DISCOURS D'OUVERTURE DE M. GÉRARD LARCHER, PRÉSIDENT DU SÉNAT

Monsieur le président, Monsieur le ministre, mes chers collègues sénateurs, Mesdames et Messieurs, avant d'aller dans quelques minutes analyser une autre prospective de court et de moyen termes, qui est la réduction des déficits publics dans notre pays, qui va occuper le reste de ma matinée et qui me privera des travaux de l'atelier de prospective, je suis sensible, Monsieur le président, au plaisir que vous me faites en m'invitant à ouvrir avec vous ce premier atelier.

Je suis heureux de le faire et de saluer notre collègue Joël Bourdin, que vous avez, mes chers collègues, légitimement porté à la tête de notre délégation à la prospective. Je voudrais saluer les intervenants et les participants. Il y a seize mois, j'ai proposé à nos collègues, avec le Bureau du Sénat, de focaliser notre action sur ce que j'ai appelé le « coeur de métier de parlementaire ».

Comme le rappelait le président Bourdin, pour moi, le métier de sénateur, si j'ose qualifier ainsi notre fonction, c'est évidemment et fondamentalement de faire la loi. C'est aussi d'exercer pleinement nos fonctions de contrôle auxquelles la réforme constitutionnelle de 2008, et on ne l'a pas encore tout à fait suffisamment mesuré d'ailleurs, nous invite. Il est nécessaire qu'il y ait un temps d'appropriation de tout cela, mais je crois que nous sommes en chemin d'exercer cette fonction de contrôle d'une manière accrue.

Il s'agit d'ailleurs d'un domaine dans lequel nous possédons une vraie expertise et une réelle expérience. Notre métier, notre coeur de métier, c'est aussi d'insérer une dimension prospective à l'ensemble de nos travaux. Nous avons un rapport au temps parfois différent - et c'est légitime - de nos collègues de l'Assemblée nationale, parce que nous sommes moins sur le « syndrome du mardi matin », c'est-à-dire la nécessité d'imaginer et de rédiger une loi parce qu'un événement se serait produit dans les jours précédents. Je dois dire, parce que nous avons ce rapport au temps, parce que nous avons un calendrier institutionnel et électoral différent, que nous avons une responsabilité particulière dans la prospective. C'est d'ailleurs dans le bicamérisme ce qui donne une évidente plus-value à une assemblée qui, naturellement, ne doit pas ressembler à l'autre ni par son mode électoral, ni par son champ de compétences, ni par son rythme.

Je le rappelle quand même : après la réforme du quinquennat, nous sommes la seule des quatre grandes institutions à ne pas procéder de l'élection présidentielle, non pas que nous cherchions à nous en détacher systématiquement, mais parce que c'est ainsi. Ceci nous place, dans notre relation avec les experts, dans un rapport au temps qui, naturellement, est différent.

Il n'était pas question pour le Bureau et pour moi-même - c'est un secret de Polichinelle, j'avais même réfléchi à une « commission du futur » - d'ajouter un nouvel étage dans les organes qui structurent les travaux du Sénat. Il n'était pas question non plus de susciter de nouvelles contraintes dans l'agenda des membres de la délégation, mais de s'inscrire, me semble-t-il, dans le droit fil de la confortation de notre expertise et de notre spécificité parlementaires en matière d'éclairage du futur.

Depuis une vingtaine d'années, n'oublions pas l'acquis. La délégation à la planification a effectué de nombreux travaux de qualité, notamment dans le domaine de l'analyse macroéconomique à moyen terme. De leur côté, nos commissions permanentes, nos missions d'information, nos autres délégations et l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ont réalisé et réalisent un travail considérable, qui inclut aussi une dimension prospective. Il n'y a pas de monopole de la prospective, mais il était nécessaire, me semble-t-il, de rendre cette mission prospective plus visible, plus formelle, plus systématique, et il était urgent de lui fournir un cadre et des moyens spécifiquement dédiés.

Le président le rappelait. J'ai sollicité cette délégation pour apporter un éclairage sur un sujet, à mes yeux, essentiel : la refondation de notre pacte social, et nous en avons déjà tracé quelques pistes ensemble, le 26 novembre dernier.

