F. DR FRÉDÉRIQUE RÉMY, DIRECTRICE DE RECHERCHE AU CNRS (LEGOS TOULOUSE)
J'ai préparé l'exposé avec Etienne Berthier, un jeune collègue, et avec la participation de différents collègues du LGGE et du LEGOS. J'axerai essentiellement sur l'état de santé des calottes polaires en termes de niveau de la mer. Juste en deux mots, le volume des calottes polaires est lié à l'équilibre entre la quantité de neige qui tombe chaque année et la quantité de glace qui est évacuée chaque année, la différence contrôlant le volume. Si on veut mesurer l'état de santé soit le bilan de masse des calottes polaires, on mesure soit les taux d'accumulation et leur variation ainsi que les vitesses à la côte et leur variation soit globalement, le volume total et ses variations. J'ai illustré dans le cadre de l'année polaire internationale les travaux qui ont été faits là-dessus.
D'abord, pour mesurer le taux moyen d'accumulation, le moyen le plus efficace est de faire des raids scientifiques comme ceux-ci et puis de faire des minis carottages pour mesurer la quantité de neige récente. Ce qu'on voit ici, c'est que là où il y a des petits points, c'est là où il y a une mesure in situ de taux d'accumulation et ce qu'on voit, c'est qu'il y a des endroits où il y a 1 point pour plus de 6 000 kilomètres carrés. Manifestement, cela ne suffit pas et dans le cadre de l'année polaire, il y a eu un effort de coopération avec les Italiens, les Français, les Russes. Le coordinateur français, est Michel Fily .Il s'agit de faire toute une série d'autres mesures in situ un petit peu partout. Mais on voit que ça bouche certains trous, mais qu'il en reste encore beaucoup et qu'un autre moyen, est de passer par les modèles. Là aussi, les modèles ont besoin de mesures pour être testés ou pour être contraints. Là, j'illustre ceci par CONCORDIASI qui est un projet sous la responsabilité de Christophe Genthon au LGGE. L'idée est d'améliorer les mesures de prévision et de climat à partir de la détection et des mesures de terrain. On a toute une armada de diverses observations. A gauche, vous avez le spatial avec des nouveaux capteurs, des nouveaux sondeurs comme IASI. A droite, vous avez des ballons à une hauteur intermédiaire qui sont remplis d'instruments de mesure. Ici, enfin, au sol, à 40 mètres de haut, une tour instrumentée avec un tas d'instruments. On peut ainsi mesurer dans la colonne d'air toute une série de paramètres et les comparer avec les modèles. Sans rentrer dans les détails, vous avez à gauche le modèle européen (le CMWF), à droite, les observations du vent à différents horaires et ce qu'on voit, c'est qu'il y a encore beaucoup de travail à faire pour améliorer les modélisations. Ce sont eux qui le disent, ce n'est pas moi. On peut également mesurer les vitesses d'écoulement de la glace et puis leur variation.
A gauche, vous avez une vitesse de bilan de l'Antarctique qui est obtenue à partir d'un petit modèle contraint avec des données satellites. L'échelle étant logarithmique, faites attention, les zones jaunes s'évacuent cent fois plus vite que les zones bleu marine, voire noires. Ce que l'on voit, c'est que 90 % de la glace est évacuée par quelques glaciers à la côte. Ce qui est clair, c'est que ce sont eux qu'il faut surveiller, ce sont ces systèmes glaciaires comme on en voit un ici en regardant pour un grand glacier comment il fonctionne et est-ce qu'il est stable ou pas stable ? Là, il y a eu le projet DACOTA centralisé par Emmanuel Le Meur du LGGE. On prend le glacier de l'Astrolabe, où est arrivé Dumont d'Urville en 1840. On fait des mesures radars aéroportées afin d'avoir bien le socle rocheux qui pénètre à l'intérieur de la glace. Il y a des mesures de radars à moins basse fréquence qui vont permettre de mesurer la stratification de la neige, soit les taux d'accumulation. Des mesures de GPS de marées de manière à avoir l'influence de la marée sur la langue du glacier et des mesures GPS terrain de manière à mesurer les vitesses d'écoulement. Le tout est injecté dans les modèles. Ce gros projet est en cours de traitement.
