E. DR JEAN-CLAUDE GASCARD, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS (LOCEAN PARIS)

Chers collègues, bonjour ! Je voudrais aussi remercier les organisateurs de cette réunion : Christian Gaudin au Sénat hier, Edouard Bard aujourd'hui au Collège de France. C'est vraiment un grand honneur de pouvoir s'exprimer dans ces circonstances et dans ce cadre. Je participe à cette thématique : Climat, glaces et océans. En fait, comme je vais me concentrer sur l'océan, je vais plutôt les décliner dans l'autre sens et vous parler des océans polaires, de l'Arctique et de l'Antarctique, du problème des glaces et de l'impact que cela a sur le climat et l'évolution du climat actuel, le changement climatique comme on l'appelle. Au cours de ma présentation, vous allez peut-être voir quelques défauts de coordination dans les transparents qui sont liés au fait qu'à ma rentrée dans la civilisation comme une navette spatiale qui rentre dans l'atmosphère, à Oslo, on s'est fait subtiliser deux sacs avec des PC dans lesquels il y avait ma présentation d'aujourd'hui. Mais, j'ai réussi à rassembler l'essentiel des informations que je comptais vous présenter. Il y aura peut-être un petit flou au passage de certains transparents, vous voudrez bien m'en excuser.

Hier, Gérard Jugie dans sa présentation nous a indiqué que quand on regarde l'Arctique et l'Antarctique, tout les oppose. En fait, c'est vrai qu'il y a un fort contraste, continent/océan dans un cas, océan/continent dans l'autre. Mais, il y a quand même des choses qui les rapprochent, certaines similitudes, notamment ce cycle saisonnier de formation des glaces de mer (la banquise comme on l'appelle) dans un cas comme dans l'autre avec des différences. Au niveau de l'Arctique, on oscille entre 14 et 16 millions de kilomètres carrés en hiver. Il y a des variations d'une année sur l'autre au maximum de développement de la banquise arctique. Ce sont plutôt 20 millions de kilomètres carrés dans l'Antarctique et la grosse différence, c'est que pratiquement toute la banquise antarctique fond en été et se reforme en hiver. C'est essentiellement de la glace nouvelle, la glace de l'année. Alors que l'Arctique se comporte de manière très différente. Il y a 30 ans, il n'y avait que la moitié de cette glace d'hiver qui résistait à la fonte d'été. On passait de 14 millions de kilomètres carrés à 8. Jusqu'à il n'y a pas très longtemps encore, on identifiait des glaces que l'on appelle pérennes ou multi-annuelles pouvant aller jusqu'à une dizaine d'années d'âge. Je ne parle bien toujours que des glaces de mer. C'est ça qui est en train de changer actuellement dans l'Arctique. Les glaces dites pérennes, c'est l'espèce en danger. C'est l'espèce de glace qui disparaît. Ce n'est pas la banquise d'hiver qui disparaît, c'est cette glace d'été et qui pose manifestement un problème très important sur le changement climatique et le bilan radiatif. Je vais revenir là-dessus dans ma présentation.

Je ne vais pas rappeler ce qui a été dit ce matin dans la présentation de Thomas Stocker et d'Edouard Bard. Simplement, avant le début de cette conférence de clôture de l'année polaire internationale, je vais me concentrer effectivement sur le sujet et les questions qui me sont posées : qu'est-ce qu'on a appris au cours de ces deux années polaires internationales ? Puisqu'en fait, il y en a eu deux. Voilà le bilan de la situation qui est résumée d'ailleurs dans le rapport du GIEC, c'est de là que vient ce document qui montre effectivement une évolution très nette de la SAT (Température de Surface de l'Atmosphère) au nord de 65N, l'évolution de la glace de mer arctique en forte décroissance et puis, d'autres paramètres sur le permafrost dans l'hémisphère Nord, la couverture de neige, les budgets de masse glaciaire. Quelque chose également de comparable dans l'Antarctique où on voit un signal qui est effectivement beaucoup plus atténué que dans l'hémisphère Nord. On a aussi commenté le fait que dans les régions polaires, dans l'Arctique en particulier - toujours un document que vous pouvez trouver dans le rapport du GIEC - l'élévation de température dans l'Arctique en moyenne est le double de celle que l'on observe à l'échelle globale.