J'expliquais tout à l'heure que nous avions un rapport au temps spécifique. Ce n'est pas parce que nous n'apprécions guère la précipitation ou l'émotion, quand elle n'est pas contenue puis rationalisée, que nous ne savons pas réagir vite, quand la situation l'exige. Je voudrais prendre un exemple qui ne s'inscrivait pas dans une prospective, j'allais dire de très long terme. Quand nous nous sommes trouvés dans la recherche d'une ressource équitable de substitution à la taxe professionnelle, nous avons su réagir vite, en quelques semaines, mais pour autant, nous aimons privilégier la réflexion. Audace et réflexion, sagesse et échange, cette alchimie ne donne-t-elle pas une définition assez juste de ce qu'est la prospective, Monsieur le président ?

Pour ma part, je pense que c'est cet état d'esprit qui nous permettra de nous inscrire dans la durée que j'évoquais pour faire bouger les lignes. Comme un certain nombre d'entre vous dans cette salle, et j'y reviens, j'avais été impressionné par l'expérience de nos amis nordiques en matière de prospective parlementaire. Pour tout dire, j'avais été contaminé par la Finlande avec, néanmoins, une approche un peu différente de ce qui existe dans un certain nombre de ces parlements, qui mêlent dans la même délégation experts et parlementaires.

Il nous a semblé important que les parlementaires jouent à l'intérieur de la délégation leur rôle de parlementaires et aient les regards croisés - nous en revenons au thème de ce premier atelier - avec les experts, parce que la prospective est aussi une expertise par les hommes de l'art. C'est un éclairage pour les choix de société, auxquels les opérateurs publics de la recherche doivent prendre toute leur part. C'est une anticipation, et je pense aussi à une anticipation des marchés réalisée par les entreprises privées.

Vous allez ouvrir ce matin cet atelier en vous appuyant sur les experts de talent que vous avez réunis et que je voudrais saluer à nouveau, pour défricher des thèmes aussi différents que notre avenir industriel, les défis agronomiques et environnementaux, ou encore les choix stratégiques en matière d'énergie, et notamment dans le secteur nucléaire. Expertise et globalité : voilà, Monsieur le président, une chance pour le Sénat, me
semble-t-il ! Nous avons fait un choix qui n'était pas de multiplier les commissions, mais la transversalité que vous représentez me paraît tout à fait essentielle. Cela charge l'agenda de nos collègues quelque peu, mais cela permet en même temps ces rencontres, et je crois qu'il y a un symbole à cette rencontre ce matin. Je voulais souhaiter très bonne chance pour ce premier atelier et pour la délégation. Merci beaucoup.

(Applaudissements)

Joël BOURDIN

Je vous propose que les deux intervenants par atelier - il y en a trois - interviennent successivement, qu'il y ait quelques questions, juste après, sur les sujets qu'ils ont abordés, et qu'on passe à l'atelier suivant, etc., jusqu'au troisième atelier.

Pour l'instant, j'invite Monsieur Hugues de Jouvenel à s'exprimer. Il est le Directeur général de Futuribles, une association internationale bien connue en prospective. Il est aussi consultant en prospective dans le domaine international et en stratégie. Je pense que son témoignage et ses conseils seront précieux aux hommes et aux femmes politiques que nous sommes. Ce que nous attendons de lui, comme ce que nous attendons de Monsieur Chapuy, c'est évidemment qu'il nous donne les éléments nécessaires pour affiner la méthodologie de la prospective que nous allons commencer à appliquer dans les domaines qui sont les nôtres. Monsieur de Jouvenel, vous avez la parole.

I. LA PROSPECTIVE, UNE EXPERTISE MISE AU POINT PAR DES HOMMES DE L'ART

A. HUGUES DE JOUVENEL, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE FUTURIBLES

Merci Monsieur le Président, merci avant tout à vous et à la délégation sénatoriale pour l'invitation qui nous a été adressée. Permettez-moi, puisque je suis le premier à intervenir, de vous dire combien - je crois pouvoir dire qu'au nom de tous les prospectivistes, si tant est que cette espèce existe - nous nous réjouissons que le Sénat ait pris l'initiative de créer une telle délégation.

Je commencerai, si vous le voulez bien, par revenir sur quelques mots qui ont été utilisés, y compris par le président Larcher, sur le passage de la délégation à la planification, à des exercices de prévision, puis de prospective.

Je crois qu'il y a derrière la prospective deux convictions fondamentales. La première est que l'avenir n'est pas prédéterminé , qu'il n'est pas déjà fait. Par nature et quelles que soient les méthodes utilisées, personne ne peut le prévoir avec certitude. Je crois qu'il est très important d'insister sur ce point.

