Audition de M. Alain RÉGNIER, préfet délégué général à la coordination de l'hébergement et de l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées - (20 mai 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Monsieur le Préfet je vous remercie d'être venu jusqu'à notre commission, votre présence ici nous étant apparue indispensable du fait du champ de vos attributions. Je vous invite, dans un premier temps, à faire un bilan des observations que vous avez pu faire sur le terrain, puis, dans un deuxième temps, à évoquer vos propositions pour améliorer la situation du logement en France. Après quoi, si vous le souhaitez, vous répondrez aux questions de notre rapporteur et des autres personnes concernées par le sujet dont il est question aujourd'hui.

M. Alain RÉGNIER - Monsieur le Président, Mesdames Messieurs les sénateurs, j'ai donc été officiellement nommé à mon poste samedi dernier, celui de coordinateur général des politiques d'accès à l'hébergement et au logement des personnes, proposé en janvier dernier par M. le député Etienne Pinte. Je suis, en quelque sorte, l'enfant né de la préconisation faite par ce dernier.

J'ai acquis une expérience dans le domaine de l'hébergement depuis une vingtaine d'années, aussi bien au sein de l'administration préfectorale que dans le cadre de l'administration centrale. J'ai ainsi fait partie des cabinets de M. André Périssol en 1995, puis de Mme Dominique Versini, Mme Nelly Ollin et M. Dominique de Villepin. Au vu de ce que je connais, je crois que nous n'avons pas à rougir de ce que les gouvernements successifs ont entrepris dans le secteur du logement depuis une vingtaine d'années. Pour autant, j'ai l'honnêteté intellectuelle de reconnaître que les efforts entrepris n'ont pas permis de répondre suffisamment aux problèmes de grande précarité, si difficiles à quantifier.

En particulier, je m'attacherai à traiter, de manière objective, la demande sociale de ceux qui se trouvent à la rue ou mal logés. Les profils des personnes vivant dans la rue ont évolué en effet et à ceux qu'on y rencontrait habituellement se sont ajoutés notamment, surtout depuis le début des années 2000, des demandeurs d'asile et des personnes étrangères provenant de l'Union européenne. Il existe donc une typologie nouvelle des sans abri et des personnes mal logées. Ainsi, plus de 30 % des SDF qui avaient pris possession des bords du canal Saint-Martin n'étaient pas de nationalité française. La résolution des problèmes de logement est donc encore plus complexe aujourd'hui que par le passé. Car elle oblige à s'occuper de personnes qui ont parfois vieilli dans la rue et sont devenues agressives. Le travail des acteurs sociaux en est rendu très difficile.

Comme j'ai pu le constater lorsque j'étais en charge des politiques de la ville, les politiques publiques ont souvent été menées en réaction à des crises successives. Ainsi, chaque nouvelle émeute urbaine entraîne la mise en place de nouvelles politiques publiques et la mobilisation de nouveaux moyens. De même, chaque nouvelle tension ou crise (incendies mortels de l'hôtel Opéra et de l'immeuble Vincent Auriol, occupation de la rue de la Banque, distribution de tentes, etc.) nous renvoie à des situations dramatiques. Les pouvoirs publics sont ainsi interpellés par la société civile sur le nombre trop élevé de personnes vivant dans la rue, lequel angoisse l'opinion publique. Selon une étude récente, 60 % des Français redoutent de devenir un jour SDF. Les classes moyennes françaises ont peur de sombrer dans la grande exclusion, un phénomène qui ne se rencontre dans aucun autre grand pays européen. Enfin, la majorité de la population hexagonale considère que la vie de leurs enfants sera moins bonne que la leur. Cette donnée témoigne d'un fort pessimisme général.

L'apparition, dans la période récente, du phénomène des travailleurs pauvres constitue une autre nouveauté. Une étude commandée par M. Xavier Emmanuelli faisait apparaître qu'à l'hiver 2006, 15 % des personnes appelant le SAMU social de Paris détenaient un contrat de travail.

Toutes ces évolutions s'inscrivent dans un contexte de crise du logement qui n'a pas été anticipée dans les années 80 et 90 et découle de la conjonction du vieillissement de la population et de l'éclatement des familles. La situation actuelle nécessite donc une meilleure articulation des politiques publiques. Tel est l'objet de ma mission.

