2. Ne pas sacrifier l'objectif d'élévation du rythme de la croissance potentielle

Un risque de court terme de réduction de l'activité est associé à la réduction de la dette publique. Ce risque en entraîne un second : que la contraction de la croissance à court terme se répercute sur la croissance potentielle .

L'inflexion de l'investissement, la montée du chômage sont autant d'occasions perdues de croissance susceptibles de peser durablement sur les performances économiques d'un pays. La baisse du taux d'investissement a des effets durables sur l'activité. La montée du chômage risque de s'accompagner de pertes irrémédiables de « capital humain ».

C'est l'un des fondements essentiels des politiques budgétaires contracycliques que d'éviter ces effets baptisés « d'effets d'hystérèse » par les économistes.

Ces conditions de court terme de succès d'une stratégie de désendettement public sont aussi des conditions plus structurelles . Mais, on doit ajouter une réflexion de fond sur la justification d'un objectif de renoncement de l'Etat à la dette , ou du moins d'une réduction très forte du niveau de celle-ci.

Les consolidations budgétaires empruntant la voie d'une réduction des dépenses publiques pour baisser le niveau relatif de la dette publique supposent que les dépenses publiques concernées ne conditionnent ni la croissance effective ni le potentiel de croissance économique ou soient moins efficaces que d'éventuelles dépenses privées qu'elles évinceraient.

On a indiqué précédemment que l'effet d'éviction exercé par les dépenses publiques était incertain, surtout d'ailleurs quand les dépenses publiques sont financées par la dette.

Les risques de court terme d'une réduction de la dette publique pour la croissance ont également été évoqués.

S'agissant des effets d'une consolidation budgétaire par réduction des dépenses publiques sur la croissance potentielle , il faut distinguer deux hypothèses.

Si l'on imagine que la réduction des dépenses publiques réduit la croissance potentielle, il faut alors en conclure que la baisse de la dette publique, constatée à l'instant où elle se produit, sera « rongée » structurellement parce que le sentier de croissance est affecté à la baisse pour la stratégie budgétaire. La question est de savoir dans quelles proportions la croissance potentielle est réduite.

Au contraire, si on considère que les dépenses publiques peuvent être réduites sans effets défavorables sur la croissance potentielle, il faut diminuer structurellement la dette publique. Dans cette hypothèse, la dette est, en effet, insoutenable.

On pourrait être tenté de tirer argument de l'augmentation de la dette publique intervenue depuis le début des années 80 pour conclure que la dette publique a financé des emplois à l'efficacité économique insuffisante.

Mais, même si l'efficacité économique des dépenses publiques doit être un critère essentiel de l'intervention publique, plusieurs considérations s'opposent à ce que cet argument soit adopté sans réserves et en dehors d'un examen plus sérieux :

- l'augmentation du ratio de dette publique pourrait être la résultante d'une croissance économique limitée par des facteurs sans rapport avec l'efficacité des dépenses publiques ;

- la rentabilité économique des dépenses publiques pourrait être différée, hypothèse assez vraisemblable si l'on se réfère à la nature de dépenses telles que les dépenses d'éducation ou d'équipement ;

- la contribution des dépenses publiques à la production telle qu'elle est calculée pourrait être considérée comme insusceptible de rendre compte de leur apport en termes de niveau de vie et ainsi conduire à exagérer l'image d'une augmentation de la dette publique plus rapide que celle des richesses économiques.

On peut aussi se référer à des modèles d'explication de la croissance économique dans lesquels la productivité globale des facteurs - élément essentiel de la croissance - dépend directement du financement de biens publics (la santé, l'éducation...) et qui justifient le recours à l'endettement public.

Quoi qu'il en soit, il semble impossible de faire autrement que de constater que tous les éléments nécessaires à l'adoption d'une position tranchée sur les relations entre la dette publique et la croissance économique structurelle ne sont pas disponibles. La résolution de ce problème passe par un approfondissement des savoirs sur la rentabilité économique des dépenses publiques. En pratique, il est encore possible de réduire les dépenses publiques inefficaces et de chercher à accroître celles considérées comme favorables à une augmentation de la croissance potentielle.

*

* *

Il est finalement quelques convictions :


• La première est que la poursuite d'un objectif prioritaire et absolu de réduction de la dette publique présente des risques économiques de court terme qu'il serait imprudent de courir dans le contexte économique actuel ;


• La seconde est que l' endettement public n'a pas la responsabilité première dans la crise de la dette en cours , qui est venue de l'explosion des dettes privées.

