(2) Les erreurs de la supervision budgétaire institutionnelle

Le rapport de la Commission européenne sur les finances publiques en 2008 témoigne des problèmes de réalisme que rencontre la supervision financière des États en Europe .

Le graphique ci-dessus montre à quel point les diagnostics posés dans le cadre de la supervision institutionnelle des positions budgétaires, que ce soit avant la crise ou depuis, contrastent avec le diagnostic des marchés et des prêteurs de fonds.

De nombreux pays pour lesquels la procédure de déficit excessif avait été close courant 2008 supportent aujourd'hui des primes sur le financement de leur dette publique, supérieures à ce qu'elles étaient avant la clôture de la procédure.

Ce processus n'est pas lié à un redressement du coût des emprunts publics du fait de la crise. Au contraire, au total, le financement des dettes publiques coûte moins cher qu'avant la crise.

TAUX D'INTÉRÊT SUR LES OBLIGATIONS D'ÉTAT À 10 ANS

Source : COE-Rexecode

Cette baisse du coût instantané de la dette publique résulte à la fois de politiques monétaires devenues plus accommodantes et d'un arbitrage des investisseurs en recherche de titres de qualité 35 ( * ) .

Dans ce contexte général, les conditions de marché discriminent les emprunteurs dans un sens souvent opposé aux décisions de la supervision institutionnelle en Europe .

Plusieurs pays sortis de la procédure de déficit excessif en 2008 (et non concernés par les procédures ouvertes en 2009) subissent des primes de risque supérieures à celles imposées à certains États (dont la France) concernés par des procédures ouvertes en 2009.

Le rapport s'ouvre sur un satisfecit en estimant que les déficits structurels n'ont jamais été aussi bas depuis le début des années 70 .

Rappelant le bilan de l'utilisation des procédures préventives du pacte de stabilité et de croissance, il est relevé que quatre procédures pour déficit excessif ont été closes (République tchèque, Italie, Portugal et Slovaquie), qu'il n'en reste plus que deux en cours (la Hongrie et la Pologne, « celle-ci devant vraisemblablement être close à son tour » ) mais qu'une procédure a été mise en oeuvre contre le Royaume-Uni. En outre, la Commission a inauguré la nouvelle procédure d'avis de politique budgétaire (prévue par la réforme du pacte de 2005), qui lui permet d'agir sans intervention du Conseil, contre la France et la Roumanie.

Examinant la situation financière des pays, le rapport estime par exemple :

- pour l' Irlande que, malgré des risques de ralentissement économique éloignant le pays de la situation financière solide observée en 2006, l'objectif de moyen terme 36 ( * ) pourrait être atteint moyennant une maîtrise des dépenses publiques ;

- pour l' Espagne , que la position budgétaire à moyen terme est solide avec un large excédent budgétaire, supérieur à l'objectif de moyen terme et un ratio de dette publique relativement bas.

SOLDES BUDGÉTAIRES EN EUROPE

(en % du PIB)

