CONTRIBUTION DE MM. FRANÇOIS AUTAIN
ET GUY FISCHER ET DU GROUPE COMMUNISTE REPUBLICAIN ET CITOYEN

Les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen souhaitent préalablement apporter des précisions quant à l'utilisation du terme de « risque » en matière de dépendance des personnes âgées. En effet, ce vocable est ambigu car il implique, dans l'esprit notamment des plus hauts dirigeants de notre pays, le recours systématique à l'assurance privée pour abaisser le niveau du socle de couverture obligatoire. La dépendance nous est présentée dès lors comme un risque qui engendre des coûts sociaux qu'il faut limiter et non pas comme l'expression d'un besoin social qu'il faut satisfaire.

Nous avons pour notre part utilisé cette terminologie pour la dépendance en référence à celle existant pour l'assurance maladie, la vieillesse, la famille, les accidents du travail et maladies professionnelles qui constituent des risques déjà couverts par la solidarité nationale.

Nous ne savons pas encore s'il convient de créer une branche spécifique ou d'intégrer le risque au sein de la branche vieillesse ou assurance maladie, l'essentiel étant à nos yeux de ne pas l'extraire de la sécurité sociale, ce qui a malheureusement été engagé dès 2004 par la loi relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et handicapées avec la création de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). En effet, celle-ci constitue l'amorce d'une protection distincte pour les personnes âgées et les personnes handicapées contraire aux principes de l'assurance maladie qui a vocation à couvrir tous les besoins de toutes les catégories de population. Cette volonté de mettre en oeuvre un financement spécifique pour la dépendance et le handicap remet en cause le principe de solidarité entre bien-portants et malades, entre les cotisants et les autres. C'est la même logique qui a présidé à l'instauration des franchises.

Le champ de la dépendance

Notre position a toujours été de considérer la prise en charge de la dépendance de façon tout à la fois globale et universelle.

Il nous semble en effet préférable de ne pas opérer de distinction entre la dépendance liée à l'âge et celle survenue en raison d'un handicap. Nous considérons en outre qu'il est préférable de mesurer l'effort en matière de dépendance, non pas en fonction de l'origine de celle-ci, mais selon les besoins qu'elle crée. Ce qui implique une pluralité dans l'offre de service proposée au titre de la dépendance et une prise en compte des spécificités grâce à l'élaboration d'un projet de vie personnalisé.

Par ailleurs, nous estimons que la prise en charge de la dépendance doit relever de la solidarité nationale. C'est pourquoi nous nous opposons à toute mesure visant à conditionner les aides à la prise en charge de la dépendance à des conditions de ressources ou à l'instauration de mécanismes de recours sur succession.

Dépenses de santé et croissance économique

Trop souvent, la gestion des dépenses de santé a fait l'objet de la part des gouvernements successifs d'une même approche comptable, l'objectif étant de réduire les coûts pour résorber le déficit de la sécurité sociale. Cette politique est parfois contreproductive. Elle permet de réaliser des économies de bouts de chandelle dans le meilleur des cas, sans commune mesure avec l'ampleur du déficit qui continue de se creuser. Elle porte atteinte à la qualité des soins dispensés auxquels les patients les plus démunis ne peuvent plus avoir accès. Elle remet en cause les principes fondateurs de la sécurité sociale.

Il existe une autre approche de la fonction que peuvent remplir les dépenses de santé dans notre pays. Certes, elles doivent servir à soigner mieux, mais elles doivent aussi être considérées comme un vecteur de croissance économique, source d'emplois nouveaux. Selon l'étude Handicap, Incapacité, Dépendance réalisée par l'Insee, on pourrait assister de 2005 à 2025 à une croissance de près de 35 % du nombre de personnes âgées dépendantes, et ce, pour les seules personnes dépendantes de soixante-quinze ans ou plus. Et le centre d'analyse stratégique de considérer que pour répondre à cette offre, 350 000 postes devraient être pourvus dans ce secteur à raison de 35 000 postes par an au moins.

