4. A court terme, une révision difficile mais indispensable s'impose : les longues carrières ne sont plus soutenables sur le plan financier
a) Le dispositif des longues carrières n'est pas compatible avec un déficit structurel de l'assurance vieillesse
L'aggravation du déficit du régime général observée au cours des dernières années s'explique en grande partie par le nombre des départs anticipés des assurés sociaux intervenant à l'âge de cinquante-six, cinquante-sept ou cinquante-huit ans dans le cadre des longues carrières. Pour la Cnav, les dépenses correspondantes se sont élevées successivement à 1,4 milliard d'euros en 2005, à 1,8 milliard en 2006 et devraient atteindre 2,15 milliards en 2007. Ces sommes correspondent à plus de 63 % du déficit cumulé du régime général entre 2005, date à laquelle il est redevenu déficitaire, et 2007.
Ce dispositif constituait la principale contrepartie réclamée par les partenaires sociaux pour signer le relevé de décisions du 15 mai 2003 42 ( * ) . Il semblait d'ailleurs légitime de prendre en compte la spécificité de la situation des personnes ayant commencé à travailler dès l'âge de quatorze, quinze ou seize ans. Toutefois, ce dispositif avait été initialement conçu pour bénéficier aux personnes âgées de cinquante-huit et de cinquante-neuf ans , mais pas en deçà.
La diffusion plus large que prévue de ce dispositif aboutit à créer un mécanisme de préretraite supplémentaire inédit au bénéfice de 10 % à 15 % des classes d'âge nées à la fin des années quarante. Cette situation ruine les tentatives engagées parallèlement pour augmenter le taux d'emploi des seniors car, dans le climat actuel de crise de confiance des assurés sociaux, même les personnes qui souhaiteraient continuer à travailler se hâtent de faire valoir leurs droits à la retraite avant la prochaine réforme.
Les premières prévisions qui avaient été établies en 2003 et 2004 sur l'avenir de ce dispositif tablaient sur une décrue progressive mais sensible du nombre des nouveaux bénéficiaires à partir de la fin de l'actuelle décennie, et surtout du début des années 2010. Ce scénario reposait sur l'allongement de l'obligation scolaire, passée de quatorze à seize ans à partir de la génération 1953. Il ne tenait toutefois pas compte des nombreuses possibilités de validations de trimestres aujourd'hui en vigueur, dont le volume pourrait finalement s'avérer trois fois supérieur aux prévisions initiales.
Dès lors, il est probable que la mesure des longues carrières coûtera très cher aux régimes de retraite et pour longtemps encore, alors que le déficit de la branche vieillesse tend spontanément à s'accroître rapidement.
b) « Course aux trimestres » et effets d'aubaine sont en passe de dénaturer les longues carrières
Mais le principal problème auquel sont confrontés les gestionnaires des caisses de retraite réside dans l'extension du champ d'application des longues carrières à des situations imprévues. Il en résulte un coût pour les finances sociales, dans la mesure où ces cas de figure font l'objet de prix d'achat notoirement insuffisants. Cela aboutit aussi à ouvrir le bénéfice de la mesure à des catégories d'assurés sociaux auxquelles le législateur de 2003 n'avait pas songé.
Il en va ainsi tout d'abord de la pratique du rachat des années d'études et des années de cotisations incomplètes pour compléter sa carrière professionnelle. Ce mode d'accès indirect aux longues carrières, qui n'avait pas été envisagé par le législateur de 2003, porte notamment sur la possibilité de régularisation des périodes d'apprentissage. Selon certains spécialistes de l'assurance vieillesse, on peut même parler de « course aux trimestres » pour désigner les nombreux assurés sociaux qui s'efforcent de faire valider ainsi des périodes très anciennes sur la base de pièces juridiques de qualité variable.
Ce phénomène a été attisé par le fait que le barème de la plupart de ces rachats n'est pas actuariellement neutre, c'est-à-dire calculé une fois pour toutes au « juste prix » pour éviter que les actuels et futurs cotisants ne soient mis à contribution. A l'initiative du rapporteur de la commission des affaires sociales, l'article 114 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 avait d'ailleurs introduit l'obligation d'une tarification spécifique de ces opérations. Or, dans le régime général, la mesure réglementaire d'application nécessaire n'a toujours pas été prise à ce jour.
A l'occasion de la réunion du 4 juillet 2007 de présentation des comptes de la sécurité sociale, Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, a également fait part, on l'a vu, de ses vives réserves quant aux modalités des rachats de trimestres dans l'agriculture. Il s'est inquiété en particulier de l'insuffisante fiabilité du système déclaratif aujourd'hui utilisé pour les périodes d'aides familiaux.
Enfin, à ce jour, les régimes complémentaires Agirc et Arrco continuent à ne pas faire payer les rachats d'années études, dès lors qu'ils ont été facturés dans les régimes de base.
Au total, l'ensemble de ces effets d'aubaine, dont le coût global n'a pas été estimé, constitue un avantage non négligeable pour ses bénéficiaires et renforce l'attrait des longues carrières. Si cette réalité est mal connue sur le plan statistique, elle a pour conséquence certaine que ces avantages seront payés par les actuels et futurs cotisants de l'assurance vieillesse, précisément ceux sur lesquels pèseront les efforts d'ajustement des prochaines réformes des retraites....
* 42 Accord intervenu à l'issue des réunions tenues entre le Gouvernement et les partenaires sociaux (CFDT et CFE-CGC) les 14 et 15 mai 2003 et prévoyant une série de dix-neuf mesures complétant ou modifiant l'avant-projet de réforme des retraites.