N° 445

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 2 juillet 2008

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information (1) sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l' exclusion ,

Par M. Bernard SEILLIER,

Sénateur.

Tome II : Auditions et déplacements

(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Christian Demuynck, président ; Mmes Brigitte Bout, Annie Jarraud-Vergnolle, Muguette Dini, Annie David, vice-présidents ; M. Bernard Seillier, rapporteur ; MM. Jean-François Humbert, Yannick Bodin, secrétaires ; M. Paul Blanc, Mmes Isabelle Debré, Béatrice Descamps, MM. Jean Desessard, Claude Domeizel, Guy Fischer, Adrien Giraud, Alain Gournac, Mme Odette Herviaux, MM. Benoît Huré, Serge Lagauche, Mmes Colette Mélot, Jacqueline Panis, M. Jackie Pierre, Mme Gisèle Printz, M. Charles Revet, Mmes Michèle San Vicente-Baudrin, Esther Sittler et M. André Vallet.

Déplacement en Seine-Saint-Denis - (9 avril 2008)

COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT EN SEINE-SAINT-DENIS

(9 AVRIL 2008)

Composition de la délégation :

MM. Christian Demuynck, président, Bernard Seillier, rapporteur, Jean Desessard, Alain Gournac et Jean-François Humbert

PROGRAMME

- Rencontre avec le Président du Conseil général.

- Visite à la communauté Emmaüs de Neuilly-Plaisance.

- Déjeuner de travail à la communauté et conférence de presse.

- Visite et entretien à la communauté ATD quart Monde de Noisy-le-Grand.

I. Rencontre avec M. Claude Bartolone, président du conseil général, en présence de Pascal Popelin, vice-président chargé de l'enfance et de la famille

M. Claude Bartolone a tenu à signaler en préambule qu'aucune politique spécifique en matière d'insertion n'était mise en oeuvre en Seine-Saint-Denis du fait de la lourdeur de la charge financière que représentent les obligations légales. M. Pascal Popelin a cité comme exemple l'augmentation du nombre de Rmistes passé de 40 000 à 48 000 entre le transfert de sa gestion au département et aujourd'hui. Il a en outre souligné les difficultés structurelles du département dans lequel près de 30 % des ménages sont dans un logement précaire, et où le revenu fiscal moyen (14 775 euros en 2005) s'élève à 86 % du revenu fiscal moyen en France et 66 % de celui de la région Île-de-France.

L'objectif que se fixe le département est donc l'efficacité maximale des politiques sociales imposées , qui doivent faire l'objet d'une action concertée avec tous les acteurs départementaux.

Sur la question de la collaboration avec les autres collectivités territoriales, M. Claude Bartolone a relevé que l'intercommunalité était peu développée en Seine-Saint-Denis et que c'était plutôt avec la région et les communes que des synergies étaient recherchées.

Pour illustrer cette collaboration, M. Pascal Popelin a pris l'exemple du revenu minimum d'insertion. Il a tout d'abord considéré que, parmi les allocataires du RMI, un tiers est directement employable, un tiers constitue le coeur de la cible des politiques d'insertion destinées à améliorer l'employabilité, et le dernier tiers recouvre une population peu susceptible de retrouver un emploi.

Il a estimé que l'effort à mener avec la région consistait en une meilleure adéquation entre les actions de formation de la région et les besoins des Rmistes du département dont l'employabilité devait être améliorée.

Avec les communes, il s'agit d'articuler les projets de ville avec les politiques d'insertion. Cela passe par un conventionnement du département avec les communes s'agissant de la prise en charge de certains allocataires par les centres communaux d'action sociale avec des objectifs renforcés en matière de suivi. Sur les 40 communes de Seine-Saint-Denis, 34 ont passé des conventions avec le département, devenu animateur de réseau.

Par ailleurs, le département a signé 9 chartes avec des entreprises (dont la SNCF, Veolia, RATP, Colas, Accor, Brinks, ADP...) pour favoriser l'insertion, notamment celle des personnes discriminées (femmes, minorités visibles...).