SOLDE

SOLDE STRUCTUREL

SOLDE STRUCTUREL PRIMAIRE

2006

2007

2008*

2009*

2006

2007

2008*

2009*

2006

2007

2008*

2009*

Belgique

0,3

- 0,2

- 0,4

- 0,6

- 0,6

- 0,3

- 0,2

- 0,1

3,4

3,6

3,4

3,4

Allemagne

- 1,6

0,0

- 0,5

- 0,2

- 1,4

- 0,3

- 0,8

- 0,8

1,3

2,5

1,8

1,8

Irlande

3,0

0,3

- 1,4

- 1,7

2,9

0,2

- 0,8

- 0,9

4,0

1,2

0,2

0,2

EL

- 2,6

- 2,8

- 2,0

- 2,0

- 3,7

- 3,3

- 2,6

- 2,3

0,4

0,8

1,4

1,6

Espagne

1,8

2,2

0,6

0,0

2,0

2,4

1,1

0,9

3,6

3,9

2,7

2,5

France

- 2,4

- 2,7

- 2,9

- 3,0

- 2,7

- 2,7

- 2,8

- 2,6

- 0,2

0,0

0,0

0,1

Italie

- 3,4

- 1,9

- 2,3

- 2,4

- 2,8

- 1,5

- 1,9

- 1,6

1,8

3,5

3,1

3,3

Luxembourg

1,3

2,9

2,4

2,3

1,4

2,8

2,7

2,9

1,6

3,0

2,9

3,1

Pays-Bas

0,5

0,4

1,4

1,8

1,1

0,3

1,0

1,3

3,3

2,6

3,0

3,2

Autriche

- 1,5

- 0,5

- 0,7

- 0,6

- 1,4

- 1,0

- 1,2

- 0,9

1,3

1,7

1,5

1,7

Portugal

- 3,9

- 2,6

- 2,2

- 2,6

- 3,2

- 2,2

- 1,9

- 2,2

- 0,4

0,6

0,8

0,6

Finlande

4,1

5,3

4,9

4,6

4,2

4,9

4,8

4,9

5,6

6,4

6,2

6,1

Zone euro à 15

- 1,3

- 0,6

- 1,0

- 1,1

- 1,2

- 0,7

- 1,0

- 0,9

1,6

2,3

1,9

2,0

Danemark

4,8

4,4

3,9

2,9

4,1

3,9

4,6

3,7

5,7

5,4

6,0

4,9

Suède

2,3

3,5

2,7

2,3

1,5

2,8

2,4

2,5

3,2

4,6

4,1

4,2

Royaume-Uni

- 2,6

- 2,9

- 3,3

- 3,3

- 2,8

- 3,0

- 3,2

- 2,8

- 0,8

- 0,8

- 1,1

- 0,7

* Prévisions

Source : Services de la Commission européenne (prévisions du printemps 2008)

En 2007, la situation budgétaire en Europe se caractérisait par l'existence d' un déficit global, pour l'Union à 27, de l'ordre de 0,9 point de PIB (en retrait de 0,5 point de PIB par rapport à 2006) qui était considéré comme essentiellement structurel . En outre, le déficit structurel de 1 point de PIB 37 ( * ) une fois les charges d'intérêt de la dette déduites se transformait en un excédent primaire structurel de 1,7 point de PIB.

Vue avec les critères utilisés pour apprécier la situation budgétaire dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, la trajectoire des finances publiques de l'Europe était considérée comme satisfaisante en 2007.

Le déficit structurel était en voie de réduction dans des proportions conformes avec la lettre et l'esprit du pacte de stabilité et de croissance (une amélioration de 0,5 point de PIB d'un an sur l'autre) offrant globalement une perspective de stabilisation de la dette publique sous réserve de la poursuite de la réduction du déficit public.

Il vaut d'être relevé que ces évolutions étaient vues comme le résultat d'un important effort de maîtrise des finances publiques qu'illustraient l' existence d'un excédent primaire global . Celui-ci signifie qu'en dehors des charges difficilement compressibles, et héritées, de la dette publique, les États européens dépensaient moins que ce que leur auraient permis leurs recettes .

Cependant, dans ce panorama, il faut faire ressortir des nuances .


• Plusieurs pays disposaient d'un solde budgétaire équilibré ou excédentaire : l'Allemagne, l'Irlande, l'Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Finlande, le Danemark, la Suède... Pour la plupart, ces pays avaient réduit (augmenté) leur déficit (excédent) par rapport à 2006 (l'Allemagne, l'Espagne, le Luxembourg, la Finlande et la Suède), à l'inverse de certains d'entre eux (le Danemark et les Pays-Bas notamment). Si certains connaissaient encore un solde public structurel négatif (l'Allemagne) ou en voie de dégradation (l'Irlande, les Pays-Bas, le Danemark), l'état de leurs comptes publics apprécié selon les critères appliqués par la Commission européenne ressortait, malgré tout, comme pleinement compatibles avec les règles prudentielles du pacte de stabilité de croissance.


• Il n'en allait pas de même pour d'autres États européens
.

