Rapport d'information n° 374 (2009-2010) de M. Jean ARTHUIS , fait au nom de la commission des finances, déposé le 31 mars 2010


N° 374

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 mars 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la prise en compte de la dette publique dans les comptabilités nationales ,

Par M. Jean ARTHUIS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Alain Lambert , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Christian Gaudin, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera.

AVANT-PROPOS

La crise grecque des finances publiques a mis en évidence, au premier semestre de l'année 2010, le manque de fiabilité des statistiques de finances publiques de ce pays.

Compte tenu de l'impact déstabilisant que pourrait jouer une perte de confiance dans la fiabilité des statistiques de finances publiques des Etats membres de l'Union européenne, la commission des finances a procédé, le 31 mars 2010, à l'audition de Jean-Philippe Cotis, directeur général de l'Insee, Paul Champsaur, président de l'Autorité de la statistique publique, Benoît Coeuré, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor, et Gallo Gueye, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat, afin de faire le point sur le fonctionnement du système statistique européen dans le domaine des finances publiques.

Les comptes-rendus intégraux de ces auditions figurent en annexe au présent rapport d'information.

RÉSUMÉ DU RAPPORT

Un système statistique globalement performant et qui s'est considérablement amélioré ces dernières années

Il convient tout d'abord de souligner la performance globale du système statistique européen dans le domaine des finances publiques, et en particulier les progrès importants accomplis ces dernières années.

Eurostat est assisté de nombreux organes consultatifs, les deux principaux étant le comité des statistiques monétaires, financières et de balance des paiements (CMFB), compétent, notamment, en matière de finances publiques, auquel s'est ajouté en 2008 le conseil consultatif européen pour la gouvernance statistique (CCEGS), chargé d'évaluer la qualité globale des statistiques européennes. Le CCEGS n'est d'ailleurs pas sans évoquer l'autorité de la statistique publique, instaurée en France par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

Les normes sont précises et ont été considérablement renforcées. Elles sont définies, pour l'essentiel, par le « système européen des comptes nationaux et régionaux dans la Communauté » 1995 (« SEC 95 »), défini par le règlement (CE) n° 2223/96 du Conseil relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans la Communauté. Dans le cas particulier des finances publiques, ces normes sont précisées par le document d'Eurostat intitulé Manuel SEC 95 pour le déficit public et la dette publique , et par le règlement (CE) n° 479/2009 du Conseil du 25 mai 2009 relatif à l'application du protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs annexé au traité instituant la Communauté européenne.

Jusqu'au milieu des années 2000, les Etats membres ont fréquemment recouru à certaines techniques d'optimisation comptable pour réduire leur dette ou leur déficit : partenariats public-privé, titrisation de revenus futurs, recettes exceptionnelles. Les deux premières pratiques ont été rendues impossibles par deux décisions d'Eurostat, datant respectivement de 2004 et 2007. La troisième a, quant à elle, perdu l'essentiel de son intérêt depuis la réforme du pacte de stabilité en 2005, puisque désormais la trajectoire de finances publiques est évaluée en fonction du déficit public structurel hors mesures temporaires, dans le cadre du volet « préventif » comme du volet « punitif » du pacte.

Les pouvoirs d'Eurostat ont été considérablement renforcés en 2010

Le « cas Grec » de 2009 a montré, au plus fort de la crise financière, que ce système ne pouvait fonctionner correctement dès lors qu'un Etat, ne se contentant pas de recourir à diverses techniques d'optimisation comptable, falsifiait délibérément ses statistiques. En effet, Eurostat n'avait pas alors juridiquement accès aux documents de « comptabilité publique » utilisés par les Etats pour élaborer les statistiques utilisées pour l'application du pacte de stabilité, exprimées selon les règles de la « comptabilité nationale », définies par le SEC 95. Dans ces conditions, il ne lui était pas possible de déceler la fraude grecque.

Ces doutes sur la sincérité des finances publiques étaient dommageables non seulement pour la Grèce, mais aussi, potentiellement, pour l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne, soit par un effet de contagion directe de la crise grecque, soit, le cas échéant, par une perte de confiance généralisée en la fiabilité des statistiques de finances publiques européennes. C'est pourquoi les pouvoirs d'Eurostat ont été considérablement renforcés par le règlement (UE) n° 679/2010 du Conseil du 26 juillet 2010 : Eurostat s'est vu reconnaître la possibilité de contrôler les comptes publics des Etats membres, et sa possibilité de recourir à des experts nationaux a été renforcée.

La nécessité d'aller plus loin

La commission des finances juge cependant nécessaire d'aller plus loin.

Tout d'abord, il est indispensable de renforcer les moyens humains d'Eurostat. Il n'est pas envisageable de continuer à fonctionner avec seulement une vingtaine de personnes en charge des statistiques de finances publiques. Des redéploiements parmi les 800 agents d'Eurostat doivent de toute évidence être envisagés.

Ensuite, Eurostat doit être contrôlé par un « comité des sages », en particulier dans le domaine des finances publiques. La commission des finances le préconise depuis le rapport d'information 1 ( * ) de 2005 de son rapporteur général relatif à la réforme du pacte de stabilité. Cette exigence n'a été que partiellement satisfaite par la création en 2008 du conseil consultatif européen pour la gouvernance statistique (CCEGS) précité. L'intérêt majeur du CCEGS est de rompre avec la pratique des autres organes consultatifs d'Eurostat, sa composition (7 membres désignés par le Conseil et le Parlement européen) lui permettant de ne pas être une émanation des instituts nationaux statistiques. Cependant, ses pouvoirs sont limités puisqu'il est simplement chargé d'évaluer ex post la qualité globale des statistiques européennes. En particulier, l'organe consultatif compétent en matière de finances publiques est le comité des statistiques monétaires, financières et de balance des paiements (CMFB), comme cela a été indiqué plus haut.

La commission des finances juge donc nécessaire d'aller plus loin. On pourrait, par exemple, envisager de remplacer le CCEGS et le CMFB par un « comité des sages » unique, ou de remplacer totalement ou partiellement le CFMB par le CCEGS.

Enfin, les décisions d'Eurostat doivent être non seulement justes, mais aussi perçues comme légitimes par l'opinion et les marchés. La commission des finances considère qu'un tel objectif ne pourra être atteint qu'en rendant Eurostat organiquement indépendant de la Commission européenne (dont il est actuellement l'une des directions générales).

I. DES STATISTIQUES EN PRINCIPE TRÈS ENCADRÉES

A. LE « SYSTÈME STATISTIQUE EUROPÉEN » (SSE)

Les différents organismes statistiques communautaires et nationaux sont réunis dans le « système statistique européen » (SSE).

1. Eurostat

En tant qu'office statistique de l'Union européenne, Eurostat, qui a le statut de direction générale de la Commission européenne, est notamment chargé de valider et, le cas échéant, de modifier, les statistiques de finances publiques des Etats membres. Ce sont ses chiffres qui sont utilisés pour l'application du pacte de stabilité et de croissance.

A la fin de l'année 2009, l'effectif total d'Eurostat se situait autour de 835 personnes. Comme on le verra ci-après, sur ces effectifs, seules une vingtaine de personnes s'occupent des statistiques de finances publiques.

Jusqu'à récemment, Eurostat n'avait pas accès aux données de comptabilité publique des Etats membres, mais seulement à leurs données de comptabilité nationale, élaborées à partir des premières. Le système supposait donc, pour bien fonctionner, que les données de comptabilité publique soient justes, et en particulier sincères.

2. Deux organes consultatifs essentiels
a) Le comité des statistiques monétaires, financières et de balance des paiements (créé en 1991) : l'organe consultatif compétent en matière de finances publiques

Dans le cas particulier des finances publiques, la coordination des statistiques s'effectue dans le cadre du comité des statistiques monétaires, financières et de balance des paiements (CMFB), institué par la décision 91/115/CEE 2 ( * ) , et qui « a notamment pour tâche de se prononcer sur le développement et la coordination des statistiques monétaires, financières et de balance des paiements qui sont requises dans le cadre des politiques appliquées par le Conseil, la Commission et les différents comités qui les assistent ».

Selon les termes de la décision du Conseil du 13 novembre 2006 instituant un comité des statistiques monétaires, financières et de balance des paiements (2006/856/CE), actuellement en vigueur, « le comité est composé d'un à trois représentants par État membre, provenant des principales institutions concernées par les statistiques financières, monétaires et de balance des paiements, d'un à trois représentants de la Commission et d'un à trois représentants de la BCE. En outre, un représentant du comité économique et financier peut participer aux réunions du comité à titre d'observateur ».

Les États membres, la Commission et la BCE disposent chacun d'une voix.

Le CMFB a un simple rôle consultatif. Par exemple, dans le cas de la Société de financement de l'économie française (SFEF), Eurostat a décidé que la SFEF devait être exclue du champ des administrations publiques, contrairement à l'avis du CMFB.

b) Le conseil consultatif européen pour la gouvernance statistique (CCEGS), créé en 2008 : l'organe indépendant d'évaluation

La décision n° 235/2008/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008 a institué le conseil consultatif européen pour la gouvernance statistique (CCEGS). Même dans les documents francophones, il est souvent désigné par son sigle anglo-saxon, ESGAB ( European Statistical Governance Advisory Board ).

Cet organe est chargé non de se prononcer non sur des points statistiques particuliers, mais d'évaluer la mise en oeuvre du code de bonnes pratiques (cf. ci-après) et de conseiller la Commission à ce sujet.

Afin de jouer efficacement ce rôle, sa composition n'a pas pour objet de représenter les instituts statistiques nationaux, qui seraient à la fois juges et parties. Ainsi, il comprend seulement sept membres, et il est précisé que « le président ne peut être membre en fonction d'un institut national de statistique ni de la Commission et il ne peut avoir exercé ce type de fonctions au cours des deux années précédentes ». Par ailleurs, les membres du comité sont nommés par le Conseil et le Parlement européen 3 ( * ) , pour un mandat de trois ans, renouvelable une fois.

Son président est le Finlandais Johnny Akerholm. Parmi ses membres, on peut citer Jean-Michel Charpin, ancien directeur général de l'Insee. Il s'est réuni pour la première fois le 18 mars 2009.

Il a remis en 2009 son premier rapport annuel au Parlement européen et au Conseil sur la mise en oeuvre du code de bonnes pratiques de la statistique européenne.

Dans ce rapport, il fait les propositions suivantes.

Les propositions du conseil consultatif européen pour la gouvernance statistique dans son rapport de 2009

« 1. Les États membres qui ne l'ont pas encore fait devraient ancrer le principe d'indépendance professionnelle dans leur base juridique. Ils devraient en outre garantir la mise en oeuvre de ce principe dans la pratique.

« 2. Un cadre institutionnel approprié est crucial pour sauvegarder l'indépendance professionnelle des autorités statistiques. Tout soupçon d'intervention ayant un effet sur les données doit faire l'objet d'une enquête. En outre, les procédures de nomination et de révocation des directeurs d'instituts nationaux de la statistique devraient être transparentes et rester séparées des mandats politiques.

« 3. La transparence des arrangements de travail entre Eurostat et son commissaire en charge est saluée mais la fréquence des rencontres devrait être fixée de manière à ne pas nuire à la perception d'indépendance de la statistique européenne.

« 4. Eurostat devrait peaufiner son mode de communication avec les utilisateurs afin de faire la claire démonstration de son indépendance. Eurostat devrait par exemple organiser ponctuellement sa propre conférence de presse et clarifier que le porte-parole du commissaire s'exprime au nom du commissaire.

« 5. Vu que les ressources resteront limitées, les États membres et Eurostat devraient coopérer pour progresser rapidement dans la mise en oeuvre d'un système de production rationalisé pour la statistique européenne. L'insuffisance des ressources doit être appréhendée dans une perspective à long terme.

« 6. La formation professionnelle ayant pour objectif d'augmenter le nombre de statisticiens hautement qualifiés devrait être renforcée à la fois par les établissements de formation et par le SSE.

« 7. La qualité des procédures et des résultats statistiques devrait être une priorité absolue.

« 8. Le rôle de coordination renforcé d'Eurostat au niveau de l'UE, et des INS au niveau national, tel que prévu dans le nouveau cadre juridique, devrait être pleinement respecté par les institutions et les organismes concernés.

« 9. Eurostat et la DG Statistiques de la BCE devraient garantir la mise en oeuvre pratique du cadre de coopération instauré entre les deux institutions, notamment en respectant le partage des responsabilités, en adhérant aux mêmes principes statistiques et en s'efforçant de maintenir la charge sur les répondants à un strict minimum.

« 10. Compte tenu de la nouvelle structure de gouvernance, il conviendrait de revoir le rôle du CMFB. »

Source : Premier rapport annuel de l'ESGAB au Parlement européen et au Conseil sur la mise en oeuvre du code de bonnes pratiques de la statistique européenne par Eurostat et l'ensemble du Système statistique européen

On peut souligner en particulier la proposition 10, qui suggère de « revoir le rôle du CMFB ». Le CCEGS est cependant très vague à ce sujet, comme on le verra ci-après.

3. Des enceintes et organes consultatifs de moindre importance
a) Le comité du système statistique européen (CSSE ou « comité SSE ») : la représentation des instituts nationaux de statistiques

L'article 7 du règlement n°223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 a institué un comité du système statistique européen, dit « CSSE » ou « comité SSE ».

Ce comité, présidé par Eurostat, est composé des représentants des instituts nationaux de statistiques (INS).

Il « fournit des conseils professionnels au [système statistique européen] pour le développement, la production et la diffusion de statistiques européennes ».

Il se réunit quatre fois par an. Sa première réunion a eu lieu le 14 mai 2009.

