4. Pourquoi les pauvres ne réussissent-ils pas à l'école ?

Outre le lien direct entre « milieu social et familial » et performances scolaires, Mmes Marie Duru-Bellat et Agnès van Zanten 133 ( * ) ont tenté de pondérer le poids des différents facteurs expliquant cette causalité. Elles ont notamment mis en lumière les faits suivants :

- le déroulement de la scolarité est plus sensible au niveau d'instruction de la famille qu'à son niveau économique ou matériel ;

- le niveau d'études des parents est un critère plus fiable que celui d'un seul, l'essentiel, quant à la réussite scolaire, étant de disposer dans la famille d'un « stock » minimal d'instruction ;

- l'influence du niveau de formation des mères s'avère plus forte que celle de la profession du père.

Ce n'est donc pas la pauvreté monétaire qui défavoriserait le plus les enfants mais le niveau scolaire de leurs parents et, par conséquent, le traitement social de la pauvreté n'aurait pas un impact direct sur la réussite scolaire.

D'autres sociologues ont plus spécifiquement étudiés les déterminants « matériels » de la réussite scolaire. M. Eric Maurin 134 ( * ) explorant les liens entre pauvreté et échec scolaire , a notamment montré que le nombre d'enfants par chambre, et donc la taille du logement, avait un impact sur la réussite scolaire et, à cet égard, que le soutien social aux familles était utile pour la scolarité des enfants.

MM. Mathias Millet et Daniel Thin ont, quant à eux, souligné que dans le cas des familles les plus pauvres, les conditions d'existence entrent clairement en contradiction avec les conditions d'une scolarité normale en raison des effets qu'elles engendrent sur les pratiques familiales 135 ( * ) . Ils notent ainsi que l'accès à un certain degré de maîtrise du temps et de l'avenir nécessaire au suivi scolaire est rendu difficile « tant par les temporalités familiales de l'urgence et de l'imprévu que par les décalages des horaires de travail de certains parents, ou l'absence de rythmes de ceux qui sont sans emploi parfois depuis de longues années ». D'autres sociologues ont montré que les situations spécifiques des familles et leurs conditions sociales d'existence concourent à réduire leur autorité et emprise sur le comportement de leurs enfants, ce qui nuit forcément à leur réussite scolaire136 ( * ).

Il reste que davantage que les conditions matérielles de vie, c'est plutôt un ensemble de facteurs socioculturels - dont le poids est difficile à pondérer - qui expliqueraient les difficultés scolaires des enfants de classes défavorisées. Plus que la pauvreté c'est donc une forme d'exclusion socioculturelle qui aurait l'impact le plus fort sur l'échec scolaire des élèves. Elle explique pourquoi certains enfants sont moins bien adaptés à un système scolaire qui semble fonctionner pour les enfants des classes moyennes et favorisées, sans que la question des ressources financières n'entre directement en compte.

La mission a choisi de mettre en lumière ces causes socioculturelles de l'échec scolaire parce qu'elle estime qu'à chacune d'entre elles, l'école ou la société devra apporter une réponse permettant de réduire l'impact du milieu social sur la réussite, et de l'exclusion sociale sur l'exclusion scolaire.

Selon l'étude du CERC de 2004 relative aux enfants pauvres, il s'avère ainsi que l'implication des parents dans la vie scolaire de l'élève est très différente selon les familles. Si l'aide au travail scolaire fournie par les parents varie par exemple peu avec le revenu elle évolue beaucoup en fonction du niveau de formation des parents et leur catégorie socioprofessionnelle .

RAPPORT À L'ÉCOLE DES FAMILLES ET AIDE AUX DEVOIRS

en %

Groupe 1

Groupe 2

Groupe 3

Groupe 4

Adhésion à une association de parents

3,7

8,0

10,5

23,0

Délégués de parents d'élèves

2,3

5,2

6,8

14,7

Elève aidé à la maison

74,2

80,5

81,1

81,3

Elève suit un cours de soutien gratuit

11,8

7,8

4,8

2,9

Elève suit un cours particulier

5,6

8,0

9,2

12,1

Source : rapport du CERC, sur la pauvreté des enfants, 2004

S'agissant des cours gratuits de soutien, le soutien aux enfants défavorisés est bien moindre que celui engagé auprès des enfants favorisés.