Dans le même temps, la situation française est particulière par rapport à celle des autres pays européens. Dans notre pays, en effet, la compétence en matière de grande exclusion a été réservée à l'Etat, malgré les vagues de décentralisation, alors que, chez nos voisins, elle est beaucoup plus décentralisée. Pourtant, l'Etat a délégué l'essentiel de ses compétences dans le domaine social aux conseils généraux et ne dispose donc plus sur le terrain de travailleurs sociaux susceptibles de lui permettre de mener des enquêtes. La complexité de cette réalité se manifeste d'ailleurs pleinement au travers de la mise en oeuvre du droit au logement opposable, qui relève d'une responsabilité de l'Etat. Nous constatons à ce sujet que l'objectif estimé de permettre à plusieurs centaines de milliers de familles potentiellement prioritaires d'obtenir un logement est encore loin d'être atteint. Nous devons, dès lors, mener une réflexion sur l'identification des publics potentiellement concernés et dits prioritaires.

L'exclusion est différente à Paris et en Ile-de-France que dans les autres grandes agglomérations françaises. La souffrance et la précarité en milieu rural sont beaucoup moins visibles et font souvent l'objet d'une attention moindre qu'en milieu urbain. Malgré tout, elles ne doivent pas, non plus, être oubliées.

Les crédits d'intervention de l'Etat pour la lutte contre l'exclusion ont doublé au cours des dix dernières années, chaque crise entraînant la mobilisation de moyens supplémentaires. Mais la relation qu'entretient l'Etat avec le milieu associatif dans ce domaine n'est pas parfaitement saine dans la mesure où l'administration ne tient pas tous ses engagements. Notre capacité à négocier l'évaluation des associations en est de fait très limitée. Notre contentieux avec la FNARS et les CHRS depuis une dizaine d'années est, à ce titre, exemplaire. En effet nous allouons, par dotations exceptionnelles, les dotations de fonctionnement des établissements, alors que, dans le même temps, le taux de progression officiel des dotations de la direction générale de l'Action sociale est très inférieur, annuellement, à l'augmentation réelle des coûts des structures. De fait, chaque année, même avec la réinjection de moyens financiers, il existe un décalage entre les dépenses des établissements et les budgets qu'ils reçoivent pour les couvrir. Un contentieux peut ainsi potentiellement réapparaître régulièrement.

Depuis 2002, nous ne sommes pas parvenus à sortir du cercle vicieux selon lequel, chaque année, est pris un décret d'avance se traduisant par l'injection de moyens supplémentaires (de l'ordre de 10 à 15 %) au travers de la loi de finance. Nous devons, dès lors, faire face à un problème de sous-budgétisation des crédits de base. M. le sénateur Bernard Seillier, rapporteur de cette mission, s'est toujours efforcé d'obtenir l'exonération du gel budgétaire de ces crédits qui sont, comme les autres crédits de l'Etat, frappés par une régulation presque systématique, avec la loi de finance, dès le mois de janvier. La situation est donc complexe pour les services de l'Etat qui doivent, dans le même temps, faire face à la RGPP et s'interroger sur la manière dont ils vont être réorganisés aux niveaux régional et départemental. Les DASS sont, pour leur part, dans l'expectative concernant la création des Agences régionales de la Santé.

Le panorama que je dresse montre qu'il existe de nombreuses difficultés pour agir et qu'un grand nombre de nos concitoyens sont obligés parfois de vivre dans des conditions inacceptables et indignes. Même si beaucoup a déjà été entrepris pour améliorer la situation du logement en France, la somme de travail que je me dois de fournir demeure très importante. Je crois que nous devons désormais changer de méthode de travail. Il ne suffit plus d'avoir des budgets conséquents pour mener de bonnes politiques. Il faut aussi déterminer de véritables objectifs chiffrés. Le Parlement européen a ainsi adopté, le 10 avril dernier, une résolution visant à tendre vers 0 SDF en 2015 ; une perspective qui fait écho à une proposition de M. Lionel Jospin durant la campagne présidentielle de 2002 ainsi qu'aux objectifs ambitieux en matière de réduction de la pauvreté évoqués de M. Martin Hirsch.