M. Pascal Popelin a également noté que les difficultés du département les poussaient à innover dans les méthodes utilisées. Ainsi le conseil général a-t-il mis en place une plate-forme d'aide aux particuliers réunissant les institutions, le monde associatif et les entreprises, qui a pour but de professionnaliser le secteur des services à la personne . Il s'agit notamment de mettre en valeur l'un des atouts du département, qui est la jeunesse de sa population, 29,1 % de celle-ci ayant moins de 20 ans.

S'agissant du revenu de solidarité active (RSA) , il a souligné que son expérimentation dans le département n'avait été lancée que très récemment, le 1 er mars 2008, pour une durée envisagée de trois ans, et qu'il était trop tôt pour estimer ses effets. Le département n'a retenu dans l'expérimentation que les personnes dont l'emploi correspond au moins à un mi-temps payé au SMIC, soit 78 heures hebdomadaires alors que les textes permettraient d'ouvrir le dispositif dès la première heure travaillée. La candidature du conseil général était en outre assortie de la condition selon laquelle l'État devait prendre en charge la moitié du coût complet du dispositif : surcoût de l'allocation, éventuels frais de gestion de la caisse d'allocation familiale, frais de gestion d'un fonds constitué par la prime de retour à l'emploi, projets d'accompagnement des allocataires bénéficiant du RSA, coût de recrutement de l'équipe RSA. La convention financière négociée entre le département et le Haut commissariat aux solidarités actives attribue ainsi 1,3 million d'euros à la Seine-Saint-Denis pour l'année 2008 au titre de l'expérimentation.

Sur la question de l'extrême pauvreté , il a estimé à plus de 5 000 le nombre d'enfants concernés, et à plus de 12 000 le nombre d'adultes en situation d'errance dans le département. Un service social est dédié à ce public en Seine-Saint-Denis, mais manque de moyens face à l'ampleur du problème. Il a en effet rappelé que dans 7 villes du département, le revenu fiscal moyen par foyer était inférieur au SMIC net individuel, et qu'il était à peine légèrement supérieur au seuil de pauvreté pour un adulte selon la définition européenne.

Il s'est enfin félicité de la finalisation du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées basé sur une prise en charge plus large par des associations, se substituant à l'hébergement hôtelier qui est extrêmement onéreux. Il a précisé que le dispositif d'accueil, d'hébergement et d'insertion de Seine-Saint-Denis constituant un parcours résidentiel de l'usager vers le logement autonome était composé de quatre paliers de prise en charge :

- un premier palier d'accueil et d'orientation dénommé dispositif de « veille sociale », comprenant le 115, le Samu social et les 7 accueils de jour ;

- un deuxième palier de prise en charge comprenant les centres d'hébergement d'urgence qui assurent un accueil inconditionnel et anonyme et répondent à la nécessité d'une mise à l'abri immédiate ;

- une catégorie intermédiaire de centres d'hébergement de stabilisation créée en 2007 dans le cadre du plan gouvernemental d'action renforcé pour les sans-abri (PARSA), qui vise à prendre en charge dans la durée les publics très désocialisés avec un accompagnement social renforcé ;

- et le quatrième palier se compose enfin de 20 centres d'hébergement et de réinsertion sociale pour une capacité de 780 places d'insertion, qui offrent un hébergement de plus longue durée (6 mois renouvelables) associé à la mise en oeuvre de prestations d'insertion afin de conduire les personnes accueillies vers une plus grande autonomie.

II. Visite de la communauté Emmaüs de Neuilly-Plaisance

En 1949, l'abbé Pierre fonde, dans une maison délabrée qu'il restaure à Neuilly Plaisance, la toute première communauté Emmaüs , lieu d'accueil et de rencontres pour les sans logis. Pour survivre, les membres de la communauté s'orientent rapidement vers le débarras de logements, leur permettant de récupérer et de vendre matières premières et objets d'occasion

En 1953, naît l'association dont le but est « d'agir pour que chaque homme, chaque société, chaque nation puisse vivre, s'affirmer et s'accomplir dans l'échange et le partage, ainsi que dans une égale dignité ».