Le point fort des deux années polaires internationales dans l'Arctique. Voilà les deux situations qu'on a rencontrées en 2007 et 2008 avec effectivement un recul de la banquise arctique très très important. Mais là où c'est encore plus intéressant, c'est de regarder dans ces couleurs qui distinguent les glaces de première année en bleu par rapport aux glaces plus anciennes qui vont du vert vers le rouge selon l'âge en nombre d'années. Je vais revenir sur cet élément parce qu'il est essentiel et il complémente ce qui vous a été présenté ce matin. Avant, un autre constat qui a été fait sur une période de temps un peu plus large avant l'année polaire internationale, c'est le réchauffement de l'atmosphère au cours des vingt dernières années. Parce que là, ça démarre en 1986 en haut à gauche où on représente un paramètre qui est assez facile à calculer à partir de la température de surface de l'atmosphère, c'est le nombre de degrés gel jour accumulé au cours de toute une saison d'hiver, qui va en général du mois de septembre d'une année au mois de mai de l'année suivante. Par exemple, s'il fait -10 degrés en dessous du point de congélation pendant 100 jours, vous accumulez -1 000 degrés de gel-jour pendant cette période hivernale.

Ça, c'est un paramètre qui a été utilisé, il y a très longtemps, par les chercheurs russes parce qu'on pouvait en déduire directement l'épaisseur résultante de la glace. Il y a une correspondance directe entre cette accumulation de nombre de degrés de gel jour en termes d'épaisseur de glace. Sur ces cartes, vous avez en haut à gauche le calcul qui peut être fait à partir de cette information sur l'année 86-87. En bas à droite, c'est sur les périodes plus récentes. Vous voyez que les couleurs deviennent de plus en plus pâles. C'est qu'on perd de plus en plus de degrés de gel-jour. Alors là, il y a un petit piège, plus c'est rouge, plus c'est froid. Mais ce piège évité, on comprend effectivement. Ici, on voit une trace de ce réchauffement progressif au cours des vingt dernières années. Ça, c'est non seulement un problème qui est lié à l'effet de serre, mais on va y revenir, à l'amplification dans les régions polaires qui est liée à un autre phénomène très important qui s'appelle l'albédo sur lequel je vais vous dire deux mots. Mais avant d'en venir là, sur ce schéma, vous avez la traduction graphique des cartes que j'ai présentées tout à l'heure. Sur ces vingt dernières années écoulées, toujours ce paramètre d'accumulation des nombres de degrés de gel jour sur la période d'hiver, qui est réparti selon les surfaces sur lequel ce froid s'exerce en millions de kilomètres carrés. On voit effectivement un recul très net entre le dernier maximum qui correspond aux années 96-97, qui s'exerce sur des surfaces de l'ordre de 2 millions de kilomètres carrés avec un froid de près de 6 000 degrés de gel jour accumulé au cours de la période d'hiver par rapport à des périodes plus récentes. On voit un recul de plus de 1 000 degrés. Et puis, d'une année sur l'autre, on voit aussi par exemple entre 2005-2006 et 2007-2008 qu'il n'y a pas un recul de ce nombre de degrés de gel cumulé, mais il y a un recul de la surface sur lequel ce froid s'exerce. Ce sont deux paramètres qui se combinent et on peut effectivement établir un index d'hiver en intégrant à la fois l'un et l'autre de ces deux effets : la surface et le niveau de froid. Ça marche très bien. C'est un index qui est assez bien corrélé. On a un niveau de corrélation de 0,8 avec l'étendue de la glace au minimum d'été au mois de septembre suivant.

L'autre effet, si l'effet de serre est un effet précurseur, l'albédo est l'effet amplificateur dans les régions polaires et c'est résumé sur ce graphique très simple selon qu'on a de la glace ou qu'on n'en a pas. La glace laisse la place à l'océan libre de glace au lieu de renvoyer dans l'espace 80 % du rayonnement solaire. Quand vous faites ça, sur 1 million de kilomètres carrés avec des constantes de l'ordre de grandeur de 100 watts par mètre carré, vous arrivez à des 10 puissances 14 watts. On est à 1/10 e de pétawatt, c'est l'ordre de grandeur du transport méridien de chaleur par l'océan et l'atmosphère. Ce n'est pas rien.

