II. LA VOCATION DE L'OTAN DANS LE NOUVEAU CONTEXTE STRATÉGIQUE : UNE VISION ENCORE INCERTAINE

Le développement des opérations « hors zone », la diversification des domaines d'intérêt tout comme l'extension des relations avec de nouveaux partenaires issus de la zone Asie-Pacifique vont dans le sens d'une volonté de transformer l'Alliance en une organisation politique à vocation globale, traitant des questions de sécurité au sens large, sans champ géographique circonscrit .

Une telle perspective relance les interrogations sur la nature et la vocation de l'OTAN dans le nouveau contexte stratégique . Les Etats-Unis, qui continuent d'imprimer leurs orientations à l'ensemble de l'Alliance, semblent désormais encourager cet élargissement géographique et fonctionnel vis-à-vis duquel d'autres pays membres se montrent plus circonspects. La nécessité de définir un nouveau « concept stratégique », se substituant à celui adopté en 1999 à Washington, est en débat.

Cette extension potentielle du rôle de l'OTAN soulève également la question de l'autonomie et du positionnement, en principe complémentaire, de la politique européenne de sécurité et de défense , à laquelle participent 20 pays européens membres de l'Alliance.

Vos rapporteurs souhaiteraient souligner que l'ensemble de ces questions mériteraient un débat approfondi au sein des parlements nationaux des Etats-membres, ainsi qu'au sein de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Cette dernière s'est développée en marge du traité de l'Atlantique nord et, de ce fait, ne se voit malheureusement reconnaître aucun rôle officiel dans le fonctionnement de l'Alliance. Dès lors que l'OTAN est engagée dans des opérations militaires et qu'elle débat d'une éventuelle modification de ses missions, l'instauration d'un véritable contrôle parlementaire s'impose, par le biais de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN et en liaison avec les différents parlements nationaux qui y envoient leur délégation.

A. QUEL OUTIL AU SERVICE DE QUELLE AMBITION ?

Sous l'effet de l'évolution du contexte sécuritaire international, et notamment du rôle joué par le terrorisme islamiste dans un arc de crise allant de l'Afrique au sous-continent indien, l'OTAN est engagée depuis cinq ans dans un ensemble de réflexions et d'évolutions témoignant d'ambitions très vastes et visant, d'une manière générale, à lui permettre d' endosser un rôle global pour relever les « défis de sécurité » du monde actuel .

De telles ambitions supposent un élargissement des domaines de compétence et des modes d'action de l'organisation qui deviendrait ainsi plus flexible, capable d'agir dans une large gamme d'actions militaires ou civilo-militaires, de concert éventuellement avec des partenaires extérieurs à l'Alliance.

Le sommet de Riga, en novembre 2006, n'a que partiellement entériné ces orientations qui resteront vraisemblablement en débat jusqu'aux deux prochains sommets de l'Alliance, prévus en 2008 et 2009 . Certaines voix s'élèvent pour réclamer, à cette occasion, une révision du concept stratégique de 1999 . D'autres estiment qu'une telle révision entraînerait l'Alliance dans des débats « théologiques » trop éloignés des préoccupations immédiates et concrètes, à commencer par l'issue de l'opération en Afghanistan. Le changement d'administration qui interviendra à Washington début 2009 rend de surcroît l'exercice incertain.

Bien que le secrétaire général de l'OTAN, M. Jaap de Hoop Scheffer, ait régulièrement déclaré, y compris de nouveau devant vos rapporteurs, que « l'OTAN n'a pas vocation à devenir le gendarme du monde », cette vision volontariste d'une extension du rôle de l'organisation soulève plusieurs questions :

- quel rôle l'OTAN est-elle désormais appeler à jouer au plan militaire ? Celui d'un outil toujours adapté à l'engagement dans un conflit conventionnel ou celui d'un simple réservoir de forces au service des opérations de rétablissement de la paix et de reconstruction de l'Etat ?

- l'OTAN dispose-t-elle des moyens humains, matériels et financiers pour assumer des missions plus nombreuses, plus variées et plus ambitieuses ? En voulant fonder son action sur une conception très large de la sécurité, allant très au-delà de ses domaines de compétence reconnus, ne s'expose-t-elle pas à la dispersion de ses efforts et n'empiète-t-elle pas sur le rôle d'autres acteurs internationaux ?

- enfin, l'importance croissante accordée à de nouveaux partenaires et l'extension des centres d'intérêt à d'autres régions du monde ne risque-t-elle pas de diluer l'identité euro-atlantique de l'Alliance et, à terme, de fragiliser une organisation qui ne prendrait plus suffisamment en compte les préoccupations principales d'une grande partie de ses membres ?

1. Quelle vocation militaire ?

Une première série d'interrogations portent sur la véritable vocation militaire de l'OTAN . Jusqu'à la fin de la guerre froide, celle-ci était claire et visait à faire face à un conflit majeur en Europe, en s'appuyant sur une importante structure de commandement intégrée chargée de la planification et, le cas échéant, de la conduite des opérations.

