d) Un regain d'intérêt pour l'évolution institutionnelle ou statutaire dans les départements français d'Amérique

Pour expliquer le refus des électeurs de l'évolution institutionnelle proposée en 2003, M. Thierry Michalon, maître de conférences honoraire à l'université des Antilles et de la Guyane, a indiqué à la mission que l'opinion publique dans les départements français d'Amérique était partagée entre désir d'émancipation et volonté d'assimilation.

En tout état de cause, la question de l'évolution institutionnelle et statutaire des DOM est aujourd'hui relancée .

Elle constitue un thème spécifique des États généraux de l'outre-mer. Les rencontres et débats organisés dans ce cadre sont donc l'occasion d'évoquer, dans chaque DOM, l'intérêt d'un changement et de rendre compte des souhaits d'orientations exprimés par les populations.

Pour autant, des propositions ont d'ores et déjà été formulées.

Dans le cadre de la réforme des collectivités territoriales annoncée par le président de la République, le Comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par M. Édouard Balladur, s'est prononcé pour l'instauration d'une assemblée unique dans les DOM.

Dans son rapport d'étape du 11 mars 2009 24 ( * ) , la mission temporaire du Sénat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales a préconisé la création d'une collectivité unique dans chaque DOM 25 ( * ) .

Votre rapporteur, tout comme l'ensemble de la mission, a néanmoins estimé que si une modification de l'organisation institutionnelle actuelle paraîtrait objectivement pertinente , il était peu opérant pour le bon fonctionnement des instances locales que les institutions retenues ne soient pas définies en fonction des particularités propres de chacun des territoires concernés.

Il est donc apparu à la mission que l'évolution institutionnelle et statutaire ne pouvait être que différente pour chaque département, tant en ce qui concerne son contenu même que sa mise en oeuvre dans le temps. De fait, les demandes formulées par trois des quatre DOM montrent la diversité des perspectives d'évolution envisagées.

(1) La transformation en collectivité régie par l'article 74 : un choix esquissé par la Guyane et la Martinique

• La Guyane

Réunis en congrès le 19 décembre 2008, les élus départementaux et régionaux de la Guyane ont adopté un avant-projet de document d'orientation relatif à l'évolution statutaire de la Guyane, prévoyant la transformation de ce territoire en une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution .

Avant-projet de document d'orientation relatif à la réforme statutaire,
adopté par le congrès des élus départementaux et régionaux de la Guyane
(19 décembre 2008)

Aux termes de l'avant-projet adopté le 19 décembre 2008 par le congrès des élus départementaux et régionaux de la Guyane, il est envisagé une organisation administrative particulière, tenant compte des intérêts propres de la Guyane, ainsi que de ses spécificités géographiques, historiques et culturelles.

Cette organisation reposerait sur la création d'une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution , prenant le nom de « collectivité de Guyane », dotée de l'autonomie, et se substituant au département et à la région de Guyane. La collectivité de Guyane bénéficierait en outre du transfert de certaines compétences de l'État.

Elle demeurerait soumise au statut de région ultrapériphérique de l'Union européenne.

Les lois et règlements s'appliqueraient de plein droit dans les matières demeurant de la compétence de l'État, sous réserve des mesures d'adaptation nécessitées par l'organisation particulière de la Guyane .

La collectivité de Guyane exercerait les compétences actuellement dévolues au département et à la région de Guyane, tout en fixant elle-même les règles applicables dans les matières suivantes :

- impôts, droits et taxes, à l'exception, d'une part, des impositions communales visées au titre premier de la deuxième partie du livre premier du code général des impôts, ainsi que des impôts directs et taxes assimilées visés aux titres II, II bis et III de la même deuxième partie, réserve faite de la taxe spéciale prévue à l'article 1609 B et, d'autre part, des cotisations sociales et des autres prélèvements financiers obligatoires destinés au financement de la protection sociale ;

- droit minier ;

- énergie ;

- environnement ;

- droit domanial et des biens de la collectivité ;

- pêche maritime ;

- tourisme ;

- voirie ;

- accès au travail des étrangers ;

- création et organisation des services et des établissements publics de la collectivité.