Une autre surprise qu'on a rencontré dans l'année polaire internationale, c'est-à-dire ce recul majeur qui est représenté sur cette courbe rouge, c'est l'extension du minimum de glace en millions de kilomètres carrés en Arctique à la fin de l'été (fin septembre) où effectivement, on a une chute. Vous voyez l'étoile qui s'est décalée, elle doit être sur 2007. On voit en effet des fluctuations interannuelles très fortes et celle qu'on a observée pendant l'année polaire est du même ordre que celle qu'on avait observée avant. Par exemple, pendant l'année 96, la seule différence, c'est qu'au lieu d'avoir un bond vers le haut, ici, on a eu une décroissance très forte. Mais en termes d'amplitudes, de variabilité interannuelle, on n'est pas sorti de l'épure. Là où on est sorti de l'épure, ça a été dit par Thomas Stocker ce matin, c'est qu'effectivement il y a un retard des modèles de ce que prévoit le GIEC par rapport à ce qui s'est passé. Ce qui s'est passé effectivement pendant l'année polaire internationale, ça nous a fortement surpris. On s'y attendait un peu, mais pas autant quand même en termes de recul de la glace et bien d'autres paramètres que je vais décrire. Mais avant de revenir sur les problèmes d'Arctique et d'Antarctique, je voudrais revenir sur un aspect de l'impact - ça va me permettre justement de parler un peu de l'Antarctique - de ce qui se passe dans ces océans polaires qui sont très loin de chez nous, mais qui concernent tout le système climatique terrestre.

L'océan est un lien très fort sur ce plan. On a parlé de la circulation thermohaline. Qu'est-ce que c'est que cette circulation thermohaline ? Il s'agit des masses d'eau océaniques qui sont réchauffées à l'Equateur et qui circulent surtout dans l'Atlantique, de l'Equateur vers les pôles, en se refroidissant, en libérant progressivement la chaleur qu'ils ont accumulée à l'Equateur et en la libérant progressivement à l'atmosphère. C'est pour ça qu'on jouit de climats océaniques qui sont assez confortables en Europe de l'Ouest en particulier et lorsque ces masses d'eau arrivent dans ces régions subpolaires, elles atteignent un niveau de densité tel qu'elles plongent et elles reviennent sur le fond de l'océan vers l'Equateur. C'est cette boucle de circulation que l'on appelle la circulation thermohaline parce qu'elle est gérée par les variations de température et de salinité qui agissent sur la densité. Un tout petit point de physique de base pour qu'on comprenne après les schémas compliqués, premièrement, c'est que quand l'eau de mer se refroidit, elle se densifie toujours, contrairement à l'eau douce qui après avoir passé 4 degrés devient plus légère. Il y a une anomalie avec l'eau douce, c'est pour ça que les lacs se comportent de façon très différente de l'océan. Un lac qui gèle, l'élément fluide qui est dans le lac, avant de se prendre en gel est dans un état de stabilité remarquable et l'océan, c'est exactement le contraire. Il est dans un état convectif perpétuel. C'est-à-dire que les masses fluides qui atteignent la surface, en se densifiant, elles ont naturellement tendance à replonger immédiatement. Ce qui fait que d'une certaine manière dans l'Arctique, selon les conditions que l'on rencontre dans la couche de mélange, avant de geler, quand on est proche du point de congélation, la masse fluide a deux options. Ou elle va se faire prendre par le gel et elle est bloquée parce qu'il y a un changement de phase et la flottabilité aidant, elle va être figée en surface, ou le petit sursaut de densité l'entraîne en profondeur et lui évite la prise en glace.

C'est comme ça qu'on explique la glace de frasil qui est quelque chose qui a été découvert par les premiers explorateurs comme Nansen et autres dans l'Arctique comme dans l'Antarctique. Cette glace de frasil vient du fait qu'il y a cette convection perpétuelle. On trouve des masses d'eau super refroidies à quelques dizaines, vingtaines de mètres de profondeur qui, logiquement, auraient dû se faire prendre en glace, mais qui ont échappé au gel par le processus que j'ai décrit tout à l'heure. Sauf que si à cette profondeur, il y a un changement de pression qui peut être uniquement lié à un passage d'une dépression météorologique au-dessus de cette zone où se trouve de l'eau super refroidie, le saut de pression, la détente adiabatique va provoquer le changement de phase. A ce moment-là, vous allez avoir une formation de glace de frasil, c'est-à-dire que la glace va monter quand il y a changement de phase et que l'eau liquide devient solide. C'est comme une balle de ping-pong, elle remonte vers la surface et vous pouvez la voir remonter. C'est ce que les explorateurs, il y a cent ans, ont observé dans l'Antarctique et dans l'Arctique. On avait sous-estimé cet effet dans l'Arctique et on l'a découvert pendant les années polaires internationales (un développement massif de glace de frasil). Ça, c'est important. C'est un cas typique de processus qui sont négligés actuellement, mal pris en compte dans les modèles et qui explique d'une certaine manière qu'on rencontre des problèmes pour modéliser correctement la formation de la glace.

