N° 468

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 15 juillet 2008

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire (1) sur le nouvel espace rural français ,

Par MM. Jean FRANÇOIS-PONCET et Claude BELOT,

Sénateurs.

(1) Cette délégation est composée de : M. Jean François-Poncet, président ; M. Claude Belot, Mme Yolande Boyer, M. François Gerbaud, Mme Jacqueline Gourault, vice-présidents ; Mme Evelyne Didier, M. Alain Fouché, M. Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Roger Besse, Claude Biwer, Jean-Marc Juilhard, Jean-Claude Peyronnet, Claude Saunier, Alain Vasselle.

« La ville a une figure, la campagne a une âme »

Jacques de Lacretelle

INTRODUCTION

Façonnées par des siècles de tradition tout en restant ouvertes au progrès, partageant certains traits communs mais diverses dans leur physionomie, les « campagnes de France » dessinent aujourd'hui la mosaïque harmonieuse d'un pays qui a su rester attaché à sa terre et à son terroir, tout en les faisant évoluer. Contiguë aux zones périurbaines, avec lesquelles elle forme l'espace rural structurant nos territoires, cette ruralité reste très liée aux pôles urbains tout en s'autonomisant progressivement à leur égard.

Or, ce rapport quasi dialectique entre le rural et l'urbain a vu s'opérer, ces dernières années, une inversion notable des valeurs , le premier bénéficiant d'une perception à nouveau positive et le second perdant de son attraction. Cette « révolution copernicienne » dans l'appréhension des espaces ruraux est aujourd'hui largement documentée. Selon une étude publiée par le centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC), l'espace rural est désormais perçu -sans tomber pour autant dans l'imagerie d'Epinal- comme offrant un paysage naturel préservé, havre de paix et de repos pour des citadins exposés quotidiennement aux nuisances des grands ensembles urbains.

Ces évolutions dans la façon dont l'espace rural se donne à voir ne sont que le reflet des « mutations » ou des « recompositions » qui l'ont animé depuis plusieurs années. Cessant désormais d'être marqué par l'exode et de constituer un « désert français » que le sociologue Jean-François Gravier avait opposé à la croissance de Paris, l'espace rural est aujourd'hui mû par des dynamiques propres. A des territoires enclavés et repliés sur eux-mêmes s'est substituée une ruralité attractive et active, porteuse de nouveaux atouts et de nouvelles attentes. Le temps n'est plus où l'on se proposait de mettre les villes à la campagne, cette dernière offrant désormais à ses acteurs les éléments nécessaires à leur épanouissement personnel et professionnel.

La France rurale, assise sur les quatre cinquièmes du territoire, possède désormais des ressorts propres de développement . Loin d'être condamnée à servir d'annexe urbaine dans laquelle les villes se déverseraient ou s'alimenteraient en fonction de leurs propres besoins, elle est en passe d'éviter le « scénario de l'inacceptable » que la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) avait évoqué il y a quelques années. On y vient aujourd'hui par choix, et ce pour des motifs les plus divers, allant d'un projet de vie personnel ou familial à la recherche d'aménités positives pour l'implantation d'activités économiques.

Ce « désir de campagne » est à la base du nouveau souffle que connaissent aujourd'hui les territoires ruraux, y compris les plus reculés . Car -et c'est là un élément fondamental- la dynamique animant les zones rurales est de nature endogène, seule à même d'alimenter une spirale vertueuse et durable. En rupture avec un processus marqué, jusqu'au milieu des années 70, par des pertes de population et d'activité, puis par l'accueil de nouvelles ressources démographiques et économiques, c'est des forces vives qui la composent que provient désormais le développement des zones rurales, l'offre créant sa propre demande et inversement.

