RAPPORT D'INFORMATION N° 1153 (XIIIE LÉGISLATURE) DE MM. JEAN-LUC WARSMANN, PRÉSIDENT, DIDIER QUENTIN, RAPPORTEUR, ET JEAN-JACQUES URVOAS, CO-RAPPORTEUR, AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE (OCTOBRE 2008) - POUR UN BIG BANG TERRITORIAL
Le rapport de la mission d'information de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, publié le 8 octobre dernier, constitue à la fois une synthèse de la réflexion sur l'organisation des collectivités territoriales et une boîte à outils pour envisager les évolutions à venir. Il ne choisit pas entre les différentes options possibles mais prépare le terrain pour le gouvernement en estimant la réforme inéluctable.
I - LE CONSTAT : L'ENCHEVÊTREMENT PRÉJUDICIABLE DES COMPÉTENCES
Le rapport WARSMANN arrive à une conclusion : le partage des compétences est la règle et leur claire répartition l'exception (formation professionnelle aux régions, action sociale aux départements et urbanisme aux communes et intercommunalités). La « concurrence » est particulièrement vive pour les transports, l'éducation et l'action économique.
Un tableau (reproduit en annexe) illustre à quel point pour l'ensemble des collectivités les compétences peuvent être communes (chaque niveau de collectivité pouvant faire la même chose) ou « saucissonnées » (chaque niveau de collectivité étant compétent pour un aspect du sujet selon une clé de répartition géographique).
A. Deux facteurs de l'enchevêtrement
L'existence d'une clause générale de compétence apparaît comme le principal facteur responsable de cette situation. Les seules limites à la compétence d'une collectivité sont la limite territoriale et la limite des compétences confiées par le législateur de manière exclusive. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a permis de renforcer la clause générale de compétence en y adjoignant le principe selon lequel « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon ».
Cette clause de compétence générale constitue certes une garantie de liberté pour les collectivités territoriales, mais aussi un facteur d'inefficacité comme le souligne la Cour des comptes qui estime, en 2007, que les dispositifs d'aide au développement économique sont « éclatés, complexes et peu coordonnés » . Cet état de fait est renforcé par le peu d'effet du « chef de filat » introduit par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 pour tempérer le principe d'absence de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre.
La logique politique apparaît comme le second facteur de l'enchevêtrement. Chaque élu local recherche un champ d'action le plus large possible, susceptible de lui conférer une plus grande notoriété et de faire figurer la collectivité qu'il représente en bonne place pour les réalisations au profit de la population (exemple des subventions aux associations ou aux entreprises ainsi que les interventions dans le domaine culturel ou dans le domaine environnemental).
Le rapport estime ainsi qu'il « n'est jamais acquis que les collectivités territoriales, dans une logique de responsabilité et de souci d'économie de la dépense publique, limitent spontanément leurs actions à leurs compétences majeures et historiques ». Ce constat plaide, selon la mission, « en faveur d'une délimitation stricte, par voie législative, des compétences des collectivité s, afin de permettre aux élus de résister aux tentations d'agir en dehors de leurs domaines de compétences ».
B. Des conséquences à la fois financières et politiques
L'enchevêtrement des compétences a un coût financier à travers la dégradation des finances publiques (doublons des structures, inflation des dépenses) et l'affaiblissement de la compétitivité des entreprises qui doivent consacrer des moyens importants (constitution d'équipes spécialisées) pour négocier avec une multitude d'acteurs. Ensuite, la prolifération de structures territoriales aux compétences mal délimitées conduit à multiplier les interventions coûteuses dans les domaines les plus divers et, du même coup, implique souvent une augmentation des effectifs des administrations locales.
La puissance publique devient moins réactive et moins responsable . Avant chaque action, les décideurs locaux sont contraints de recourir à une importante expertise juridique et technique afin de déterminer les échelons compétents pour chaque projet. Les décideurs sont aussi obligés de recourir à des instruments juridiques complexes comme les schémas et les conventions.
Par ailleurs, la généralisation des cofinancements entraîne une dilution des responsabilités . La multiplication des acteurs ne permet pas d'attribuer la responsabilité d'un échec ou d'un succès. Enfin, la recherche d'un consensus aboutit à ne retenir que le plus petit dénominateur commun aux différents partenaires.
C. Un paysage local devenu inintelligible pour le citoyen
L'enchevêtrement des compétences a aussi un coût politique car cette confusion éloigne le citoyen de la démocratie locale. La décentralisation devient une affaire de spécialistes faite d'expertises et de concertations de plus en plus complexes. Les citoyens s'en éloignent, désemparés par la complexité des normes applicables et l'éclatement des responsabilités. Cette situation favorise l'abstention.
D. La multiplication des acteurs complique la situation
Le rapport estime que l'accroissement du nombre des niveaux de collectivités auquel il convient d'ajouter l'intercommunalité a d'autant plus favorisé l'enchevêtrement des compétences, la dispersion des énergies et la dilution des responsabilités qu'elle s'est accompagnée du maintien de la clause de compétence générale.
Les régions françaises ont un rôle et un poids moins important que chez nombre de nos voisins européens. Par ailleurs, l'échelon régional demeure plus fragile sur le plan démocratique du fait, en particulier, du recours au scrutin de liste pour l'élection des conseillers régionaux.
