portant sur le niveau du prix qu'il leur est demandé de payer.

Au sein de l'Union européenne, la France jouit d'un avantage incontestable résultant de choix structurants opérés par le passé . D'une part, le parc nucléaire national, fruit d'investissements massifs réalisés dans les années 1970 et 1980, offre aux consommateurs une électricité à des coûts raisonnables, bien moins élevés que dans d'autres pays européens. D'autre part, la France dispose d'un système spécifique - les tarifs réglementés - donnant à la puissance publique le pouvoir de fixer le niveau du prix de vente de ce bien stratégique, en application de règles déterminées par la loi. Or, l'existence de ce mécanisme n'est pas le fruit du hasard mais procède bel et bien d'un choix politique délibéré de la puissance publique qui a considéré que la détermination du prix de l'électricité, partie intégrante du service public de l'électricité, ne devait pas être laissée aux seules forces du marché .

Ces deux éléments d'équilibre ont permis à la fois de développer et d'entretenir un parc de production bien dimensionné aux besoins des consommateurs français, de garantir aux ménages une électricité à un prix stable et déconnecté des fluctuations des cours des hydrocarbures et d'assurer le maintien et l'expansion sur notre territoire d'industries fortement consommatrices d'énergie.

Avec la libéralisation du secteur de l'électricité et l'unification progressive des différents marchés européens, le système tarifaire français voit cependant ses fondements remis en cause par la Commission européenne. Celle-ci estime que l'existence de tels systèmes administrés dans différents pays de l'UE constitue un frein au développement de la concurrence et maintient des prix artificiellement bas par rapport à ceux fixés sur les marchés, qui résultent d'une stricte confrontation de l'offre et de la demande. Elle considère par ailleurs que les tarifs ne permettent pas aux prix de jouer leur rôle de signal d'investissements et d'inciter les opérateurs à développer de nouvelles capacités de production.

Ces considérations ont donc conduit la Commission européenne à ouvrir deux enquêtes à l'encontre de la France : l'une sur le fondement des règles relatives aux aides d'Etat portant sur les tarifs dont bénéficient les clients professionnels ainsi que sur le tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (TaRTAM) 197 ( * ) ; l'autre sur le fondement d'une procédure en manquement pour mauvaise transposition des directives électricité et gaz par laquelle la Commission critique la non-conformité à ces dernières du système tarifaire dans son ensemble.

Votre mission d'information juge qu'il y a incontestablement un lien direct entre le niveau des prix de vente de l'électricité et la sécurité d'approvisionnement : un système qui ne permettrait de rémunérer un parc qu'à son coût d'exploitation, faisant bénéficier les générations présentes d'investissements effectués par les générations passées au détriment des générations futures, ne garantirait pas cette sécurité sur le long terme . Pour autant, faut-il que la fixation des prix de l'électricité échappe à tout contrôle public et que son niveau soit déterminé, comme pour tout autre bien, exclusivement par une confrontation entre l'offre et la demande ?

La réponse à cette question nécessite d'abord d'analyser les caractéristiques intrinsèques de ce bien particulier qu'est l'électricité et de se demander s'il se prête à une unification de son prix dans le cadre d'un marché unique européen. Puis, elle suppose d'étudier le fonctionnement des marchés de l'électricité en Europe et d'examiner si le prix qu'ils fixent reflète la réalité des coûts. Enfin, l'électricité étant pour beaucoup un bien de première nécessité, vos rapporteurs se demandent si la nécessaire protection des consommateurs, notamment particuliers, ne commande pas de les protéger des vicissitudes des marchés.

A. FAUT-IL UN PRIX UNIQUE DE L'ÉLECTRICITÉ EN EUROPE ?

1. Les positions initiales de la Commission européenne

La Commission européenne, confortée par les conclusions des Conseils européens et des conseils de l'Union européenne 198 ( * ) , souligne régulièrement dans tous ses documents que la libéralisation du marché de l'électricité constitue la meilleure voie pour construire un secteur de l'énergie compétitif fonctionnant dans l'intérêt des consommateurs. Dans le prolongement de l'Acte unique européen de 1987, elle a ainsi engagé la constitution d'un marché unique de l'électricité ne se résumant pas à la juxtaposition des différents marchés intérieurs. Convaincue que les seules vertus du marché seront suffisantes pour faire aboutir ce projet, elle en conclut logiquement que les prix de l'électricité ont vocation à converger au fur et à mesure des progrès réalisés par l'unification du marché intérieur européen .

Dès son premier rapport sur l'état d'avancement du marché intérieur de l'électricité et du gaz de novembre 2005, la Commission européenne, tout en relevant que les prix de l'électricité étaient plus bas que dix ans auparavant, déplorait leur absence de convergence au sein de l'UE, voyant même une corrélation entre le manque d'interconnexions et les différences de prix. Considérant l'absence de convergence comme la marque d'une intégration trop faible des marchés, elle estimait que l'introduction de la concurrence serait de nature à faire baisser les prix de l'électricité en Europe.

Dans ce même document, la Commission soulignait que « lorsque les échanges sont faciles dans un marché intégré, la concurrence tend à uniformiser les prix dans toute l'UE, ou au moins entre Etats membres ou régions adjacents. Tel n'est pas le cas pour l'électricité ou le gaz. Les différences de prix de l'électricité pour les clients industriels dans l'UE, par exemple, peuvent dépasser 100 % ». Elle notait cependant que « les prix de gros ont commencé à converger dans certains pays voisins ».

Au regard des évolutions du marché de l'électricité en Europe depuis dix-huit mois, il semblerait néanmoins que ces prévisions de la Commission européenne aient été trop optimistes.

* 197 Voir les développements consacrés à ce dispositif page 103.

* 198 Conclusions du Conseil européen de Lisbonne, 23 et 24 mars 2000 - Conclusions du Conseil européen de Barcelone, 15 et 16 mars 2002 - Accord politique du conseil de l'Union européenne « Transports, télécommunications et énergie » du 25 novembre 2002.

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