Le règlement (CE) n°223/2009 précité a supprimé le comité du programme statistique (CPS), que le CSSE remplace. La dernière réunion du CPS s'est tenue le 12 février 2009.

b) Le comité consultatif européen de la statistique (CCES) : la représentation des utilisateurs du SSE

Le comité consultatif européen de l'information statistique existe depuis la décision 91/116/CEE du Conseil 4 ( * ) , abrogée par la décision n°234/2008/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008 5 ( * ) , qui en constitue la nouvelle base juridique.

Selon les termes de la décision n°234/2008/CE précitée, « le comité assiste le Parlement européen, le Conseil et la Commission en veillant à ce que les besoins des utilisateurs et les coûts supportés par les fournisseurs et producteurs d'informations soient pris en compte dans la coordination des objectifs et priorités stratégiques de la politique de l'information statistique communautaire ». En particulier, « la Commission consulte le comité à un stade précoce de la préparation du programme statistique communautaire ».

Il comprend 24 membres, dont 12 nommés par la Commission après consultation du Parlement européen et du Conseil (chaque Etat membre présentant 3 candidats), 11 nommés par les institutions et organismes communautaires, et le directeur général d'Eurostat.

c) D'autres enceintes de coordination

Parmi les enceintes de coordination, on peut également mentionner :

- le «groupe de partenariat», composé de directeurs généraux des instituts nationaux de statistique, qui assure notamment le bon fonctionnement du comité SSE et se réunit généralement quatre fois l'an, entre les réunions du CSSE ;

- la conférence annuelle des directeurs généraux des instituts nationaux de statistique.

4. Les instituts nationaux de statistiques (INS)

Les statistiques (que ce soit ou non dans le domaine des finances publiques) sont élaborées par ce que la terminologie communautaire 6 ( * ) appelle les « instituts nationaux de statistique » (INS), les « autres autorités nationales » et Eurostat, l'ensemble constituant le « système statistique européen » (SSE).

L'article 6 du règlement n°223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 prévoit que dans le cas des statistiques publiées au niveau communautaire, Eurostat « est seule compétente pour décider des processus, des méthodes, des normes et des procédures statistiques, ainsi que du contenu et du calendrier des publications statistiques ».

Les INS (un par Etat membre) servent de points de contact pour Eurostat.

B. LES NORMES

Selon l'article 338 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ex-article 285 du traité CE), « l'établissement des statistiques se fait dans le respect de l'impartialité, de la fiabilité, de l'objectivité, de l'indépendance scientifique, de l'efficacité au regard du coût et de la confidentialité des informations statistiques; il ne doit pas entraîner de charges excessives pour les opérateurs économiques ».

1. Le « SEC 95 »
a) La notion de comptabilité nationale

Les statistiques de finances publiques des Etats membres sont. - comme les autres statistiques économiques. - élaborées selon les normes de la comptabilité dite « nationale ».

Contrairement à ce que leur appellation pourrait laisser croire, ces normes ne sont pas laissées à la discrétion des Etats membres, mais sont définies, de manière précise, par le règlement (CE) n° 2223/96 du conseil du 25 juin 1996 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans la Communauté, qui définit le « système européen de comptabilité 1995 », dit « SEC 95 ».

C'est la comptabilité nationale qui est utilisée par Eurostat pour l'ensemble des statistiques relatives aux Etats membres, et en particulier pour les finances publiques, et donc pour l'application du pacte de stabilité. De même, les « comptes nationaux » de l'Insee se conforment, comme leur nom l'indique, aux règles de la comptabilité nationale.

La notion de « comptabilité nationale » s'oppose à celle de « comptabilité publique », correspondant aux normes que les différentes administrations publiques choisissent d'appliquer. Ainsi, en ce qui concerne l'Etat, la comptabilité nationale est distincte de la comptabilité budgétaire. En particulier, le déficit de l'Etat est différent selon qu'on l'évalue en recourant aux normes de la comptabilité nationale ou à celles de la comptabilité budgétaire.

Les statistiques de finances publiques au sens de la comptabilité nationale sont élaborées par les comptables nationaux. - l'Insee en France. - à partir des données de la comptabilité publique.

b) Le système européen des comptes nationaux et régionaux dans la Communauté (« SEC 95 »)

Le SEC 95 est défini par le règlement (CE) n° 2223/96 du Conseil relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans la Communauté.

Ce règlement a été modifié à de nombreuses reprises, par les règlements (CE) n° 448/98 du Conseil du 16 février 1998, n° 1500/2000 de la Commission du 10 juillet 2000, n° 2516/2000 du Parlement européen et du Conseil du 7 novembre 2000, n° 995/2001 de la Commission du 22 mai 2001, n° 2558/2001 du Parlement européen et du Conseil du 3 décembre 2001, n° 113/2002 de la Commission du 23 janvier 2002, n° 359/2002 du Parlement européen et du Conseil du 12 février 2002, n° 1267/2003 du Parlement européen et du Conseil du 16 juin 2003, n° 1392/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007.

Il comprend actuellement 628 pages, dont divers développements concernent les administrations publiques, et en particulier les finances publiques.

2. Le Manuel SEC 95 pour le déficit public et la dette publique

Les règles du SEC 95 relatives aux finances publiques sont explicitées dans le document d'Eurostat intitulé Manuel SEC 95 pour le déficit public et la dette publique , dont les première et seconde éditions datent respectivement de 2000 et 2002.

Ce document de 249 pages a été rédigé par un groupe d'experts, coordonné par Eurostat, représentant les Etats membres de l'UE, la Commission (Eurostat et la Direction générale des Affaires économiques et financières) et la Banque Centrale Européenne. Il a reçu l'approbation du Comité du programme statistique (CPS) et du Comité des statistiques financières, monétaires et de balance des paiements (CMFB).

A titre illustratif, l'encadré ci-après reproduit sa table des matières.

Le Manuel SEC 95 pour le déficit public et la dette publique (2002) : table des matières

3. Les décisions d'Eurostat

Les décisions d'Eurostat figurent sur son site Internet.

Dans le domaine des finances publiques, ce sont 23 décisions qui ont été prises depuis 1997, comme le montre l'encadré ci-après.

Les décisions d'Eurostat relatives aux finances publiques

Décisions 1997-2000

Intérêts capitalisés sur les dépôts et autres instruments financiers couverts par le SEC79. Traitement des obligations fongibles émises en plusieurs tranches (« coupons courus »). Swaps de taux d'intérêt et swaps de taux de change. Vente d'or par les banques centrales, crédit-bail. Classification des entités nationales agissant pour le compte de la Communauté européenne (FEOGA etc.). Fonds de pension. Traitement des intérêts dans le cas des obligations à coupon nul. (Décision publiée le 3 février 1997)

Traitement de certains impôts. Garanties d'Etat sur la dette des entreprises publiques. Financement et exploitation d'infrastructures publiques par le secteur des entreprises. (Décision publiée le 21 février 1997)

Traitement des obligations à forte décote et des obligations indexées. Financement et exploitation d'infrastructures publiques par le secteur des entreprises. (Décision publiée le 26 mars 1997)

Prise en compte des obligations linéaires. Financement et exploitation d'infrastructures publiques par le secteur des entreprises. (Décision publiée le 30 avril 1997)

Paiements de la Banque centrale à l'Etat. Changements de la date de paiement d'impôts, de contributions sociales et de prestations. (Décision publiée le 17 décembre 1997)

Paiement à l'Etat à la suite de la vente d'or monétaire par l'Ufficio Italiano dei Cambi (UIC) à la Banque Centrale. (Décision publiée le 27 janvier 1998)

Traitement des impôts sur les gains en capital réalisés par une holding publique dans un contexte de privatisation. (Décision publiée le 19 octobre 1998)

Décision d'Eurostat sur l'attribution de licences UMTS. (Décision publiée le 14 juillet 2000)

Décisions de 2002

Traitement du transfert de propriétés immobilières de l'Etat à une entreprise publique en Autriche. (Décision publiée le 31 janvier 2002)

Opérations de titrisation effectuées par les administrations publiques. (Décision publiée le 3 juillet 2002)

Traitement des billets et pièces non restitués dans le contexte du passage à l'euro. (Décision publiée le 22 juillet 2002)

Décisions de 2003

Injections de capital par les entités étatiques dans les entreprises publiques. (Décision publiée le 21 août 2003)

Liquidation du fonds de développement pour le Portugal de l'Association européenne de libre-échange. (Décision publiée le 21 août 2003)

Paiements au gouvernement par les entreprises publiques dans le contexte du transfert au gouvernement de leurs obligations en matière de retraites. (Décision publiée le 21 octobre 2003)

Décisions de 2004

Paiements au gouvernement par des entreprises dans le contexte du transfert au gouvernement de leurs obligations en matière de retraites. (Décision publiée le 2 février 2004)

Traitement des partenariats public-privé. (Décision publiée le 11 février 2004)

Classification des dispositifs de fonds de pension en cas de responsabilité ou de garantie du gouvernement. (Décision publiée le 2 mars 2004)

Décisions de 2005

Traitement des transferts du budget de l'UE aux Etats membres. (Décision publiée le 15 février 2005)

Trois décisions sur l'Italie : SCIP, ISPA et Concessionari d'imposta. (Décision publiée le 23 mai 2005)

Implications comptables de la « facilité internationale de financement pour la vaccination ». (Décision publiée le 2 août 2005)

Décision de 2006

Prise en compte des dépenses d'équipement militaire. (Décision publiée le 9 mars 2006)

Décision de 2007

Opérations de titrisation réalisées par les administrations publiques. (Décision publiée le 25 juin 2007)

Décision de 2009

Prise en compte des interventions publiques de soutien aux institutions financières et aux marchés financiers durant la crise financière. (Décision publiée le 15 juillet 2009)

Source : Eurostat (traduction depuis l'anglais par le rapporteur)

Quantitativement, on observe deux grandes vagues de décisions :

- la période précédant immédiatement la mise en place de l'euro ;

- la première moitié des années 2000, exigeant un important travail de clarification des normes relatives à l'application du pacte de stabilité.

La crise financière a en outre rendu nécessaire la prise d'une décision spécifique en 2009.

Nombre de décisions d'Eurostat

Source : d'après le site Internet d'Eurostat

D'un point de vue qualitatif, on peut citer en particulier les décisions concernant :

- l'attribution de licences UMTS (14 juillet 2000) ;

- les opérations de titrisation effectuées par les administrations publiques (3 juillet 2002 et 25 juin 2007) ;

- les soultes versées par les entreprises publiques pour le financement des retraites (21 octobre 2003 et 2 février 2004) ;

- les partenariats public-privé (11 février 2004) ;

- les dépenses d'équipement militaire (9 mars 2006).

4. L'actualisation en cours du SEC 95

Le Manuel SEC 95 pour le déficit public et la dette publique précité ne prenant pas en compte les décisions d'Eurostat postérieures à 2002, et n'ayant pas de valeur juridique, il est prévu d'en intégrer l'essentiel des dispositions, ainsi que les décisions postérieures d'Eurostat, dans le SEC 95 7 ( * ) .

5. Le code de bonnes pratiques de la statistique européenne

Le Comité du programme statistique (supprimé depuis, comme indiqué plus haut) a adopté le 24 février 2005 un Code de bonnes pratiques de la statistique européenne 8 ( * ) . L'article 11 du règlement (CE) précité n°223/2009 du 11 mars 2009 s'y réfère explicitement.

Ce code souligne la nécessité de respecter les principes suivants.

Les principes du Code de bonnes pratiques de la statistique européenne

Principe 1: Indépendance professionnelle

Principe 2: Mandat pour la collecte des données

Principe 3: Adéquation des ressources

Principe 4: Engagement sur la qualité

Principe 5: Secret statistique

Principe 6: Impartialité et objectivité

Principe 7: Méthodologie solide

Principe 8: Procédures statistiques adaptées

Principe 9: Charge non excessive pour les déclarants

Principe 10: Rapport coût-efficacité

Principe 11: Pertinence

Principe 12: Exactitude et fiabilité

Principe 13: Actualité et ponctualité

Principe 14: Cohérence et comparabilité

Principe 15: Accessibilité et clarté

Source : d'après le Code de bonnes pratiques de la statistique européenne

La mise en oeuvre de ce code de bonnes pratiques est évaluée par le conseil consultatif européen pour la gouvernance statistique (CCEGS), instauré par la décision n°235/2008/CE précitée du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008.

6. Dans le cas particulier des finances publiques : le règlement 479/2009

Dans le cas particulier des finances publiques, s'applique en outre le règlement (CE) n° 479/2009 du Conseil du 25 mai 2009 relatif à l'application du protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs annexé au traité instituant la Communauté européenne.

Comme on le verra ci-après, ce règlement vient d'être modifié par le règlement (UE) n° 679/2010 du Conseil du 26 juillet 2010, en conséquence de la crise grecque.

II. DEUX FACTEURS ESSENTIELS DE DÉRIVE

Bien que le système soit relativement bien encadré, des « dérapages » peuvent se produire à deux niveaux :

- le comptable public peut, le cas échéant sous la pression de l'autorité politique, interpréter de manière contestable les règles de la comptabilité nationale (la plupart des Etats membres se sont rendus coupables, à des degrés variables, de ce genre de pratique) ;

- mais les dérives les plus graves concernent le cas où les données de comptabilité publique utilisées par le comptable national sont délibérément faussées. Ce phénomène n'a semble-t-il concerné à ce jour qu'un seul Etat de l'Union européenne, la Grèce.

A. L'INTERPRÉTATION LAXISTE DES RÈGLES DE LA COMPTABILITÉ NATIONALE : UNE PRATIQUE PLUS DIFFICILE QU'IL Y A QUELQUES ANNÉES

La situation grecque est une anomalie au sein de la zone euro. En effet, il ne semble pas qu'aucun autre Etat ait falsifié ses chiffres 9 ( * ) .

Les autres Etats membres ne sont pas pour autant irréprochables. Ainsi, comme l'a souligné Benoît Coeuré, ils ont fréquemment recouru à des pratiques d' « optimisation comptable » 10 ( * ) .