L'avenir ne se prévoit pas, il se construit , selon la phrase célèbre de Luc Blondel. C'est la responsabilité des femmes et des hommes d'aujourd'hui que d'être, en quelque sorte, des artisans d'un futur qui reste, pour une large part, à construire. Pour qu'ils puissent le faire, j'ai envie de dire qu'il faut qu'ils voient bien que, dans l'avenir, il y a deux considérations différentes.

Il y a l'avenir comme territoire à explorer, et ceci renvoie à la fonction de veille et à la fonction d'anticipation : c'est la prospective exploratoire . La fonction de veille, dans mon esprit, est tout à fait fondamentale puisque, lorsqu'on parle de l'avenir, n'oublions jamais qu'il commence dans l'instant qui vient et qu'il peut durer longtemps. Lorsqu'on parle d'un avenir ouvert à plusieurs futurs possibles, ceux-ci sont, pour une part, enracinés dans le présent.

A mes yeux, le premier défi dans une démarche de prospective est d'essayer de nous représenter le monde contemporain ou la société française d'aujourd'hui au travers de sa dynamique temporelle longue, en s'efforçant de faire le tri entre ce qui est de nature conjoncturelle, anecdotique - même si cela fait la une des médias - et ce qui, en revanche, va nous apparaître constituer des tendances lourdes ou émergentes, ce qu'on appelle aussi parfois pompeusement « des signaux faibles ». Il n'y a pas de recette miracle pour faire cette distinction.

Un exemple trivial de l'actualité d'hier ou d'aujourd'hui : on nous annonce que le chômage tend à s'infléchir ou à se réduire légèrement. Est-ce un phénomène conjoncturel ou est-ce un fait porteur d'avenir ? Est-ce une hirondelle qui annonce un nouveau printemps durable ? Il me semble que ce travail de veille est un élément tout à fait fondamental si on veut faire faire de la prospective exploratoire qui ne soit pas simplement un exercice de fiction sur le futur.

C'est à partir de l'identification de ces germes d'avenir ou de ces racines de futur possible que nous allons dans un deuxième temps essayer de répondre à la question : que peut-il advenir ? Sachant qu'il n'est pas du tout dans l'ambition de la prospective de prédire ce que sera demain mais, dans le meilleur des cas, de nous alerter sur des développements possibles, avant qu'il ne soit trop tard. Avant, si je puis dire, c'est le rôle de la vigie sur le bateau avant que celui-ci n'ait percuté l'iceberg.

Cette fonction d'anticipation est, me semble-t-il, essentielle pour assumer une deuxième fonction, celle de la construction du futur.

L'avenir est ici celui du pouvoir, de la volonté, et de la responsabilité. Ce qui me frappe, c'est de voir combien nous entendons souvent les décideurs publics et privés arguer du fait qu'ils prennent telle décision car ils n'ont pas le choix, alors, me semble-t-il, que s'ils étaient plus honnêtes, ils devraient nous dire qu'ils n'ont plus le choix, qu'ils sont acculés dans les cordes, que les circonstances ont pris le pouvoir sur eux, et que, au lieu de pouvoir agir en stratèges, ils sont en quelque sorte réduits à une fonction de pompiers.

Si on revendique un certain pouvoir sur l'avenir de notre société, il me paraît alors fondamental de faire preuve d'anticipation pour essayer d'éviter les dangers, les enjeux, les défis, avant qu'il ne soit trop tard, et avant que les stratèges ne soient ainsi acculés à une fonction de pompier. Dès lors que nous nous positionnons en la matière comme des constructeurs d'avenir, disposant d'un certain pouvoir, une deuxième question, non moins importante vient immédiatement à l'esprit : celle de savoir quelles sont les finalités que nous poursuivons, quel est le projet qui nous anime.

On est là sur un autre registre. Rappelons-nous que le mot « projet » vient du latin pro et jeter, jeter en avant dans un temps futur. Mais une image de quoi ? Une image d'un futur souhaitable et autant que possible réalisable pour un pays ou pour le monde. Les entreprises qui, à un moment donné, avaient abandonné un peu cette fonction de projet stratégique et avaient adhéré au culte de la flexibilité totale, se sont rendu compte que l'on ne pouvait pas changer son portefeuille de compétences, ses produits, ses marchés tous les jours et qu'il était sans doute important d'avoir une vision à long terme, tout en se réservant un certain nombre de flexibilités dans le trajet à parcourir pour passer de l'instant t où nous sommes à l'objectif que nous poursuivons.