Une réflexion concomitante sur les conditions de travail de ces nouveaux salariés portant sur les rythmes de travail, la professionnalisation et les revenus salariaux aurait été naturellement nécessaire. Malheureusement elle n'a pas été conduite.

Les échelons de solidarité territoriale et leur financement

La prise en charge de la dépendance par la solidarité nationale telle que nous la préconisons implique nécessairement un financement à la hauteur des besoins, c'est-à-dire de nouvelles ressources. C'est pourquoi il nous semble crucial d'inverser la logique actuelle et de faire des besoins exprimés la pierre angulaire de notre réflexion, et non de partir des financements actuellement disponibles.

Si l'échelon départemental semble être le meilleur en matière de gestion des ressources, celles-ci doivent relever de la solidarité nationale. Nous sommes favorables à une prise en charge à parité Etat - départements assortie de la garantie pour ceux-ci que leur participation ne sera pas accrue par de nouveaux transferts de charges.

Un financement départemental engendre immanquablement des situations disparates dans la prise en charge des besoins, c'est ce que l'on observe actuellement avec l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa). C'est pourquoi, compte tenu du risque important de traitement différencié en fonction de la richesse des départements, nous maintenons la proposition d'une règlementation applicable sur tout le territoire national.

Pour ce faire, il paraît important de renforcer les moyens financiers dont dispose la sécurité sociale en revenant notamment sur les exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les employeurs et dont les effets pervers sont connus. Celles-ci atteignaient 200,1 milliards d'euros en montant cumulé de 1991 à 2006, dont 31,2 milliards n'ont jamais été compensés.

D'autres sources de financements sont envisageables, en relevant substantiellement par exemple la taxe symbolique instaurée sur les stocks-options, sans oublier les parachutes dorés, ou en créant une taxation sur l'ensemble des revenus indirects du travail.

Dans l'état actuel de notre législation qui privilégie les gros revenus, avec les 254 niches fiscales et le bouclier du même nom, nous sommes opposés à toute proposition d'une hausse des prélèvements obligatoires pour assurer le financement de la dépendance. Nous estimons que le recours à la contribution sociale généralisée (CSG), à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) ou encore à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) actuellement préconisé par une partie de la majorité, fera peser une charge insupportable sur de nombreux ménages déjà lourdement pénalisés par la baisse de pouvoir d'achat engendrée par la précarisation de l'emploi, les hausses de prix, l'augmentation des loyers et charges, les franchises médicales...

Les principaux dangers des solutions préconisées par la mission au terme de six mois de réflexion et de déplacements :

- bien que le Gouvernement et la mission nient l'évidence, il est envisagé un retour de facto de la récupération sur succession en matière d'Apa et peut-être également sur l'allocation compensatrice de tierce personne (ACTP) et la prestation de compensation du handicap (PCH), qui entraînerait un refus de solliciter cette aide de la part des personnes soucieuses de léguer un petit héritage à leurs enfants. Notre rapporteur Alain Vasselle propose d'ailleurs de prendre des mesures pour empêcher que le bénéficiaire n'organise son insolvabilité. Il vise en particulier les donations en préconisant d'« instaurer un rappel des donations effectuées jusqu'à dix ans avant l'entrée dans le dispositif » ;

- la création d'une prise en charge de la dépendance à deux vitesses est initiée : les bénéficiaires auraient le « choix » entre une Apa récupérable sur succession et une Apa non récupérable mais réduite ;

- la prise en charge de la dépendance est livrée aux appétits du secteur privé marchand sous l'égide de la CNSA par l'organisation d'un « partenariat public-privé » avec les organismes de prévoyance individuelle et collective : mutuelles, assurances... ;

- l'accélération de la destruction des hôpitaux de proximité est encouragée sous couvert d'en faire des établissements pour personnes âgées.