1. Des pratiques longtemps répandues

De nombreux Etats membres ont recouru à des pratiques comptables contestables, même si elles n'étaient pas nécessairement contraires aux règles d'Eurostat : titrisation de revenus futurs, partenariats public-privé, swaps de devises, enregistrement des impôts en droits constatés, et d'une manière générale recettes exceptionnelles.

Ces pratiques, ainsi que d'autres, ont été portées à l'attention du grand public par la presse. A titre d'exemple, on peut mentionner un article 11 ( * ) de Mark Brown et Alex Chambers, publié en 2005 dans le magazine Euromoney . Selon cet article, sans ces mesures. - dont diverses titrisations. -, l'Italie aurait été en déficit excessif de manière quasiment continue dans la première moitié des années 2000 12 ( * ) .

a) Les recettes exceptionnelles

Une pratique répandue jusqu'à la réforme du pacte de stabilité de 2005 a été le recours à des mesures exceptionnelles, incluant des soultes, la vente de licences UMTS 13 ( * ) , des mesures fiscales ponctuelles et des opérations de titrisation de créances publiques.

Impact des principales mesures budgétaires exceptionnelles (recettes) sur le solde public, recensées dans l'Union européenne à Quinze (1997-2004)

(en points de PIB)

Source : Banque de France, Bulletin n° 128, août 2004, d'après Commission européenne, « Public finances in EMU 2004 », European Economy, 2004

Ainsi, la France a recouru à la fameuse soulte de France Télécom. Benoît Coeuré estime que celle-ci était justifiée et s'est faite dans la transparence comptable 14 ( * ) . Votre rapporteur, alors ministre de l'économie et des finances, est plus dubitatif à ce sujet.

Dans le cas de la France, on peut ajouter à ces soultes celle, de 0,4 point de PIB, versée en 2005 par la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG), chargée du financement des retraites d'EDF, au fonds de réserve pour les retraites (FRR).

b) La titrisation de revenus futurs

Une pratique emblématique a été la titrisation de revenus futurs.

Comme l'explique Benoît Coeuré, « les titrisations de créances de sécurité sociale sont tout simplement la cession à une banque d'un droit sur des flux futurs de recettes en matière de sécurité sociale ». Cela ne pose pas de problème si cette dette des administrations publiques est bien intégrée dans la dette publique, ce qui n'était pas le cas à l'époque. Ainsi, « il y a eu des titrisations de recettes de sécurité sociale, certes pas en France. Certains pays ont par exemple procédé à des titrisations de recettes de loterie, voire même à des titrisations d'impôts sur le revenu futur. - ce qui et encore plus étrange, conceptuellement ».

Benoît Coeuré estime cependant que la titrisation peut parfois être justifiée, comme dans le cas de la titrisation des recettes fiscales belges 15 ( * ) .

La France n'a, en ce qui la concerne, jamais recouru à la titrisation.

2. Des pratiques auxquelles il est désormais plus difficile de recourir

Il serait désormais plus difficile de recourir à de telles pratiques, pour deux raisons essentielles.

a) La modification de la jurisprudence d'Eurostat

Tout d'abord, Eurostat a modifié sa jurisprudence dans le sens d'une plus grande rigueur.

En ce qui concerne la lutte contre l' « optimisation comptable », on peut citer en particulier les décisions concernant :

- les partenariats public-privé (11 février 2004) ;

- les opérations de titrisation effectuées par les administrations publiques (3 juillet 2002 et surtout 25 juin 2007).

(1) La modification de la jurisprudence d'Eurostat relative aux titrisations

Eurostat a publié, le 25 juin 2007, une décision, non rétroactive, tendant à rendre plus contraignante la prise en compte des opérations de titrisation par les comptes nationaux 16 ( * ) .

Selon cette décision, doivent être comptabilisées comme emprunt public les opérations de titrisation relatives à des créances fiscales ou dont le risque n'est pas effectivement transféré à l'acquéreur 17 ( * ) .

Comme l'ont souligné Benoît Coeuré et Gallo Gueye, cette décision d'Eurostat a entraîné la quasi disparition des opérations de titrisation 18 ( * ) .

(2) La modification de la jurisprudence d'Eurostat relative aux partenariats public-privé

Dans le cas des partenariats public-privé (PPP), Eurostat a publié une décision le 11 février 2004.

Les principes de cette décision ont été présentés par notre collègue Charles Guené dans son rapport pour avis 19 ( * ) sur le projet de loi relatif aux contrats de partenariat, les partenariats public-privé (PPP).


La prise en compte des partenariats public-privé par la comptabilité nationale

« Eurostat a adopté, le 11 février 2004, une décision relative au traitement comptable dans les comptes nationaux des PPP et à leur impact sur le déficit/excédent public et la dette publique. L'office statistique recommande que les actifs liés à un partenariat public-privé soient classés comme actifs non publics et ne soient donc pas enregistrés dans le bilan des administrations publiques si les deux conditions suivantes sont réunies :

« - le partenaire privé supporte le risque de construction ;

« - le partenaire privé supporte au moins l'un des deux risques suivants : celui de disponibilité ou celui lié à la demande.

« Si le risque de construction est supporté par l'Etat, ou si le partenaire privé supporte seulement le risque de construction et aucun autre risque, les actifs sont classés comme actifs publics, ce qui a des conséquences importantes pour les finances publiques, tant du point de vue du déficit que de la dette. Les dépenses initiales en capital, relatives aux actifs, seront enregistrées comme formation de capital fixe des administrations publiques, avec un impact sur le déficit/excédent public. En contrepartie de cette dépense de l'Etat, la dette publique augmentera sous la forme d'un « prêt imputé » du partenaire, qui fait partie du concept de « la dette de Maastricht ».

« Le risque de construction couvre notamment les livraisons tardives, le non-respect des normes, les surcoûts, ou encore la déficience technique. "L'obligation de l'Etat de commencer à effectuer des paiements réguliers à un partenaire sans tenir compte de l'état effectif des actifs est la preuve que l'Etat supporte la majorité des risques de construction", selon Eurostat.

« L'Etat est réputé ne pas supporter le risque de disponibilité s'il lui est permis de réduire de façon significative (à titre de pénalité) ses paiements périodiques, comme tout "client normal" pourrait l'exiger dans un contrat commercial lorsque le partenaire privé s'avère ne pas être en mesure de livrer le volume contractuellement convenu ou de répondre, comme spécifié dans le contrat, aux normes de sécurité et de certification publiques liées à la prestation de service aux utilisateurs finals. Ceci s'applique également lorsque le partenaire ne répond pas aux normes de qualité relatives à la prestation de services, requises dans le contrat et découlant d'un manque évident de "performance" du partenaire.

« Le risque lié à la demande couvre, pour sa part, la variabilité de la demande plus élevée ou plus faible qu'escomptée lors de la signature du contrat lorsque celle-ci n'est pas imputable au comportement ou à la gestion du partenaire du secteur privé. Le gouvernement sera réputé assumer le risque lorsque celui-ci est obligé de garantir un niveau donné de paiement au partenaire indépendamment du risque effectif de la demande exprimée par l'utilisateur final, rendant sans effet les fluctuations du niveau de la demande sur la rentabilité au partenaire.

« L'analyse d'Eurostat peut conduire à une modification dans le partage des risques entre le partenaire public et le partenaire privé : c'est en effet la partie qui est relativement la plus exposée, même à hauteur de 51 %, qui porte la totalité des engagements liés aux contrats : ceci peut conduire un contractant public à transférer des risques additionnels au prestataire privé à des fins purement déconsolidantes. Cette hypothèse a été confirmée en audition par votre rapporteur pour avis des responsables du ministère de la justice : le partage des risques du contrat de partenariat conclu en février 2008 relatif aux prisons a été conçu à des fins consolidantes. »

Source : Charles Guené, avis n° 243 (2007-2008) fait au nom de la commission des finances, déposé le 26 mars 2008

Ainsi, le 31 mars 2010, c'est-à-dire le jour même des auditions de Jean-Philippe Cotis, Paul Champsaur, Benoît Coeuré et Gallo Gueye par la commission des finances, l'Insee a publié une estimation de la dette publique au 31 décembre 2009 prenant en compte sa requalification des partenariats conclus pour la construction de prisons en les réintégrant dans la dette publique 20 ( * ) .

b) La réforme du pacte de stabilité de 2005 et la prise en compte du déficit hors mesures temporaires

Par ailleurs, la réforme du pacte de stabilité de 2005 a fait quasiment disparaître l'intérêt des mesures exceptionnelles puisque celles-ci ne sont plus prises en compte en ce qui concerne la variation annuelle du solde public (même si toutefois la limite de déficit de 3 points de PIB continue de s'apprécier en termes de déficit effectif). La notion utilisée est désormais celle du « solde budgétaire corrigé des variations conjoncturelles, déduction faite des mesures ponctuelles et autres mesures temporaires ».

Ainsi, selon le règlement n° 1055/2005 du Conseil du 27 juin 2005 21 ( * ) , « lorsqu'il évalue la trajectoire d'ajustement qui doit conduire à la réalisation de l'objectif budgétaire à moyen terme, le Conseil examine si l'État membre concerné procède à l'amélioration annuelle de son solde budgétaire corrigé des variations conjoncturelles, déduction faite des mesures ponctuelles et autres mesures temporaires , de 0,5 % du PIB en tant que référence, requise pour atteindre son objectif budgétaire à moyen terme ».

Surtout, le règlement n° 1056/2005 du Conseil du 27 juin 2005 22 ( * ) prévoit que, quand il lui demande d'adopter une action suivie d'effet, ou le met en demeure de mettre fin à son déficit excessif dans un certain délai, le Conseil « invite l'État membre concerné à parvenir à une amélioration annuelle minimale, correspondant à au moins 0,5 % du PIB à titre de référence, de son solde budgétaire corrigé des variations conjoncturelles, déduction faite des mesures ponctuelles et autres mesures temporaires , dans le but d'assurer la correction du déficit excessif dans le délai fixé dans les recommandations ».

Ainsi, comme le souligne Benoît Coeuré, « s'il y avait une titrisation que l'on considérerait comme justifiée au plan économique ou du point de vue de la réforme de l'Etat, on pourrait la faire mais la Commission n'en tiendrait alors pas compte dans l'évolution de la trajectoire de finances publiques ».

3. Dans le cas de la France : la création de l'autorité de la statistique publique (2008)

Dans le cas de la France, l'Insee répond aux exigences d'impartialité que l'on attend d'un institut statistique.

On rappelle que l'article 144 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie a modifié la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, afin de créer « une Autorité de la statistique publique qui veille au respect du principe d'indépendance professionnelle dans la conception, la production et la diffusion de statistiques publiques ainsi que des principes d'objectivité, d'impartialité, de pertinence et de qualité des données produites ». Cette autorité administrative indépendante, présidée par Paul Champsaur, ancien directeur général de l'Insee, comprend neuf membres, dont notre ancien collègue Yves Fréville, vice-président, désigné par le président du Sénat.

L'intérêt de la mise en place de l'autorité statistique a été souligné par Benoît Coeuré 23 ( * ) .

Comme on l'a vu plus haut, l'indépendance de l'Insee a en outre pu être mise en évidence lors des auditions par la commission des finances, l'institut ayant publié le 31 mars 2010 un montant de l'encours de dette publique au 31 décembre 2009 requalifiant les partenariats conclus pour la construction de prisons en les réintégrant dans la dette publique.

B. LA FALSIFICATION DÉLIBÉRÉE DES DONNÉES DE COMPTABILITÉ PUBLIQUE UTILISÉES PAR LE COMPTABLE NATIONAL : UNE SPÉCIFICITÉ GRECQUE

Le cas de la Grèce est à part. Cet Etat semble en effet être le seul à être allé au-delà de la simple optimisation comptable, et à avoir délibérément falsifié ses chiffres.

1. Les révisions de 2004

Tout d'abord, en 2004, Eurostat a considérablement revu à la hausse le déficit et la dette publics de la Grèce pour les années précédentes. En conséquence, la Commission a ouvert en 2004 une procédure d'infraction (close en 2007).

Principales composantes de la révision des données grecques entre mars et septembre 2004

Source : Commission européenne, « Rapport sur les statistiques du déficit et de la dette publics de la Grèce », COM(2010) 1 final, 8 janvier 2010

2. Un renforcement insuffisant des moyens de contrôle d'Eurostat

A la suite de la révision des statistiques grecques en 2004, diverses mesures ont été prises :

- adoption du Code de bonnes pratiques des statistiques européenne précité ;

- création en 2008 (par une décision du Parlement européen et du Conseil) du Conseil consultatif européen pour la gouvernance statistique (CCEGS) ;

- adoption du règlement (CE) n° 223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 24 ( * ) , renforçant la coopération et la coordination en matière de statistiques et abrogeant les textes antérieurs 25 ( * ) .

En revanche, la proposition de la Commission européenne de modifier le règlement du Conseil concernant la qualité des données devant être transmises dans le cadre de la procédure relative aux déficits excessifs (règlement n° 3605/93), qui aurait quasiment donné à Eurostat des pouvoirs d'audit, n'a été que partiellement mise en oeuvre, le règlement n° 2103/2005 du Conseil accordant à Eurostat des pouvoirs de contrôle plus limités 26 ( * ) . La Commission européenne reconnaît cependant que « bien que le règlement n° 2103/2005 du Conseil ne soit pas allé aussi loin que l'avait proposé la Commission, des pouvoirs élargis auraient uniquement permis de réduire le risque qu'un pays notifie des données incorrectes, sans le supprimer pour autant ».

On peut a posteriori s'étonner qu'il n'ait pas été jugé utile d'aller plus loin à l'époque. Ainsi, lors de son audition par la commission des finances, Jean-Philippe Cotis a déclaré : « Il faut déjà être très vigilant sur la qualité des institutions. C'est quand même malgré tout un paradoxe qu'on ait laissé les Grecs avec une gouvernance très atypique par rapport à la moyenne européenne, avec un Trésor qui peut quasiment contrôler l'appareil statistique et est lui-même sous contrôle politicien. Les choses se sont très mal emboîtées, mais il est un peu surprenant que cette anomalie-là ait pu perdurer aussi longtemps en dépit d'une crise précédente ».

