C. MME ANNE BAUER, JOURNALISTE, LES ÉCHOS

Je précise que je dirige l'Association des journalistes de l'environnement. La constitutionnalisation du principe de précaution a-t-elle changé quelque chose dans la vie des journalistes et des médias ? Rien.

Tous ces débats ont été très intéressants mais n'ont rien changé sur le fond ; cela ne nous préoccupe guère dans l'exercice de notre métier. Pour autant, cela ne veut pas dire que ce n'est pas important car nous avons un rôle d'information et éventuellement d'alerte. Vous avez montré qu'il y avait eu l'arrêt de Versailles, que je ne connaissais pas, et qu'il avait l'air un peu « tiré par les cheveux ». Mais hormis ce cas, j'aurais tendance à dire que, pour l'instant, la constitutionnalisation du principe de précaution n'a entraîné ni les abus redoutés (on craignait à l'époque un blocage complet de la science), ni une judiciarisation totalement folle, avec une multiplication des conflits (vous avez cité deux ou trois cas). Il n'y a donc pas eu d'abus du principe de précaution à mes yeux. Dans notre rôle d'alerte, pour plaisanter, j'ai tendance à dire que l'on n'en abuse pas tellement, on n'en fait pas vraiment trop.

Mentionnons cet exemple, même s'il n'a pas de lien avec l'environnement : depuis vingt ans, des gens s'inquiètent que des transactions financières représentent 98 % de plus que les échanges réels, ce qui peut aboutir à un risque, comme récemment. Autre exemple : la question climatique  ne date pas d'hier. Avec des alertes dès les années 1960, les accords de Kyoto en 1997 sur la base de négociations démarrées plus de dix ans plus tôt, autrement dit, on négocie sur ces questions depuis vingt ans !. On ne peut dire que les choses ont tant évolué. On n'est clairement pas dans un exemple d'abus du principe de précaution.

Je voulais aussi dire que tous ces débats ne naissent pas de textes juridiques sur le principe de précaution, mais sur de réelles perceptions de dangers. Quelles que soient les règles juridiques, la presse rendra toujours compte de la peur des OGM ou des antennes téléphoniques. En réalité, ce n'est pas le principe de précaution qui a soulevé les craintes devant le progrès technologique, mais selon moi, la vitesse de ces progrès. Les angoisses me semblent davantage liées à la vitesse des changements qui, malgré l'allongement de la durée de vie, bouleverse la vie de chacun sans cesse, qu'à un repli frileux de la société.

J'ai entendu un propos intéressant sur la nécessité de faire des analyses des bénéfices et des risques, mais quand on les réclame, on les obtient rarement... Connaissez-vous une étude réellement chiffrée et normalisée des bénéfices économiques, sanitaires et environnementaux du Monsanto 810 ?

Autre question. L'inscription du principe de précaution dans une charte a-t-il contribué à la pacification du débat politique et à la rationalisation de la prise de décisions du pouvoir politique ? Les journalistes ont sûrement besoin de formation, j'en conviens, car nous ne sommes pas toujours très doués, mais les ministres aussi ! Si l'on prend les cas récents, on sait très bien que les ministres n'ont pas lu des rapports de quatre cents pages sur la comparaison des risques et des bénéfices. On a dit que les OGM avaient été sacrifiés sur l'autel du Grenelle de l'Environnement : à l'époque, les journalistes ont écrit qu'il y avait une espèce d'accord opposant l'abandon des OGM contre une paix des braves sur le nucléaire... On sait qu'au final les décisions politiques résultent d'abord d'une évaluation des rapports de forces en présence, lesquelles ne correspondent pas souvent à la rationalité scientifique et même à la rationalité économique. Je souscris à l'idée d'un suivi car il manque en effet un Comité de suivi ou des analyses de risques.

Dans le débat sur tous ces thèmes, je ne partagerai pas l'inquiétude de François Ewald. Je ne pense pas que les peurs exprimées soient irrationnelles. A quoi s'intéressent les gens ? Quand on parle des OGM, du clonage, de la bioéthique et même des nanotechnologies, la société s'intéresse au vivant et aux dangers de sa manipulation, c'est logique et intéressant : quand on parle des nanotechnologies, on parle de l'infiniment petit, quand on parle de la fission ou de la fusion nucléaire, de l'infiniment grand. Il est normal que les gens posent des questions et s'interrogent sur des thèmes pareils. Principe de précaution ou non, ils le feront.

En outre, je pourrais vous raconter une anecdote assez drôle. Il y a quinze jours, j'étais à Tchernobyl ou, plus exactement, dans les territoires russes contaminés, à Briansk. Nous étions à Novossibirsk où l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire poursuit des études sur les effets des faibles doses, des contaminations radioactives des aliments. Le maire nous explique la terrible situation, au coeur des conséquences de Tchernobyl ; nous demandons combien des enfants de la commune sont en mauvaise santé et il nous répond 95 %. Étrange car ont été prises des mesures pour couvrir d'asphalte et acheter des aliments non contaminés. Puis on lui demande combien des enfants russes sont en mauvaise santé afin de comparer avec le reste de la Russie ; 90 %, nous répond-il. Après analyse, nous avons compris qu'ils avaient une espèce de standard idéal duquel la myopie et les pieds plats excluent. Ensuite, nous sommes allés à l'hôpital de Briansk où nous ont été faites à peu près les mêmes réflexions. Le principe de précaution est d'une certaine façon presque une utopie, comme cet état de santé idéal. Les intérêts économiques et politiques ne suivent pas les voies d'un débat tout à fait rationnel et mesuré. C'est sans doute ce que l'on reproche à la presse : elle donne plus d'attention à ce qui n'est pas forcément rationnel qu'aux études scientifiques très exactes. Mais l'irrationnel fait partie de la vie de nos sociétés.

Pour finir, je peux vous annoncer, sans risque de me tromper, qu'il y aura un retour de bâton sur la grippe A/H1N1 : a-t-on trop dépensé, a-t-on abusé du principe de précaution ? Même si nous allons bien - ce que l'on peut souhaiter ! -, il y aura des polémiques. J'étais à l'OMS il y a peu de temps ; elle a sans doute fait des erreurs mais ce n'est pas elle qui a demandé à la France d'acheter soixante millions de doses. Donc, si la France a dépensé un milliard pour acheter soixante millions de doses qui ne serviront peut-être guère, il sera injuste d'en accuser l'OMS. La responsabilité sera aussi celle de nos autorités de santé.

M. Claude BIRRAUX

Merci, Anne. Effectivement, en 1999, pour la fermeture de Tchernobyl, j'ai mis les pieds à Pripiat, à Tchernobyl et à Slavoutitch. En ce qui concerne le principe de précaution à l'égard des employés de l'usine de Tchernobyl, j'essayais d'enregistrer les propos traduits pour ramener quelques bribes de ce que j'avais entendu tellement c'était hallucinant. A un moment, je me tourne vers Henri Revol, mon collègue sénateur qui se trouvait à côté de moi. « Henri, lui dis-je, est-ce que je pose une question sur l'Autorité de sûreté ukrainienne, sur la sûreté de leurs centrales ? » Je verrai toujours Henri me dire : « Non, ne dis rien, c'est trop chaud ! » Je crois que je me serais fait massacrer...

M. Jean-Charles Bocquet est le dernier intervenant de cette table ronde. Il est directeur général de l'Union des industries de la protection des plantes.

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