Les familles « pauvres » semblent également avoir moins de contrôle sur le temps libre de l'élève . C'est dans ces familles que les heures du coucher ou celles passées devant la télévision sont le moins réglementées.

Enfin, les aspirations des familles quant au devenir scolaire des enfants a un impact réel , notamment au moment des choix de redoublement et d'orientation. Ainsi, selon le CERC, les moindres aspirations professionnelles des enfants issus de catégories socioprofessionnelles pauvres par rapport à ceux issus de milieux aisés « ne recoupent que partiellement leurs écarts de résultats scolaires ». Il a également été montré qu'à niveau scolaire comparable, les élèves pauvres sont moins orientés vers une seconde générale et technologique, sans même que ces écarts puissent être totalement expliqués par la prise en compte des différences de projets professionnels 137 ( * ) . Au vu de constat, on pourrait légitimement s'interroger sur la volonté de l'école, consciente ou non, de reproduire les schémas sociaux, thème développé dès 1970 par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron 138 ( * ) . Il apparaît toutefois que les décisions des conseils de classe, d'orientation et de redoublement correspondent plutôt au choix des familles plutôt que de l'institution scolaire, et que la faible ambition de certains choix scolaires corresponde davantage à un phénomène d'auto-sélection de la part des catégories sociales défavorisées (sans que l'on puisse déterminer si ce comportement est influencé simplement par l'origine sociale ou par une pression implicite du système scolaire).

Il est enfin intéressant de noter que les abandons prématurés d'études des enfants présentent un aspect intergénérationnel : les parents ont pour la plupart été confrontés à des fortes difficultés scolaires, ils sont en profond décalage par rapport à l'institution scolaire, ne disposent pas des savoirs et compétences qui permettent d'aider l'enfant en cas de difficultés. Surtout, comme le notait l'Observatoire de la pauvreté en 2003, « celles-ci apparaissent comme la continuité naturelle de leur propre sentiment d'exclusion scolaire, ce qui génère une limitation des attentes de formation pour leur enfant et l'acceptation de l'échec scolaire comme une fatalité sur laquelle la famille a peu de prise » 139 ( * ) .

Si les pistes pour favoriser les « sorties de pauvreté » sont développées dans l'ensemble du rapport, la première partie, consacrée au rôle social de l'école républicaine, se concentrera davantage sur les politiques qui permettent de donner aux enfants de pauvres les mêmes chances que les autres en apportant des contrepoids à « la culture de la pauvreté » et en redonnant son sens à l'expression d'égalité des chances.

* 133 Marie Duru-Bellat et Agnès van Zanten. Sociologie de l'école , Paris, PUF, 2 e éd., 1999 .

* 134 Eric Maurin. L'égalité des possibles. La nouvelle société française, Repid, 2002.

* 135 Mathias Millet et Daniel Thin, Rupture scolaire et déscolarisation des collégiens de milieux populaires : parcours et configurations , GRS, 2003.

* 136 Jean-Claude Chamboredon, La délinquance juvénile, essai de construction d'objet , Revue française de sociologie, XII-3, 1971, 179-180. Voir aussi l'étude très intéressante de Michel Duée sur « le chômage parental de longue durée et l'échec scolaire des enfants », Document de travail G2004/06, Insee, 2004.

* 137 Fabrice Murat et Thierry Rocher, La place du projet professionnel dans les inégalités de réussite scolaire à 15 ans , Insee, portrait social de la France 2002-2003.

* 138 Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction, Éléments pour une théorie du système d'enseignement , Paris, Éditions de Minuit.

* 139 Martine Kherroubi, Jean-Paul Chanteau et Brigitte Larguèze, Exclusion sociale, exclusion scolaire , Les travaux de l'Observatoire, 2003-2004.

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