De même, Paul Champsaur a suggéré que la communauté des statisticiens se doutait que les chiffres grecs n'étaient pas fiables, sans pouvoir alors toutefois quantifier l'ampleur du phénomène 27 ( * ) .

3. De nouvelles révisions des statistiques en 2009

La Grèce a considérablement réévalué son déficit public de 2008 tout au long de l'année 2009 : initialement estimé à 4,8 points de PIB dans la première notification, celui-ci a été revu à 5 points de PIB (chiffre validé et publié par Eurostat en avril 2009), puis 7,7 points de PIB (notification du 21 octobre 2009).

Le 21 octobre 2009, les autorités grecques ont également revu leur prévision pour 2009 , passée de 3,7 points de PIB (chiffre prévu par le programme de stabilité transmis par la Grèce en janvier 2009) à 12,5 points de PIB, ce qui s'explique certes en partie par la crise économique, mais aussi par des dérapages budgétaires et diverses décisions comptables. Le 22 avril 2010, Eurostat a réévalué ce chiffre à 13,6 points de PIB , estimant qu'il pourrait être encore accru de 0,3 à 0,5 point de PIB 28 ( * ) .

Le 3 février 2010, la Commission européenne a non seulement adopté divers documents « classiques » dans le cadre d'une procédure de déficit excessif 29 ( * ) , mais aussi entamé une procédure d'infraction en invitant les autorités grecques à respecter leur obligation de communiquer des statistiques

budgétaires fiables 30 ( * ) .

La suspicion relative aux finances publiques de la Grèce s'accompagne de la « révélation » par la presse de diverses opérations de « créativité comptable », dont certaines étaient connues depuis longtemps :

- en 2001, une opération de « swap de devises », réalisée avec l'assistance de la banque Goldman Sachs, aurait selon la presse permis de diminuer comptablement d'un milliard d'euros le montant de la dette publique, le taux de change retenu, artificiel, permettant à Goldman Sachs de prêter de
l'argent à la Grèce sans que cela n'apparaisse dans les statistiques 31 ( * ) . Ce point est actuellement investigué par Eurostat 32 ( * ) ;

- un recours fréquent à la titrisation, c'est-à-dire à la cession de créances à une entité déconsolidée qui émet des titres en contrepartie.

4. Une falsification délibérée des statistiques

Tout le monde reconnaît que les statistiques grecques ont été délibérément falsifiées.

Tel est tout d'abord le cas de la Commission. Le 10 novembre 2009, le Conseil ECOFIN a invité la Commission européenne à élaborer un rapport sur « les problèmes qui se posent à nouveau dans les statistiques budgétaires grecques ». Dans ce rapport 33 ( * ) , remis le 8 janvier 2010, la Commission européenne souligne notamment qu'en 2004 et en 2009, « des révisions substantielles ont eu lieu à la suite d'élections politiques », et utilise le terme d'« ingérence » 34 ( * ) . La récente proposition de règlement 35 ( * ) relative à la qualité des données transmises par les Etats membres dans le cadre de la procédure de déficit excessif (devenue le règlement (UE) n° 679/2010 du Conseil du 26 juillet 2010) suggère quant à elle, dans ses considérants, que c'est « délibérément » que des données erronées ont été notifiées à la Commission 36 ( * ) . De même, bien qu'il refuse d'employer le verbe « tricher », Gallo Gueye, lors de son audition par la commission des finances, souligne le « manque d'indépendance » des comptables et « l'absence de documentation sur certains chiffres » 37 ( * ) .

Auditionnés par la commission des finances, Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis ont été très clairs à ce sujet. Ainsi, Paul Champsaur a déclaré que « la statistique grecque obéissait aux ordres du Trésor ». De même, selon Jean-Philippe Cotis, « la statistique était inféodée au Trésor, presque « organiquement », et cette consanguinité a posé problème. (...) Les statisticiens grecs étaient dans une situation qui ne correspondait pas à la norme de déontologie. Le Trésor était beaucoup trop consanguin vis-à-vis de la statistique ».

La crise grecque traduit donc bien plus qu'un simple problème de statistiques publiques. Elle résulte d'un dysfonctionnement global des institutions publiques grecques. Le Parlement, en particulier, n'a pas joué son rôle de garant de la transparence de la comptabilité publique, ainsi que cela a été souligné par Paul Champsaur.

5. Le fond du problème : l'impossibilité dans laquelle se trouvait alors Eurostat de contrôler la comptabilité publique

Au-delà des problèmes grecs, la crise a mis en évidence une grave lacune du contrôle d'Eurostat : celui-ci n'avait pas alors le pouvoir de contrôler la comptabilité publique, c'est-à-dire les données utilisées pour élaborer les comptes nationaux.

Ce point a été souligné par Gallo Gueye lors de son audition par la commission des finances.

L'impossibilité d'Eurostat, jusqu'à récemment, de contrôler la comptabilité publique

« M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat. - (...) Si au cours de ces missions de dialogue ou d'échanges avec les Etats membres, nous identifions des zones de risque ou des domaines qui font difficulté, nous menons alors ce que nous appelons des « visites méthodologiques ». Je précise que ces visites sont strictement confinées au domaine statistique. Cela veut dire que nous regardons les données transmises par les Etats membres à Eurostat mais que nous ne regardons pas les documents de comptabilité publique qui, évidemment, supportent la confection des données de comptabilité nationale.

« M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Ce que vous venez de nous dire est important : vous n'avez accès qu'aux données statistiques, la comptabilité nationale. - avec toutes les approximations que cela suppose. - et vous n'avez pas accès aux comptes publics proprement dits ?

« M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat. - Il y a trois niveaux. Le niveau de la comptabilité nationale : ce sont les chiffres de la dette et du déficit public s'agissant de la procédure de déficit excessif (PDE) et ces données sont basées sur les données de comptabilité publique. Nous regardons donc le passage des données de comptabilité publique vers les données de comptabilité nationale, mais nous n'avons pas le pouvoir de vérifier les données de comptabilité publique qui se situent en amont. (...)

« M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Jusqu'à maintenant, avec le principe de la subsidiarité, chaque pays certifie, la main sur le coeur, la sincérité de ses comptes ?

« M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Tout à fait. »

Source : audition de Gallo Gueye par la commission des finances, 31 mars 2010

6. Les conséquences de ces incertitudes sur le financement de la dette publique des Etats membres

Les doutes sur la fiabilité des statistiques de finances publiques grecques semblent avoir eu des conséquences sur le financement de la dette publique grecque.

Ainsi, selon une étude de Natixis 38 ( * ) , le niveau élevé des credit default swaps (CDS) de la Grèce correspondrait surtout à « une prime d'incertitude sur les fondamentaux économiques du pays, (...) compréhensible après la forte révision des statistiques officielles ».

Une aggravation de la crise de la dette grecque pourrait en outre exercer un effet de contagion vis-à-vis d'autres Etats membres.

On ne peut exclure a priori que les incertitudes sur la situation réelle des finances publiques d'autres Etats membres de la zone euro se traduisent par un renchérissement de leur dette.

III. TIRER LES CONSÉQUENCES DE LA CRISE GRECQUE

A. LES POUVOIRS D'EUROSTAT ONT ÉTÉ CONSIDÉRABLEMENT RENFORCÉS EN JUILLET 2010

A la suite de la crise grecque, les pouvoirs d'Eurostat ont été considérablement renforcés par le règlement (UE) n° 679/2010 du Conseil du 26 juillet 2010 39 ( * ) .

1. Le droit d'Eurostat de contrôler la comptabilité publique

La principale modification apportée par ce règlement est l'insertion dans le règlement (CE) n° 479/2009 précité d'un article 11 ter prévoyant que « dans le cadre des visites méthodologiques, la Commission (Eurostat) a le droit d'accéder aux comptes de toutes les entités publiques que sont les administrations centrales, les administrations d'États fédérés, les administrations locales et les administrations de sécurité sociale, ainsi que le droit de se voir fournir les informations comptables et budgétaires détaillées existantes sur la base desquelles ces comptes ont été établis » 40 ( * ) .

Il s'agit là de la satisfaction de la principale demande d'Eurostat. Lors de son audition par la commission des finances, Gallo Gueye a déclaré : « Le pouvoir que nous demandons donc est celui-ci : quand nous effectuons des visites méthodologiques et que nous remarquons qu'il y a un doute substantiel sur certains éléments, nous aimerions pouvoir regarder de près la comptabilité publique. Il faut qu'elle puisse supporter de façon valable des comptes nationaux de qualité, des finances publiques au sens de la PDE [procédure de déficit excessif] qui soient de qualité. Là est le premier pouvoir que nous demandons ».

2. Une possibilité accrue pour Eurostat de recourir à des experts nationaux

Le règlement (UE) n° 679/2010 précité prévoit également que « les États membres sont censés fournir, à la demande de la Commission (Eurostat), et à titre facultatif, l'assistance d'experts en comptabilité nationale, notamment pour la préparation et la réalisation des visites méthodologiques ». Cette formulation relativement alambiquée est plus contraignante que la rédaction antérieure, selon laquelle « lorsqu'elle effectue des visites méthodologiques dans les États membres, la Commission (Eurostat) peut demander l'assistance d'experts en comptabilité nationale, proposés par d'autres États membres sur la base du volontariat ».

Cette modification était également demandée par la Commission. Ainsi, lors de son audition par la commission des finances, Gallo Gueye a déclaré : « Nous demandons ce deuxième pouvoir : que les Etats membres aient l'obligation de mettre à notre disposition des comptables nationaux lorsque nous faisons notre visite. Il faut que nous ayons en face de nous des gens qui parlent le même langage pour améliorer l'efficacité des procédures. Pour l'instant, lorsque nous visitons les pays, il arrive que des experts des autres Etats membres participent aux missions, en plus des experts de la Banque centrale européenne, mais c'est sur la base du volontariat, dans le cadre actuel du règlement 479 ».

B. LA NÉCESSITÉ D'ALLER PLUS LOIN

Ces avancées ne sont cependant pas suffisantes et en appellent d'autres plus ambitieuses.

1. Renforcer les moyens humains d'Eurostat

Il est tout d'abord nécessaire de renforcer les moyens d'Eurostat, en particulier en matière d'effectifs.

A la fin de 2009, l'effectif total d'Eurostat se situait autour de 835 personnes. Les activités statistiques liées à la procédure sur les déficits excessifs relèvent de l'une de ses sept directions 41 ( * ) , la direction « C. - Comptes nationaux et européens ». Selon les indications fournies par la Commission européenne en avril 2010, le nombre de personnes (en équivalents temps plein ) alors affectées à ces travaux statistiques pouvait être estimé à 18.

Dans la « fiche financière législative » annexée à la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n°479/2009 (devenue depuis le règlement (UE) précité n° 679/2010 du Conseil du 26 juillet 2010), la Commission européenne estime à 20 le « nombre de postes » devant être affectées à cette action.

Certes, on a vu que le règlement (UE) n° 679/2010 précité prévoit que « les États membres sont censés fournir, à la demande de la Commission (Eurostat), et à titre facultatif, l'assistance d'experts en comptabilité nationale, notamment pour la préparation et la réalisation des visites méthodologiques ». Il n'en demeure pas moins que l'on voit mal comment Eurostat pourrait remplir ses nouvelles missions sans une augmentation significative de ses effectifs.

Par ailleurs, on peut trouver étonnant que, sur des effectifs de plus de 800 personnes, moins d'une vingtaine se consacrent à la mission la plus sensible et lourde d'enjeux d'Eurostat.

2. Prévoir le contrôle d'Eurostat, en particulier dans le domaine des finances publiques, par un « comité des sages »
a) Une proposition faite par la commission des finances dès 2005

Comme le soulignait votre commission des finances, dans le rapport de 2005 de son rapporteur général sur le pacte de stabilité 42 ( * ) , « la pleine transparence de ces statistiques est importante non seulement pour le bon fonctionnement du pacte de stabilité, mais aussi pour celui des marchés financiers, qui doivent pouvoir convenablement évaluer la solvabilité des différents Etats membres, afin de signaler les erreurs de stratégie ».

La proposition formulée en 2005 par votre commission des finances

« Votre rapporteur général estime en revanche qu'il serait souhaitable de renforcer la légitimité d'Eurostat par la mise en place d'un « comité des sages ».

« Actuellement, la coopération en matière de statistiques, en particulier en ce qui concerne la définition des concepts, est assurée par un comité représentant, notamment, les organismes statistiques nationaux : le « comité des statistiques monétaires, financières et de la balance des paiements », qui réunit, outre Eurostat et la Banque centrale européenne, les banques centrales des Etats membres, les instituts nationaux de statistique et la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne.

« Votre rapporteur général propose de mettre en place un véritable « comité des sages », moins suspect de dépendance vis-à-vis des intérêts nationaux et des habitudes administratives. Cette instance de régulation devrait être constituée de personnes incontestables de par leur expérience professionnelle et leur réputation dans des milieux académiques, désignées par le président du Conseil, celui de la Cour de Justice et celui de la Commission européenne.

« Ce comité pourrait en outre vérifier l'homogénéité des nomenclatures et règles budgétaires.

« Lors de son déplacement à Bruxelles des 24 et 25 janvier 2005, il a pu constater que cette proposition suscitait des réactions plutôt favorables, notamment de la part des services de la présidence de la Commission européenne. »

Source : Philippe Marini, rapport n° 277 (2004-2005), 31 mars 2005

b) Une exigence qui n'est que partiellement satisfaite par la création du CCEGS en 2008

Cette préconisation de la commission des finances est désormais en partie satisfaite, par la mise en place du conseil consultatif européen pour la gouvernance statistique (CCEGS) (décision n°235/2008/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008).

