B. PRIORITÉS DE LA DOUBLE PRÉSIDENCE FRANÇAISE : INTERVENTION DE M. JEAN-PIERRE JOUYET, SECRÉTAIRE D'ÉTAT CHARGÉ DES AFFAIRES EUROPÉENNES

La France préside depuis le 1 er janvier dernier l'Union de l'Europe Occidentale et prendra, à compter du 1 er juillet, la présidence de l'Union européenne. Ce double mandat coïncide avec la volonté du Gouvernement de relancer l'Europe de la défense, dont la France est un des plus anciens promoteurs.

Insistant sur le rôle de l'Assemblée parlementaire de l'UEO dans la diffusion d'une culture de sécurité et de défense au sein des parlements nationaux, M. Jouyet a profité de sa présence dans l'hémicycle pour aborder les priorités en la matière de la double présidence française.

La relance de la défense européenne passe aux yeux du ministre par un renforcement de la complémentarité entre la défense européenne et l'OTAN. Prenant acte de l'insuffisance des moyens mis en oeuvre par les Européens face à la multiplicité des crises régionales et aux menaces actuelles et futures, la présidence française entend définir une vision stratégique et fixer des perspectives concrètes à l'horizon des dix prochaines années. Pour satisfaire cette ambition, la présidence française entend définir cinq objectifs :

• Actualiser la stratégie européenne de sécurité définie en 2003, afin de mieux prendre en compte les nouvelles menaces, d'intégrer les nouvelles donnes issues de l'élargissement et de l'évolution des partenariats avec les États-Unis et la Russie, et tirer les leçons des opérations déjà conduites ;

• Renforcer les capacités civiles et militaires de gestion des crises, en vue d'améliorer notamment la coopération avec l'OTAN. Le gouvernement français appelle ainsi de ses voeux une meilleure utilisation des moyens et des capacités des États membres mais aussi la mise en avant, à l'échelle européenne, de nouveaux projets capacitaires structurants dans les domaines aérien ou maritime, au travers notamment de l'Agence européenne de défense. Dans le même ordre d'idée, il appuiera également le paquet défense de la Commission européenne et les opportunités qu'il représente pour l'industrie de défense européenne. La réévaluation des capacités de gestion de crise passe également par une réforme du mécanisme Athéna, jugé trop restrictif ;

• Dans l'attente d'une ratification par l'ensemble des États membres du traité de Lisbonne, la France entend d'ores et déjà engager une réflexion sur les modalités d'application des dispositions de celui-ci en matière de défense et notamment la possibilité de mettre en place une coopération structurée permanente ;

• Renforcer les capacités du centre d'opérations de Bruxelles, ouvert en janvier 2007, afin de lui conférer une certaine crédibilité. Les échanges de formation des officiers contribueraient également à améliorer le travail commun au sein de l'État-major de l'Union européenne ;

• Développer des partenariats clés, tant avec l'OTAN qu'avec la Russie ou l'Union africaine . Une telle option apparaît comme une nécessité en vue d'optimiser les opérations conduites par l'Union européenne sur des théâtres extérieurs.

Si l'ambition française en matière de défense européenne a été saluée par l'Assemblée, elle n'a pas été sans susciter quelques interrogations quant à son financement. Le Gouvernement français entend, à cet égard, profiter du débat sur les perspectives financières au-delà de 2013 mais également de la révision à mi-parcours des perspectives actuelles pour adapter les ressources budgétaires à cet effort. Une majoration de la contribution en matière de défense ne pourra néanmoins être acceptée que si elle est précédée d'une sensibilisation de l'opinion publique européenne sur ces sujets.

Les débats avec l'hémicycle ont, également, permis au secrétaire d'État de relier les orientations du Livre blanc sur la défense remis au Gouvernement français aux nouvelles orientations de la politique européenne de défense. Insistant sur la nécessité de mutualiser les moyens, le Gouvernement entend optimiser ses capacités dans la perspective d'un renforcement des partenariats, notamment celui conclu avec l'OTAN. Le Gouvernement entend, à ce titre, veiller à éviter tout doublon entre les organisations européenne et atlantique de défense.

Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a souhaité revenir sur la question de la coopération avec l'OTAN et les modalités de collaboration avec les États-Unis :

« Merci, Monsieur le Ministre, d'être venu devant cette Assemblée, d'avoir développé un certain nombre de pistes qui me paraissent tout à fait intéressantes et de nous avoir dit que la France, au cours de sa présidence, tenterait de mettre le problème de la défense au coeur de ses préoccupations. Je pense que c'est assez nouveau, et je crois que tout le monde ici s'en réjouira.

Au demeurant, la politique européenne de sécurité et de défense autonome aura quelques difficultés à se positionner. En effet, on parle beaucoup de l'OTAN. Disons aussi carrément que nous sommes les alliés de cette grande puissance que sont les États-Unis.

Pour ce qui me concerne, je me souviens de la règle des trois D et des trois refus qui me semble n'avoir jamais été effacée du discours : pas de découplage, pas de discrimination, pas de double emploi. Le découplage, c'était entre les États-Unis et l'Union européenne. La discrimination, visait une différence de traitement entre les États membres de l'OTAN, membres de l'Union européenne, et les États membres de l'OTAN, non membres de l'Union européenne, en référence, à n'en pas douter, à la Turquie. Le refus des doublons s'appliquait à la chaîne de commandement, aux choix stratégiques et aux équipements.

J'ai bien entendu, Monsieur le Ministre, tout ce que vous avez dit. Vous avez utilisé des mots importants, essentiels : complémentarité, mutualisation. Mais il s'agissait surtout de complémentarité entre partenaires européens. Je n'ai pas vraiment entendu quelles étaient les complémentarités ou les mutualisations qui pourraient avoir lieu avec cet autre grand partenaire que seraient les États-Unis. Le budget américain pèse tout de même aujourd'hui 400 milliards de dollars, soit quatre fois le budget européen. Que pouvons-nous faire ?

Ma dernière question concerne les aides civiles et militaires croisées dont bénéficient les États-Unis et dont l'Europe ne bénéficie pas et ne bénéficiera jamais puisque la commission s'y refuse. Je pense que les règles du jeu ne sont pas à notre avantage. Comment faire pour les changer ? »

M. Jouyet a répondu en soulignant le changement d'époque que vit actuellement l'Europe de la défense :

« En ce qui concerne la règle des trois D, il y a aussi une évolution. Un certain nombre de problèmes avec les États-Unis sont derrière nous et il existe de leur part une demande d'une certaine complémentarité, parce qu'ils se rendent compte qu'ils ne peuvent pas et ne savent pas tout assumer dans les meilleures conditions. C'est une évolution et un rapprochement stratégique, pas sur tous les points de vue, mais avec les buts de l'Union européenne.

Nous sommes désormais dans une autre période de la politique européenne de sécurité et de défense. Les États-Unis, aujourd'hui, reconnaissent qu'ils ont intérêt à avoir une capacité européenne de défense autonome et capable d'agir. Cela a été reconnu à Washington. Je dois dire, Mme Durrieu, qu'un des principaux succès de l'Europe a été obtenu lors de la Conférence de Bucarest de l'OTAN, sous le contrôle de Mme Jipa, qui a clairement montré que les États-Unis reconnaissaient ce fait et que lorsque l'Europe était unie face à certaines demandes américaines, et vous voyez celles auxquelles je fais allusion, les États-Unis en prenaient acte. Nous avons là une évolution.

En ce qui concerne le double emploi, je me suis exprimé tout à l'heure. J'ai dit qu'il le fallait à chaque fois que c'était nécessaire.

Concernant la discrimination, il est certain que nous devons prendre en compte les éléments que vous avez indiqués, notamment en ce qui concerne la Turquie et ses relations avec l'Union européenne. C'est une dimension importante. Il y a donc là aussi une certaine évolution.

En ce qui concerne les aides et les moyens de financement, vous avez parfaitement raison, Mme Durrieu, car il existe un handicap et un gap croissants. La question a été posée également par M. Greenway. Il est vrai que nous ne pouvons avoir ces ambitions que si nous disposons de moyens suffisants et que si les opinions publiques sont prêtes à ces sacrifices, se rendent compte de l'importance du sujet. C'est pourquoi ce que M. Ducarme a dit sur l'eurobaromètre est important. Il y a une sensibilisation à opérer. Pour répondre aussi à M. Greenway, je remarque que cela n'empêche pas les États les plus réticents, qui ont une tradition neutraliste - je pense à l'Irlande, à l'Autriche, à quelques pays scandinaves -, de participer ponctuellement à un certain nombre d'opérations. Je vois bien que chacun sera amené, dans le cadre des coopérations structurées permanentes, à participer, sans renier sa propre tradition, tout en faisant en sorte que, ensemble, nous disposions de moyens suffisants.