Certains d'entre eux connaissaient une situation de déficits élevés (c'est-à-dire ici proche de la barre des 3 points de PIB du pacte). Ainsi en allait-il de la Grèce, de la France, du Portugal et du Royaume-Uni, tous pays dont le déficit public excédait 2,5 points de PIB et, excepté pour le Portugal, se creusait. En outre, l'essentiel des déficits de ces pays était considéré comme structurel, témoignant d'un déséquilibre fondamental entre les dépenses publiques et les recettes publiques.

D'autres États connaissaient des déficits publics inférieurs (1,9 point de PIB pour l'Italie ; 0,2 point de PIB pour la Belgique...) qui étaient en outre en voie de résorption structurelle, le déficit structurel de l'Italie étant passé de 2,8 à 1,5 point de PIB par exemple.

L'analyse globale de la situation budgétaire, et celle de ses composantes nationales, était manifestement assise sur une erreur d'analyse économique et débouchait sur une appréciation particulièrement erronée de la situation des finances publiques.

De fait, les déficits publics ont, depuis, considérablement augmenté.

DÉFICITS BUDGÉTAIRES EN % DU PIB

Source : BIPE. Mars 2009

D'un déficit de 0,9 point de PIB pour la zone euro, on est passé à un déficit de 1,7 point de PIB en 2008 et à des prévisions de déficit de 4 points de PIB pour 2009 , soit une dégradation de 3,1 points de PIB en deux ans.

Encore ces prévisions reposent-elles sur des hypothèses macroéconomiques et financières plutôt « favorables ».

Les récentes prévisions de l'OCDE qui tablent sur un repli de l'activité économique de 4,1 % dans la zone euro anticipent une dégradation budgétaire plus ample .

PRÉVISIONS DE L'OCDE SUR LES POSITIONS BUDGÉTAIRES EN ZONE EURO
(EN POINTS DE PIB)

2006

2007

2008

2009

2010

Solde effectif

- 1,3

- 0,7

- 1,8

- 5,4

- 7,0

Solde structurel*

- 1,3

- 0,9

- 1,4

- 2,1

- 2,7

Solde structurel

1,3

1,7

1,2

0,5

- 0,1

Engagements financiers bruts

74,6

71,2

71,0

77,7

84,4

Note : Le solde effectif et les engagements financiers bruts sont en pourcentage du PIB nominal. Les soldes structurels sont exprimés en pourcentage du PIB potentiel. Les soldes primaires structurels excluent l'impact des charges d'intérêts nettes de la dette sur les soldes sous-jacents.

* L'OCDE n'utilise pas le terme « structurel » mais le terme « sous-jacent ». Ce choix sémantique, plus neutre, est en même temps que moins chargé de sens, moins « axiologique » et, du même coup, tient compte plus prudemment de l'existence de situations où l'activité économique bien qu'au potentiel repose sur des « équilibres » insoutenables.

Source : OCDE

L'OCDE estime la dégradation du solde public dans la zone euro à 4,7 points de PIB entre 2007 et 2009 et 6,3 points de PIB entre 2007 et 2010 . Encore l'essentiel de cette augmentation viendrait-elle du jeu des stabilisateurs automatiques, la composante structurelle de l'équilibre budgétaire se détériorant de 1,8 point de PIB seulement à l'horizon 2010 témoignant d'une faible activation de la politique budgétaire discrétionnaire.

On pourra toujours objecter que l'extrême dégradation de la position budgétaire des États européens est le résultat d'une crise économique sans précédent. Mais, le fait est là : alors que des voix s'élevaient pour alerter sur le caractère insoutenable des régimes de croissance choisis par certains pays européens et sur la fragilité de leurs positions financières, la supervision financière institutionnelle est passée à côté de ces avertissements, et s'est trompée .

* 35 Les titres de la dette publique représentant un choix d'allocation d'actifs qui pour n'être pas le plus rémunérateur est prioritaire pour la plupart des investisseurs compte tenu de leur sécurité.

* 36 L'objectif de moyen terme, contraint par les règles du pacte de stabilité et de croissance, est le niveau du solde budgétaire à l'horizon du programme de stabilité de chaque pays qui, du fait de cette contrainte, doit être équilibré.

* 37 Ce qui implique que pour 0,1 point de PIB la situation d'équilibre des finances publiques était due à un écart de croissance positif entre la croissance effective et la croissance potentielle.

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