Comme cela a été indiqué plus haut, le CCEGS n'est pas une enceinte où sont représentés les instituts statistiques nationaux, mais une structure resserrée, comprenant seulement sept membres, ayant une légitimité politique puisqu'ils sont nommés par le Conseil et le Parlement européen 43 ( * ) .

Ses pouvoirs se limitent cependant à évaluer la mise en oeuvre du code de bonnes pratiques et de conseiller la Commission à ce sujet.

Ainsi, comme notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, le souligne dans le rapport 44 ( * ) de la commission des finances sur la deuxième loi de finances rectificative pour 2010, le CCEGS est un « comité des sages » « a minima ».

c) Une solution institutionnelle : étendre les compétences du CCEGS aux questions ponctuelles de finances publiques, qui relèvent actuellement de celles du CMFB ?

Dans son rapport 45 ( * ) précité sur la deuxième loi de finances rectificative pour 2010, notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, écrit que « la crise de confiance en la monnaie unique provoquée par les dissimulations de la Grèce et l'incapacité d'Eurostat à les déceler montre qu'il serait nécessaire (...) d'ériger Eurostat en autorité (...) dirigée par un collège désigné conjointement par le Président du Conseil européen, le Président de la Commission et le Président du Parlement européen ».

Une telle proposition demeure bien entendu d'actualité.

Cependant, dans un souci de simplicité, une solution peut-être plus aisée à mettre en oeuvre consisterait à étendre les pouvoirs du CCEGS, et à la substituer, partiellement ou totalement, au CMFB.

Il est paradoxal que le CCEGS ne soit pas compétent pour se prononcer sur les questions ponctuelles de finances publiques , en particulier dans le cadre de la mise en oeuvre du pacte de stabilité. En effet, comme on l'a indiqué plus haut, cette compétence est toujours attribuée au comité des statistiques monétaires, financières et de balance des paiements (CMFB), institué par la décision 91/115/CEE, et où les États membres, la Commission et la BCE disposent chacun d'une voix.

Il n'est pas absurde que le comité consultatif compétent en matière de finances publiques (le CMFB) soit essentiellement constitué de représentants des instituts statistiques nationaux. Cependant, dès lors que l'on a créé un « comité des sages » (le CCEGS), il serait naturel d'étendre ses compétences à un domaine aussi crucial.

Tel est ce que semble suggérer le CCEGS dans son premier rapport annuel au Parlement européen et au Conseil sur la mise en oeuvre du code de bonnes pratiques, bien qu'il ne soit pas explicite sur ce point 46 ( * ) .

3. Eriger Eurostat en instance indépendante de la Commission

Comme notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, le souligne dans son rapport 47 ( * ) précité, « la crise de confiance en la monnaie unique provoquée par les dissimulations de la Grèce et l'incapacité d'Eurostat à les déceler montre qu'il serait nécessaire d'aller plus loin et, cette fois, d'ériger Eurostat en autorité indépendante des services de la Commission (...) ».

Certes, selon votre rapporteur, le plus important n'est pas qu'Eurostat soit organiquement indépendant, mais que son action soit véritablement contrôlée par un « comité des sages », comme proposé plus haut. Tel est ce qui se passe en France, où en application de l'article 144 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, une autorité administrative indépendante, l'Autorité de la statistique publique, « veille au respect du principe d'indépendance professionnelle dans la conception, la production et la diffusion de statistiques publiques ainsi que des principes d'objectivité, d'impartialité, de pertinence et de qualité des données produites ».

En poussant à l'extrême cette analyse, on pourrait considérer qu'il ne serait pas nécessaire de rendre Eurostat organiquement indépendant de la Commission européenne. Tel est notamment le point de vue exprimé par Benoît Coeuré, lors de son audition par la commission des finances le 31 mars 2010 48 ( * ) .

Cependant, les décisions d'Eurostat ne doivent pas seulement être techniquement pertinentes. Elles doivent aussi être perçues comme légitimes par les marchés, les agents économiques et l'opinion publique. C'est de ce point de vue qu'ériger Eurostat en entité organiquement indépendante de la Commission paraît nécessaire.

COMPTE-RENDU DES TRAVAUX DE LA COMMISSION (31 MARS 2010)

I. AUDITION DE JEAN-PHILIPPE COTIS, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSEE ET DE PAUL CHAMPSAUR, PRÉSIDENT DE L'AUTORITÉ DE LA STATISTIQUE PUBLIQUE

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Bienvenue au Sénat ce 31 mars 2010 pour une série d'auditions sur le thème de la dette publique dans les comptabilités nationales.

Cette initiative vient du constat que nous éprouvons quelques difficultés, au plan européen, à obtenir une image fidèle de la situation des finances des Etats membres, comme si l'Europe était une sorte de maison de tolérance. Le cas grec est naturellement au coeur des débats et j'ai donc pensé qu'il serait intéressant d'entendre les plus éminentes personnalités.

Nous commençons par l'audition de deux personnes qui incarnent l'autorité statistique. Après avoir été directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques, M. Champsaur est président de l'Autorité de la statistique publique depuis mars 2009.

Nous accueillons également M. Jean-Philippe Cotis, directeur de la prévision de 1997 à 2002 et ancien chef du département des affaires économiques et économiste en chef de l'OCDE, qui était d'ailleurs venu à ce titre à la commission des finances. Je le remercie d'avoir accepté notre invitation en tant que directeur général de l'Insee.

Peut-être pourriez-vous, Monsieur le directeur général, nous faire part de votre appréciation de la situation des finances publiques, de la dette publique et d'Eurostat ? Quelle opinion avez-vous sur l'autorité d'Eurostat ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Eurostat est la clé de voûte du système européen. Elle est une institution qui réunit tous les statisticiens d'Europe et elle incarne la gouvernance statistique européenne. Elle impulse énormément d'améliorations en faveur d'une régulation du système statistique européen, et son rôle est très important. Eurostat a également une fonction de régulation du système et notamment de contrôle, par exemple, du côté des comptes nationaux, de notifications de déficit public. C'est Eurostat qui juge in fine de la sincérité et de l'exactitude des comptes pour l'ensemble des pays européens. C'est évidemment un rôle extrêmement important. Eurostat est également appelé, en pratique, à intervenir en urgence lorsqu'il y a des crises, le dernier exemple en date étant bien évidemment celui de la crise grecque. Eurostat est très impliqué dans l'audit en cours et les solutions que l'on peut apporter au problème grec puisque c'est tout de même la deuxième fois, en quelques années, que le système est complètement défaillant. Il faudra donc prendre, sans doute, des mesures encore plus drastiques que lors de l'épisode précédent. Il y a visiblement eu une rechute.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Comment cela se passe-t-il ? Peut-on dire que les différents Etats membres ont des pratiques homogènes ou que chacun fait sa soupe dans son coin, à sa convenance, pour essayer de tricher à la marge ? Y a-t-il des directives, un cadre général auquel chacun se soumet ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Il y a des directives et un cadre général auquel chacun, en théorie, se soumet. C'est le cas également dans la pratique, sauf à quelques exceptions infiniment regrettables. C'est en fait toujours les mêmes, à savoir deux fois la Grèce.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Comment cela s'est-il passé pour la Grèce en 2004 ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - En 2004, on pensait avoir un peu rétabli les choses et avoir recréé les conditions d'une gouvernance statistique convenable, et ce n'est finalement pas le cas. La difficulté est qu'il y a deux systèmes qui se juxtaposent quand on parle de notification de finances publiques, avec d'abord le système autochtone de comptabilité publique.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Qu'entend-on par « statistique publique » ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee. - La statistique publique concerne toute la statistique.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Y compris la comptabilité publique ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Non, c'est justement l'explication que j'étais en train d'esquisser. La statistique publique couvre un champ plus vaste que les finances publiques, comme les recensements, les statistiques de l'emploi, etc. Elle capte l'ensemble des informations économiques et sociales, du moins l'essaye-t-elle.

Pour en revenir au cas particulier des finances publiques, il y a deux systèmes d'information juxtaposés dans un pays. Il y a d'une part la comptabilité publique, qui est un système autochtone pas forcément comparable aux comptabilités publiques des pays voisins. C'est quelque part un système de gestion des finances publiques et il produit, bien sûr, des résultats et des chiffres. D'un autre côté, il y a la comptabilité nationale qui est, elle, un langage universel permettant de comparer les finances publiques de différents pays. C'est en effet un langage économique et universel, alors que les comptabilités publiques. - celles que l'on utilise en gestion dans les différents pays pour gérer au quotidien les finances publiques. - ne sont pas comparables. Il y a beaucoup d'idiosyncrasies, et ce sont donc des instruments de gestion commodes mais qui ne permettent pas de gérer un système comme l'Union européenne où l'on a besoin de comparer les déficits publics de manière générale. L'ONU a ainsi un système, dans lequel l'Europe s'emboîte d'ailleurs, où l'on a ce langage de comptabilité nationale, un langage universel qui permet de faire les bonnes comparaisons internationales le plus largement possible. La crise grecque est d'abord une crise institutionnelle des systèmes de comptabilité publique, qui n'étaient pas sincères et fiables. Ensuite, les comptes nationaux sont élaborés sur la base de données brutes de comptabilité publique ; si la gouvernance n'est pas bonne, le comptable national peut évidemment évoquer ces sujets et demander aux autorités de son pays de faire mieux. Eurostat peut également le faire.

On voit bien qu'il y a deux systèmes, deux langages : celui de la comptabilité publique et celui des comptes nationaux. Ce dernier est un langage universel mais il dépend quand même de la qualité de base des informations. Dans le cas de la Grèce, le système de comptabilité publique était lui-même gravement défaillant, c'est-à-dire que les statistiques budgétaires n'étaient pas fiables.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Le système européen est fondé sur un pacte de confiance et une règle de copropriété de l'euro, avec des principes relativement clairs. Sachant que la comptabilité publique grecque était défaillante, comment avez-vous vécu, en tant qu'autorité statistique, ces circonstances ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - On les a vécues comme une surprise assez désagréable parce que l'on pensait qu'à la suite de la crise précédente, les autorités grecques auraient fait davantage que ce qu'elles ont fait ou qu'elles auraient fait ce qu'elles avaient dit qu'elles feraient. Or elles ne l'ont pas fait. C'est une déception mais, pour le coup, c'est une crise gouvernementale dont on connaît l'ampleur et là, Eurostat joue pleinement son rôle. Eurostat s'est longuement rendu en Grèce, a réalisé un audit, et un plan de redressement va maintenant être mis en oeuvre avec, je crois, une tutelle très étroite sur les autorités grecques pour vérifier que tous les mécanismes sont cette fois-ci bien mis en place.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Le principe d'Eurostat est bien de faire confiance aux statistiques données par chaque pays ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Non, pas de faire confiance.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Chacun est souverain chez soi ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Eurostat doit s'assurer qu'elles méritent la confiance.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Chacun autocertifie de sa sincérité ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Ce n'est pas une autocertification. Eurostat rend visite systématiquement à tous les Etats membres. Elle a des conversations approfondies avec les autorités statistiques nationales, pose beaucoup de questions, redresse éventuellement les écritures. Eurostat joue donc un rôle actif dans ce domaine. Maintenant, si vous avez des mécanismes un peu systématiquement organisés, au niveau notamment de la comptabilité publique, pour masquer la vérité à un niveau institutionnel plus ou moins profond dans tel ou tel pays, il est évidemment difficile pour le comptable national de se substituer aux autorités budgétaires ou fiscales. Il y a quand même en général l'idée que les mécanismes institutionnels fonctionnent, c'est-à-dire que la crise grecque n'est pas une crise de la comptabilité nationale mais une crise des finances publiques. Il y a du reporting de finances publiques. Après, la comptabilité nationale arrive au-dessus et il est clair que si l'appareil budgétaire et le Parlement ne fonctionnent pas et si l'ensemble des finances publiques au niveau de la comptabilité publique d'un pays est erroné, la communauté internationale peut éventuellement considérer que ce n'est pas fiable et le dire, mais le comptable national est quand même tributaire de la qualité des institutions budgétaires sous-jacentes.

M. Jean-Jacques JEGOU. - Je voudrais avoir quelques précisions. Est-ce à dire que l'on ne peut pas, dans les conditions que vous avez décrites, s'apercevoir du dysfonctionnement ou de la chronique d'un dépôt de bilan annoncé tel qu'on l'a connu deux fois avec la Grèce ? Avant que le clash n'arrive, Eurostat n'est-il pas en mesure de dire qu'il va se passer quelque chose ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Si l'autorité statistique locale n'a pas les pouvoirs qu'elle devrait avoir de fait, cela peut être un peu compliqué de se rendre compte d'un certain nombre de fraudes. Dans l'audit qui est mené, la solution retenue est également la réforme du système de comptabilité publique.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous connaissez tous les systèmes des membres du groupe euro. Doit-on comprendre que chacun a sa comptabilité publique propre ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Tout à fait.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - C'est tout de même stupéfiant.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - C'est l'archipel et le produit d'une histoire compliquée pour chaque pays, et notamment des rapports entre l'exécutif et le Parlement parce que celui-ci est la première institution ayant intérêt à la transparence et à une comptabilité publique correcte. Cela reflète donc l'histoire du pays et des relations entre l'exécutif et le Parlement. C'est fondamental. Cette histoire n'était, du reste, pas très glorieuse.