Aujourd'hui la branche communautaire d'Emmaüs compte en France 120 communautés, 3 900 compagnons et collecte 2,6 millions de m 3 de marchandises, et dispose de plus de 86 millions d'euros de ressources correspondant à une solidarité financière de 56 millions d'euros.

Emmaüs a également diversifié ses activités avec une branche « action sociale et logement » qui gère environ 450 000 nuitées par an en hébergement d'urgence et social, et une branche « économie solidaire et insertion » qui collecte 570 000 m 3 de marchandises.

Lors de sa visite, la délégation de la mission a pu observer l'activité de la communauté mère d'Emmaüs à Neuilly-Plaisance et du nouveau site « Emmaüs avenir », qui est un centre de réemploi et d'économie solidaire travaillant avec la communauté, également situé à Neuilly-Plaisance.

La communauté accueille ceux que la société a marginalisés et organise, avec et pour eux, un ensemble de solidarités à partir des activités de récupération des compagnons.

Outre la maison mère de l'abbé Pierre, qui loge une partie des compagnons, la délégation a visité les locaux de recyclage et de vente de bibelots, meubles, textiles, appareils électroménagers et informatiques, donnés par les particuliers et les entreprises. Elle a pu constater qu'Emmaüs, en plus de sa mission de solidarité rendait un service à la fois environnemental (par la récupération) et social (par la revente à bas prix) à la collectivité. Comme l'ont indiqué les gestionnaires de la communauté, Emmaüs est « l'endroit où l'on peut déposer les objets dont on ne se sert plus, le numéro que l'on compose pour faire débarrasser son grenier et le bric-à-brac où dénicher les bonnes affaires ».

Les 43 compagnons de la communauté sont des hommes et des femmes accueillis au titre de « demandeurs d'aide et de soutien ». La personne accueillie dans la Communauté y reste ainsi le temps qu'elle souhaite, dans des conditions d'hébergement, d'alimentation et d'hygiène décentes, avec pour seule obligation de respecter les règles de vie en commun, et notamment de s'engager à travailler selon ses aptitudes. Ainsi la mission a-t-elle eu le privilège de partager avec les compagnons un excellent déjeuner préparé par le cuisinier de la communauté. Les compagnons vivent des ressources distribuées par la communauté et abandonnent de ce fait leurs droits au revenu minimum d'insertion.

Le centre « Emmaüs avenir » de Neuilly-Plaisance, dont le projet est bien avancé, fonctionne sur le principe que l'activité économique est un moyen d'insertion sociale et professionnelle, ainsi qu'un facteur de solidarité.

L'objet de la nouvelle structure est de valoriser les dons , et de réduire ainsi le nombre de déchets non utilisés, en créant un espace unique regroupant les aires de stationnement, les lieux de tri, les ateliers de recyclage et de revalorisation, la déchetterie pour les produits non réutilisables et certains espaces de vente.

Ce nouveau site de Neuilly-Plaisance centralise un certain nombre d'activités menées des deux communautés mères d'Emmaüs, celles de Neuilly-Plaisance et de Neuilly-sur-Marne.

Un nouveau standard téléphonique a été créé sur le site d'Emmaüs avenir, qui gère les plannings de ramassage et de livraison. Il emploie un salarié et deux compagnons qui répartissent les dons entre les communautés et règlent les problèmes d'approvisionnement et de stocks.

Parallèlement, Emmaüs a lancé deux axes de travail prioritaires concernant la formation et l'insertion.

Doté de véritables ateliers, Emmaüs avenir pourrait en effet devenir un lieu d'apprentissage des métiers du recyclage et de la revalorisation des matières premières. Le savoir-faire des compagnons pourrait ainsi être transmis à d'autres personnes en difficulté et des partenariats pourraient être engagés avec des entreprises, tel celui passé avec Gaz de France.

Un chantier d'insertion sera en outre mis en place sur les filières de récupération dans les domaines du bois, du textile, des matières premières et des anciens équipements électriques et électroniques.

