2. Le rapport « Evans-Kawaguchi » sur l'élimination des menaces nucléaires
Les thèses « abolitionnistes » ont été présentées d'abord par une initiative spectaculaire de MM. Kissinger, Schultz, Perry et Nunn dite « Global Zero » (janvier 2008), puis d'une manière argumentée et phasée par une commission d'experts, la Commission internationale sur la non-prolifération et le désarmement nucléaires 68 ( * ) , présidée par M. Gareth Evans, ancien ministre australien des Affaires étrangères (1988-96) et par Mme Yoriko Kawaguchi, ancienne ministre des Affaires étrangères du Japon (2002-2004).
a) Les présupposés de l'Ecole « abolitionniste »
Le présupposé de base de l'Ecole « abolitionniste » (Initiative « Global Zero », Commission Evans) est que l'arme nucléaire, étant la plus terrible de toutes, doit être éliminée en premier. L'Ecole abolitionniste ne semble pas percevoir la discontinuité radicale entre l'arme nucléaire et toutes les autres sortes d'armes conventionnelles, ainsi que les autres armes de destruction massive.
Les armes nucléaires ne sont pas des armes comme les autres. Elles sont de moins en moins tenues comme des armes d'emploi (les Russes eux-mêmes ont renoncé, dans leur doctrine, à l'idée de les utiliser comme des « armes de bataille »). Les armes nucléaires sont comprises dans les doctrines officielles comme des armes de dissuasion, même si les arsenaux nucléaires existants ne répondent pas tous - loin de là - à l'objectif de « stricte suffisance ».
L'arme nucléaire, dans la doctrine française, a pour but d'empêcher la guerre. Le succès de la dissuasion est de dissuader. L'utilisation de l'arme nucléaire marquerait l'échec de la dissuasion.
A cet égard, le dénouement pacifique de la guerre froide est une démonstration magistrale, à l'échelle mondiale, d'une valeur comparée avec l'issue de tous les autres affrontements de l'Histoire absolument sans précédent.
A une échelle plus réduite, les dissuasions indienne et pakistanaise paraissent avoir aussi joué un rôle stabilisateur, en empêchant que des conflits conventionnels limités, comme la guerre de Kargil, au Cachemire, en 1999, ne dégénèrent en « grandes guerres », pouvant impliquer « l'ascension aux extrêmes ».
Le rapport Evans-Kawaguchi ( Eliminating Nuclear Threats ) argumente certes sur la base de risques d'erreurs ou d'accidents qui auraient pu se produire pendant la guerre froide, notamment lors de la crise de Cuba en 1962, mais qui en réalité ne se sont pas produits, parce que Khrouchtchev sachant qu'il côtoyait le gouffre a préféré rapatrier ses missiles. Au fond, le rapport Evans-Kawaguchi invoque le principe de précaution contre la dissuasion. Mais force est de constater que celle-ci a fonctionné depuis soixante ans et a assuré au monde une paix globale de longue durée. Ce risque d'accident n'en existe pas moins et pourrait s'accroître avec la dissémination de l'arme nucléaire, tous les pays ne disposant pas de la même « culture de sécurité » et certains pays dictatoriaux pouvant être tentés par le chantage nucléaire « au bord du gouffre ». C'est une raison de plus pour consolider le TNP autant que faire se peut.
* 68 « Eliminating Nuclear Threats » - Décembre 2009