M. Yann GAILLARD . - Elle ne pourrait pas l'être dans d'autres pays ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - C'est un petit peu compliqué. Il faut bien comprendre que la comptabilité, qu'elle soit publique, privée et, au-dessus, nationale, n'est pas une science parfaitement exacte. Il y a des éléments de jugement. On le sait bien et c'est donc une question de degré. Si les choses sont à peu près correctes, vous avez une image dès lors à peu près fidèle de la situation.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Si le Parlement, les autorités comptables budgétaires, l'ensemble de la construction institutionnelle est dysfonctionnel et non sincère, cela peut être compliqué pour le comptable national. Il traduit cela en langage universel et essaie d'exercer un contrôle. Les comptables nationaux grecs n'avaient pas en réalité des conditions de fonctionnement qu'on trouve d'ordinaire dans les pays de l'Union européenne.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Pour être tout à fait honnête, il y a des différences d'un pays à l'autre. On ne sait pas toujours très bien ce qui se passe, nous en France, dans d'autres pays.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Avez-vous une notation à donner aux différents pays ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Je peux vous donner une idée du genre de problèmes qui peuvent exister. D'une façon générale, les comptes de l'Etat central sont relativement bien tenus mais il y a d'autres parties de l'administration publique dans lesquelles les choses sont plus compliquées. En France, ce sont les collectivités territoriales, et vous savez très bien que les comptes d'une commune peuvent être contestés. C'est le cas également en Allemagne avec les comptes des Länder. Le problème du traitement comptable des relations compliquées entre l'Etat et des entreprises se retrouve à plein, par exemple, au niveau des Länder en Allemagne.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Pourquoi ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Les Länder interviennent beaucoup sur le plan économique et ils ont des participations importantes dans les entreprises, qui sont cotées. Les relations entre les comptes des Länder et ces entreprises impliquent des traitements comptables qui ne vont pas de soi.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous voulez dire qu'il y a dans leur patrimoine des éléments qui relèvent de l'économie marchande et de la sphère privée?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Oui, et si le sort d'une entreprise dans tel ou tel Land est jugé comme important, ceux-ci peuvent être amenés à apporter des garanties qui se retournent contre eux, etc. C'est arrivé il n'y a pas très longtemps et vous avez entendu parler des déboires de certains Länder, parmi les plus importants. Cela fait partie du paysage institutionnel et ce n'est pas quelque chose, par exemple à l'Insee, que l'on connaît très bien au niveau d'un pays. Je vais prendre un autre exemple, celui de l'Espagne. Le poids de l'Etat central y est beaucoup plus faible qu'en France et les provinces ont beaucoup plus de poids. C'est d'ailleurs l'un de leurs problèmes en matière de finances publiques. A l'Insee, on ne sait pas grand-chose sur la fiabilité des comptes des finances publiques des provinces.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Ceci dit, la statistique espagnole ne donne pas de signes d'insincérité et les choses s'y passent raisonnablement. La difficulté en Grèce. - et c'est là où la communauté statistique européenne a sans doute des choses à se reprocher. - vient du fait que la statistique était inféodée au Trésor, presque « organiquement », et cette consanguinité a posé problème.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous voulez dire que le Trésor grec peut faire pression sur Eurostat ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Non, la statistique grecque obéissait aux ordres du Trésor.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Alors que la statistique est réputée indépendante, et c'est là que le problème s'est noué. Suite à la visite d'Eurostat. - qui est resté assez longtemps à Athènes pour faire un audit complet. -, la séparation entre le Trésor et la statistique et la constitution d'une statistique indépendante ont été la première chose imposée à la Grèce. Elle est d'ailleurs un peu sous tutelle de la communauté internationale, c'est-à-dire qu'on va monter un appareil statistique indépendant avec des experts étrangers qui vont vérifier que la consanguinité initiale ne se reproduit pas. La Grèce est quand même un cas extrêmement atypique en termes institutionnels et on a laissé. - et sans doute de manière fautive, dans un pays quelque peu marginal dans le système. - la crise de reproduire. Mais il y a cette fois-ci une réingénierie institutionnelle. On change toutes les structures pour les aligner sur celles des grands pays européens (enquêtes, statistiques publiques).

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Il y a une histoire et une tradition de transparence comptable dans les relations avec l'exécutif qui nous vient des pays anglo-saxons.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Dans les critères d'admission à la zone euro, un Etat qui ne respecte pas l'indépendance de l'autorité statistique ne devrait pas être admis.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Oui, mais vous voyez que c'est plus profond que cela, c'est-à-dire que cela va au-delà, je pense, des exigences institutionnelles. Cela n'est plus seulement de la statistique.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Il s'agit de gouvernance et de règles ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Oui, il s'agit du fonctionnement d'un Etat.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Ce sont des règles de bonne gouvernance publique ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Absolument.

M. Yann GAILLARD . - Eurostat est amené à faire des parutions statistiques et des comparaisons : a-t-il été amené dans un passé récent à reprendre avec confiance les chiffres que lui auraient donnés les Grecs mais sans les vérifier ? On sait maintenant qu'il y avait un problème mais avant qu'il n'ait été découvert, cela avait-il des conséquences sur vos parutions ?

Deuxièmement, compte tenu de cette crise dramatique. - le sort de l'euro est en train de se jouer à la suite de cette affaire. -, les autorités d'Eurostat vont-elles faire une mise au point, une étude ou une déclaration qui racontera ce qui s'est passé pour en tirer les leçons ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Eurostat a une responsabilité fonctionnelle et je dirai presque « hiérarchique » dans le système, c'est-à-dire qu'Eurostat certifie les comptes de tous les pays membres. Il s'agit donc d'une déconvenue considérable.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Qui est garant de la sincérité des comptes publics des différents Etats ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - La statistique nationale indépendante et...

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - C'est donc l'institut grec de la statistique.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - J'ai quitté l'Insee en 2002 et je ne vous surprendrai pas en vous disant que je n'avais pas de très bonnes relations avec mon collègue grec. Je ne savais pas très bien ce qui se passait et je n'avais pas de très bonnes relations avec lui, alors que je n'avais aucune difficulté pour avoir des conversations assez directes avec des collègues d'autres pays.

M. Yann GAILLARD . - Vous l'avez dit à ce moment-là ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Tout le monde le savait, mais Eurostat n'avait pas les moyens à l'époque.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Eurostat certifie donc les comptes ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Il y avait quand même une réserve extrêmement forte, et M. Champsaur vient d'en faire part.

M. Paul CHAMPSAUR . - On n'était pas consulté, à l'époque, et on n'avait pas les moyens. L'ambiance n'était pas bonne et satisfaisante. Il y avait des bruits, vaguement, mais je n'arrivais pas à avoir un contact clair avec mon homologue grec. On était sur des planètes différentes, et j'étais donc absolument incapable de substantifier quoi que ce soit.

M . Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous en avez averti les autorités politiques françaises ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - On ne se souciait pas trop des autorités politiques françaises à l'époque. En fait, on ne se préoccupait pas des Grecs, à l'époque.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Les membres de l'Union n'ont-ils jamais eu à l'esprit qu'il pouvait arriver quelque chose, en Grèce ou dans d'autres pays ? Avant, quand un Etat gérait mal ou mentait sur sa situation, il plongeait tout seul, mais maintenant, dans le cadre de l'euro, il entraîne quand même les autres. On en voit bien aujourd'hui les conséquences et on a été obligés de faire appel au FMI pour essayer de s'en sortir.

M. François REBSAMEN . - Quand l'euro s'est constitué, il n'y a pas eu en amont une vérification méthodologique de la comptabilité publique de chaque pays ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - A ma connaissance, cela n'a pas eu lieu. J'insiste néanmoins sur le fait que ce n'est pas seulement une question méthodologique mais qu'il s'agit aussi du fonctionnement des institutions. Il faut aller regarder les relations avec l'exécutif, dans quelle position le budget est voté, s'il y a une Cour des comptes digne de ce nom, etc.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Vous confirmez qu'on ne le fait pas ? Vous vous satisfaisiez de ce que racontent les gens ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Très honnêtement, les institutions budgétaires et statistiques de l'Union européenne sont en moyenne très satisfaisantes. Il y a une idiosyncrasie grecque, avec une première crise puis une deuxième. Le fond du problème est que les finances publiques et la comptabilité budgétaire n'étaient pas, dans leur ensemble, sincères et elles ne l'étaient pas à l'échelle du gouvernement.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - J'ai souvenir de la soulte France Télécom et je l'ai vécu comme un vrai déchirement. La relation franco-allemande avait connu une grave crise. Le directeur du Trésor était allé voir Eurostat et il y avait eu une discussion, le Trésor étant toujours tenté de faire avaler des choses.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - C'est normal et c'est institutionnel. Le souvenir que j'ai de cette époque était que nous avions avec Eurostat la préoccupation que cela se passe bien dans les grands pays. Il y a donc eu une surveillance appuyée sur des institutions nationales de bonne qualité. Le système a veillé à ce que telle ou telle opération soit traitée correctement en Allemagne, en Italie, en Angleterre et en France. Chaque pays a eu ses tentations, mais le système a fonctionné. Je me rappelle très bien que les Italiens, dans les couloirs, nous racontaient ce qui se mijotait, etc. Eurostat était donc bien au courant.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Je me souviens de l'impôt remboursable.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Si je vous faisais la liste...

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - La créativité comptable n'a pas de bornes.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Pour comprendre la créativité comptable en matière de finances publiques, il faut partir de la créativité comptable dans le secteur privé, parce que les principes y sont les mêmes. Il y a deux grands principes : l'un est de changer le périmètre et de mettre hors bilan des choses qui devraient normalement y être.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Il va falloir commencer à s'occuper du hors-bilan.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Vous avez certainement entendu parler d'un certain nombre de scandales comptables dans les entreprises privées, et vous savez que le hors-bilan joue un grand rôle.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Les engagements hors-bilan de l'Etat sont quand même faramineux.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publiqu e. - Exactement, et il y a donc un problème de périmètre.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Dans le partenariat public/privé, par exemple ; c'est du hors-bilan.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Disons qu'il y a un problème de périmètre du secteur public et cela doit être harmonisé, et ça l'est. Au début, les divers pays avaient des pratiques différentes, et pas forcément avec de mauvaises intentions, mais cela a été harmonisé.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Ils ont été harmonisés par une moyenne statistique ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Non, ils ont été harmonisés au niveau des méthodes, c'est-à-dire qu'il a été dit à certains pays qu'ils ne pouvaient pas envisager de faire les opérations de telle ou telle manière. Des corrections ont donc été faites par les comptables des divers pays suite à des réunions avec Eurostat sur la manière de conduire les opérations. La soulte se situe dans ce cadre-là.

L'autre grande chose est la répartition.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Vous ne pensez pas qu'à la faveur de la crise financière et de la crise économique actuelle, on a plutôt harmonisé par le bas dans certains pays, par des accommodements ? Vous ne pensez pas qu'il y a eu des accommodements ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Non, je trouve qu'on est globalement plutôt en progrès.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Oui, mais il est vrai que, au départ, on a fait attention aux grands pays, c'est-à-dire que nous nous sommes beaucoup surveillés avec les Allemands, tout le monde surveillait les Italiens, et personne n'a vraiment regardé la Grèce. Je parle du début des années 2000.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Le comptable national va vérifier l'activité de l'institut statistique, mais si la comptabilité budgétaire, en dessous, n'est pas sincère, il faut aller profond et c'est compliqué. En général, cela se passe et tout cela est fiable bien mais le cas grec vient d'un problème des institutions, le système des finances lui-même qui ne fonctionnait pas. Après, la comptabilité nationale a reflété ces dysfonctionnements mais n'a pas joué un rôle de correctif et de régulation interne. C'était peut-être trop demander à la comptabilité nationale d'un pays comme la Grèce, d'autant plus que, institutionnellement. - et là, c'était une responsabilité du système statistique européen. -, les statisticiens grecs étaient dans une situation qui ne correspondait pas à la norme de déontologie. Le Trésor était beaucoup trop consanguin vis-à-vis de la statistique. On a donc tiré la conclusion qu'il fallait refaire l'architecture institutionnelle, avec une statistique publique indépendante, la présence d'experts étrangers pour quelques années afin de vérifier in situ que tout se passe bien.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Des regards croisés... A cet égard, le rapporteur général. - il est excusé pour cette réunion car il est en mission à l'étranger. - était au Portugal voici deux semaines. La banque centrale a un regard dans ce pays. Demander aux banques centrales, lorsqu'elles sont indépendantes, qu'elles s'expriment et donnent leur avis sur les comptes publics ne pourrait-il pas être une contribution à la recherche de sincérité ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - En termes d'équilibre institutionnel, c'est un peu compliqué d'avoir une autorité indépendante qui porte un jugement sur un autre compartiment de l'action publique. Ceci dit, les banques centrales contribuent à la comptabilité nationale et à la comptabilité publique puisqu'elles en produisent la partie financière et monétaire. Elles font donc partie du processus.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Est-ce qu'elles expriment formellement leur opinion ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Non, parce que ce n'est pas de leur responsabilité. Par contre, la Commission pour les statistiques monétaires, financières et de balance des paiements ( Committee for Monetary, Financial and Balance of Payments statistics , CMFB) est une instance consultative qui joue un rôle important sur les cas méthodologiques épineux. Elle réunit des experts issus pour moitié des instituts statistiques et pour moitié des statisticiens des banques centrales. Cette commission mixte se penche sur tous les cas de doctrine un peu épineux et elle conseille l'appareil statistique européen sur des aspects de méthodologie. Quand il y a des problèmes épineux, c'est en général déféré pour avis à cette commission où les banquiers centraux représentent donc la moitié des membres. Cette collaboration méthodologique existe donc déjà pour la notification de finances publiques.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Quelle est la composition d'Eurostat ? J'imagine que l'Insee désigne des représentants ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - On n'a pas de représentants nationaux.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - C'est une instance purement communautaire ; par contre, il anime des comités statistiques européens.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Elle a des représentants dans ce cas-là, mais Eurostat est une administration européenne et il recrute comme elle l'entend. Il peut très bien recruter des gens venant d'Allemagne, d'Angleterre, de France, etc., mais ce sont alors des fonctionnaires européens. Par contre, dans les comités, il y a des représentants de chaque pays.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Il y a donc une activité très intense des comités avec des groupes de travail et c'est un chantier considérable parce qu'on gagne tous, évidemment, à mettre en commun nos ressources. On a, les uns et les autres, des contraintes budgétaires fortes. On est réputé produire des statistiques communes et il y a évidemment de grands investissements méthodologiques à faire aujourd'hui et on se met donc à plusieurs. Eurostat est un peu l'organisateur de ces réseaux dans lesquels cinq ou six pays ayant des ambitions dans un domaine mettent en commun leurs moyens pour bénéficier de l'expertise des autres et pour faire baisser des coûts qui peuvent être très importants. Il y a vraiment une communauté statistique européenne avec des relations de collègue à collègue qui sont importantes, c'est-à-dire que les réputations comptent dans le milieu, et il est vrai que la Grèce était un peu excentrée de ce point de vue-là.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Avec les banques centrales, il y a deux niveaux : le niveau national et le niveau européen. Au niveau européen, que vient de décrire Jean-Philippe, je pense que l'équilibre qui s'est établi est assez satisfaisant. Ensuite, au niveau de chaque pays, il y a des situations extrêmement variées avec des pays où le rôle de la banque centrale est extrêmement important et d'autres ou son rôle est plus faible. C'est d'ailleurs plutôt le cas en France. Cela dépend beaucoup de l'histoire et des moyens que la banque centrale ou l'administration ont mis sur le sujet. Il est donc difficile de porter un jugement de l'extérieur. Pour prendre l'exemple de la Belgique, que je connais bien, elle a eu à un moment du mal à faire sa comptabilité nationale et une grande partie en est faite par la banque centrale de Belgique, qui en a les moyens

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - La banque centrale devient alors l'Insee?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Non, ce n'est pas l'Insee parce qu'il n'y a pas que la comptabilité nationale. Disons que le coeur de la comptabilité nationale en Belgique, si ma mémoire est bonne, parce que je ne sais pas ce qu'il en est...