Pour atteindre nos buts, il nous faut, en premier lieu, définir le périmètre sur lequel nous devons intervenir et les publics auxquels nous souhaitons apporter des réponses. Dans le cadre de ma mission, je ne serai pas entouré d'une équipe pléthorique. Elle se résumera seulement à cinq personnes, ce qui sera suffisant dans un premier temps, et s'efforcera de faire travailler ensemble les administrations centrales qui, malgré les nombreux efforts entrepris pour les rapprocher, restent cependant très cloisonnées. Enfin, comme je l'ai expliqué, ma vocation sera d'agir sur le terrain comme un véritable catalyseur, afin de faciliter le déroulement des processus, en recueillant les besoins et en y apportant les réponses adéquates à l'échelle interministérielle, grâce à la position que je tiens auprès du Premier ministre.

Nous avons obtenu, il y a quelques jours, le déblocage des crédits annoncés par ce dernier à la fin janvier. Ainsi, 182 millions d'euros supplémentaires ont été notifiés aux Préfectures de régions. Ce montant est très proche de celui sur lequel le Premier ministre s'était engagé. De plus, quelques millions d'euros ont été conservés au niveau central pour mener certaines expérimentations qui pourraient nous apparaître prioritaires dans les semaines à venir. La détermination du budget 2009 reste en suspend. Ainsi, si la direction du budget envisage de reconduire les mesures engagées à la suite du rapport Pinte, elle nous demande aussi de prévoir, à due concurrence, le même montant d'économies. Nous devons donc, dans ce contexte, tous nous atteler à réformer nos politiques publiques pour les rendre plus efficaces.

J'au toujours soutenu les dépenses sociales car celles-ci, même si elles peuvent parfois paraître élevées, constituent autant de sources d'économies futures pour la société française et le budget de l'Etat. L'amélioration de la cohésion sociale dans notre pays, s'il est difficile à mesurer, devrait contribuer à renforcer le crédit que les Français portent aux politiques sociales menées. Au-delà des moyens qui seront mis à ma disposition, ma mission doit s'inscrire dans le cadre d'une démarche pragmatique axée sur l'évaluation, selon le modèle anglo-saxon. Je considère en effet que nous n'avons pas réalisé suffisamment d'études sur le long terme pour nous permettre d'étudier le devenir des personnes ayant bénéficié de dispositifs publics pendant 5 ou 10 ans. Aussi il est grand temps de mener une véritable évaluation territoriale, à l'échelle nationale, de l'efficacité des politiques publiques engagées. Au regard de leur niveau très élevé, nous sommes en droit, en tant que citoyens, de savoir comment les sommes dépensées dans le domaine social ont été utilisées.

Ma vision peut paraître iconoclaste. Mais dans un sens, un véritable marché de l'exclusion a vu le jour et il profite à certains. Certains de nos partenaires adoptent parfois une attitude ambiguë, qu'ils peuvent avoir aussi dans le cadre d'autres politiques ayant trait, par exemple, à la ville, la rénovation urbaine et l'emploi. Nous devons désormais tenir un discours franc, basé sur la confiance, à l'égard de nos partenaires, afin de nous permettre de nous projeter à demain. A mes yeux, le traitement de la précarité et de l'exclusion repose toujours sur une méthode datant de la deuxième moitié du vingtième siècle. Or devant les nouvelles formes de précarité et d'organisation sociale et les nouvelles modalités du travail, il convient aujourd'hui d'adapter nos politiques publiques. Tel est l'enjeu de la mission que je mène auprès du Premier ministre. Je souhaite, avec votre aide, contribuer à démontrer que, dans une république, il ne faut pas laisser les gens au bord de la route et tenter d'apporter de vraies réponses à leurs problèmes.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Il serait erroné de penser que M. Alain Régnier est chargé d'une simple mission technique subsidiaire. Les propos qu'il vient de tenir démontrent l'ambition avec laquelle il souhaite occuper sa fonction ; une ambition qui en accompagne une autre, portée par la loi DALO, de donner à la politique la possibilité de reconquérir du terrain sur la finance et l'économie. La politique s'attache en effet à la vie de la cité. Derrière le problème du logement, se retrouve l'essence même de la politique, le vivre ensemble. Or vivre en tant qu'être humain, c'est vivre sous un toit.