Une compétence d'adaptation des règles générales aux caractéristiques et contraintes particulières de la collectivité serait reconnue à son autorité délibérante en matière d'urbanisme, de construction et de logement.

Le domaine privé de l'État en Guyane serait transféré à la collectivité de Guyane dans des conditions précisées par une convention entre l'État et la collectivité.

La collectivité règlementerait et exercerait le droit d'exploration et le droit d'exploitation des ressources naturelles des eaux intérieures, de la mer territoriale, du plateau continental et de la zone économique exclusive dans le respect des engagements internationaux de la France et de la compétence de l'État.

La collectivité pourrait, dans ses domaines de compétence, demander aux autorités de la République l'autorisation de négocier, dans le respect des engagements internationaux de la France, des accords avec les États voisins ou organismes régionaux. Elle pourrait également conclure, dans le respect des engagements internationaux de la France, des conventions avec des autorités locales étrangères pour mener des actions de coopération ou d'aide au développement.

Pour l'exercice des compétences transférées, la collectivité de Guyane disposerait :

- du produit des dotations et subventions bénéficiant au département et à la région de Guyane, dans les conditions prévues pour les départements et les régions d'outre-mer ;

- du produit des impositions perçues au profit du département et de la région de Guyane dans les conditions prévues dans la deuxième partie du livre premier du code général des impôts ;

- du produit des impositions transférées ;

- d'une dotation globale de compensation versée par l'État destinée à couvrir l'excédent des charges correspondant à l'exercice des compétences transférées par rapport au montant total des produits visés aux précédents alinéas.

Pour l'exercice de leurs compétences, les communes de Guyane bénéficieraient, outre des dotations, subventions et produits fiscaux dont elles disposent aujourd'hui, d'une dotation annuelle versée par la collectivité de Guyane, équivalant au produit d'octroi de mer reçu par chaque commune l'année précédant celle de l'entrée en vigueur du nouveau statut, augmentée dans une proportion égale à celle de l'évolution annuelle des prix dans la collectivité de Guyane, et ajustée, après chaque recensement, en fonction de l'évolution de la population communale.

La collectivité de Guyane serait composée et administrée par :

- une assemblée territoriale délibérante de 51 membres, élus au scrutin de liste à un ou deux tours sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l'ordre de présentation. Seules seraient admises à la répartition des sièges les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés ;

- un organe exécutif collégial élu par l'assemblée parmi ses membres et responsable devant elle ;

- deux conseils consultatifs disposant de compétence d'initiative et de proposition : un conseil économique, social, culturel et de l'environnement , ainsi qu'un conseil des autorités coutumières .

Après une phase de débat public de février à juillet 2009, un document définitif d'orientation devrait être établi, tenant compte des aspirations exprimées par la population.

Une nouvelle réunion du congrès des élus départementaux et régionaux est convoquée le 2 septembre 2009 , afin de délibérer au regard des résultats du débat public.

Les élus guyanais souhaitent qu'une consultation des électeurs puisse ensuite intervenir . M. Alain Tien Liong, président du conseil général de la Guyane, a indiqué à la mission, lors de son déplacement, que la décision finale des électeurs sur l'évolution statutaire restait néanmoins très incertaine.

• La Martinique

Les élus de la Martinique se sont également engagés dans une démarche d'évolution statutaire en adoptant, lors d'une réunion du congrès des élus régionaux et départementaux tenue le 18 décembre 2008, trois résolutions tendant à la création d'une collectivité unique, régie par l'article 74 de la Constitution, dotée de l'autonomie.

Les résolutions du congrès des élus départementaux et régionaux de la Martinique
en faveur d'une évolution statutaire
(18 décembre 2008)

Par une première résolution du 18 décembre 2008, le congrès des élus de la Martinique s'est prononcé pour une évolution de la Martinique dans le cadre « d'un régime législatif fondé sur l'article 74 de la Constitution qui permet l'accès à l'autonomie ».

Par une deuxième résolution, le congrès a souhaité que la nouvelle collectivité de Martinique soit dotée d'une assemblée délibérante unique .