Il y a également les observations directes de la topographie qui a pas mal d'avantages. On fait une observation de la topographie et après, répétée dans le temps. Ce qu'on voit, c'est que la topographie est une information capitale. On voit ici le lac de Vostok qui produit une très jolie signature. On voit un tas de réseaux hydrologiques sous-glaciaires et en plus, cela donne une contrainte très forte pour la modélisation. Ça sert de tests aux modèles et de conditions limites. Voici des travaux récents à partir de deux satellites, ERS qui a volé de 1995 à 2003 et ici, ENVISAT de 2002 à 2007.On a cartographié en mètres par an la variation de volume des satellites. Ce que l'on voit, c'est que pendant la période ERS à gauche, ça gonflait un peu, à droite, ça diminuait. Pendant la période suivante, c'est complètement l'inverse. On voit une très grande variabilité due à la variabilité des taux d'accumulation. En revanche, dans ce secteur-là, c'est un petit peu plus homogène avec moins de variations. Mais, ce que l'on voit par exemple, c'est qu'ici, il ne se passait pas grand-chose et là, d'un coup, il y a un glacier qui a freiné et qui a fait une petite bosse à son amont parce qu'il a complètement freiné. On parle beaucoup des glaciers qui se mettent à accélérer, on parle assez peu des petits glaciers qui se mettent à freiner. Mais il y en a, il y en a un là en tout cas et si on fait un zoom évidemment sur le secteur de Pine Island Glacier, ici, on voit des pertes dues à une augmentation de la vitesse, c'est clair, qui sont à peu près identiques en fonction des différentes périodes de mesures.
Pour finir avec la topographie et ces mesures-là, on peut faire le même genre de mesure avec des satellites de gravimétrie. Les satellites de gravimétrie vont nous mesurer les variations de masse alors que l'altimétrie, on mesure des variations de volume, la différence entre les deux étant liée entre autres à la densité de ce qu'on gagne ou de ce qu'on perd. Là, c'est assez intéressant. A gauche, c'est la gravimétrie, soit la perte de masse et à droite, c'est par altimétrie, soit la perte de volume. Évidemment, exactement pendant la même période et on s'aperçoit qu'on a une correspondance assez extraordinaire entre les deux types de capteurs. C'est que l'on commence à bien mesurer et à avoir des erreurs qui diminuent. Le problème de l'altimètre, est que l'on n'a pas de mesures ni sur le talus continental ni sur les petits glaciers. Comme ici par exemple sur les Kerguelen, on ne pourrait pas mesurer avec l'altimétrie satellite la topographie des Kerguelen. On a besoin d'autres méthodes. Les autres méthodes, c'est l'imagerie optique. Ici, on a des cartes IGN qui montrent la calotte polaire des Kerguelen, non loin de l'Antarctique, en 1963, en 2001 jusqu'à nos jours. On peut déjà facilement avec ce genre de capteur regarder la variation de l'étendue et on voit ici la calotte COOK aux Kerguelen qui se réduit, et qui a perdu une cinquantaine de kilomètres carrés en quelques décennies et là, qui en une décennie vient de perdre 45 kilomètres carrés. On a une réduction de cette calotte de pratiquement 20 % de sa surface initiale. Ce genre de capteur, vous allez comprendre pourquoi, je vous en parle avec autant d'insistance, permet également avec deux prises de vue séparées de quelque temps par stéréographie de reconstituer la topographie en trois dimensions. Ici, c'est la topographie en trois dimensions à partir d'un capteur SPOT qui est assez intéressante parce qu'on a repris l'image IGN et on s'est aperçu que sur l'image IGN, on voyait bien la marque de cette montagne qui dépassait et que la marque était à cet endroit-là. On a un moyen assez extraordinaire de mesurer les pertes d'épaisseur et on voit que c'est entre 130 mètres et 265 mètres d'épaisseur perdue en 40 ans sur cette calotte des Kerguelen. Cette diapo, c'était surtout pour vous illustrer la puissance de la stéréographie offerte avec ce genre de capteur.