Il aurait était inconcevable que la fonction de M. Alain Régnier ne soit pas à la hauteur d'une telle ambition. Je vous félicite, M. le super préfet, de porter celle-ci et me permets de vous demander si, en accord avec le Premier ministre, vous avez fixé un délai à l'issue duquel les résultats que vous aurez obtenus pourront être jugés. Nous nous trouvons aujourd'hui véritablement à un moment charnière pour repenser la cohésion sociale et le vivre ensemble.

M. Alain RÉGNIER - Ma mission doit se poursuivre jusqu'en 2012. Dans ce contexte, je souhaite agir tant sur le court terme que sur le moyen terme et, d'ici la fin de l'année, avoir initié les nouvelles méthodes et diagnostics que j'ai évoqués précédemment et inauguré le chantier de l'observation à l'échelle nationale. Dans le même temps, j'entends agir sur le terrain, notamment pour développer le nombre de maisons relais pour faire passer leur nombre de places de 4 700 places à 12 000. Cette action exige la mise en place d'une programmation territorialisée.

Je souhaite également formuler des propositions à moyen terme pour modifier profondément, à l'horizon de 2012, la manière de traiter les problématiques sociales. Je considère en effet que la mission essentielle de l'Etat est d'aider nos concitoyens en difficulté et que les mesures qui bénéficient aux plus faibles doivent profiter à l'ensemble de la société en favorisant sa cohésion.

Je me dois, par ailleurs, de reconnaître que mon poste a aussi été créé afin de desserrer la pression qui pèse sur le gouvernement, notamment pendant la période hivernale où les Français expriment une compassion plus intense à l'égard des personnes vivant dans la rue. J'aurais préféré que ma nomination intervienne plus rapidement. J'aurais ainsi disposé de plus de temps pour mettre en place mon équipe et conduire un certain nombre d'actions. J'ai réussi à m'atteler à la tâche dès le début avril et ferai tout ce qu'il m'est possible de faire d'ici la fin 2008.

Dans le souci de régler les problèmes qui se posent à court terme mais aussi à moyen terme, j'ai rencontré ce matin le directeur du GIP Habitat-Intervention sociale en Ile-de-France, avec pour objectif de définir avec lui un protocole d'intervention de l'Etat en situation de crise. Le but de cet accord est de nous permettre d'anticiper des évènements comme l'incendie qui a lieu récemment dans un immeuble à Saint-Denis et de permettre à l'Etat de collaborer avec les collectivités locales plus efficacement.

D'autres mesures seront présentées en comité interministériel de lutte contre l'exclusion. Par ailleurs, il est probable qu'à partir de janvier prochain, je prenne en charge le pilotage de la mission nationale de l'habitat indigne, du fait du départ en retraite de sa responsable.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Considérez-vous que les moyens alloués à votre mission soient suffisants ? Ne craignez-vous pas que votre action soit monopolisée par le traitement des situations de crise et d'urgence ?

M. Alain RÉGNIER - Après l'incendie qui a eu lieu dans un immeuble en Seine Saint-Denis, le préfet m'a contacté pour me demander le déblocage d'un certain nombre de logements. Je lui ai expliqué, à cette occasion, que ma mission ne saurait se réduire à la gestion des crises. J'ai tenu le même discours aux cabinets du Premier ministre et de Mme Christine Boutin. Je suis tout à fait prêt à participer à l'élaboration et à la définition d'un protocole de gestion des crises. Mais je me refuse fermement à devenir lune sorte de « Monsieur crise ». Je reçois déjà des lettres de demande d'intervention personnelle. J'ai parfaitement conscience que la gestion de situations de crises collectives ou individuelles représenterait pour moi une charge trop prenante et de la tentation des cabinets ministériels à vouloir m'utiliser. Mais j'ai su, dès le début de mon action, résister à leurs demandes et je continuerai à le faire.

M. Guy FISCHER - Nous venons de quitter l'hiver, période durant laquelle les associations mettent des places d'hébergement d'urgence à la disposition des mal logés et des sans abri. De quelle manière pourrait-on, selon vous, agir plus en amont et de manière humaine, afin de ne pas avoir à effectuer ce travail ? J'ai, pour ma part, été confronté à cette réalité dans la ville de Vénissieux durant des décennies.

