B. LES RESPONSABILITÉS SYNDICALES

Dans une note de synthèse réalisée pour l'IREP 13 ( * ) intitulée « Les horizons possibles de la presse écrite à l'heure de la profusion médiatique », M. Jean-Marie Charon évoque à demi-mot le rôle joué par l'action syndicale dans le fonctionnement de la presse quotidienne française. Selon lui, « Il faut [...] rappeler la pesanteur des questions liées aux relations sociales, mettant en scène des effectifs nombreux, aux statuts, compétences et traditions d'organisation très diversifiés et parfois très particuliers (ouvriers « du Livre » par exemple). »

Le « Livre », ainsi que l'on nomme le syndicat du Livre, fait en effet partie intégrante de l'économie du secteur ! Ses succès, ses excès aussi, régulièrement validés par des éditeurs 14 ( * ) et des pouvoirs publics soucieux d'éviter des mouvements sociaux dévastateurs pour l'ensemble de la filière, ont profondément marqué l'organisation de la presse quotidienne française et constituent un héritage lourd à gérer tant pour la filière que pour la collectivité nationale.

1. Le monopole du « Livre » : un bref historique

La Fédération des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication (FILPAC-CGT) demeure un interlocuteur syndical majeur dans les activités du papier, de l'édition, de la presse et de la distribution des journaux.

En dépit des évolutions technologiques, des dissensions internes et de la chute du nombre de ses adhérents, il dispose encore d'un quasi-monopole vis-à-vis des quotidiens nationaux en matière d'embauche des personnels d'impression.

a) Une pratique contractuelle

Il convient en premier lieu de rappeler que le label syndical était à l'origine un gage de qualité recherché par les éditeurs eux-mêmes.

Créé au début du XX e siècle par la Confédération générale du Travail (CGT), à l'instar des syndicats anglais et américains, ce label était apposé au-dessous du nom de l'imprimeur sur chaque exemplaire du journal, à condition que l'entreprise s'engageât à n'embaucher que des ouvriers syndiqués.

Ce label demeura jusqu'à la seconde guerre mondiale une forme parfaitement régulière de contrat d'usage de la marque syndicale, librement souscrit par les éditeurs et imprimeurs. Il garantissait l'exécution d'un travail dans les règles de l'art par un personnel hautement qualifié. Cette pratique avait d'ailleurs été légalisée par la loi du 25 février 1927 complétant le code du travail.

b) Une pratique abusive mais acceptée

Dans la mesure où cette pratique conduisait à supprimer la liberté d'embauche de l'employeur, le syndicat choisissant à sa place les ouvriers nécessaires à l'entreprise, elle fut condamnée par la loi du 27 avril 1956, dite loi Moisan, interdisant à tout employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale dans les décisions relatives au personnel - notamment l'embauche. Les dispositions de ce texte prononçaient en outre la nullité de tout accord ou disposition tendant à obliger l'employeur à n'embaucher ou à ne conserver à son service que les adhérents du syndicat propriétaire de la marque ou label.

Dans les faits, cette loi ne fut jamais appliquée au secteur de la presse quotidienne nationale. La CGT obtint en effet en août 1944 du secrétaire général à l'information, M. Francisque Gay, le monopole du recrutement de toutes les catégories de personnels nécessaires à l'impression de la presse. Par ailleurs, la plupart des éditeurs consentirent à se lier les mains afin de disposer d'une organisation du travail permettant de faire face aux fréquentes et importantes variations de paginations liées à l'actualité.

A compter de cette date, le label perdit son caractère de consentement mutuel pour devenir le symbole du poids de la CGT au sein de la presse parisienne. La responsabilité et l'indépendance d'embauche des entreprises disparaissent au profit de l'organisation syndicale qui désormais gère la structure chargée de désigner les ouvriers et de les remplacer, fixe les tarifs syndicaux et les conditions de travail, supervise la formation professionnelle, égalise les salaires par rotation du personnel sur tous les postes de travail et à toutes les heures.

* 13 Institut de recherches et d'études publicitaires.

* 14 A quelques exceptions près, notamment celle du groupe Amaury qui prit l'initiative de construire sa propre imprimerie pour lutter contre la mainmise du Livre, provoquant ainsi un conflit social de 30 mois.

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