Avec les opérations au Kosovo, en 1999, l'OTAN s'est en quelque sorte située dans le prolongement de cette vocation originelle, en dirigeant les forces alliées dans un conflit conventionnel d'ampleur cependant limitée. En revanche, malgré l'invocation de l'article 5 et de la clause de défense collective le 12 septembre 2001, le recours à l'OTAN a été écarté pour la campagne aérienne en Afghanistan à l'automne 2001, au profit d'une coalition « ad hoc » formée autour des Etats-Unis.

La directive politique globale adoptée au sommet de Riga en novembre 2006 confirme la vocation de l'Alliance en matière de défense collective, en jugeant toutefois hautement improbable une agression conventionnelle à grande échelle et en insistant plutôt sur les formes non conventionnelles d'agressions armées et sur l'utilisation de moyens asymétriques. Elle rappelle également l' importance croissante des opérations de stabilisation. Aussi précise-t-elle que « l'OTAN doit conserver la faculté d'exécuter l'éventail complet de ses missions, de celles de plus haute intensité à celles de faible intensité, tout en se concentrant sur les opérations les plus probables, en répondant aux besoins opérationnels actuels et futurs, et en restant capable d'exécuter les missions les plus exigeantes ».

Sur un plan formel, l'OTAN se voit donc vouée à mener de front un large spectre de missions allant des opérations de stabilisation à des actions de plus haute intensité . A la différence de l'Union européenne, dont la politique de sécurité et de défense est spécifiquement destinée à la gestion des crises (« missions de Petersberg »), l'OTAN n'entend pas se spécialiser ou se cantonner dans un type défini de missions, mais au contraire jouer le rôle de « boîte à outils » performante et adaptée aux situations les plus diverses.

Cette position de principe ambitieuse pourrait cependant se heurter à l'épreuve des faits pour au moins deux raisons.

Tout d'abord, l' hypothèse du recours à l'OTAN pour la conduite d'un conflit , comme cela fut le cas lors du Kosovo, semble durablement écartée par les Etats-Unis par souci d'éviter les contraintes politiques propres au mode de décision de l'organisation, mais également pour des motifs d'efficacité militaire, compte tenu de la forte disparité de capacités entre leurs propres forces de combat et celles de leurs alliés.

D'autre part, la préparation à un conflit de haute intensité comporte des exigences élevées en termes d'équipement, d'entraînement et d'interopérabilité avec les forces américaines, alors que, par ailleurs, la pression s'accentue sur les alliés pour contribuer en hommes et en matériel aux opérations en cours. Il existe donc une réelle difficulté, pour les Etats-membres, à répondre aux besoins immédiats générés par les opérations tout en préparant leur outil militaire et leurs forces à des missions de combat.

Dans ces conditions, il est probable que l'effort des alliés sera largement absorbé par les opérations de stabilisation , inscrites dans la longue durée et particulièrement consommatrices en effectifs déployés. L'exemple de l'Afghanistan montre d'ailleurs la difficulté de l'OTAN à assurer une opération de grande ampleur très éloignée de son centre de gravité géographique.

Le débat en cours sur une éventuelle réorientation de la force de réaction de l'OTAN ( Nato Reponse force - NRF ) illustre ce dilemme.

Cette force, dont la composition est quasi-exclusivement assurée par les pays européens dans le cadre de rotations de six mois, est placée en alerte permanente et doit pouvoir être déployée dans des délais extrêmement brefs, de l'ordre de 5 à 30 jours. Elle mobilise des moyens importants , tant en quantité, puisqu'elle peut compter jusqu'à 25 000 hommes issus des forces terrestres, navales et aériennes, qu'en qualité, ces forces devant être entraînées et certifiées pour contribuer à toute la gamme des missions de l'Alliance, y compris la mission « d'entrée en premier » sur un théâtre d'opérations. Bien que la NRF ait été déclarée opérationnelle lors du sommet de Riga, en novembre dernier, la planification des différents cycles de six mois pour les années à venir ne va pas de soi, l'appel à contributions auprès des Etats-membres ne permettant pas toujours de garantir la possession de l'ensemble des capacités requises.

Aussi s'est-on demandé, au sein de la structure de commandement de l'Alliance comme au Pentagone, si les efforts des pays européens devaient continuer à être orientés vers la constitution d'une force dont la probabilité d'emploi est faible 10 ( * ) , alors que les besoins exprimés pour les opérations en cours, essentiellement l'Afghanistan, ne sont pas satisfaits. L'idée a été avancée d'utiliser la NRF , force disponible en permanence, pour compléter les effectifs en opérations et pallier les difficultés rencontrées dans le processus courant de génération de forces. Une telle évolution, qui à terme pourrait transformer la NRF en force d'opération permanente, la détournerait totalement du concept d'origine et impliquerait notamment l'abandon de la capacité « d'entrée en premier » qui en dimensionne le format et la composition.

Pour l'heure, plusieurs alliés, dont la France, se sont opposés à une révision du concept de la NRF , considérant que celle-ci joue un rôle important pour l'aptitude de l'OTAN à mener des opérations de combat. A l'inverse, une révision du concept actuel installerait l'OTAN dans le rôle d'un simple « réservoir de forces » pour des opérations de stabilisation.

* 10 La NRF a jusqu'à présent été utilisée, de manière surtout symbolique, pour une aide aux Etats-Unis après l'ouragan Katrina et une opération humanitaire au Pakistan.

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