M. Alain RÉGNIER - Concernant la prévention des expulsions, à Vaulx-en-Velin, un protocole a été mis en place entre le CCAS et le conseil général du Rhône. Cet accord prévoit une visite au domicile d'un locataire des services sociaux dès que celui-ci n'a pas payé son loyer pendant deux mois d'affilée. Deux ans après la mise en place de ce processus, le nombre de procédures d'expulsion engagées a été diminué de moitié. Je crois profondément aux bienfaits de l'intervention sociale, ayant été moi-même confronté à plusieurs drames humains par le passé, du fait du manque d'implication de certaines institutions. J'ai ainsi connu le cas, à Cergy, d'une personne qui, bien que suivie, s'est défenestrée. Personne n'avait noué de véritable contact humain avec elle. Je souhaite favoriser la prévention des expulsions, au travers d'un repérage en amont des difficultés des ménages. A Vaulx-en-Velin ou dans d'autres départements, certains acteurs ont su changer leurs pratiques, ce qui leur a permis de réduire la pression s'exerçant sur le Fonds de solidarité pour le logement. Une telle politique a donc un double intérêt : un intérêt humain et un intérêt budgétaire. Je partage ainsi pleinement la volonté de réduire les causes amenant un trop grand nombre de personnes à vivre dans la rue

En parallèle, nous devons agir sur les conséquences de l'exclusion. Selon la FNARS, 30 % des 3 7000 places de CHRS seraient occupées par des gens qui ne devraient plus s'y trouver. Or dans le même temps, 12 000 personnes pourraient accéder à un logement social ou à un logement du parc privé en bénéficiant d'une intermédiation. C'est pourquoi nous devons nous donner les moyens de sortir les personnes des structures d'hébergement d'urgence et des dispositifs d'insertion pour les faire accéder à un vrai logement. Je ne veux pas, comme je l'ai indiqué au directeur de cabinet du Premier ministre, qu'on statufie l'urgence sociale. La solution pérenne au problème de logement ne peut se traduire que par la mise à disposition d'un vrai toit. Le nombre de places d'hébergement, de stabilisation ou d'insertion créées importe peu si on ne permet pas aux personnes en difficultés de quitter ces dispositifs.

Nous devons donc à la fois prévenir les situations conduisant à la grande exclusion et faire en sorte que les personnes puissent sortir des dispositifs d'urgence. Ce qui s'est déroulé au bord du canal Saint-Martin avec l'installation de tentes a montré combien il est difficile de reloger des personnes habituées à vivre dans la rue depuis longtemps ; d'où l'obligation de mettre en place, comme dans les pays anglo-saxons, des référents chargés de suivre les gens pris en charge dans le temps. Au Canada, ce suivi dure entre 6 mois et 1 an après la sortie des personnes des dispositifs d'urgence. Il repose sur le recueil de leurs témoignages.

Mme Brigitte BOUT - Il est sans doute plus aisé de connaître directement les personnes en difficulté dans des communes rurales, même si la catégorie des travailleurs pauvres demeure, elle, plus difficile à identifier. Le fait qu'EDF prévienne les mairies dans les cas de défaut de paiement nous permet de prendre contact avec les familles concernées et de mener une action préventive auprès d'elles.

M. Alain RÉGNIER - Il n'a pas été aisé de convaincre EDF à agir de la sorte. Mais ce processus d'alerte mis en place constitue en effet une avancée. A Lyon, j'ai demandé à présider à deux reprises les commissions de surendettement à la Banque de France. Il me semble nécessaire de croiser l'ensemble de nos actions. L'intervention sociale demeure actuellement trop éclatée.

Même dans les grandes communes, ce sont les mairies et les CCAS qui disposent de la connaissance la plus fine de la manière dont les populations vivent sur leurs territoires. Ils sont donc les mieux placés pour tenter d'apporter des réponses à leurs problèmes.

Enfin, certains individus éprouvent de la honte vis-à-vis de leur situation et n'osent pas solliciter des aides auxquelles elles auraient pourtant légitimement droit. C'est pourquoi il me semble nécessaire d'agir pour mieux les informer sur leurs accès aux droits.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je souhaiterais recueillir votre avis sur la procédure de révision du surloyer.

M. Alain RÉGNIER - Il s'agit d'une des premières mesures d'application de la réforme de l'Etat proposée par le conseil de modernisation. Elle doit être appréhendée dans le cadre d'un débat plus général que nous devons mener collectivement, en abordant certains sujets sans aucun tabou, comme celui de l'occupation des logements du parc social.