Si cette dynamique de développement est désormais bien ancrée au coeur des zones rurales et les irrigue profondément, elle ne s'est pas créée ex nihilo . A cet égard, l'action des responsables politiques, notamment des acteurs locaux, a été et continuera d'être capitale . Qu'elle provienne des institutions les plus proches du terrain -communes et intercommunalités- pour initier et accompagner les projets, ou d'autres plus éloignés -départements, régions, Etat et Union européenne- pour coordonner et équilibrer les actions entre les différents territoires, l'intervention des décideurs publics se révèle indispensable à leur développement efficace et harmonieux.

Certes, le tableau n'est pas totalement idyllique et révèle certaines limites ou faiblesses. Dans cet esprit, si la notion de « diagonale aride » n'est plus aussi pertinente que par le passé, certaines régions françaises continuent d'être affectées par la déprise et de voir croître l'écart avec celles (majoritaires) bénéficiant du renouveau rural ; l'arrivée de nouveaux acteurs sur des territoires jusqu'alors essentiellement occupés par le monde paysan a pu susciter des conflits dans l'usage des ressources locales ; le secteur des services, surtout marchands, est encore insuffisamment développé pour satisfaire des besoins croissants...

Représentant constitutionnel des collectivités territoriales, le Sénat a toujours accordé une attention particulière à ces défis et aux équilibres territoriaux . Ont ainsi été régulièrement publiés, notamment au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, des rapports sur ce thème et ses enjeux. Certains traitaient directement du sujet, comme ceux sur l'avenir de l'espace rural français 1 ( * ) , l'aménagement du territoire 2 ( * ) , les espaces périurbains 3 ( * ) ou l'état du territoire 4 ( * ) . D'autres ont eu pour objet des thématiques connexes, comme ceux sur la péréquation entre départements 5 ( * ) et entre régions 6 ( * ) , l'incidence de la décentralisation sur l'aménagement du territoire 7 ( * ) , les collectivités territoriales et le haut débit 8 ( * ) , les enjeux locaux des énergies renouvelables 9 ( * ) , la politique régionale européenne 10 ( * ) ou le désenclavement 11 ( * ) .

Si de nombreux travaux ont donc été menés sur la ruralité et ses thèmes périphériques, il a paru opportun à la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire de revenir sur ces problématiques transversales et de les actualiser au regard des dernières évolutions observées et des ultimes études -telles que le recensement en cours- accessibles. Pour ce faire, vos rapporteurs ont entendu plus d'une vingtaine de personnes particulièrement compétentes en ce domaine. Le rapport qui en résulte se propose, à partir de ces documents et auditions, d'exposer les mutations à l'oeuvre au sein des zones rurales et d'en souligner atouts et facteurs de progrès, tout en formulant certaines propositions en vue d'en renforcer l'attractivité.

« Patrimoine commun de la Nation », le territoire est un « bien précieux que nous ne devons pas laisser se dégrader et qu'il nous appartient de valoriser », écrivions-nous il y a quinze ans dans le rapport intitulé Refaire la France . Ce constat reste vrai et appelle une mobilisation des nombreuses énergies qu'il recèle pour que vive cette « exception française » qui fait le coeur battant de nos territoires et de notre pays.

I. L'ESPACE RURAL BÉNÉFICIE D'UNE NOUVELLE DYNAMIQUE DÉMOGRAPHIQUE

A. LOIN DU SPECTRE DE L'EXODE RURAL, L'ESPACE RURAL FRANÇAIS CONNAÎT UN RENOUVEAU DÉMOGRAPHIQUE DEPUIS TRENTE ANS

Le renouveau démographique global continue d'affecter l'espace rural, et ce quels que soient les critères retenus pour le définir.

1. L'évolution des définitions de l'espace rural

a) L'espace rural défini comme l'ensemble des communes rurales

Jusque dans le milieu des années 1990, l'espace rural était défini selon des critères tenant à la taille des communes et à la continuité de l'habitat. La définition de la ruralité correspondait en effet à celle de la commune rurale, c'est-à-dire essentiellement d'une commune de moins de 2.000 habitants et remplissant un certain nombre de critères secondaires 12 ( * ) .