La dette publique a reculé dans l' Union européenne à 15 et dans la zone euro à 12 depuis 1996, de 11,3 points de PIB et 7,8 points de PIB respectivement.

C'est dans les pays les plus endettés au départ que le recul a été le plus important (Belgique, Italie, Grèce), mais d'autres pays ont connu des replis sensibles de la dette publique : les pays scandinaves (Danemark, Suède, Finlande) ainsi que l'Irlande, les Pays-Bas, l'Espagne et le Royaume-Uni.

En revanche, l'Allemagne, la France et le Portugal ont enregistré une augmentation, assez modérée (de quelques points), de leur dette publique.

La dette publique a également rétrogradé aux États-Unis (jusqu'en 2002) et au Canada alors qu'elle a considérablement augmenté au Japon (de plus de 80 points de PIB).

DETTE PUBLIQUE - DETTE BRUTE CONSOLIDÉE DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES EN POURCENTAGE DU PIB

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

UE (15 pays)

71,7

69,9

68,1

67,2

63,2

62,2

61,6

63,0

63,2

64,1

62,8

60,4

Zone euro (12 pays)

74,3

73,7

73,4

72,1

69,4

68,4

68,2

69,3

69,7

70,3

68,6

66,5

Belgique

127,0

122,3

117,1

113,6

107,8

106,5

103,4

98,6

94,3

92,1

87,8

83,9

Danemark

69,2

65,2

60,8

57,4

51,5

48,7

48,3

45,8

43,8

36,4

30,5

26,2

Allemagne

58,4

59,7

60,3

60,9

59,7

58,8

60,3

63,8

65,6

67,8

67,6

65,1

Irlande

73,4

64,2

53,5

48,4

37,9

35,6

32,2

31,1

29,4

27,3

24,7

24,8

Grèce

111,3

108,2

105,8

105,2

103,2

103,6

100,6

97,9

98,6

98,8

95,9

94,8

Espagne

67,4

66,1

64,1

62,3

59,3

55,5

52,5

48,7

46,2

43,0

39,6

36,2

France

58,0

59,2

59,4

58,9

57,3

56,9

58,8

62,9

64,9

66,4

63,6

63,9

Italie

120,9

118,1

114,9

113,7

109,2

108,8

105,7

104,4

103,8

105,9

106,9

104,1

Luxembourg

7,4

7,4

7,1

6,4

6,2

6,3

6,3

6,1

6,3

6,1

6,6

7,0

Pays-Bas

74,1

68,2

65,7

61,1

53,8

50,7

50,5

52,0

52,4

51,8

47,4

45,7

Autriche

67,6

63,8

64,3

66,5

65,6

66,1

65,9

64,7

64,8

63,7

62,0

59,5

Portugal

59,9

56,1

52,1

51,4

50,5

52,9

55,6

56,9

58,3

63,6

64,7

63,6

Finlande

56,9

53,8

48,2

45,5

43,8

42,3

41,3

44,3

44,1

41,3

39,2

35,1

Suède

73,9

71,8

70,0

65,6

54,4

55,3

53,7

53,5

51,2

50,9

45,9

40,4

Royaume-Uni

51,3

49,8

46,7

43,7

41,0

37,7

37,5

38,7

40,6

42,3

43,4

44,2

États-Unis

73,4

70,9

67,7

64,1

58,2

57,9

60,2

62,5

63,4

-

-

-

Japon

93,9

100,3

112,2

125,7

134,1

142,3

149,5

157,6

164,0

-

-

-

Canada

100,3

96,2

93,9

89,5

81,9

81,0

77,9

73,4

70,7

-

-

-

Source : Eurostat

Le recul de la dette publique dans la zone euro s'est accompagné d'une forte augmentation de l'endettement privé.

Pour les ménages , l'endettement est passé de l'ordre de 70 % de leur revenu disponible en 2000 à près de 95 % de celui-ci en 2007 (+ 25 points de revenu disponible, soit environ + 14 points de PIB).

Pour les entreprises non financières , la dette est passée d'un équivalent de 60 points de PIB en 1999 à près de 80 points de PIB en 2007.

Ces 20 points de PIB supplémentaires peuvent être confrontés à la diminution de la dette publique de 5,6 points entre 1999 et 2007.

Celle-ci est, elle-même, à comparer avec l' augmentation agrégée des dettes des ménages et des entreprises (environ 34 points de PIB) au cours de la période considérée.