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous décrivez un monde très divers avec des pratiques pas franchement homogènes. Si vous aviez des recommandations à faire pour que l'Europe n'ait plus à connaître de telles situations de crise et de telles déconvenues, quelles seraient-elles ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Il faut déjà être très vigilant sur la qualité des institutions. C'est quand même malgré tout un paradoxe qu'on ait laissé les Grecs avec une gouvernance très atypique par rapport à la moyenne européenne, avec un Trésor qui peut quasiment contrôler l'appareil statistique et est lui-même sous contrôle politicien. Les choses se sont très mal emboîtées, mais il est un peu surprenant que cette anomalie-là ait pu perdurer aussi longtemps en dépit d'une crise précédente. Par ailleurs, quand je regarde l'ensemble de l'Union européenne, il me semble que les instituts statistiques et les banques centrales sont aujourd'hui infiniment plus indépendants professionnellement et respectés qu'avant l'euro, par exemple.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Il y avait des traditions nationales.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Les plus indépendants sont-ils les statisticiens ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Les statisticiens se vivent en tout cas comme indépendants.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Les statisticiens sont vraiment l'indépendance faite homme ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - C'est compliqué parce que cela dépend des institutions. Je vais parler pour l'Insee parce que je n'y suis plus... Elle a des fonds propres, etc., et cela joue un grand rôle.

M. Jean-Jacques JEGOU. - Il y a les banques centrales, quand elles sont indépendantes et surtout quand elles se regroupent ; y a-t-il partout l'équivalent d'une Cour des comptes ? A quoi ressemble la Cour des comptes grecque ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Je ne sais pas s'il y avait une Cour des comptes grecque.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Il y a une Cour des comptes dans tous les grands pays européens ; elle est un élément important.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Avant l'admission au groupe euro, il faudrait quand même se mettre d'accord sur un minimum de principes.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Le point est que la comptabilité publique. - à ne pas confondre avec la comptabilité nationale, qui va au-delà de la comptabilité publique parce qu'elle intègre l'ensemble de l'activité nationale. - doit être de bonne qualité.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - C'est essentiel, parce que si vous avez de mauvaises institutions de finances publiques, vous pourrez mettre tout ce que vous voudrez sur la statistique mais elle n'arrivera pas à redresser les choses.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Cela suppose l'Etat, la protection sociale et les collectivités territoriales ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Oui, absolument. Quand j'étais directeur général de l'Insee, je me suis intéressé aux comptes de la sécurité sociale. A l'époque, cela se faisait dans des conditions qui n'étaient pas extraordinaires, y compris en termes de moyens. J'ai donc discuté, on m'a confié une mission, et on a créé une sous-direction comptabilité à la direction de la sécurité sociale. Cela s'est traduit par des recrutements.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Les comptes de la sécurité sociale étaient un peu comme les manifestations dans les rues de Paris : les comptes selon la sécurité sociale et les comptes selon les syndicats, et cela variait du simple au double.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Les choses se sont beaucoup améliorées mais il y avait besoin qu'elles s'améliorent. Vous voyez bien que l'on n'aurait pas pu rétablir la situation par l'Insee avec une telle base.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Ce sont les systèmes d'information qui sont en cause. C'est aussi le problème de l'Etat : les systèmes d'information sont complètement défaillants.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Je ne dirais pas « complètement ».

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Peut-être pas complètement, mais la multiplication des systèmes fait qu'on a quand même du mal, dans les ministères, à aller voir ce qui se passe. Certains ne savent même plus dans quel lit ils se couchent parce qu'ils ont la LOLF mais ils n'ont pas les systèmes d'information appropriés.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Ce qu'on décrit se passe avant la LOLF.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Le cas grec relève à la fois d'une crise dans la comptabilité publique et d'une crise de la comptabilité nationale.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Vous ne pouvez pas tirer la sonnette d'alarme. Quand la comptabilité publique ne fonctionne pas, la comptabilité nationale et les statisticiens ne peuvent pas vraiment y remédier, mais ils peuvent par contre tirer la sonnette d'alarme. Cela n'a pas eu lieu en Grèce. Quand j'étais directeur général de l'Insee, il m'est arrivé à plusieurs reprises de dire au gouvernement de faire attention parce que cela n'allait pas en matière de comptes sociaux. Avant Maastricht, tout le monde se fichait des comptes publics en comptabilité nationale ; l'Insee faisait sa cuisine.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Avant Maastricht, toute information sincère qui décrivait une situation grave revenait à se tirer une balle dans le pied parce que cela jouait finalement contre le franc. Moins on en disait et mieux c'était. Il y avait espèce de culture de l'opacité, et le premier qui disait que cela n'allait pas jouait contre la monnaie nationale et devenait un ennemi de l'intérieur. C'était un pacte d'opacité.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Pour en revenir à la Grèce, tout le monde pouvait voir la situation, y compris le Français moyen qui y allait, regardait et posait quelques questions. Personne ne payait d'impôts, la fraude fiscale était le sport national ; il y avait quand même quelque chose qui allait au-delà de la connaissance des comptes nationaux et qui était l'attitude même de l'ensemble des concitoyens grecs.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - C'est la culture d'un pays ; peut-on y porter atteinte ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Je me suis beaucoup occupé d'économie dans une vie antérieure, et la Grèce n'était pas considérée comme un point important. On n'avait pas imaginé une telle crise systémique et il a fallu une crise mondiale et une Europe extraordinairement affaiblie pour qu'un aléa grec joue un rôle de déclencheur.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Voyez-vous autre chose pour nous prémunir ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publiqu e. - La chose fondamentale est que le Parlement soit le garant de la transparence en matière de comptes de tout le secteur public et veille comme à la prunelle de ses yeux à ce que les institutions en charge de ces comptes publics fonctionnent bien et veillent. C'est cela qui est fondamental.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - On souhaitait mettre un peu de pression sur l'Insee mais la pression est maintenant sur la commission des finances du Sénat ; c'est l'arroseur arrosé !

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Non. Dans ce genre d'affaires, on est dans le même bateau. Si le Parlement n'y arrive pas, il ne faut pas s'imaginer que le problème sera résolu à l'intérieur de l'administration.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - A la différence de la crise précédente en Grèce, il y a maintenant une réforme des institutions statistiques. Elle se fait un peu sous tutelle internationale, avec des représentants de la statistique internationale qui sont restés dans le système pour piloter cette phase de transition. Celle-ci sera sans doute assez longue. On ne s'est pas arrêté cette fois-ci aux symptômes et on fait la gouvernance : indépendance de l'institut, séparation d'avec le Trésor. Elle est un peu sous tutelle pendant quelques années, mais ce que je dis là n'est pas une expression officielle et publique.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - J'ai mis l'accent sur les institutions nationales, cela voulant dire qu'Eurostat a un rôle à jouer mais qu'on ne peut pas tout attendre de lui. - de lui et des instituts statistiques en général. On ne peut pas attendre d'Eurostat qu'il fasse la statistique nationale d'un pays à sa place. Fondamentalement, il faut suffisamment de gens ayant une influence politique qui souhaitent l'existence d'une statistique correcte et qu'ils soient en situation de tirer la sonnette d'alarme si besoin est. A ce moment-là, Eurostat peut agir, mais on ne va pas recréer à Eurostat une unité par pays chargée de le faire. Cela ne marche pas et ce serait d'un coût faramineux ; c'est irréaliste.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - C'est un pacte de confiance et cela suppose que chaque pays adhère à quelques règles de bonne gouvernance publique.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - J'ai souvent rendu visite à mes collègues italiens, allemands, anglais, etc., et on se parlait très directement. Je leur expliquais comment fonctionnait le système français parce qu'ils ne le comprenaient pas bien, et je ne comprenais pas bien le leur. Les relations étaient directes. Vous savez que, à un moment. - et je ne pense pas que cela soit votre cas. -, il y avait des relations qui ne nous plaisaient pas énormément avec certains conseillers qui expliquaient comment arranger les comptes. Un savoir-faire s'est développé en la matière et mes collègues italiens m'expliquaient le type de conseils que leur ministre des Finances avait reçus. On se soutenait donc.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous parliez de « tensions internes » ; il peut y avoir des pulsions contradictoires au sein d'un gouvernement.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Bien sûr. Il y a eu en 1993 une crise assez forte et certains chiffres pouvaient gêner. A l'époque, je ne vous cache pas que j'ai eu des pressions pour différer la sortie d'un certain nombre d'entre eux. Je n'ai pas cédé.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Vous étiez bien défendu par le conseiller économique de l'époque.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Tout à fait. Qu'ai-je fait à ce moment-là ? Je suis monté et les plus hautes autorités de l'Etat m'ont soutenu. Le premier ministre a accepté de mettre sous calendrier toute l'information conjoncturelle économique. - ce qu'elle est maintenant. - et on n'en a plus jamais parlé ; c'était terminé. C'est crucial et cela s'est produit dans tous les grands pays, mais pas en Grèce.

M. François REBSAMEN . - Je voulais poser une dernière question sur l'indépendance de la statistique nationale. Peut-on faire pression sur les statisticiens par le biais des politiques publiques menées (suppression de postes, etc.) ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique. - Oui, on peut le faire, mais je n'ai pas dit que cela se faisait.

M. François REBSAMEN . - Moi non plus, je vous pose la question.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - On peut faire pression mais le statisticien est déontologiquement invulnérable

M. François REBSAMEN . - Quand on retire à la statistique publique nationale son indépendance parce qu'on lui retire les moyens, de facto... Et c'est peut-être ce qui s'est passé en Grèce.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - C'est ce qu'on appelle « casser le thermomètre » pour faire baisser la fièvre.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee. - On peut aussi faire des gains de productivité.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Monsieur Cotis préfère peut-être que je réponde. La statistique a bénéficié depuis un certain temps d'un environnement très favorable avec les progrès de l'informatique. Il est devenu possible de mobiliser beaucoup plus d'informations à des coûts plus faibles.

M. François REBSAMEN. - C'est évidemment un gain de productivité.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Je peux en vous donner de multiples exemples. C'est assez difficile, ensuite, de faire l'arbitrage, mais il y a objectivement des opérations statistiques qui coûtent beaucoup moins cher aujourd'hui qu'auparavant, parce que tout le monde est informatisé, les mairies y compris.