Parmi tous ces acteurs, les instances publiques ont un rôle très particulier à jouer. Prospective et politique vont très largement de pair . Elles ont un rôle particulier à jouer car, au-delà de la gestion des affaires courantes et des urgences, les instances publiques ont vocation à réfléchir aux avenirs souhaitables.

Quand je dis souhaitable, on comprend bien qu'entrent en ligne de compte des choix de valeur et des arbitrages en termes politiques au sens le plus noble du terme. Un des défis majeurs pour les instances publiques est aujourd'hui, me semble-t-il, au-delà encore une fois de la gestion des urgences, de savoir ce que nous mettons, ce que vous mettez, derrière le concept médiéval de bien commun, derrière le concept d'intérêt collectif : quelles sont en quelque sorte les finalités principales que s'assignent les instances publiques. Sachant que, en la matière, - le président Larcher a souligné la dimension du temps -, l'intérêt collectif ne peut en aucune manière se réduire à la somme des intérêts particuliers ou des demandes sociales et que l'intérêt public implique une prise de responsabilité pour laquelle il est important qu'il y ait des débats.

J'en viens très vite à des exemples qui sont à la fois dans l'actualité et en même temps très anciens. Nous vieillissons ; la France vieillit comme tous les pays du monde. Ceci se traduit, et va se traduire plus encore dans les années à venir, par un accroissement de la proportion des personnes âgées par rapport à la population totale. Nous sommes à la fin des années 1990. Le Commissariat général du Plan élabore une prospective des retraites à l'horizon 2040, qui sera ensuite régulièrement actualisée et mise à jour par le Comité d'orientation des retraites.

Quelle est, à l'époque, l'analyse du Commissariat général du Plan ? Nous sommes à la fin des années 1990 dans une période de croissance et de conjoncture favorable. L'hypothèse faite par le Plan est que le regain de croissance économique augure d'un nouveau Kondratieff ascendant comme disent les économistes. La création d'emplois, nettement positive à l'époque, augure d'une création d'emplois durables.

De plus, on pense que la population active va commencer à se réduire à partir de 2006, au prétexte que les générations nombreuses du baby-boom partiront à ce moment-là à la retraite, au moment où au contraire les générations creuses arriveront sur le marché du travail. D'où le pronostic, élaboré, par le Commissariat général du plan, à l'époque, disant : « Nous risquons d'être en pénurie généralisée de main-d'oeuvre à l'horizon 2010, 2015. »

Erreur dans l'interprétation des phénomènes du moment ; erreur d'anticipation . A la même époque, il se trouve que Futuribles a fait un contre-rapport en bonne intelligence avec le Commissariat général du Plan, qui concluait que la croissance ferait long feu et que les conditions n'étaient pas réunies pour qu'elle soit durable et pour créer des emplois. Le taux de chômage n'est pas le bon indicateur de la situation de l'emploi. Il vaut mieux regarder le taux d'emploi, donc la proportion de la population active qui est en activité. Il n'y aura pas d'inversion concernant la population active à partir de 2006, ce que reconnaît d'ailleurs maintenant l'INSEE. Nous allons donc nous trouver confrontés à l'horizon 2010/2020 à la conjonction d'un sous-emploi endémique avec un phénomène de vieillissement démographique très brutal.

Y a-t-il un lieu où ces différents points de vue - après tout il ne s'agit que de points de vue, personne en la matière ne détient de science - y a-t-il un lieu où ces questions pouvaient être réellement débattues, y compris en remontant sur les hypothèses sous-jacentes ? Ce fut le cas au Bundesrat , et cela a débouché sur des réformes des retraites. Cela a été le cas au Parlement finlandais. D'une manière générale, la problématique dans les pays scandinaves a été prise autrement, aussi parce que, là-bas, le travail de prospective avait été fait non seulement par l'exécutif, mais par les instances parlementaires et pour reconnaître que le problème fondamental n'était pas tant celui des retraites que celui de l'emploi.

La France vivant dans une situation de sous-emploi endémique depuis quarante ans, il allait de soi que la solution théorique idéale consistait à dire
- cela en fut le cas avec la loi de réforme sur les retraites - qu'il fallait allonger la durée de l'activité professionnelle à due proportion au moins de l'allongement de la durée de vie des individus. Encore fallait-il que l'emploi soit au rendez-vous. Il ne l'est pas, donc nous allons nous trouver « plombés ».