III. Visite du centre de promotion familiale d'ATD Quart Monde à Noisy-le-Grand et entretien avec Mme Chantal Laureau, directrice du centre

La création du centre de promotion familiale de Noisy-le-Grand, par le père Joseph Wresinski en juillet 1956 permet de jeter les bases de ce qui deviendra le mouvement ATD Quart Monde, dont le principe fondateur est la reconnaissance du droit de vivre dignement en famille pour toute famille quelle que soit son histoire.

L'action menée par l'association ATD Quart monde aujourd'hui fait l'objet d'une convention d'aide sociale signée avec la direction départementale des affaires sanitaires et sociales pour 50 familles, et est financée pour une grande partie par une subvention de l'État, celle-ci assure l'essentiel du financement de l'action de promotion familiale pour 35 familles accueillies dans les logements de promotion familiale de première étape, ainsi que le soutien et l'insertion locale de 15 autres familles dans la phase du relogement.

Emmaüs Habitat assure le logement de premier accueil aux 35 familles et une gestion adaptée. L'engagement du bailleur social permet d'accueillir les familles les plus pauvres, qui sont prioritaires dans ce projet. Le logement proposé est un habitat stable, conventionné et donc sécurisé par l'aide personnalisée au logement.

ATD Quart Monde s'appuie sur ce double partenariat pour soutenir les familles qui sont susceptibles d'entrer dans un processus de promotion leur permettant à terme d'assumer leurs responsabilités familiales (éducation des enfants, retour à l'emploi, vie sociale et culturelle) et de locataires (paiement des loyers, nettoyage et entretien du logement, relations de bon voisinage...).

Les logements de promotion familiale de première étape permettent de recevoir 35 familles très fragilisées, l'objectif étant de leur assurer un logement stable et de sécuriser leur parcours de vie grâce à une prise en charge globale , la priorité étant donnée aux couples les plus pauvres avec de jeunes enfants.

L'action de promotion familiale de l'équipe d'animation du centre, qui comprend 21 professionnels salariés, auxquels s'ajoutent 15 professionnels intervenants, porte sur les points suivants :

- l'accès au logement . En effet, le logement est le premier pas pour la reconquête des autres droits : il est nécessaire pour l'obtention de la CMU, pour avoir un travail et pour élever ses enfants. C'est Emmaüs Habitat, société HLM, qui met les logements à disposition de l'association ATD quart Monde, laquelle assure une continuité de loyers. A la différence des CHRS, ces logements restent à disposition des familles pour une longue durée (deux ans en moyenne) jusqu'au relogement définitif ;

- le soutien au projet familial . L'intervention d'un pédopsychiatre, une pré-école communautaire, des « temps parents-enfants », sont autant de dispositifs mis en oeuvre par l'association pour renforcer la structure familiale et protéger les enfants de ces familles. Ce soutien ne disparaît pas après le départ des familles du centre, 50 d'entre elles étant actuellement prises en charge par le centre ;

- la recherche d'emploi . Outre un contrat de projet passé entre l'association et les parents, ATD a mis en place une petite entreprise solidaire qui emploie 17 personnes dans trois ateliers de nettoyage, de reconditionnement de matériels informatiques, et de rénovation de bâtiment. Cette structure permet aux adultes de percevoir un salaire, mais aussi, de renouer des liens sociaux, de retrouver confiance en eux et de se repositionner comme parents. ATD a également passé un partenariat avec C2DI, une association qui met en relation les personnes en difficulté et les entreprises ;

- l'accompagnement communautaire et culturel . Le volet culturel s'adresse ainsi aux enfants et aux adolescents de 6 à 16 ans : il se traduit par des activités quotidiennes de partage du savoir dont les supports sont la bibliothèque, le théâtre et l'atelier artistique du centre.

La délégation sénatoriale a ainsi pu constater sur place le travail engagé par l'association TAE (travailler et apprendre ensemble), et par ATD dans l'accompagnement culturel et familial.

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