Selon ces critères, lors du recensement de 1999, il y avait 30.611 communes rurales et l'espace rural représentait, près de 82 % du territoire et accueillait 24,5 % de la population .

Si elle avait l'avantage de la simplicité, une telle définition prêtait toutefois à confusion, en particulier si l'on occulte les critères secondaires pour ne retenir que le seuil de 2.000 habitants comme élément de distinction des communes urbaines et des communes rurales. Ces dernières peuvent en effet avoir plus de 2.000 habitants (599 étaient dans ce cas en 1999), de même qu'un tiers des communes urbaines n'atteignent pas cette population.

Aussi, une nouvelle définition a-t-elle été rendue nécessaire, d'une part, pour tenir compte de la diversité et de la mixité des différentes catégories d'espace et d'autre part, pour donner une vision du territoire permettant de mieux traduire les problématiques économiques 13 ( * ) , et singulièrement celles de l'attraction des communes rurales par des pôles urbains.

* 1 L'avenir de l'espace rural français, rapport d'information de MM. Jean François-Poncet, Hubert Haenel et Jean Huchon, 1991.

* 2 Refaire la France, rapport d'information de MM. Jean François-Poncet, Gérard Larcher, Jean Huchon, Roland du Luart et Louis Perrein, fait au nom de la mission d'information chargée d'étudier les problèmes de l'aménagement du territoire et de définir les éléments d'une politique de reconquête de l'espace rural et urbain, n° 343 (1993-1994).

* 3 L'avenir des espaces périurbains, rapport d'information de M. Gérard Larcher, fait au nom de la commission des affaires économiques, n° 292 (1998-1999).

* 4 L'exception territoriale : un atout pour la France, rapport d'information de M. Jean François-Poncet, fait au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, n° 241 (2002-2003).

* 5 La péréquation interdépartementale : vers une nouvelle égalité territoriale, rapport d'information de MM. Jean François-Poncet et Claude Belot, fait au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, de la commission des affaires économiques et de la commission des finances, n° 40 (2003-2004).

* 6 La péréquation interrégionale : vers une nouvelle égalité territoriale, rapport d'information de MM. Jean François-Poncet et Claude Belot, fait au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, de la commission des affaires économiques et de la commission des finances, n° 342 (2003-2004).

* 7 Actes du colloque "La décentralisation : un nouvel élan pour l'aménagement du territoire", rapport d'information de M. Jean François-Poncet, fait au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, de la commission des affaires économiques et de la commission des finances, n° 252 (2003-2004).

* 8 Haut débit et territoires : enjeu de couverture, enjeu de concurrence, rapport d'information de M. Claude Belot, fait au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, n° 443 (2004-2005).

* 9 Energies renouvelables et développement local : l'intelligence territoriale en action, rapport d'information de MM. Claude Belot et Jean-Marc Juilhard, fait au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, n° 436 (2005-2006).

* 10 Politique régionale européenne pour 2007-2013 : les enjeux de la réforme pour les territoires, rapport d'information de M. Jean François-Poncet et Mme Jacqueline Gourault, fait au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, n° 337 (2005-2006).

* 11 Pour une politique de désenclavement durable, rapport d'information de Mme Jacqueline Alquier et M. Claude Biwer, fait au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, n° 410 (2007-2008).

* 12 Plus précisément, une commune rurale est une commune n'appartenant pas à une unité urbaine, cette dernière étant définie comme une commune ou un ensemble de communes qui comporte sur son territoire une zone bâtie d'au moins 2.000 habitants où aucune habitation n'est séparée de la plus proche de plus de 200 mètres. Pour répondre à la définition de l'Insee, ces dernières doivent aussi posséder plus de la moitié de sa population dans cette zone bâtie.

* 13 Cf . Les campagnes et leurs villes, Insee, collection Contours et caractères, 1998.

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