B. LA FORMATION INITIALE : LE PASSAGE PAR UNE ÉCOLE DIFFÉRENTE POUR LES MAGISTRATS DU SIÈGE ET DU PARQUET
La formation initiale est assurée par :
- l' Ecole judiciaire ( la Escuela judicial ), située à Barcelone, pour les magistrats du siège. Chargée non seulement du recrutement et de la formation initiale des magistrats mais également de leur formation continue, elle relève du Conseil général du pouvoir judiciaire ;
- le Centre des études juridiques ( el Centro de estudios juridicos ), école de formation des juges du parquet, localisé à Madrid.
Ces deux écoles sont séparées depuis environ dix ans.
1. Une formation initiale des magistrats du siège exigeante, très proche du modèle français de l'ENM
Le programme de formation de l'école judiciaire est élaboré chaque année par une commission pédagogique 144 ( * ) , sur proposition du chef des études, qui le transmet ensuite, éventuellement modifié, au « consejo rector » de l'école. Enfin, l'assemblée plénière du Conseil général du pouvoir judiciaire examine, modifie éventuellement puis approuve définitivement le programme annuel de formation.
D'une durée de vingt-quatre mois , la formation initiale se compose, pour la première année, de cours théoriques et pratiques , et, pour la seconde année, de stages dans différentes juridictions (pénale, civile, administrative...), les élèves ayant alors la qualité de juge-adjoint.
Les élèves magistrats effectuent également deux stages de quinze jours, l'un dans un parquet et l'autre dans un cabinet d'avocats, afin de connaître l'activité professionnelle de ces partenaires essentiels des magistrats du siège.
Calendrier de la formation initiale des magistrats du
siège
Exemple de la promotion 2006
Janv. |
Févr. |
Mars |
Avril |
Mai |
Juin |
Juillet |
Août |
Sept. |
Oct. |
Nov. |
Déc. |
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2006 |
Première année : |
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2007 |
formation initiale (Barcelone) |
(1) |
Seconde année : |
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2008 |
stage juridictionnel |
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(1) stages dans un parquet et au sein d'un cabinet d'avocat (15 jours chacun). |
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Source : Ecole judiciaire |
Comme la responsable du service du recrutement et de la formation initiale des magistrats du siège, Mme Espinosa Conde, l'a présenté lors de son entretien avec la mission, la scolarité prévue au cours de la première année de formation -équivalente à quarante semaines- a pour objectifs de :
- compléter les connaissances théoriques acquises à l'université et lors de la préparation du concours d'entrée ;
- favoriser la perception et l'identification des problèmes juridiques rencontrés ;
- approfondir les connaissances des élèves sur la réalité sociale qui entoure les conflits juridiques ;
- améliorer la connaissance qu'ils ont des techniques nécessaires pour prendre des décisions de justice prudentes ;
- apprendre à motiver les décisions juridiques ;
- présenter l'espace judiciaire européen.
Il s'agit donc de compléter les connaissances théoriques, déjà importantes, des élèves magistrats par des connaissances plus pratiques et des mises en situation leur permettant de se préparer à l'exercice de leurs futures fonctions. Une méthodologie rigoureuse leur est ainsi inculquée afin qu'ils puissent comprendre le litige qui leur est présenté puis le résoudre en toute équité.
Ces cours comprennent des conférences ainsi que des études de cas. Sont abordés, d'une part, le droit constitutionnel et communautaire 145 ( * ) , la première instance et l'instruction et, d'autre part, l'organisation judiciaire, la comptabilité et la médecine légale.
Les élèves magistrats doivent ainsi étudier sept cas chaque semaine (trois en droit civil, trois en droit pénal et un en droit constitutionnel et communautaire).
D'autres cours sont également organisés suivant différents thèmes . Ainsi, en matière civile , des enseignements sont par exemple prévus sur l'établissement de la preuve, la médiation ou la coopération internationale. En droit pénal, un cours spécifique est notamment prévu sur la coopération internationale ainsi que sur les violences conjugales et la criminologie. D'un point de vue plus généraliste, des cours d'informatique et de langues sont proposés, de même que des enseignements sur des sujets aussi divers que « le droit et la société », « les médias et la justice » ou la discrimination sexuelle.
En outre, des simulations de jugement sont organisées, au cours desquelles les élèves magistrats jouent successivement le rôle de juge du siège, de procureur, de greffier, de l'avocat, de l'accusé et de la victime.
Enfin, des séminaires sont également ouverts aux élèves magistrats, ces derniers devant en choisir deux parmi les vingt-deux proposés -par exemple : la protection du mineur, l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice, le droit et le cinéma.
La responsable du service du recrutement et de la formation initiale des magistrats du siège, Mme Espinosa Conde, responsable du service du recrutement et de la formation initiale des magistrats du siège, a indiqué qu'à partir de la prochaine promotion, trois semaines de la scolarité seraient consacrées à l' expression orale .