Pour revenir sur le schéma, on a ici des cellules de convection dans l'hémisphère Nord comme dans l'hémisphère sud, surtout dans le secteur Atlantique, dans la mer de Weddell, dans les mers de Labrador, Groenland et Islande qui expliquent ce retour des eaux refroidies, densifiées, oxygénées. C'est tout un système très important pour gérer tous les écosystèmes marins et ils contribuent aussi à ce chauffage central qui est dominant dans le système climat terrestre. Dans l'Antarctique, ça a été dit aussi ce matin, mais j'insiste sur ce point, on a observé pendant l'année polaire internationale effectivement une fonte. Alors, le fait que dans l'Antarctique, la glace de mer comme je l'ai dit avant disparaît complètement en été n'est plus un élément d'appréciation du changement climatique comme ça l'est dans l'Arctique. Par contre, dans l'Antarctique, ce qu'on voit, c'est jusqu'où ce changement climatique, ce réchauffement peuvent affecter la glace qui s'est accumulée sur les continents, qui est une glace complètement différente de la glace de mer. C'est ce qu'indique ce schéma, c'est une étude conduite par Eric Rignot qui est un chercheur qui travaille en Californie où on voit des bilans de masse négatifs sur la péninsule antarctique et aussi dans tout le secteur de l'Antarctique de l'Ouest en Mer de Bellingshausen et Mer d'Amundsen. On voit les effets du réchauffement climatique de manière très appréciable. Je peux aussi vous rapporter des éléments qui ont été communiqués lors d'une Gordon Conference à Lucca en Italie, il y a moins d'un mois par une chercheuse américaine qui a étudié de manière très précise le démarrage de la période de fonte et le retour de la période gel au cours des vingt et trente dernières années où on voit des états de réchauffement qui sont aussi marqués qu'en Arctique dans toute cette région de l'Antarctique. Ça, c'est aussi un apport récent de l'année polaire internationale.

Avant de revenir sur l'Arctique aussi, je voudrais indiquer les impacts sur les écosystèmes marins. On note dans certains endroits de l'Arctique des niveaux de pression partielle de gaz carbonique qui sont très bas, qui impliquent des flux de gaz carbonique de l'atmosphère vers l'océan avec une acidification des océans puisqu'il y a une formation d'acide carbonique par la même occasion. Je peux me permettre de signaler à ce niveau un projet franco-canadien qui s'étend aussi aux USA. C'est le projet Malina dont m'a fait part Marcel Babin puisqu'il est le promoteur de ce projet qui va avoir lieu sur l'Amundsen cet été. On n'est plus dans l'année polaire, mais la gestation du projet a bien profité aussi de cet élan, de cette impulsion donnée par l'année polaire internationale. Ça me permet de faire deux remarques. La première, c'est qu'il est encore un peu tôt pour faire un bilan de l'année polaire internationale. On peut donner des indications, je vais vous en donner d'autres, sur ce qu'on va retrouver dans les rapports finaux, mais on est encore un peu tôt pour faire un bilan exhaustif, complet et précis. Il va y avoir cette année en novembre un symposium à Bruxelles, un mois précisément avant la réunion du COP-15 à Copenhague avec l'idée de transmettre des messages clairs sur un certain nombre de résultats. J'en ai évoqué certains et je vais continuer à vous en présenter d'autres. Il y a ce symposium qui aura lieu 10, 11 et 12 novembre dans un cadre très international pour réellement commencer à tirer des bilans complets et précis. Il y a une autre réunion dont j'ai eu connaissance, il y a deux jours, qui est organisée aux Etats-Unis. Ça sera vers la mi-mars par le Group Search qui s'occupe des études de changements climatiques en Arctique. Et puis, la réunion dont on a entendu parler hier qui aura lieu à Oslo au mois de juin de l'année prochaine qui sera réellement la réunion scientifique de clôture de l'année polaire internationale en termes de bilan. Un peu de patience pour les résultats complets. L'autre remarque que je voulais faire, c'est la suite. Ça a été dit aussi ce matin et hier, c'est qu'on se trouve dans une année polaire internationale fortement marquée par le changement climatique et vous comprenez bien qu'on ne va pas attendre 25 ou 50 ans pour reprendre le sujet. Il va falloir trouver un mode d'organisation. On a parlé de systèmes d'observations pérennes hier. On va continuer à en discuter pour essayer de prolonger l'effort dans un contexte peut-être un peu différent de ce qu'on a fait dans l'année polaire internationale, mais on ne va pas pouvoir s'arrêter et attendre 25 ans pour savoir ce qui se passe.

