3. Un préalable : arrêter l'hémorragie des préretraites

Le sujet de l'emploi des seniors représente la clef de voûte de la réforme des retraites de 2003. Or, on ne peut que constater que les comportements individuels et collectifs n'ont pas changé dans le monde du travail .

Loin de remonter, le taux d'emploi des seniors a au mieux stagné au cours des quatre dernières années et même peut-être diminué. Ce premier bilan d'étape débouche sur un constat d'échec provisoire nécessitant une action volontariste des pouvoirs publics. Ces derniers se trouvent en effet confrontés à un problème de cohérence : comment convaincre l'opinion publique de la nécessité de poursuivre le relèvement de l'âge de la retraite, si les salariés du secteur privé continuent à cesser dans les faits toute activité professionnelle dès l'âge de cinquante-sept ans en moyenne ?

a) Jusqu'ici, la politique de promotion de l'emploi des seniors a échoué

Le constat est bien connu : la France fait figure depuis longtemps en Europe occidentale de lanterne rouge en matière d'emploi des seniors. L'âge moyen de retrait du marché du travail y est le plus précoce : cinquante-sept ans et demi, plus de deux ans inférieurs à la moyenne de l'Union européenne (cinquante-neuf ans et onze mois), plus de trois ans à l'Allemagne (soixante ans et onze mois) et plus de cinq ans à la Suède (soixante-trois ans).

Pourtant, à de rares exceptions près, rien ou presque n'a changé dans le monde du travail. Bon nombre de responsables d'entreprise et de directeurs des ressources humaines ont continué de recourir systématiquement aux « mesures d'âge », notamment dans certaines branches de l'industrie comme l'automobile. Le consensus inavouable , entre les employeurs, les salariés et les syndicats, en faveur des départs précoces entre cinquante-cinq et soixante ans est en réalité plus fort que jamais. Pourtant, l'ensemble des acteurs institutionnels ne peut manquer de savoir qu'à moyen terme, ce réflexe de pure facilité porte gravement préjudice à l'équilibre de l'assurance vieillesse. Dans le contexte financier actuel, il est vraisemblable que le point de rupture n'est plus très loin .

b) Le « robinet » des préretraites reste en réalité grand ouvert

La loi du 21 août 2003 présente l'immense mérite d'avoir pour la première fois engagé une inflexion sensible de la politique publique en matière de cessation précoce d'activité. Mais les possibilités de contourner l'objectif consistant à repousser l'âge de départ en retraite des assurés demeurent très nombreuses : préretraites publiques ou d'entreprise, dispense de recherche d'activité des chômeurs âgés et départs précoces dans la fonction publique.

De fait, aujourd'hui, plus de 60 % des personnes appartenant aux classes d'âge proches de la retraite font partie de l'une des catégories suivantes :

- les bénéficiaires des préretraites publiques ;

- les préretraités au titre de l'indemnisation des victimes de l'amiante ;

- les bénéficiaires des préretraites d'entreprise ;

- les chômeurs dispensés de recherche d'emploi ;

- les invalides de plus de cinquante-cinq ans.

L'observation des vingt dernières années prouve d'ailleurs que les mécanismes de cessation d'activité se sont succédé au fil du temps. Les tentatives des pouvoirs publics visant à les restreindre aboutissent à des résultats le plus souvent partiels et ambigus. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a bien placé en extinction la mise à la retraite d'office avant soixante-cinq ans, mais elle a créé parallèlement un « départ négocié en commun » (entre l'employeur et le salarié) pour en compenser les effets.

Enfin, à ces nombreux dispositifs s'ajoutent les effets de la mesure des longues carrières. Au total, jamais sans doute l'âge de cessation d'activité des salariés français du secteur privé ne sera aussi bas qu'en 2007 . Dans ces conditions, il n'est guère surprenant que le plan national d'action concertée pour l'emploi des seniors lancé en juin 2006 par le précédent gouvernement n'ait donné aucun résultat positif statistiquement mesurable.

c) Vers une nouvelle exception française à haut risque pour l'assurance vieillesse : l'issue des négociations sur la pénibilité

La loi du 21 août 2003 a invité les partenaires sociaux à engager, dans un délai de trois ans, « une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité » . Ces négociations ont commencé le 23 février 2005 avant de s'enliser et d'accumuler d'importants retards. Elles semblaient d'ailleurs définitivement dans l'impasse avant de connaître un rebond aussi spectaculaire qu'inattendu au printemps 2007.

A première vue, l'idée de compenser la pénibilité des carrières professionnelles par un avancement de l'âge de la retraite semble être une initiative de bon sens autant qu'une mesure de justice sociale. Cette noble idée pose pourtant de redoutables problèmes techniques de mise en oeuvre ainsi que le soulignait un rapport remis au conseil d'orientation des retraites en avril 2003 39 ( * ) . Une définition trop large de la pénibilité serait susceptible de servir d'alibi à de nouveaux dispositifs de cessation précoce d'activité.

D'ailleurs, il convient de souligner que les régimes juridiques de l'invalidité, des longues carrières et de l'indemnisation de l'amiante reposent déjà implicitement sur la notion de pénibilité. Parallèlement, de nombreux régimes du secteur public comportent également depuis longtemps des dispositions explicites en ce sens, à commencer par les « catégories actives » des régimes spéciaux et du code des pensions 40 ( * ) - qui concernent environ 35 % des fonctionnaires liquidant leur pension entre cinquante et cinquante-cinq ans. A la RATP, les personnes placées en catégories actives représentent même plus de 90 % des effectifs du personnel. Les finances du régime général ne résisteraient évidemment pas à la transposition de semblables dispositions. En définitive, compte tenu de l'ampleur démesurée des multiples dispositifs de préretraite déjà en place, sans doute conviendrait-il de se livrer à un inventaire de l'existant avant de créer une mesure « pénibilité » supplémentaire.

Sauf à faire preuve d'un sens de la responsabilité sans faille, la prise en compte de la pénibilité à l'initiative des partenaires sociaux, si elle voit finalement le jour, risque en réalité d'être utilisée comme une substitution à d'autres formes de préretraite.

La pénibilité constitue manifestement une spécificité française : aucun autre pays européen n'a songé à mettre en oeuvre pareil dispositif sur un plan national. Les rapports consacrés aux systèmes sociaux allemand et suédois par la Mecss l'ont montré. En Suède 41 ( * ) , notamment, les responsables de l'assurance vieillesse ont unanimement fait part de leur refus de principe de la prise en compte de la pénibilité, mettant en avant trois arguments principaux :

- l'idée que des métiers autrefois pénibles ne le sont plus aujourd'hui ;

- le refus de distinguer les assurés sociaux entre eux, au nom du principe même de solidarité ;

- le risque de pénaliser les femmes, si l'on en venait à utiliser comme critère d'évaluation l'espérance de vie à soixante ans ou soixante-cinq ans, en fonction des sexes.

* 39 « Pénibilité et retraite » - Rapport remis au Conseil d'orientation des retraites par Yves Struillou - avril 2003 - www.cor-retraites.fr.

* 40 Emplois classés par voie réglementaire dans la catégorie présentant « un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles » et ouvrant droit à un départ à la retraite anticipé.

* 41 « Réformer la protection sociale : les leçons du modèle suédois » - Rapport d'information n° 377 (2006-2007) fait par MM. Alain Vasselle et Bernard Cazeau au nom de la Mecss.

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