Le stage en juridiction permet quant à lui de mettre réellement en pratique toutes les connaissances préalablement acquises, auprès de magistrats en exercice. Il doit permettre aux élèves magistrats d'être confrontés à la réalité de leurs futures fonctions. Ils sont appelés à prendre eux-mêmes des décisions judiciaires, sous la responsabilité de leur tuteur.
Mme Espinosa Conde, a ainsi considéré que ce stage permettait aux élèves d'« automatiser leurs réponses ».
Les six premiers mois se déroulent auprès d'un juge civil et les six derniers auprès d'un juge pénal, au sein de la même juridiction.
Les magistrats tuteurs chargés de les accueillir en juridiction -un tuteur par élève- bénéficient d'un encadrement par l'école, certaines règles leur étant enseignées afin de mieux guider les élèves dans leur apprentissage et de les évaluer. En outre, l'école dispose de « coordinateurs territoriaux » dans chaque communauté autonome dans laquelle des élèves magistrats sont reçus en stage, qui rappellent les magistrats délégués à la formation français, désignés dans chaque cour d'appel. Mme Mercedes Caso Señal, professeur responsable des stages à l'école judiciaire, a ainsi expliqué que l'objectif recherché était d'obtenir un apprentissage et une évaluation homogènes des élèves par leurs tuteurs. Des réunions sont également organisées, afin d'établir des critères communs d'évaluation entre les tuteurs.
Mme Mercedes Caso Señal a indiqué à la mission d'information que les notes de stages étaient assez proches.
Les futurs magistrats doivent fréquemment informer l'école de leurs activités -par courrier électronique-, envoyer tous leurs travaux et enfin rédiger un mémoire.
Au cours de la première année de formation, les futurs magistrats effectuent également différents stages d'une semaine chacun, dans un centre pénitentiaire, auprès des services de police ainsi que d'un service de médecine légale. Ils se déplacent également à Bruxelles et à Luxembourg afin de découvrir les institutions européennes.
Le corps enseignant se compose de sept professeurs permanents -un en droit constitutionnel, trois pour les cours sur la première instance et trois pour les cours sur l'instruction-, neuf professeurs associés et plus de 650 professeurs, tuteurs et collaborateurs.
Mme Espinosa Conde a expliqué à la délégation que les enseignants permanents de l'école étaient recrutés sur concours sur titres et épreuves, pour deux ans renouvelables pour un an, essentiellement parmi les magistrats en exercice, les professeurs d'université et les hauts fonctionnaires de l'Etat.
Les autres enseignants sont choisis discrétionnairement par l'école.
S'agissant de l'année de stage en juridiction, les élèves magistrats sont placés auprès d'un tuteur, juge de première instance ou juge d'instruction. Ils doivent s'exercer à la pratique concrète de leurs futures fonctions.
Pendant leur formation, les élèves magistrats ont la qualité de fonctionnaire et bénéficient d'une rémunération.
Les élèves sont évalués tout au long de leur formation, tant par leurs professeurs dans le cadre de leurs cours que par leur tuteur à l'issue de leur stage. Ils sont également évalués durant trois semaines, réparties au long de leur formation et consistant à résoudre des cas pratiques.
Leur note de classement à l'issue de leur formation tient compte, dans la même proportion, des notes obtenues au cours de la formation ainsi que des résultats au concours d'entrée.
D'après les informations fournies à vos rapporteurs lors du déplacement à l'école judiciaire, seuls trois auditeurs n'ont pu réussir la formation depuis la création de l'école, l'un d'entre eux ayant manifesté d'importantes difficultés psychologiques ne garantissant pas qu'il puisse exercer ses fonctions.
A partir de cette évaluation, un classement de sortie est établi. En fonction de ce dernier, les élèves magistrats choisissent leur futur poste et y sont nommés.
Toutefois, les jeunes juges ne peuvent accéder, pour leur première affectation, qu'à un poste de juge ( juez ) -et non de magistrat ( magistrado ) 146 ( * ) . Ils sont ainsi susceptibles d'exercer des fonctions de juge d'instruction ou de juge de première instance dans les plus petits tribunaux espagnols, juridictions de première instance à juge unique chargées à la fois des affaires pénales et civiles.
Ils n' accèdent ensuite au statut de magistrat qu'au terme de quatre à huit ans de fonction en tant que juge .
* 144 La commission pédagogique de l'école judiciaire est composée de juges représentants les syndicats de la magistrature espagnole.
* 145 L'enseignement porte en particulier sur le rôle du juge en cas d'exception d'inconstitutionnalité de la loi soulevée au cours d'une procédure, sur la question préjudicielle devant la Cour de justice des communautés européennes ainsi que sur les droits et libertés fondamentales.
* 146 Voir en annexe 6 la note sur le contexte judiciaire espagnol. Les « magistrados » président les « juzgados de lo penal », équivalent aux tribunaux correctionnels en France.