Au sujet de Malina d'ailleurs, ça me permet de dire qu'il y a des projets qui sont très similaires. Je signale le projet Rusalca, russo-américain qui va avoir lieu cet été en même temps que Malina et un autre projet ATP (Arctic Tipping Points) qui est financé par l'Union Européenne plutôt dans le secteur européen de l'Arctique. Ces trois projets, on voit déjà la mise en réseau de programmes et une internationalisation des efforts dans l'Arctique et dans l'Antarctique. Ce sont des éléments très importants.

Pour revenir sur l'Arctique en termes de bilan, où est-ce qu'on en est ? 2007 et 2008, effectivement, il y a eu des événements importants, je ne vais pas dire catastrophiques, mais très importants dans l'Arctique. On en a parlé à plusieurs reprises. Ce qui est très étonnant, c'est que quand vous regardez la littérature ne serait-ce qu'au cours des dix dernières années, tous les ans, en septembre, au moment où la banquise arctique a reculé au maximum, vous pouvez trouver des commentaires et des publications associées à ce type de commentaire. Des événements sans précédent au cours des vingt-quatre dernières années observées par les satellites. Tous les ans, vous avez lu ça. 2007-2008, c'était encore plus fort qu'avant. Tout ça pour dire que 2007-2008, ce ne sont pas vraiment des accidents, c'est dans la continuité des choses avec le problème de la variabilité interannuelle qui est très forte dont j'ai parlé tout à l'heure. 2007 et 2008 sont assez différents. Ça, c'était le rythme auquel on était habitué avant. J'ai parlé de l'oscillation entre 14 millions de kilomètres carrés et 7 à 8, soit la moitié qui résiste à la fonte d'été. 2007 et 2008, c'est réellement beaucoup plus fort que ça. Mi-mai 2009, on voit qu'on est situé entre la moyenne des années 80-2000 et puis on est sensiblement au-dessus du minimum de 2007. Qu'en sera-t-il au mois de septembre 2009 ?

Pour l'extension de la glace. Il y a quatre paramètres très importants à retenir, aucun n'est indépendant de l'autre. Je vais parler de la vitesse à laquelle se déplace la glace qui a fortement accéléré. Sur ce graphique, on représente la dérive d'une plate-forme - c'était le bateau Tara - entre septembre 2006. Il avait été mis dans la glace pas très loin d'où avait été mis le Fram en 1894 avec Fridtjof Nansen et en un an, en septembre 2007, le navire Tara était arrivé là où le Fram avait mis deux ans. Un certain nombre d'autres bouées plates-formes que l'on avait déployées sur la glace avaient fait la même chose. Vous comparez avec le Fram qui lui a mis trois ans pour faire la même trajectoire. Après la dérive de Tara, c'est la station dérivante russe NP35 qui a été mise en place ici parce qu'on ne trouvait pas d'autres morceaux de glace pour installer le camp en 2007 au moment de ce recul considérable de la banquise. Elle a dérivé en dix mois pour aller de ce point à ce point-ci. Si on élimine la première année de dérive du Fram, vous pouvez comparer deux ans à dix mois. Il y a une accélération pratiquement du simple au double des vitesses de déplacement de cette banquise. Il faut dire que comme on va le voir sur le paramètre suivant, l'épaisseur ayant diminué, cette glace est devenue plus mobile. Il y a des travaux d'ailleurs qui sont en cours de publication par les chercheurs du LGGE sur ce sujet. Cela a pas mal dérangé tout le planning, le schéma, le dispositif expérimental des projets arctiques qui se sont déroulés dans le cadre de l'année polaire internationale comme révélés sur ce graphique. Vous avez ici une simulation de dix-neuf plates-formes. C'est un modèle. C'est une simulation qui indique qu'au bout d'un an, toutes ces plates-formes qui apparaissent avec des cercles ici au début de la dérive arrivent sur les croix un an plus tard. C'était lié à ce que l'on savait de la dérive des glaces dans l'Arctique. Au lieu de cela, le bateau Tara par exemple au lieu d'être ici en septembre 2007 s'est retrouvé là à une distance deux à trois fois plus éloignée de son point de départ.