Par une troisième résolution, il a été décidé que les 75 membres de cette assemblée seraient élus dans le cadre d'une circonscription électorale unique avec un scrutin de liste à la proportionnelle à deux tours , avec une prime majoritaire de 4 sièges. Le seuil d'accès à la répartition des sièges serait fixé à 5 % des suffrages exprimés. Parmi les dix premiers de liste, devraient figurer au minimum deux représentants de chacune des circonscriptions législatives existantes.

Les résolutions du congrès ont été approuvées par le conseil régional de la Martinique le 12 janvier 2009 et par le conseil général le 22 janvier 2009 26 ( * ) .

M. Alfred Marie-Jeanne, député et président du conseil régional, a indiqué à la délégation de la mission en Martinique qu'une évolution institutionnelle était nécessaire et aurait pu, en ayant été menée plus tôt, empêcher l'émergence des mouvements sociaux nés en Martinique ces derniers mois.

Interrogé par la mission temporaire du Sénat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales, il a souligné que l'article 73 de la Constitution n'offrait que des « adaptations jugées minimalistes et, de surcroît, selon une procédure excessivement lourde » et marqué en conséquence sa préférence pour l'adoption d'un statut régi par l'article 74, garantissant l'égalité sociale et l'accès aux fonds européens. Il a souhaité que la nouvelle collectivité dispose d'une compétence de droit commun alors que l'État ne se verrait plus attribuer qu'une compétence d'attribution 27 ( * ) , à l'exemple de la Polynésie française.

Le congrès des élus départementaux et régionaux s'est à nouveau réuni le 18 juin 2009 afin de préciser les règles de fonctionnement de la nouvelle collectivité et ses compétences. Il s'est prononcé sur la base des travaux d'une commission de suivi, installée le 17 avril 2009, composée de vingt membres du congrès désignés dans des conditions permettant une représentation fidèle des groupes et tendances politiques.

Le congrès a adopté cinq résolutions au cours de débats parfois vifs, qui ont duré plus de dix heures. Ils ont mis en relief l'existence d'une majorité réelle mais l'absence d'unanimité sur l'évolution statutaire envisagée.

Les résolutions du congrès des élus départementaux et régionaux de la Martinique sur l'organisation, le fonctionnement et les compétences de la collectivité unique
régie par l'article 74 de la Constitution
(18 juin 2009)

Par une première résolution 28 ( * ) , adoptée par 73 voix sur 85, le congrès a notamment souhaité que la nouvelle collectivité de Martinique soit dotée d'un conseil territorial , organe délibérant de 75 membres élus pour six ans au scrutin de liste à deux tours à la représentation proportionnelle. Cet organe serait compétent pour régler les affaires de la collectivité et contrôler le conseil exécutif.

Le conseil exécutif , composé de sept à treize membres élus par le conseil territorial en son sein au scrutin de liste majoritaire à trois tours, dirigerait l'action de la collectivité dans les domaines relevant de sa compétence et en élaborerait le budget. Il serait présidé par l'élu en tête de la liste arrivée en tête du scrutin.

Le président du conseil exécutif serait chargé de préparer et d'exécuter les délibérations du conseil territorial. Il serait tenu de présenter chaque année au conseil un rapport spécial, notamment sur la situation de la collectivité.

Le conseil territorial pourrait mettre en cause la responsabilité du conseil exécutif par le vote d'une motion de défiance constructive déposée par au moins un tiers de ses membres. Il exercerait une mission de contrôle de gestion par le biais de commissions d'enquête et de missions d'évaluation constituées en son sein.

Par ses deuxième et troisième résolutions 29 ( * ) , le congrès a décidé de l'institution, auprès de la collectivité, de deux conseils consultatifs : le conseil économique, social, culturel, de l'éducation et de l'environnement , ainsi que le conseil des communes, destiné à assurer la représentation du territoire, composé de deux représentants de chaque commune de Martinique, désignés par elles.