Il est dommage que les assemblées - je pense tout particulièrement au Sénat - n'aient pas en la matière été le lieu où pouvaient se retrouver des gens qui faisaient des projections économiques, une sorte de forum, où pouvaient être échangés ces points de vue sur les perspectives éminemment incertaines, mais qui allaient déboucher sur des réformes dont on voit aujourd'hui les limites.

Deuxième exemple : la politique française de recherche et d'innovation. Il a été engagé en la matière un travail de prospective important dans le cadre de l'Association nationale de la recherche technique, l'ANRT, sous le titre de FutuRIS. Le ministre avait joué un rôle déterminant dans cette affaire. Quel était le premier enseignement de ce travail de prospective mené dans le cadre de FutuRIS ?

Il était de dire : un petit pays - pardonnez-moi -, ou un pays moyen comme la France, ne peut pas prétendre à un niveau d'excellence scientifique dans tous les domaines. Nous avons donc des choix à faire ou alors nous allons saupoudrer les moyens et nous serons médiocres en tout. Quel dialogue s'est instauré à ce moment-là entre ceux qui ont piloté cette opération futuriste et les instances de décision ? Faible, reconnaissons-le. Pourtant, on avait un ministre particulièrement attentif à la cause. Je pourrais multiplier les exemples dans le domaine de la recherche avec INRA 2020, mais Sandrine Paillard est mieux placée que moi pour en parler. Il y a bien d'autres exemples cas.

Aujourd'hui, la prospective est à la mode , et je terminerai par là. Tous les ministères se dotent, comme ils l'avaient fait dans les années 1960, de cellules de prospective. Elles sont plus ou moins étoffées, plus ou moins dynamiques et fort heureusement sont régulièrement réunies maintenant par le Centre d'analyse stratégique pour des réunions à tout le moins d'information mutuelle.

Le problème de ces cellules de prospective au sein des ministères est que, trop près du prince elles meurent parce qu'elles sont instrumentalisées comme un cabinet bis ; trop loin du prince, elles prêchent dans le désert : donc elles ne servent à rien. Je n'émets aucun jugement, ni sur la Délégation à la prospective stratégique du ministère de l'Intérieur, ni sur le Centre d'étude prospective du ministère de l'Agriculture. Tous travaillent très bien et je ne parle pas du ministère de la Défense. Il y a un positionnement particulier de la réflexion prospective par rapport à la décision publique au sein de l'exécutif, mais aussi au sein des instances parlementaires.

Je terminerai par là en deux mots. Il me semble que nous avons devant nous une réforme des retraites. Nous avons devant nous un débat à venir sur les questions de bioéthique. Nous avons derrière nous, mais encore devant nous, hélas, pour bien longtemps, des problèmes de cohésion sociale majeurs. Je pense au travail que l'on a fait au sein de la délégation interministérielle à la ville. Qu'est-ce que le Sénat a à dire sur ces dossiers, non pas en attendant que la question soit posée par l'exécutif, mais en anticipant sur la demande ? Faute de quoi, vous serez toujours en retard par rapport à la décision.

Pardonnez-moi ce caractère un peu provocant, mais c'est aussi le rôle des responsables d'être un peu provocants dans des enceintes aussi nobles. Nous sommes dans un pays où, malgré tout, sur toutes ces questions, le jeu des lobbies , les jeux partisans l'emportent très largement - y compris à l'Assemblée nationale - sur les préoccupations d'intérêt collectif qui, normalement, devraient animer une assemblée parlementaire.

Il me semble logique et tout à fait heureux que le Sénat s'investisse dans cette fonction. Je pense qu'on peut en attendre d'immenses progrès, non seulement sur le plan de la prospective appliquée à l'édification des politiques publiques, mais aussi sur celui de l'évaluation des dispositifs publics, car si les finalités de l'élite politique ne sont pas définies, l'évaluation est réduite à du contrôle de gestion, ce qui n'est pas inutile, mais à mes yeux tout à fait insuffisant.

Joël BOURDIN

Merci Monsieur de Jouvenel. Je vais demander maintenant à Pierre Chapuy, professeur de prospective et de stratégie au CNAM et directeur d'une société d'étude et de conseil dans le domaine de la prospective de nous présenter son exposé.

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