b) Un objectif de minimisation à l'horizon 2025
L'objectif d'une « minimisation » des arsenaux nucléaires totaux à 2 000 têtes retenu par le rapport Evans-Kawaguchi à l'horizon 2025, soit moins de 10 % du total actuel, peut apparaître comme un objectif désirable.
Il supposerait un accroissement du potentiel technique de démantèlement des armes aux Etats-Unis et, plus encore, en Russie.
La Commission Evans-Kawaguchi paraît avoir été consciente que les conditions politiques de l'élimination des armes nucléaires n'étaient pas réunies. Elle a cherché, semble-t-il, à définir ce que pourrait être un désarmement maximal dans des conditions de sécurité analogues à celles qui prévalent aujourd'hui. D'où l'objectif très volontariste d'une réduction à 1 000 têtes de l'arsenal russo-américain.
C'est à la Russie et aux Etats-Unis que la Commission Evans-Kawaguchi demande de faire l'essentiel de l'effort. Même si les Etats-Unis et la Russie étaient techniquement en mesure de réduire à quelques centaines le nombre total de leurs têtes, les autres puissances nucléaires qui en détiennent ensemble environ un millier, ne voudraient sans doute pas renoncer à la détention d'une « dissuasion minimale », s'agissant de la Chine, de la France et du Royaume-Uni, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, de l'Inde, eu égard à la dissuasion qu'elle entend maintenir vis-à-vis de la Chine, et du Pakistan vis-à-vis de l'Inde.
Si les Etats-Unis peuvent réduire la part du nucléaire dans leurs forces armées et dans leur doctrine de défense, étant donné l'importance de leur budget militaire (680 milliards de dollars par an), du volume et de la diversification de leurs forces conventionnelles, eux seuls peuvent définir le nombre d'armes nucléaires qui leur seraient nécessaires.
M. François Heisbourg 69 ( * ) , membre de la Commission Evans-Kawaguchi », avance que les Etats-Unis peuvent exercer une « dissuasion élargie » au bénéfice de leurs alliés avec 500 têtes nucléaires (« ce qu'ils faisaient dans les années 1950 »). Votre rapporteur émet un sérieux doute car il y a un rapport entre le nombre d'armes nucléaires et la diversification souhaitable des options pour éviter une ascension trop rapide aux extrêmes. Il n'est pas sûr que les Etats-Unis, en bonne doctrine, souhaitent se laisser entraîner trop rapidement, par la logique de la dissuasion élargie, vers des frappes dites « stratégiques ».
Même les promoteurs de l'Initiative « Global Zero », MM. Schultz, Perry, Kissinger et Sam Nunn, dans une interview récente au Wall Street Journal, déclarent : « En même temps que nous travaillons à réduire les armements nucléaires ... nous reconnaissons la nécessité de maintenir la sûreté, la sécurité et la fiabilité de nos propres armes. » Ils approuvent la modernisation de l'infrastructure nucléaire prônée par la Commission Schlesinger-Perry et actée par le projet de budget fédéral pout l'année fiscale 2011 : « nous devons », ajoutent-ils, « maintenir notre arsenal nucléaire, quel qu'en soit la taille, aussi longtemps que la sécurité nationale l'exigera » 70 ( * ) .
Les pays autres que les Etats-Unis et la Russie disposent ensemble aujourd'hui d'environ un millier de têtes mais ils sont dans une situation très différente.
Ainsi la France dispose d'un budget qui ne l'autorise à maintenir, au titre de son armée de terre, qu'une force opérationnelle réduite à 88 000 professionnels à l'horizon 2014, assurant une capacité de projection de 30 000 hommes seulement. Aussi bien le coût de la dissuasion ne représente-t-il plus que 10 % du budget de la défense (3,5 milliards d'euros en 2010 sur des crédits budgétaires totaux de 37 milliards d'euros pour la mission « défense »).
La Chine voudra maintenir une dissuasion, et même une capacité de seconde frappe vis-à-vis des Etats-Unis, de la Russie et de l'Inde. Un engagement de non-augmentation de son arsenal n'est envisageable que dans l'hypothèse d'une réduction drastique de l'arsenal russe ou américain.
Il en ira de même de l'Inde vis-à-vis de la Chine et du Pakistan, de celui-ci vis-à-vis de l'Inde et d'Israël vis-à-vis des pays arabes et de l'Iran.
La politique, en fait, commande. La réduction des tensions régionales est assurément le meilleur adjuvant du désarmement nucléaire.
* 69 « A propos du rapport de la Commission internationale sur la non-prolifération et le désarmement nucléaires - Entretien avec M. François Heisbourg » - www.cesim.fr - 19 janvier 2010
* 70 Wall Street Journal - 19 janvier 2010 - «How to protect our nuclear Deterrent». Maintenir la confiance dans notre arsenal nucléaire est nécessaire, alors même que le nombre d'armes diminue. Par George Shultz, William Perry, Henry Kissinger et Sam Nunn.