Par ses quatrième, cinquième et sixième résolutions 30 ( * ) , le congrès a proposé que la nouvelle collectivité dispose d'une compétence d'adaptation des lois et règlements sur son territoire et qu'elle soit dotée de compétences propres pour, notamment :

- élaborer un plan de développement durable et solidaire en matière économique ;

- développer des actions éducatives complémentaires, en particulier pour développer l'identité et la culture martiniquaise ;

- créer un périmètre unique de transports terrestre et maritime ;

- subordonner les transferts de propriétés foncières situées sur son territoire à déclaration afin d'exercer un droit de préemption ;

- exercer l'ensemble des compétences en matière de logement ;

- élaborer et contrôler la politique en matière d'énergie, d'écologie et d'environnement ;

- élaborer un plan de développement social ;

- définir les impôts qui la concernent, les exonérations applicables et les peines d'amende en cas d'infractions ;

- mettre en oeuvre une politique de développement culturel spécifique ;

- mettre en place une politique de développement du sport ;

- définir une politique de planification spatiale et de l'urbanisme sur son territoire ;

- disposer de représentations auprès de tout État ou toute organisation internationale reconnu par la République française ; négocier, par le biais de son président, des accords avec les États de la Caraïbe en vue de favoriser le développement économique, social et culturel de la Martinique et la coopération décentralisée ;

- prendre des mesures destinées à faciliter l'accès à l'emploi salarié dans le secteur privé et à l'emploi dans les services de la collectivité ou des communes de personnes justifiant d'une durée de résidence suffisante en Martinique .

La collectivité de Martinique participerait par ailleurs, de manière plus ou moins marquée selon les domaines, à l'exercice des compétences partagées avec l'État en matière d'éducation et de formation, d'exploration et d'exploitation des ressources de la mer et de son sous-sol, de contrôles sanitaires aux frontières, d'élaboration des politiques sociales, de fiscalité, de communication audiovisuelle, de sécurité civile de coopération régionale et internationale, de prévention et de lutte contre la délinquance, d'emploi et de santé.

Compte tenu de la demande d'évolution statutaire formulée par ses élus, le congrès a souhaité , dans une septième résolution 31 ( * ) , le report en 2011 des élections régionales prévues en mars 2010 , afin que les consultations référendaires à venir sur le changement statutaire ne se déroulent pas dans un contexte de campagne électorale régionale.

Les décisions du congrès devront désormais être soumises à l'approbation du conseil régional et du conseil général.

Lors de son déplacement en Martinique, le 26 juin 2009, le Président de la République a annoncé, lors de son discours à Fort-de-France, son « intention de consulter les Martiniquais sur l'évolution institutionnelle de leur territoire », ajoutant que ceux-ci « seront libres de choisir en leur âme et conscience le chemin qu'ils souhaitent emprunter » et que « le débat qui est ouvert est celui du juste degré d'autonomie, celui de la responsabilité, celui de l'équation unité-singularité ». Il n'a cependant fixé aucune date pour cette consultation.

* 24 Rapport n° 264 (2008-2009) de M. Yves Krattinger et Mme Jacqueline Gourault, fait au nom de la mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales, tome I, p. 118 (http://www.senat.fr/rap/r08-264-1/r08-264-11.pdf).

* 25 La mission temporaire a néanmoins décidé, dans le cadre de son rapport définitif, de s'en remettre sur cette question aux conclusions de votre mission commune d'information sur la situation des DOM. Voir le rapport n° 477 (2008-2009) de M. Yves Krattinger et Mme Jacqueline Gourault, fait au nom de la mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales, tome I, pp. 56-58 (http://www.senat.fr/rap/r08-471/r08-4711.pdf).

* 26 L'approbation du conseil général n'a été acquise qu'à une voix de majorité (21 voix pour, 20 voix contre, 3 abstentions).

* 27 Outre les matières régaliennes (administration générale et territoriale, autorité judiciaire, défense, sécurité et sécurité civile), l'État n'aurait compétence que dans les matières suivantes : aviation civile et navigation aérienne ; enseignement scolaire ; santé ; sécurité sociale ; sécurité sanitaire.

* 28 Adoptée avec 75 voix pour, 8 voix contre et 4 abstentions.

* 29 Adoptées avec 66 voix pour et 19 voix contre.

* 30 Adoptées avec 63 voix pour, 8 voix contre et 14 abstentions.

* 31 Adoptée avec 61 voix pour, 21 voix contre et 2 abstentions.

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