TROISIÈME PARTIE : POUR UNE REFONDATION DES FINANCES LOCALES

Comme il a été rappelé dans le rapport d'étape, la situation actuelle des finances locales se caractérise par un cadre budgétaire et comptable modernisé, des règles prudentielles fortes et une situation saine. Sans entrer dans le débat, récurrent, sur l'absence de juste compensation des charges transférées par l'Etat aux collectivités, soit de manière légale au travers des lois de décentralisation, soit insidieusement dans le champ des compétences qui restent du domaine de l'Etat, votre mission avait principalement critiqué l'inadaptation des ressources des collectivités et leur dépendance vis-à-vis de décisions externes .

A partir de ce constat, elle a posé plusieurs principes pour orienter la réforme :

- les impôts doivent être spécialisés sur un nombre limité de collectivités, pour être lisibles et compréhensibles par le contribuable ;

- les prises en charge par l'Etat de contributions dues localement doivent être limitées, voire supprimées ;

- chaque collectivité doit pouvoir recourir à la fois au contribuable ménages et au contribuable entreprises. De ce point de vue, la mission a, dans son rapport d'étape, jugé indispensable la conservation d'un impôt économique, expression du lien qui doit être préservé entre les territoires et les entreprises ;

- les collectivités doivent s'appuyer largement sur des impôts de stocks, de préférence à des impôts de flux, afin de respecter la contrainte de l'équilibre auquel doit satisfaire le vote en début d'année des budgets locaux ;

- les assiettes doivent être larges pour éviter la concentration de l'impôt et les cumuls d'impôt sur une même assiette doivent être limités ;

- la capacité de fixer les taux doit être réelle pour la collectivité.

La mission a souhaité approfondir ces principes, en les confrontant aux nombreux rapports et études qui ont abordé ces dernières années le sujet des finances locales, principalement les rapports de M. Philippe Valletoux 126 ( * ) et de M. Olivier Fouquet 127 ( * ) .

Les finances locales souffrent de déséquilibres et d' archaïsmes , souvent dénoncés et qui se sont amplifiés au cours des années en raison de réformes partielles et de court terme. Le contexte politique est aujourd'hui propice à une réforme globale et il ne doit plus être question, comme cela a été fait durant tant d'années, de simplement supprimer une part d'imposition ou une part d'assiette en compensant la perte de produit pour les collectivités par l'affectation d'une dotation non évolutive.

C'est pourquoi la mission propose une série de mesures qui doivent être appréhendées dans leur cohérence d'ensemble : ainsi, le renforcement souhaité de l'autonomie fiscale doit avoir comme pendant une amélioration significative des mécanismes de péréquation. De plus, le préalable à toute réforme est qu'elle doit s'effectuer à ressources constantes pour les collectivités .

I. UN PRÉSUPPOSÉ : L'AUTONOMIE

La libre administration des collectivités territoriales est un principe constitutionnel essentiel, qui conduit notamment à l'autonomie de gestion des collectivités . Celle-ci est maintenant explicite dans le droit français : la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a en effet introduit dans la Constitution un article 72-2, qui indique dans son premier alinéa que « les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi » . De plus, la France a ratifié en 2007 la Charte européenne de l'autonomie locale du Conseil de l'Europe, dont l'article 9 prévoit que « les collectivités ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l'exercice de leurs compétences » .

Ceci étant acquis, le débat porte aujourd'hui, non pas sur la manière dont les collectivités utilisent leurs ressources, mais sur leur capacité à fixer le niveau de ces ressources, c'est-à-dire leur degré d'autonomie financière et fiscale.