Maintenant, un autre paramètre important qui est couplé aux deux précédents, c'est l'épaisseur de la glace. Ça, c'est quelque chose que l'on savait avant l'année polaire internationale puisqu'il y avait eu des patrouilles de sous-marins nucléaires américains pendant le milieu des années 90 équipés avec des sonars sondant la glace par en dessous. On voit effectivement entre la période 58-76 en bleu et ces sondages par sonars à visée verticale en 93-97, un changement assez radical, presque du simple au double. Entre des épaisseurs de glace de 3 mètres ou plus et maintenant, on en est réduit à peu près à la moitié. Là, c'est peut-être le plus important des quatre paramètres sur lequel je voulais attirer votre attention, c'est l'âge de la glace, sans entrer dans trop de détails entre la glace de l'année et puis les glaces qui ont résisté à une fonte d'été. Ces glaces de mer quand elles subissent la fonte d'été, leur structure change complètement. On voit ça très bien avec des diffusiomètres, ce que l'on appelle des scatterometers en anglais qui sont sensibles à la rugosité de la glace, à son contenu en sel, à un certain nombre d'éléments de microscopie du cristal de glace. On voit très bien sur le signal de rétrodiffusion si on a affaire à une glace jeune ou à une glace plus ancienne au moins de deux ans et c'est ce que cette carte indique. Vous voyez, entre 2007 et 2008, il y a pratiquement moitié moins de glaces pérennes, de glaces qui ont résisté à au moins une fonte d'été. Par contre, en 2008, ce qu'on n'a pas eu en 2007, on récupère beaucoup de glace de l'année qui va devenir une glace de seconde année puisque cette glace - on est en septembre - ne va pas fondre.

Ici, c'est toujours sur le même sujet. On était en 2002. Vous voyez l'étendue des glaces pérennes, des glaces pluriannuelles par rapport aux glaces jeunes qui sont en bleu. Sur ce graphique, il faut que je passe un petit peu de temps là-dessus parce qu'on est au coeur du problème. Après, on va arriver aux conclusions rapides. Ici, vous avez sur les croix bleues, le rythme, l'évolution dans le temps de cette glace pluriannuelle qui est située ici en couleur orangée. L'échelle ici, ce sont quelques millions de kilomètres carrés sur une dizaine d'années d'observation avec le satellite européen ERS 1 et ERS 2. Vous avez l'évolution. C'est un peu comme un électrocardiogramme. C'est la fuite des glaces pérennes qui s'écoulent, qui sortent de l'Arctique par le détroit de Fram et on voit cette perte en millions de kilomètres carrés chaque hiver. Au moment de l'été, vous sautez ici de la fin de l'été au début de l'automne, là où la période de gel recommence et ce saut (flèche noire) indique la quantité de glaces de l'année qui ont résisté à la fonte d'été, qui deviennent des glaces de seconde année et qui viennent renflouer et compenser la perte en glaces pérennes de l'année. Au cours des années 90, vous voyez qu'il y a des fluctuations surtout en 96-97, mais on est dans une situation à peu près stable. Ça, c'est un travail que j'avais fait avec les gens du groupe d'océanographie spatiale à Brest, avec Cavanie et Ezraty et la décennie suivante, ce travail a été continué avec un autre satellite, c'est QuikSCAT, par Ron Kwok qui travaille en Californie au JPL et on voit effectivement les battements ici sur les croix bleues qui deviennent beaucoup plus faibles. Est-ce que c'est parce qu'on a changé de satellite ? Peut-être un peu, mais ça n'explique pas tout.