Concernant la mise en place d'un surloyer - mesure que Pierre-André Périssol avait proposée en 1996 -, je considère, aussi bien sur le plan intellectuel que d'un point de vue politique, comme étant normal de demander à des personnes ayant bénéficié d'un logement social et donc de la solidarité nationale de fournir un concours financier supplémentaire lorsque leur situation s'améliore. Le problème posé ici renvoie à notre volonté d'imposer la mixité sociale. A ce titre, je rappelle que les zones urbaines sensibles sont exonérées des plafonds de ressources et des surloyers. Je me suis souvent interrogé sur le niveau de compensation financière que nous devrions accorder à une famille française type pour l'inciter à habiter un logement sur le plateau des Minguettes par exemple.

M. Guy FISCHER - Les personnes refuseront de partir vivre à cet endroit.

M. Alain RÉGNIER - Ce refus supposé interpelle l'ensemble de la société française et renvoie au regard critique que nous portons sur les quartiers. De ce point de vue, la pratique du surloyer me paraît juste si elle s'inscrit dans le cadre d'une démarche cohérente nous obligeant à nous pencher sur l'occupation du parc social. Nous disposons de plus de quatre millions et demi de logements sociaux et devons nous demander concrètement qui doit avoir le droit d'en bénéficier. Le parlement doit prendre part à ce débat.

M. Christian DEMUYNCK - Il s'agit d'un vrai débat. Certaines familles peuvent occuper un même logement social depuis vingt ou trente ans et nous devons savoir quelle attitude il convient d'avoir avec elles si, par exemple, le mari décède ou des enfants quittent le foyer.

M. Alain RÉGNIER - Aux Pays-Bas, il existe un système, que personne ne trouve choquant, de petites annonces, fonctionnant comme une bourse et permettant une réelle rotation des familles dans les logements sociaux.

M. Guy FISCHER - Ce dispositif n'entraîne-t-il pas une augmentation exagérée des loyers ?

M. Alain RÉGNIER - Il existe des situations justes et d'autres injustes. Ainsi, dans le Rhône, j'ai pu observer des cas de rénovation urbaine menés par l'ANRU où il était proposé à des ménages âgés de rénover leur quartier, mais au prix d'une hausse supplémentaire de 11 % de leur loyer en trois ans. Il s'agit là d'une situation injuste.

Nous devons aborder ces sujets avec franchise, sans tabou. L'engagement selon lequel les programmes de rénovation urbaine ne devaient pas se traduire par des augmentations de charges pour les ménages a été contredit sur le terrain, comme j'au pu le constater comme préfet en charge de la cohésion sociale. Le niveau, moins élevé que prévu, des subventions accordées et la hausse des coûts des travaux ont fait que ces structures ont présenté des prix de revient plus importants qu'attendus. Leurs occupants ont dû en assumer les conséquences et sont devenus ainsi une véritable variable d'ajustement.

Les charges, aujourd'hui, ont tendance à augmenter davantage les loyers ; d'où notre priorité d'agir en direction d'une amélioration de la solvabilité des ménages en traitant, par exemple, l'APL dans sa dimension globale pour éviter son saupoudrage généralisé et aider les personnes en difficulté à sortir la tête de l'eau. Dans le Rhône, des ménages quittent l'Est de Lyon pour emménager dans un pavillon situé à quarante kilomètres de la ville, les obligeant ainsi à posséder deux voitures et donc à s'endetter pour se déplacer. Les taux d'endettement des ménages ayant accédé à la propriété à l'extérieur des grandes villes sont ainsi devenus supérieurs à ceux des ménages vivant en centre ville. Ces réalités devraient être mieux prises en compte et intégrées au débat.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - La pratique du surloyer représente une mesure de justice. Toutefois, je pense nécessaire de procéder à une analyse globale des situations individuelles pour éviter à des personnes déjà surendettées de s'orienter vers des solutions susceptibles de les endetter encore davantage.

M. Alain RÉGNIER - Il serait souhaitable que les structures HLM soient interpellées sur leurs pratiques et que les responsables d'agences ne soient pas jugés uniquement sur le taux d'impayés des loyers mais aussi sur la qualité des prestations délivrées.

M. Christian DEMUYNCK, Président - M. le préfet, je vous remercie de votre intervention.

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