II - LA SOLUTION : CLARIFIER ET SIMPLIFIER LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES
A. Revenir sur la clause de compétence générale
Pour réduire l'enchevêtrement des compétences, il est nécessaire de redistribuer plus clairement les compétences entre les collectivités et entre les collectivités et l'État.
Le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales n'implique pas nécessairement de « clause de compétence générale ». Aucune jurisprudence constitutionnelle ne semble s'opposer à une modification des dispositions législatives du CGCT visant à spécialiser davantage l'action de chaque catégorie de collectivité territoriale. La mission propose qu'à terme, 80 % des compétences soient attribuées exclusivement à un seul échelon de collectivités territoriales . Elle reconnaît toutefois que parmi les associations d'élus, seule l'ARF est favorable à une remise en cause de la clause de compétence générale.
Concernant les cofinancements, la mission préconise de n'autoriser qu'un seul niveau de collectivité à participer au financement d'un projet conduit par une autre collectivité.
B. Favoriser le regroupement des structures territoriales
La mission n'évoque pas la suppression d'un niveau de collectivité, en revanche une de ses principales propositions consiste à inciter financièrement les collectivités territoriales à se regrouper volontairement, soit par l'union avec une collectivité de même niveau, soit par l'accroissement de compétences résultant de la fusion avec un autre niveau. Cela signifie, par exemple, que les régions seraient incitées à se regrouper entre elles (Haute-Normandie et Basse-Normandie) tout comme les régions et les départements (l'Île-de-France et l'ensemble des départements qui la composent) pour constituer de « grandes régions » intégrées verticalement.
Dans le dernier cas, seule la nouvelle collectivité qui se substituerait à la fois à la région et aux départements disposerait de la personnalité morale et percevrait le produit des impositions départementales et régionales. Elle pourrait, en revanche, confier la mise en oeuvre de certaines de ses compétences, dès lors qu'elles correspondent aux compétences actuelles des départements, aux conseils territoriaux, qui agiraient ainsi par délégation pour le compte de la nouvelle collectivité territoriale. Cette nouvelle collectivité cumulerait les impôts et dotations des conseils régionaux et des conseils généraux.
Par ailleurs, la mission propose également la création de collectivités sur le modèle des communes de Paris, Lyon et Marseille pour intégrer les communes et les EPCI ainsi que des rapprochements entre département et EPCI pour permettre l'émergence de métropoles en province. Elle évoque aussi le bouclage de l'intercommunalité.
LES DIX PRINCIPES RETENUS PAR LA MISSION WARSMANN
Principe n° 1 : la fin de la dérive des financements croisés
Pour que chaque citoyen puisse identifier la collectivité responsable et afin de réduire les financements croisés, prévoir qu'un seul niveau de collectivités locales peut participer au financement d'un projet conduit par une autre collectivité.
Principe n° 2 : spécialiser l'action des collectivités
Attribuer 80 % des compétences des collectivités exclusivement à un niveau de collectivités. Exemples :
- pour les départements : l'action sociale, le tourisme, les musées, bibliothèques, archives, services archéologiques...
- pour les régions : collèges, lycées et établissements d'enseignement supérieur (personnel technique, immobilier et équipement), l'enseignement artistique, les transports scolaires, routiers et ferroviaires...
- pour les communes et intercommunalités : les équipements sportifs...
Principe n° 3 : tenir compte des réalités locales
Permettre à une collectivité attributaire d'une compétence exclusive de la déléguer entièrement à un autre échelon territorial.
Principe n° 4 : réduire le nombre de collectivités
Inciter financièrement les collectivités territoriales à se regrouper volontairement, soit par l'union avec une collectivité de même niveau, soit par l'accroissement de compétences résultant de la fusion avec un autre niveau, selon les principes prévus par la loi et dans un délai à fixer (par exemple d'un an) au terme duquel il reviendra au législateur de valider les résultats obtenus.
Principes n° 5 et 6 : pour les régions, s'étendre géographiquement ou fusionner avec les conseils généraux, dans un délai à fixer (par exemple d'un an)
Faciliter le regroupement volontaire des régions, pour rendre la carte territoriale plus cohérente.
Permettre et favoriser la fusion volontaire d'une région et de ses départements en une même collectivité (qui pourrait être dénommée « grande région ») exerçant l'ensemble de leurs compétences.
Principe n° 7 : permettre la création de métropoles en fusionnant conseil général et intercommunalité
Permettre la transformation d'une communauté d'agglomération ou d'une communauté urbaine au poids prépondérant au sein de son département en une collectivité territoriale de plein exercice se substituant au département, les communes restantes pouvant être intégrées aux départements voisins avec leur accord.
Principe n° 8 : achever l'intercommunalité
Achever la carte des intercommunalité en 2010. En veillant à leur cohérence spatiale, autoriser le représentant de l'Etat dans le département à inclure au sein d'une intercommunalité à fiscalité propre, après consultation de la commission départementale de coopération intercommunale, les intercommunalités enclavées et les communes isolées.
Principe n° 9 : supprimer les pays
Supprimer progressivement les pays, en prévoyant un transfert de leurs activités aux intercommunalités.
Principe n° 10 : permettre la création d'une collectivité unique intercommunalité-communes
Permettre la transformation d'une intercommunalité et de ses communes membres en une collectivité unique, à l'instar de la formule Paris Lyon Marseille.
L'ensemble des conseillers pourront alors être élus au suffrage universel direct. Chacun des conseils des communes regroupées conserve l'exercice de compétences de proximité et dispose de ressources budgétaires.