Là, j'aimerais insister sur ce projet pour finir parce que c'est vraiment à mon avis le projet qui n'aurait pas pu avoir lieu sans les années polaires internationales. C'est le projet GIIPSY (Global Inter-agency). Le snapshot , ça veut dire instantané. Vraiment, ce projet est très ambitieux, il s'agit de faire un instantané des zones polaires avec tous les capteurs possibles et imaginaires et ce qui est assez extraordinaire, c'est que toutes les agences spatiales internationales ont joué le jeu et ont offert gratuitement à la communauté scientifique ces projets. C'est d'autant plus symbolique, d'autant plus beau que le premier satellite Spoutnik a été envoyé en octobre 1957 dans le cadre de la dernière année polaire internationale. La contribution française, le projet SPIRIT, consiste à utiliser les données HRS du capteur SPOT. C'est un capteur qui justement permet de faire de la topographie à trois dimensions et le responsable de cette composante, c'est Etienne Berthier du LEGOS. Voici une image vue par ce capteur. Ce capteur, en fait, a deux appareils photo et il mesure deux fois, la même scène à quelques secondes d'intervalle. Ce qui veut dire qu'on n'a pas de changements entre les deux scènes et qu'on peut vraiment faire pratiquement comme avec les yeux, soit reconstituer à trois dimensions ce qu'on voit au sol. Ici, c'est la calotte polaire de Devon dans l'hémisphère Nord. On voit bien la zone d'accumulation ici bien blanche, ici une zone de fonte et pour vous montrer la subtilité de ce genre de capteur, j'adore cette photo, c'est vraiment un zoom sur la zone de fonte et où on voit la fonte en surface qui ruisselle. Ce projet SPIRIT est de construire une large archive d'images de l'ensemble des zones polaires et de distribuer après à la communauté scientifique les topographies de toutes les zones non accessibles par l'altimétrie. Voici toutes les zones couvertes, c'est-à-dire l'ensemble du talus continental antarctique et l'ensemble des calottes polaires et du talus continental au Groenland pour l'hémisphère Nord.
Ici, je vais illustrer pour vous montrer le résultat de l'observation sur le glacier du Jakobshavn. Pour ceux qui ont remarqué la présence discrète de la télé hier, c'était Envoyé Spécial pour ce glacier. En plus, le glacier va passer à Envoyé Spécial. Là, c'est pour vous montrer que ça marche relativement bien et que quand on compare avec d'autres mesures de hauteur, ça marche excessivement bien. C'est le glacier le plus rapide du monde. On arrive également avec ce genre de technique à mesurer les vitesses. Vous savez qu'il a multiplié sa vitesse par deux ces dix dernières années. Là, on voit qu'il fait du 15 kilomètres par an, c'est-à-dire 2 mètres par heure. C'est un glacier assez prodigieux. Vous savez qu'il recule. On sait qu'il recule parce qu'il y a eu un réchauffement de l'océan localement. Là, on a eu la chance d'acquérir deux images à deux semaines d'intervalle et de voir très nettement un recul du front ici de vêlage associé à une vidange d'un axe glaciaire qui était en amont. Ce travail d'Etienne Berthier, met en évidence le rôle des vidanges glaciaire qui lubrifient le sol et qui sont associées à un recul du front. A plus long terme, on arrive également à comparer des variations d'épaisseur du glacier avec ce genre de capteur et on voit des pertes en 4 ans ici de 50 mètres à peu près d'épaisseur perdue par an.
En guise de conclusion, je n'ai pas vraiment de conclusion. Ce que je vous ai montré, c'est qu'il y a eu un effort de coopération et de coordination dans le cadre de l'année polaire. Il y a eu de nombreuses actions concertées où différents pays se sont mis sur des projets et également, ça a fait sauter des verrous. Ce que j'ai oublié de vous dire tout à l'heure, c'est que ce capteur que le CNES offre maintenant à la communauté scientifique pour observer les zones polaires est un capteur difficilement accessible aux scientifiques. Ça a fait vraiment sauter un verrou très important. On n'aurait pas eu accès à ce genre d'images s'il n'y avait pas eu l'année polaire internationale.
Pr Édouard BARD
Merci Frédérique pour cet exposé tout à la fois impressionnant sur les résultats récents et qui souligne la recherche qui doit encore être faite. C'est fabuleux de voir qu'avec les mesures in situ et les mesures satellitales, on arrive à « peser » ces calottes de glace, les différentes techniques permettant de vérifier les tendances. J'aimerais maintenant ouvrir la discussion aux questions des participants de la salle sur les interventions des chercheurs.