Nous voyons dans ces propositions la poursuite du démantèlement de la sécurité sociale à partir d'une CNSA dotée de pouvoirs réglementaires relevant aujourd'hui de l'Etat et administrée par un conseil restreint dans lequel entreraient sans aucun doute les assureurs mais auquel ne seraient plus associées les associations d'usagers, « par définition revendicatrices », comme se plait à le souligner notre rapporteur.

Les modalités de financement proposées par la mission

Une prise en charge de la dépendance réellement universelle ne peut se construire à l'aide de simples redéploiements financiers qui de surcroît portent atteinte à d'autres secteurs de la solidarité nationale. Il en est ainsi de la proposition d'affecter une partie des excédents à venir de la branche famille qui en organise le pillage en le pérennisant. En avril dernier, le Gouvernement, en application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, décidait déjà de supprimer les paliers de majoration des allocations familiales à onze ans et seize ans. Depuis le 1 er mai, il n'existe plus qu'une majoration unique à quatorze ans. Le manque à gagner pour les familles sera de près de 600 euros par enfant entre le 11 ème et le 18 ème anniversaire... et l'économie de l'ordre de 138 millions. Alors que la branche famille est devenue excédentaire à force d'économies sur les prestations, cette décision du Gouvernement est à rapprocher de son plan de rigueur à travers la « révision générale des politiques publiques » qui prévoit une réduction sans précédent des dépenses publiques et sociales. A l'époque, nous dénoncions déjà une manoeuvre visant à renflouer les branches déficitaires de la sécurité sociale aux dépens de la politique familiale : les 4 milliards d'excédent estimés pour 2012 seraient donc détournés de leur objet comme le serait une partie du fonds de réserve des retraites créé par le gouvernement Jospin pour assurer leur paiement à l'horizon 2020.

Ces détournements sont d'autant plus inacceptables qu'une partie des crédits du jour férié supprimé n'ont pas été affectés comme ils auraient dû l'être à la dépendance et aux personnes âgées ; les excédents 2006 de la CNSA (200 millions) ont été transférés à l'assurance maladie. Comme sans doute le seront les 400 millions d'excédent 2007.

Notre rapporteur par ailleurs écarte d'emblée car trop coûteux les dispositifs qui constitueraient une véritable aide aux personnes encore peu dépendantes, telle la transformation de la réduction d'impôt en crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile.

Parmi les propositions de la mission figure le transfert à l'assurance maladie de l'intégralité du financement des aides soignants. Actuellement, celui-ci est pris en charge à 70 % par celle-ci et à 30 % par les départements. Ce transfert de charge n'est ni plus ni moins qu'une façon de faire payer à l'assurance maladie ce que l'Etat doit aux départements au titre de l'Apa.

Enfin, les associations de soins et de services à domicile demandent l'application de la tarification des services d'aide et d'accompagnement à domicile instituée par la loi du 2 janvier 2002 et estiment que, face à la pénurie de main d'oeuvre pour faire face aux besoins grandissants, il manquerait à l'horizon 2015 environ 400 000 emplois. Pour rendre attractif ces métiers, la revalorisation des rémunérations est indispensable, notamment pour les niveaux de catégories A et B, dont les premiers échelons sont actuellement en dessous du Smic ; il conviendrait également sans tarder de réévaluer les salaires des postes d'encadrement, sous peine de ne pouvoir recruter des cadres correspondant aux critères du décret de qualification des directeurs.

400 000 postes, c'est précisément à terme ce que Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, se propose de créer dans le cadre du « Plan métiers ». Mais là encore, quid des moyens ?

Au bout du compte, aucun financement nouveau ne serait dégagé pour la concrétisation de ce que l'on nous fait miroiter comme une grande avancée sociale !