Vous avez posé le problème des aides. C'est un des sujets qui devra évoluer, je l'espère, dans le cadre du marché intérieur des industries de défense, car si l'on continue à opposer une volonté de coopération forte dans le domaine de la sécurité et de la défense avec des aspects technologiques et de recherche importants, le système d'encadrement des aides au niveau communautaire devra aussi évoluer.

On voit donc bien qu'au travers de tous ces enjeux de politique européenne de sécurité et de défense, ce sont des pans importants des actions, des politiques autres que nous menons dans le cadre européen, qui devront également être visités, notamment en matière de recherche technologique et en termes financiers. »

La question de l'Union pour la Méditerranée et ses conséquences en matière de sécurité maritime ont également été l'objet d'échanges avec les parlementaires. Le gouvernement français souhaite faire de la question de la surveillance maritime une des priorités d'actions de la nouvelle Union tout en renforçant les moyens de l'agence européenne Frontex en la matière. Une attention particulière devrait néanmoins être portée à la question des « réfugiés de l'environnement » sur les côtes européennes, estimés à 200 millions de personnes à l'horizon 2025.

M. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) a tenu, quant à lui, à interroger le ministre sur les difficultés rencontrées par l'Union européenne pour exprimer une position unie en matière de politique étrangère :

« L'actualité se fait quotidiennement l'écho de violations répétées des droits de l'Homme d'un bout à l'autre de la planète, de la Birmanie au Zimbabwe, en passant par le Tibet.

Continent lui aussi tourmenté au siècle passé, l'Europe représente un espoir pour les autres nations tant elle incarne un idéal de paix et de liberté et condamne les idéologies rétrogrades et les nationalismes étroits.

J'ai pourtant de la peine à observer les difficultés à nous unir pour dénoncer, ça et là, des atteintes criantes aux libertés fondamentales de l'individu.

Pouvons-nous espérer que la question des droits de l'Homme soit au coeur de la politique étrangère de l'Union européenne à l'occasion de la prochaine présidence française et que l'Union européenne affirme haut et fort les valeurs sur lesquelles elle est fondée ? »

M. Jouyet a, à cet égard, formulé deux remarques :

« Premièrement, même si ce n'est pas forcément politiquement correct, vous avez, sur l'essentiel de ces questions, d'ores et déjà des positions qui me paraissent identiques à celles de l'Union européenne. Je n'ai pas noté de grandes divergences. Par rapport à la junte birmane notamment, concernant le Tibet ou un certain nombre de nations que vous avez mentionnées, les positions au sein du Conseil ont été réaffirmées.

Deuxièmement, il est vrai qu'il peut exister des problèmes de visibilité dans les structures actuelles du Traité. C'est pourquoi, tout en conservant bien évidemment ces sujets au coeur des préoccupations de la présidence française, il faut attendre d'être dotés d'un représentant en charge des relations extérieures pour que l'Europe affirme plus clairement une unité. A cet égard également, il est clair que la manière dont sera structuré le service extérieur commun, en prenant en compte la composante que vous avez intégrée, sera importante . »

A l'instar du discours du représentant du Gouvernement français lors de la deuxième partie de la session 2007, on regrettera l'absence, dans l'intervention du ministre, de mention sur l'avenir de l'Union de l'Europe Occidentale. Le renforcement des liens avec l'OTAN comme la possibilité, à terme, d'une adoption du Traité de Lisbonne modifie les perspectives d'actions pour l'Union de l'Europe occidentale et son assemblée. Face à la concurrence relative du Parlement européen, voire à celle de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, le champ d'action de l'Assemblée de l'UEO pourrait, en effet, s'avérer un peu plus étroit. Une telle perspective aurait pu être tempérée par un soutien manifeste du Gouvernement français.

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