Mais le point le plus important, vous voyez qu'en 2005 - en anglais, ils disent replenishment - le renflouement par la glace de première année qui a résisté à la fonte d'été pour compenser la perte en glaces pluriannuelles. C'est comme un infarctus si on prend ça comme un électrocardiogramme. Ça, c'est un prémices de ce qui s'est passé après en 2006, 2007 et 2008. Si vous n'avez pas de renflouement pour compenser la perte en glaces pluriannuelles par la glace de première année qui va résister à la fonte d'été, cette glace pérenne va s'affaiblir et c'est ce qui s'est passé en 2007. Alors, pour faire en sorte que les modèles marchent bien et qu'on suive l'évolution du système correctement, j'indique un peu comment on va faire pour obtenir ces observations qui nous manquent. Au sujet des processus, j'en ai décrit un au niveau de la glace de frasil. Il y en a d'autres. En été, par exemple, la formation des flaques de fonte à la surface de la glace. Des processus qui sont essentiels si on veut effectivement que la modélisation se rapproche de la réalité. Voilà comment les observations sont conduites quand on dispose d'une station dérivante sur la glace comme la station russe NP35 ou un bateau comme Tara. Ce sont des occasions exceptionnelles que l'on ne peut pas reproduire sur beaucoup d'endroits de l'Arctique. Vous voyez, si on est capable de restituer un profil de températures dans l'atmosphère à travers la glace et dans l'océan, c'est un élément extrêmement puissant ensuite pour comprendre ce qui se passe au niveau de la glace. Là, sur ce profil qui est au mois de juillet 2007, Tara est dans la région du pôle. Vous voyez des masses d'air atmosphériques qui sont à plus de 10 degrés dans la troposphère. Vous voyez aussi des masses d'eau atlantiques qui sont un peu moins chaudes, mais il y a beaucoup de calories là-dedans, c'est de l'eau à + 2 degrés. Vous voyez que la seule chose qui maintient la glace, c'est cette couche d'eau sous-jacente qui fait à peine 100 mètres d'épaisseur qui résulte des processus hivernaux, qui reste au point de congélation et c'est le seul élément qui permet à la glace de ne pas fondre.

On se préoccupe beaucoup de savoir d'où vient cet air chaud ou cette eau chaude. Il y a d'autres éléments aussi. Il y a le bilan radiatif. On n'oublie pas le Soleil dans toute cette problématique. On se préoccupe de l'advection de chaleur ou des processus de transfert de chaleur de l'air à l'eau à l'interface vers la glace, mais on regarde aussi ce qui vient du Soleil - tout part de là - pour mesurer l'albédo. On a des radiomètres. Ce sont des instruments qu'on n'a pas réussi encore à bien robotiser et à maintenir en état de fonctionnement sans présence humaine. Quand on dispose de stations dérivantes, ce sont des informations qui sont capitales. L'albédo, sans entrer dans trop de détails, ce n'est pas uniquement le pouvoir de réflexion de la glace qui d'ailleurs est recouverte de neige. Il faut déjà savoir l'état de la neige, mais c'est aussi aux traversées de l'atmosphère qu'il faut connaître, tout ce qui se passe, les aérosols, la pollution atmosphérique. Il y a des projets qui s'attachent à surveiller tout ça. Il y a Polarcat en particulier. L'effet des nuages aussi sur ce bilan radiatif est essentiel pour savoir ce qui passe à travers l'atmosphère et ce qui est renvoyé dans l'espace. Quand on dispose de plates-formes dérivantes, on peut accéder à ces informations capitales. Il y a aussi ces sondes dans l'océan qui mesurent non seulement la température, mais la salinité et qui révèlerait aussi la présence de l' halocline , qui est beaucoup plus proche de la glace et qui est une autre barrière qui permet à la glace de résister à la fonte d'été. Au niveau de la robotisation parce qu'on ne peut pas être en station dérivante tout le temps, il y a eu un effort énorme qui a été fait pendant cette année polaire internationale pour développer ces systèmes qui peuvent capter ces informations de manière automatique avec des flotteurs sous-marins équipés de sonars à visée verticale pour mesurer l'épaisseur de la glace par en dessous, un peu comme un sous-marin. Les profileurs qui permettent ici de révéler les variations de température et de salinité de la surface jusqu'à une certaine profondeur et puis ensuite, des planeurs sous-marins qui commencent à faire beaucoup de travail dans l'océan libre de glace. Mais là, on les a adaptés à travailler sous la glace sans moyens de communication directe avec les satellites. Le satellite reste bien entendu aussi un élément essentiel dans tous ces dispositifs.