Autrement dit, si la dette publique dans la zone euro a rétrogradé de 5,6 points de PIB, les dettes privées ont augmenté, avec + 34 points de PIB, dans des proportions telles que l'endettement supplémentaire agrégé des ménages, des entreprises et des administrations publiques s'est accru entre 1999 et 2007 de près de 30 points de PIB .

L'augmentation considérable des dettes privées ne représente pas en soi un processus condamnable. La dette est un facteur de croissance dès qu'elle finance des emplois productifs.

Cependant, le propre du fonctionnement d'une économie libre est de reposer sur le risque. Chacun comprend que l'endettement finance des emplois risqués.

La question que pose la dette n'est donc rien d'autre qu'une question de soutenabilité . C'est tout le rôle d'une supervision financière de gérer cette question en prenant en compte une diversité de scénarios (les « stress tests »).

Il est manifeste que cette supervision, extrêmement serrée pour les dettes publiques dans l'Union européenne (le pacte de stabilité et de croissance) mais exercée sur des bases simplistes (les ratios de Maastricht de 3 % du PIB pour le déficit public et de 60 % du PIB pour la dette publique sont cohérents avec le maintien du niveau de la dette à 60 % du PIB dans l'hypothèse d'une croissance économique nominale de 5 %) et désormais excessives (dans la logique du pacte de stabilité tel qu'appliqué la dette publique doit disparaître), a échoué s'agissant des dettes privées . Or, comme la position budgétaire des Etats est d'autant meilleure que les dettes privées augmentent (du moins jusqu'à ce que la crise survienne), la surveillance des dettes publiques échoue elle-même à enseigner sur la situation économique et financière des Etats.

La crise économique a le mérite de montrer que la sphère privée peut receler des dynamiques d'endettement systémiquement dangereuses et que la division des risques, qui en réduit a priori les dangers macroéconomiques fait parfois place à des risques globaux quand l'excès de risques provient du fonctionnement même du système.

Elle montre aussi que les Etats disposent d'une assurance de leur crédit incomparablement plus satisfaisante que les agents privés - l'assurance des Etats repose sur l'ensemble de l'économie - et que ce qui est considéré comme un risque supplémentaire pour la stabilité économique et financière peut, au contraire, jouer un rôle stabilisateur.

Mais, la crise montre aussi que l'endettement, qu'il soit privé ou public, ne peut être considéré avec légèreté.

Dans ce contexte, il conviendrait de refonder la supervision financière en Europe :

- en s'accordant sur des niveaux de dette publique jugés soutenables sur la base de critères économiques et financiers moins simplistes que le ratio du pacte de stabilité et de croissance 67 ( * ) ;

- et en élargissant l'appréciation de la stabilité financière au domaine des dettes privées.


• La troisième est que la dette publique a permis de contenir l'augmentation des dettes privées et qu'elle est aujourd'hui un instrument de lutte contre les conséquences de la crise de la dette privée. Autrement dit, les liens entre dettes souveraines et stabilité financière méritent un examen sérieux.


• La quatrième est que la dette publique, tout comme la dette privée, ne doit pas être une réponse à un sentier de croissance économique déséquilibré par les pressions exercées par les épargnants.

Autrement dit, c'est à un examen de l'équilibre de la croissance économique qu'il faut procéder prioritairement pour régler les problèmes de dettes, publiques ou privées.

A ce propos, dans la lignée du rapport que votre délégation avait consacré à la coordination des politiques économiques en Europe, votre rapporteur insiste sur la nécessité impérieuse de refonder la politique économique européenne. Dans cette perspective, le schéma d'hyper-concurrence entre les espaces européens ne doit pas être relayé par les Etats sauf à ce qu'à l'avenir l'Europe connaisse des crises financières, sociales et économiques d'une extrême gravité.


• Sans doute, cinquième conviction , est-il indispensable de surveiller la stabilité financière des Etats mais, outre que cette surveillance devrait être entièrement renouvelée, le pacte de stabilité et de croissance constituant un mécanisme contreproductif, il appartient à l'Europe de définir enfin des politiques économiques propres à assurer une croissance forte et durable.

C'est l'effort auquel contribuera votre délégation dans un prochain et second rapport consacré à la coordination des politiques en Europe.

* 67 Qui, au demeurant, sont des références de plus en plus incertaines depuis que les Etats sont astreints à des positions de moyen terme d'équilibre voire d'excédents structurels de leurs comptes publics.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page