D. RAPPORT BELPOMME : « UNE AFFAIRE DANS L'AFFAIRE ».

Les déclarations de Dominique Belpomme, en 2007, n'ont, comme nous l'avons déjà dit, pas été à la base de l'alerte sur la chlordécone, mais ses déclarations n'ont certainement pas contribué à aborder le dossier avec la transparence et l'objectivité qu'il aurait fallu apporter. Vos rapporteurs pensent que dans toute démocratie, il faut que des lanceurs d'alerte tirent la sonnette d'alarme lorsqu'un danger menace des populations ou l'environnement. Mais ce message ne peut pas être uniquement médiatique. Il doit s'appuyer sur des bases scientifiques solides. C'est ce que nous avons fait dans le rapport qui vous est présenté.

Plus de 200 heures d'auditions nous ont permis de décortiquer le dossier chlordécone, d'évaluer les actions mises en place, de réclamer encore plus de science et d'expertise, de proposer de nouvelles mesures. Nous concluons, comme le rapport Beaugendre - Edmond-Mariette, comme le rapport Belpomme, à un accident environnemental, mais nous n'aboutissons pas aujourd'hui aux mêmes conclusions que Dominique Belpomme sur les risques sanitaires. Nous demandons bien sûr la poursuite des études épidémiologiques. M. William Dab, ancien Directeur général de la Santé et Président du comité scientifique international du « plan chlordécone », souhaite parvenir à un équilibre entre la position négationiste affirmant qu'il n'y aurait ni impact ni effet de faibles doses de chlordécone et une position hyper alarmiste indiquant qu'il s'agit d'une catastrophe de santé publique. Ce n'est vraisemblablement ni l'un ni l'autre et conclut-il « il va falloir vivre avec la chlordécone et limiter les inconvénients sur la santé ».

On ne peut pas, en quelques jours de visite et sans avoir auditionné les acteurs principaux, aboutir aux conclusions sans nuances de l'appel de Paris 26 ( * ) , pourtant signé par une cinquantaine de personnalités et notamment par Yann Arthus Bertrand, Corinne Lepage, Luc Montagner, Jean-Marie Pelt ou Gilles Eric Seralini.

Il y a eu accident environnemental aux Antilles, parce que la chlordécone utilisée jusque dans les années 1990, reste piégée dans les sols. Il n'y a pas besoin de noircir le tableau. Pour illustrer notre propos, nous citerons quatre phrases de l'appel de Paris qui sont amplifiées, exagérées et fausses :

1 - « l'ensemble des territoires de la Martinique et de la Guadeloupe est lourdement pollué (littoral, eaux, sols, végétaux, alimentation) ». Vos rapporteurs ont montré qu'environ 20 % de la surface agricole utile est contaminée, ce qui est déjà beaucoup, mais que la totalité de la Grande Terre à la Guadeloupe, et une grande partie du sud de la Martinique sont peu touchées.

2 - « Le retentissement sanitaire est maintenant devenu évident : cancers, baisse de fécondité, les Antilles sont dans le monde, après les Etats-Unis, le deuxième territoire pour la fréquence des cancers pour la prostate. C'est près d'un homme sur deux qui en est atteint ou qui le sera ». Comment peut-on, sans nuances, lancer de telles affirmations, reprises à longueur d'émissions de télévision, sans avoir pris connaissance des enquêtes épidémiologiques ? Les résultats de l'enquête Karuprostate montreront peut-être une incidence de la chlordécone sur l'apparition du cancer de la prostate, mais force est de constater que les zones les plus touchées aujourd'hui par l'apparition de cette pathologie, le sud-est de la Martinique, ne sont pas celles qui sont les plus contaminées par la chlordécone.

3 - « Il apparaît que la surface des sols devenus infertiles est croissante et qu'en raison de la fixation stable de plusieurs pesticides... cette baisse de fertilité pourrait durer très longtemps ». A notre connaissance, à part la chlordécone et le HCH, il n'y a pas de fixation stable de plusieurs pesticides dans les sols ni de baisse de leur fertilité, mais la nécessité éventuelle de ne plus cultiver certaines espèces sensibles.

4 - « Le Paraquat est un des pesticides (...) les plus toxiques d'un point de vue sanitaire ». Le Paraquat a été interdit. C'est un pesticide très toxique si on l'ingère. Il y eut plusieurs accidents dans le monde, quand des précautions d'emploi n'ont pas été respectées, mais de l'avis de tous les scientifiques interrogés, les principaux accidents relatés en 30 ans ont été des suicides par ingestion de Paraquat, comme on le faisait, il y a 50 ans, avec la mort-aux-rats. L'AFSSA a rendu un avis très clair à ce sujet.

En conclusion, « cette affaire dans l'affaire » révèle la tendance actuelle à la surmédiatisation .

Pour médiatiser il faut choquer, y compris en tordant la vérité scientifique. Il faut appâter le chercheur de scoop en indiquant que l'on va révéler de nouvelles données scientifiques. Mais les données sur la chlordécone étaient connues depuis 1999, grâce à M. Eric Godard, alors ingénieur sanitaire, mais ni ses révélations, ni le rapport parlementaire de 2005, n'ont eu de grands retentissements. Pour gagner la bataille de la communication, il ne faut ni débattre, ni s'opposer mais affirmer. Il est quand même surprenant que le Pr. Belpomme ait refusé d'être auditionné par vos rapporteurs, arguant du fait qu'il était déjà venu deux fois devant la Commission des Affaires Economiques de l'Assemblée Nationale en 2005 et en 2007. Il nous a même écrit qu'il ne s'occupait plus de ce sujet, alors que, dans les mêmes jours, en mars 2009, l'article cité précédemment dans le Journal International Of Oncology était publié.

L'expertise scientifique a besoin d'une confrontation des avis. C'est ce que nous faisons à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Elle doit être, à notre sens, collective, publique et contradictoire. Il est quand même singulier que les médias aient donné sur ce dossier la parole quasi exclusivement à certains, alors que les scientifiques de l'INSERM, de l'INVS, de l'AFSSA ont toujours opposé des démentis aux affirmations du Pr. Belpomme.

* 26 Appel lancé à la suite du rapport présenté par le Pr. Belpomme en 2007. Le texte de cet appel figure en annexe.

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