A. LA DÉCENTRALISATION « À LA FRANÇAISE » S'EST CONSTRUITE SUR L'AUTONOMIE FINANCIÈRE ET FISCALE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Dès 1917, la création de l'impôt sur le revenu a permis à l'Etat de bénéficier d'une ressource moderne ; la patente et la contribution mobilière ont alors été transférées aux collectivités territoriales. Les deux taxes foncières, sur les propriétés bâties et les propriétés non bâties, ont été transférées à leur tour en 1948. Critiqués pour leur inadaptation aux structures économiques et sociales d'un pays industrialisé, ces impôts ont été réformés, d'abord par l'ordonnance du 7 janvier 1959, puis par la loi du 31 décembre 1973. La taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe d'habitation, ainsi renouvelées, sont assises sur des bases simplifiées et actualisées, la valeur locative remplaçant la notion de loyer matriciel. Enfin, la loi du 29 juillet 1975 a créé la taxe professionnelle en remplacement de la patente et l'a complétée par un système de péréquation départementale.

Ces quatre impôts ont ensuite peu évolué, les principales modifications ayant consisté en la suppression, par la loi de finances initiale pour 1999, de la part salaires de la taxe professionnelle, la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation par la loi de finances rectificative du 13 juillet 2000, ainsi que le nouveau plafonnement de la taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée, introduit par la loi de finances pour 2006.

Dès le 1 er janvier 1981, le principe du vote annuel des taux des quatre taxes par les collectivités territoriales devient effectif (loi du 10 janvier 1980). Le système de la quotité se substitue ainsi au système de la répartition, dans lequel le taux est calculé en fonction de la somme à percevoir. Le système de fixation libre des taux a perduré avec peu d'évolutions jusqu'à aujourd'hui.

Les impôts locaux ont ainsi pris leur forme actuelle au moment où la décentralisation allait connaître son élan majeur et ils ont efficacement accompagné le développement des services publics et des politiques économiques et sociales locales tout au long des trois décennies qui ont suivi.

Ainsi, comme l'a souligné le rapport d'étape de la mission, l'autonomie financière des collectivités territoriales est indissociable, dans le contexte français, d'une large autonomie fiscale .

Certains estiment aujourd'hui que la capacité à agir des collectivités ne serait pas entamée si les impôts locaux étaient remplacés en tout ou partie par des dotations ou des parts d'impôts nationaux sans possibilité de fixation du taux. Le cas des Länder allemand, dont les ressources proviennent à 80 % de parts d'impôts nationaux dont le montant n'est pas modulable et de dotations de l'Etat, est fréquemment donné en exemple. Cependant, la différence d'échelle entre les Länder et les collectivités françaises rend la comparaison peu pertinente : le budget des Länder atteint ainsi une « masse critique » qui leur garantit une marge de manoeuvre importante, ce qui n'est pas le cas des collectivités françaises, même les plus importantes. Surtout, l'Allemagne n'est précisément pas un pays décentralisé, mais fédéral : les Länder forment, en tant qu'Etats, la seconde chambre du Parlement fédéral, le Bundesrat, où ils ont une capacité législative directe, notamment dans les matières qui relèvent de leurs compétences, ce qui inclut la répartition du produit des impôts nationaux. L'autonomie des Etats fédérés y est très forte et ancrée dans l'histoire, au contraire de la France, où la tradition jacobine est encore prégnante. Dès lors, la préservation d'une liberté fiscale, encadrée par le législateur, apparaît comme un contrepoids indispensable à la tradition centralisatrice d'un pays.

De plus, il convient de noter que différents pays européens augmentent l'autonomie fiscale de certaines de leurs collectivités : au Danemark par exemple, les fourchettes des taux des deux principaux impôts communaux (impôt local sur le revenu des personnes physiques et impôt foncier local) ont été élargies lors de la réforme de 2007.

* 126 Rapport présenté par M. Philippe Valletoux au nom de la section des finances du Conseil économique et social, « Fiscalité et finances publiques locales : à la recherche d'une nouvelle donne », 29 novembre 2006.

* 127 Rapport au Premier ministre présenté par M. Olivier Fouquet au nom de la commission de réforme de la taxe professionnelle, 21 décembre 2004.

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