Sans entrer dans trop de détails, il y a cette robotisation-là qui nous permet de capter l'information de façon lagrangienne. Tout ça, se déplace avec la glace et il y a aussi des dispositifs à la périphérie de l'Arctique dans les passages comme le détroit de Fram ou à la périphérie de l'Arctique où on dispose d'engins qui sont mouillés sur le fond de l'océan et qui font les mêmes mesures. Là, la seule difficulté avec ces systèmes mouillés sur le fond, c'est qu'en général, il n'y a pas de relais en surface. L'information est retardée, ce qui est un problème quand on a besoin de faire des acquisitions en temps quasi réel pour suivre l'évolution d'un système aussi compliqué. Il faut des satellites, il faut des plates-formes dérivantes, il faut des instruments robotisés comme j'en ai présenté certains et puis il faut aussi les brise-glace. Ici, vous avez une armada de brise-glace, c'est assez remarquable. Ça caractérise bien l'impulsion, le stimulus qui a été donné pendant l'année polaire. Il y avait un lien commun à tous ces bateaux et là, je vais venir sur l'aspect international. C'était le projet européen Damoclès financé par l'Union Européenne dans le cadre du 6 ème programme-cadre de recherche et développement avec tous ces pays coordonnés par la France et qui ont réussi à développer des relations très officielles avec les USA, le projet Search. On a établi une action spécifique Search pour Damoclès pour développer des actions tout aussi bien avec la Russie, qu'avec la Chine pour participer à leur mission CHINARE 2008 sur le Xue Long. Nous coopérons avec le Canada et le réseau ArcticNet et le Polar Shelf Project et puis le Japon. Cette coopération internationale est à la base aussi de l'interaction qui a pu se développer à travers toutes ces actions ponctuelles. Mais en tissant le lien autour de tous ces opérateurs, on arrive à boucler la boucle, à faire face au défi majeur que pose ce genre d'investigation. Ce n'est pas facile de pouvoir être présent dans les endroits très critiques de l'Arctique.

Je vais conclure là-dessus. Le transparent de conclusion est resté à Oslo dans le calculateur qui est parti. Mais je vais revenir sur ces aspects de coopération internationale qui me paraissent essentiels. En fait, ceci était pour l'illustrer. Ce qu'on peut dire sur le système climatique en Arctique, le régime est sans aucun doute désormais dans une phase de transition où il semble qu'on va assister à un Arctique qui va se comporter au niveau de la banquise comme l'Antarctique, c'est-à-dire que la glace de mer va avoir tendance à disparaître de plus en plus à la fin de la période d'été. Elle ne va pas disparaître en hiver, elle se reformera, mais ça va introduire un changement capital dans le bilan radiatif du système Terre qui va déclencher un certain nombre d'autres impacts. J'en ai décrit certains, mais on en a parlé aussi, je ne vais pas revenir dessus, avec la glace sur le Groenland, la glace de la péninsule antarctique et tout ce qui se passe sur l'Antarctique de l'Ouest. Le pergélisol aussi dans l'hémisphère Nord sur toute la Sibérie qui est très exposée à ces effets de réchauffement. Je vous signale un papier de Lawrence et d'autres auteurs qui signalent que l'avancée du front polaire contribue à faire fondre une grande partie du pergélisol sibérien. Il est aussi très vraisemblablement lié à ces reculs de banquise en été. Les anomalies thermiques qu'on observe dans le courant de l'automne, qui sont à leur maximum, sont de l'ordre de +7 à 8 degrés au-dessus des moyennes saisonnières et c'est cet effet-là qui semble se répercuter sur la partie terrestre de l'Arctique avec les implications sur le pergélisol.

Je crois que je vais m'en tenir là et vous remercier de votre attention.

Pr Édouard BARD

Merci Jean-Claude pour cet exposé détaillé et fouillé sur les interactions entre l'océan, la glace de mer et le climat. Nous allons passer à la prochaine intervenante qui est Frédérique Rémy, Directrice de recherche au CNRS travaillant au Laboratoire d'Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiale de Toulouse.

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