B. DES MODÈLES DE PERSISTANCE À LONG TERME DANS LES SOLS

Cette stabilité physique de la molécule rend compte de la persistance de la chlordécone dans les sols antillais.

Le tableau qui suit et qui résulte d'une modélisation illustre la force de cette permanence de la chlordécone dans le sol par rapport à un autre pesticide organochloré employé antérieurement aux Antilles, le HCH.

Illustration de la différence de comportement des molécules de HCH
et de chlordécone - Modèle d'élution Cabidoche et al. (2004)

On observe ainsi :

- que plus de 300 kilos de HCH épandus par hectare et par an ont pratiquement disparu dans les sols après environ 50 ans, mais qu'en dix ans, la concentration est déjà 50 fois plus basse.

- et que trois kilos de chlordécone épandus par hectare et par an ne s'éliminent totalement des sols qu'au bout de sept siècles 16 ( * ) mais qu'il faut un siècle pour que la concentration soit dix fois inférieure.

Ce constat prédictif d'une permanence multiséculaire de la chlordécone dans les sols antillais doit être doublement tempéré :

- il repose sur un état des connaissances en matière de remédiation des sols qui ne pourra qu'être amélioré par les avancées scientifiques et technologiques,

- et surtout, il n'implique pas automatiquement d'aggravation des risques sanitaires qui seraient liés à sa permanence dans les sols. En d'autres termes et c'est déjà suffisamment préoccupant, le fait que la chlordécone puisse rester des siècles dans les sols antillais constitue une menace de long terme pour les Antillais, mais n'accroît pas objectivement les risques sanitaires qu'il leur fait encourir aujourd'hui.

C. UN COMPORTEMENT ENVIRONNEMENTAL QUI VARIE SELON LA NATURE DES SOLS

Le comportement environnemental de la molécule procède de ses propriétés :

- elle a une forte propension à la rétention dans les sols,

- elle fait l'objet d'un ruissellement faible in abstracto , mais que l'on ne doit pas négliger quand la force de la pluviométrie charrie beaucoup de matière organique,

- et ses principales voies théoriques d'évacuation sont l'extraction par les plantes et le transfert par le lessivage des sols vers la nappe phréatique et les cours d'eau.

Mais ces règles générales de comportement environnemental de la molécule sont susceptibles de varier en fonction de la nature des sols sur lesquels la chlordécone a été employée. Une étude menée pour le compte de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) par M. Thierry Woignier, directeur de recherche au CNRS, montre que l'ubiquité de la molécule n'est pas constante .

Il y a des différences physiques fortes (degré de porosité, importance de la surface poreuse, structure microscopique) entre les argiles les plus anciens (allophanes) et les argiles plus récents (hallosites).

Les argiles allophanes ont une porosité et un volume poreux de deux à quatre fois plus importants que les autres sols ( leur surface poreuse est de 100 m²/g, un record étant atteint par une catégorie d'argiles dits « gonflants » : 600 m² pour un gramme de matière ). En outre, comme le montre le schéma ci-dessous les agrégats d'allophane sont multiéchelles :

Ces caractéristiques expliquent à la fois :

- que les structures physiques des argiles allophanes leur aient permis d'agir comme structure de piégeage de la molécule,

- et, à l'inverse, que ces structures limitent les relargages de la molécule , soit par perméabilité 17 ( * ) , soit par diffusion 18 ( * ) . Plus l'échelle des agrégats d'argile est faible, plus le transfert par perméabilité est ralenti car les liquides ont du mal à se déplacer et plus elle est tortueuse, plus le transfert par diffusion est empêché par la structure fractale de la matière organique.

Le tableau qui suit montre qu'en présence de structure de taille inférieure à 10 nm, ces transferts tendent rapidement vers 0.

Avec ce résultat paradoxal que les sols qui contiennent le plus de chlordécone, parce qu'ils ont piégé le plus de molécules, sont ceux qui en relarguent le moins.

En postulant un épandage égal, les sols contenant des allophanes ont une teneur moyenne en chlordécone dix fois plus élevée (5 mg/kg contre 0,5 mg/kg) que les autres sols argileux, mais la quantité que l'on peut en extraire par lixiviation est trois fois plus faible.

Cette différence entre les andosols (à allophane) et les nitisols (autres sols argileux) est d'une portée pratique intéressante pour la gestion de l'environnement, qu'il s'agisse de définir des référentiels pour la mise en culture ou de mettre en place des méthodes d'élimination de la molécule .

* 16 Ce qui relativise indirectement les effets de la prolongation de son utilisation de 1991 à 1993.

* 17 Le transport par flux d'un liquide dépend de la perméabilité qui procède, à la fois de la différence de pression et de la porosité du réseau. La perméabilité exprime l'aptitude d'un système poreux à permettre l'écoulement d'un liquide.

* 18 Le transport par diffusion exprime que le transport d'une espèce chimique dans un milieu dépend de la différence de concentration dans le milieu, du coefficient de diffusion de l`espèce chimique et du temps (c'est l'exemple d'une goutte d'encre jetée au milieu d'une bassine d'eau et qui diffuse, peu à peu, en fonction de sa concentration et de sa capacité à se déplacer dans l'eau).

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