Le reste à charge des familles

Nous pensons que le reste à charge est largement sous-estimé par notre mission d'information. Ainsi, pour les établissements, Alain Vasselle évalue celui-ci à 400 ou 500 euros par mois. L'audit que vient de réaliser le cabinet Ernst & Young laisse à penser, chiffres à l'appui, que nous sommes bien loin du compte et qu'il est à craindre une augmentation de ce reste à charge en raison de l'accroissement de la part de marché du privé à but lucratif dans les années à venir.

Ces grands groupes privilégient la rentabilité en ciblant les personnes disposant d'un pouvoir d'achat élevé et revalorisent leurs grilles tarifaires à chaque changement de résidant. Une très faible proportion de places habilitées à l'aide sociale les rend inaccessibles à la plupart des personnes dépendantes. Les chiffres cités par ce cabinet sont révélateurs : un prix moyen d'hébergement à 110 euros par jour en région parisienne et 70 euros en province. Cette expansion du privé à but lucratif est favorisée par certains conseils généraux qui préfèrent privilégier la création de places dans ces structures sans habilitation à l'aide sociale afin de diminuer leurs dépenses.

Le libre choix du mode de prise en charge

Durant cette mission d'information, tous ont insisté sur le choix laissé à la personne dépendante et à sa famille du mode de prise en charge - domicile ou établissement - et sur la création d'un droit universel à un plan personnalisé de compensation pour l'autonomie, c'est-à-dire la prise en charge de toutes les formes d'aide, et non seulement des aides dites essentielles.

Nous tenons à livrer ici le résumé d'une situation telle qu'elle nous a été exposée lors d'une audition privée par une personne dont l'épouse, gravement handicapée, a fait le choix d'une hospitalisation à domicile. Il s'agit certes d'une situation extrême mais ô combien révélatrice d'un reste à charge quasi-impossible à assumer pour une famille.

Nous avons pu noter tout d'abord la lourdeur des démarches administratives qui doivent certainement décourager nombre de postulants à l'hospitalisation à domicile. Cela pose le problème de la mise en place hâtive des MDPH avec du personnel souvent non formé à ses nouvelles tâches et, partant, celle des futures maisons de l'autonomie.

L'éloignement d'un centre ville est également une difficulté supplémentaire pour trouver le personnel intervenant à domicile. Autant dire que cette forme d'hospitalisation serait totalement impossible en milieu rural ?

Enfin, la complexité des financements croisés impose - dans notre exemple - de disposer d'une trésorerie de 7 600 euros par mois ! Quant au reste à charge, il a été estimé pour ce ménage (factures à l'appui) à 760 euros par mois la deuxième année (après la prise en charge fiscale) ; il est rédhibitoire pour de très nombreuses familles, surtout lorsque les dépenses de mise en place de la première année ont fait disparaître l'épargne.

Cette douloureuse expérience conduit au constat suivant : en l'absence de revenus importants et/ou d'une assurance complémentaire dépendance, le maintien à domicile d'une personne aussi lourdement handicapée est impossible en l'état actuel de la prise en charge de la dépendance.

CONCLUSION

Dans la mise en place du 5 ème risque dépendance, le principal enjeu est bien sûr le financement, à l'instar de celui de la protection sociale dans son ensemble. Sans la création de ressources nouvelles, il est vain de pouvoir dans le même temps répondre à la situation dramatique dans laquelle se trouvent les finances sociales et assurer la prise en charge de la dépendance dans le respect des principes fondateurs de notre pacte social.

La question aujourd'hui demeure bien celle-ci : quelle solidarité voulons-nous pour la France du XXI ème siècle ? Nous sommes convaincus qu'il faut continuer à développer la prise en charge collective, telle qu'elle avait été élaborée en 1945. Nous constatons avec regret que notre rapporteur, suivant en cela le Gouvernement préconise le recours à l'initiative privée et à la couverture individuelle du risque dépendance.

C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen ne peut faire siennes les conclusions de notre rapporteur.

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