M. François REBSAMEN . - Et l'information avec Eurostat circule différemment.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - On a maintenant une imprégnation en voie d'opération sur l'exigence de sincérité des comptes publics.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Oui, mais encore une fois, il faut bien comprendre que ce n'est pas une science exacte, c'est-à-dire qu'un certain nombre d'opérations donnent normalement lieu à contestation et à des opinions divergentes.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Fin ances. - Il y a par exemple tout ce que l'on devrait provisionner comme charges à venir.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - En comptabilité publique, cela ne se fait pas.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Quelle est l'opinion des statisticiens à ce sujet ? Vous pensez que c'est normal puisque la loi le dit ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Le problème des provisions. - et c'est le même cas de figure dans le privé. - est qu'elles sont très arbitraires et que dans notre jargon elles relèvent plutôt du domaine des études et des projections que de la statistique constatée. Le souci principal des statisticiens au cours des années passées a été vraiment de s'assurer que les comptes du passé hors provisions. - parce que les provisions concernent le futur. - étaient corrects. Quand on raisonne par exemple sur les retraites, vous voyez bien qu'inscrire des provisions est très problématique parce que cela dépend de votre schéma de référence quant à l'évolution du système.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Quand vous faites des prévisions, et les statisticiens en font.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - On change alors de casquette.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Les statisticiens prennent alors au moins autant de risques que ceux qui font des provisions.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Il n'y a pas beaucoup de statisticiens qui en font.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - L'Insee est un cas un peu particulier.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Permettez-moi tout de même de vous dire que si on faisait des provisions, en termes de pédagogie en direction des citoyens, et de la pression qu'ils exercent alors sur ceux qui les représentent et conduisent la politique, cela pourrait être, peut-être, plus efficace pour anticiper et accélérer les réformes, tandis que là, on se dit que l'on ne va pas trop inquiéter les gens. Cela fait penser à ces temps du franc que vous évoquiez où l'on ne voulait pas affoler les gens. On est bien sortis de cette époque-là.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Vous avez tout à fait raison et on a les mêmes questions dans le domaine environnemental. Il est vrai que les statisticiens de tous les pays sont extrêmement prudents à l'égard de ce type de sujet et ne veulent pas s'y lancer.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - C'est quand même un sujet qui est d'actualité. Le rapport Stiglitz, destiné aux statisticiens du monde entier, s'est penché sur ces problèmes de l'actif net et de l'actif naturel. Il est vrai qu'il faudrait faire quelque chose mais c'est très difficile, techniquement et scientifiquement, à calibrer, c'est-à-dire que ce rapport Stiglitz qui était animé de grandes ambitions a finalement renoncé à cette idée d'actif net naturel, par exemple. La mesure est trop incertaine et le rapport a plutôt préconisé d'avoir cinq ou six indicateurs physiques. Le problème est que l'on publie aujourd'hui des dizaines d'indicateurs, ce qui revient à ne rien publier. Le rapport Stiglitz propose donc d'en avoir cinq ou six très importants et de les suivre. Mais en termes comptables, la notion d'une épargne nette ajustée de la dépréciation environnementale est quelque chose que les meilleurs esprits n'arrivent pas, pour l'instant, à mettre en oeuvre.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Je vous remercie. Je voudrais solliciter votre expertise sur une autre préoccupation de la commission. Nous avons eu l'honneur d'accueillir, il y a quelques semaines, M. Pascal Lamy, en sa qualité de directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, et nous sommes convenus d'organiser un colloque, à l'automne, sur les statistiques du commerce extérieur. L'idée est d'appréhender les flux en termes de valeur ajoutée et nous souhaiterions avoir l'expertise des statisticiens et l'autorité de la statistique pour voir si l'on peut avancer dans cette direction.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique. - Je crois que c'est un débat qui a commencé en Allemagne. Comme vous le savez, leurs exportations ont été extrêmement dynamiques mais leur contenu en importation est beaucoup plus élevé. Ils ont donc commencé à faire un début de comptabilité du type de celle que vous préconisez. Je ne sais pas s'ils ont été jusque-là.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - On vous invitera avec vos collègues allemands mais on a besoin de données plus significatives car l'on risque de s'égarer avec certaines données du commerce extérieur.

II. AUDITION DE M. BENOÎT COEURÉ, ÉCONOMISTE EN CHEF ET DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DU TRÉSOR

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Je remercie M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor, de s'être rendu à l'invitation de notre commission, en raison de l'intérêt qu'elle porte pour les statistiques économiques, suite à la crise grecque. Nous l'interrogerons sur le fonctionnement d'Eurostat et sur la fiabilité des statistiques qu'elle certifie comme sincères et comme donnant une image fidèle des comptes publics des différents Etats membres. Nous mesurons à quel point les relations entre le Trésor et l'autorité statistique sont, dans chaque pays, exigeantes et prégnantes, et nous vous remercions de bien vouloir nous faire partager votre vision.

Par ailleurs, nous vous demanderons de nous livrer votre analyse sur le cas grec et sur l'indépendance toute relative de l'autorité statistique de ce pays par rapport au Trésor ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor. - Je vais commencer par deux réflexions, l'une portant sur les leçons du cas grec et l'autre sur ses conséquences pour la France, pour la gestion de ses finances publiques et en particulier de sa dette. La direction générale du Trésor est en effet en charge de la dette à travers l'agence France Trésor.

Sur les leçons de la Grèce, il faut mettre tout cela en perspective et le rapporter à l'histoire de l'Union économique et monétaire, qui débute en 1999. Il y a une forme d'apprentissage dans tous les domaines, et la Grèce est un peu le révélateur de cet apprentissage imparfait dans le domaine de la statistique et de la gouvernance comptable, mais également dans celui de la coordination des politiques économiques, comme on l'a notamment vu au Conseil européen de la semaine dernière. Il y a donc une dimension d'apprentissage, d'essais et d'erreurs dans la construction européenne qu'il faut, je pense, prendre en compte. On ne pouvait pas s'attendre à ce que le système soit parfait dès le départ ; il était unique, original et bâti ex nihilo. Il a été conçu effectivement pour le « beau temps » et il n'a pas résisté à la crise.

En ce qui concerne la gouvernance statistique, la plupart des problèmes étaient identifiés bien avant la crise puisque la première grande révision des comptes grecs date de 2004 et avait déjà donné lieu à un certain nombre de réformes, certes à la marge et donc pas suffisamment ambitieuses. Mais il s'agissait néanmoins de réformes de la gouvernance statistique. La révision du règlement sur le contrôle des données par Eurostat qui date de 2009 est une conséquence des problèmes grecs de 2004. La réflexion entamée avant la crise a notamment conduit à un renforcement du pouvoir d'inspection d'Eurostat et à la création d'un comité européen de la gouvernance statistique dont les rapports sont dorénavant annuels.

Parallèlement, la jurisprudence d'Eurostat a évolué en matière d'interprétation comptable depuis 2004 avec un durcissement progressif des règles dans un certain nombre de domaines, en particulier en matière de titrisation et de partenariat public/privé. Un certain nombre d'opérations réalisées par plusieurs Etats européens en matière de titrisation, leur ayant permis de se procurer des ressources financières sans augmenter leur dette publique, ne seraient aujourd'hui plus possibles. Je pense en particulier à la titrisation de créances dans le domaine de la sécurité sociale.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Comment ces titrisations de sécurité sociale se passaient elles ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Je précise que la France n'a jamais procédé à ce type d'opérations.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - La France est un modèle de vertu !

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Je parlerai ensuite de la France, nous avons connu des mesures exceptionnelles ayant conduit à des écarts entre le déficit et la dette mais il n'y a pas eu de titrisation. Les titrisations de créances de sécurité sociale sont tout simplement la cession à une banque d'un droit sur des flux futurs de recettes en matière de sécurité sociale.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Ce sont donc des recettes que l'Etat n'encaissera pas ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Ce sont effectivement des recettes qui seront encaissées par la banque au lieu d'être encaissées par le Gouvernement.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Il s'agit donc d'une dérivation des flux publics ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Tout à fait, c'est une cession de flux publics.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Comme les dépenses fiscales, cela « plombe » les budgets à venir en termes de recettes et tout en faisant disparaître de la dette.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Cela procure une ressource immédiate. C'est simplement l'avancement dans le temps de recettes futures.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - On pourrait ainsi dire que dans les vingt années à venir, les quelque milliards d'impôts à recouvrer pourraient être titrisés...

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Si l'on pousse le raisonnement jusqu'à l'extrême, on pourrait considérer que toute émission de dette publique est d'une certaine manière une titrisation.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Mais cela est alors annonciateur d'une crise de la dette souveraine ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Ce serait le cas si la trajectoire de dettes qui est issue de ces opérations n'est pas soutenable.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Là est la question.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Là est la question mais l'essentiel est que l'ensemble de ces opérations soit bien retracé dans cet agrégat unique qu'est la dette publique. Or ce n'était pas le cas à l'époque. Il y a eu des titrisations de recettes de sécurité sociale, certes pas en France. Certains pays ont par exemple procédé à des titrisations de recettes de loterie, voire même à des titrisations d'impôts sur le revenu futur. - ce qui et encore plus étrange, conceptuellement.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Avez-vous des donnés plus précises sur ces différentes pratiques atypiques ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Je n'ai pas de panorama exhaustif mais il y a des exemples.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - C'est autant de signes de ce que l'on appellerait la « période suspecte » dans les entreprises à la veille du dépôt de bilan.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - On peut le voir comme cela. On peut aussi considérer. - et je pense que c'est important de le noter. - qu'il peut y avoir pour certaines de ces opérations un intérêt économique à condition de gommer l'incitation comptable. A partir du moment où tout cela est neutre comptablement, ces opérations doivent être jugées sur leurs mérites propres. Elles peuvent avoir un intérêt économique dans certains cas. Je pense par exemple aux titrisations de recettes fiscales belges. Elles étaient à l'époque présentées par le Trésor belge comme une manière d'augmenter le taux de collecte de l'impôt. Le contrôle de la perception était toujours opéré par l'administration d'Etat mais il y avait une incitation financière. Le produit futur de l'impôt avait été cédé sur le marché et une partie du produit avait été utilisée pour créer une incitation financière, une forme d'intéressement de l'administration fiscale au taux de collecte. On pouvait donc considérer que cette technique financière accompagnait une réforme de l'Etat, à savoir l'intéressement de l'administration fiscale à l'amélioration du taux de collecte. Cela pouvait être le cas ou non, mais l'essentiel demeure la neutralité comptable et l'absence de diminution de la dette publique.

Eurostat a également durci sa jurisprudence en matière de partenariat public/privé. On en a d'ailleurs eu une illustration ce matin à travers les chiffres publiés par l'Insee sur la dette du quatrième trimestre 2009 puisqu'il a notamment requalifié les partenariats conclus pour la construction de prisons en les réintégrant dans la dette publique.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - C'est très bien. Dans le cadre du partenariat public/privé, tous ces financements innovants étaient d'abord une manière de cacher la misère. Bravo à l'Insee.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - L'Insee n'a fait qu'appliquer les nouvelles règles d'Eurostat datant de 2007.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Du point de vue du Trésor, vous devez vous dire que ce n'est pas bien de ne pas faire apparaître cela dans la dette ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - On approuve le durcissement de la jurisprudence d'Eurostat en matière de titrisation et de partenariat public/privé. Là encore, cela ne veut pas dire que ces opérations n'ont pas de mérite mais elles doivent être jugées sur leurs mérites économiques et non sur leurs conséquences comptables.

Ce processus de durcissement de la jurisprudence date d'avant la crise et avait conduit à un certain nombre de réformes en matière de gouvernance. La crise grecque accélère ces réformes puisqu'elle révèle qu'Eurostat n'avait pas en réalité les moyens d'apprécier la sincérité des comptes. De fait, il existait dès avant la crise un instrument : la visite méthodologique. Eurostat pouvait aller enquêter sur place auprès des autorités nationales pour vérifier la sincérité des comptes. En Grèce, Eurostat a procédé à cinq ou six visites méthodologiques auprès du Trésor et des autorités statistiques grecques et elles n'ont manifestement pas suffi pour rétablir la vérité sur les comptes, puisque ces derniers ont été à nouveau modifiés après ces visites. On a pu conclure de cet état de fait qu'Eurostat n'avait pas les moyens d'enquêter de manière suffisamment profonde dans les comptes des pays membres, d'où la proposition de révision du règlement européen qui est en ce moment en cours de discussion au sein du comité économique et financier. Il devrait être adopté prochainement par le conseil Ecofin. Cette révision du règlement statistique du 1 er avril 2009 renforcerait fortement le pouvoir d'investigation d'Eurostat en élargissant le champ, au-delà des comptes de l'Etat, aux comptes des administrations locales et de sécurité sociale. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Cela pose des questions méthodologiques. Tout particulièrement cette question importante qui est de savoir si Eurostat doit contrôler les comptes sur le passé ou également les prévisions qui sont un élément important du débat budgétaire européen puisque la discussion autour du Pacte de stabilité se fonde sur les programmes de stabilité et de croissance, et donc sur les prévisions. Notre position est de considérer qu'Eurostat doit avoir des pouvoirs très renforcés pour étudier les comptes sur le passé mais qu'il n'a pas de compétences en matière de prévision, car cela n'est pas de la certification comptable mais de l'analyse économique. Au niveau européen, il devrait donc y avoir le même partage des rôles existant au niveau français entre les comptes et les prévisions. En France, les comptes sont produits par l'Insee mais les prévisions le sont par le Gouvernement, en l'occurrence par la direction générale du Trésor. Quand les comptes annuels sont notifiés à la Commission, les comptes de l'année précédente sont notifiés par l'Insee. - c'est ce qui se passe aujourd'hui sur 2009. - et les comptes de l'année en cours et de l'année suivante sont notifiés par le ministère des Finances. Il s'agit là d'une prévision et l'Insee ne peut pas s'engager sur des prévisions.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - L'Insee ne produit-elle pas des prévisions ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Certes, mais pas en matière de finances publiques. La responsabilité de la définition et du suivi du programme de stabilité incombe aux ministres chargés du budget et de l'économie. Un institut statistique indépendant ne peut pas porter un jugement sur ce que seront les finances publiques pour une année à venir.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - On ne peut donc certifier que ce qui relève du passé.

Mme Nicole BRICQ . - Mais l'Insee émet aussi des prévisions concernant la croissance ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Oui.

Mme Nicole BRICQ . - Et les hypothèses budgétaires sont bâties sur des hypothèses de croissance ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Oui.

Mme Nicole BRICQ . - Quelque part, donc, l'Insee participe quand même, dans le consensus économique, à la définition de la prévision budgétaire ?

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - C'est la responsabilité du Gouvernement.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - L'Insee participe, et on a évidemment un dialogue avec lui. D'ailleurs, les prévisions de croissance de l'Insee sont l'un des éléments utilisés par la Commission européenne lorsqu'elle évalue notre programme de stabilité. S'il y avait une divergence importante entre l'Insee et le Gouvernement. - ce qui peut arriver en matière de prévision. -, cela serait certainement utilisé par la Commission lorsqu'elle évalue notre programme de stabilité. Mais l'engagement vis-à-vis du conseil Ecofin sur la trajectoire budgétaire est l'engagement du ministre et du gouvernement. On pourrait donc envisager un partage des rôles similaires au niveau européen : les comptes seraient audités par Eurostat de manière indépendante ; en revanche, les prévisions devraient être plutôt évaluées par la direction générale Ecofin de la Commission, puisque c'est elle qui est en charge du suivi du Pacte de stabilité. Ce règlement modifié est donc en cours de discussion et l'objectif est naturellement de l'adopter le plus rapidement, si possible avant l'été.

En conclusion s'agissant de la France, je voudrais ajouter qu'elle n'a jamais utilisé d'artifices comptables en matière de dette. Les gestionnaires de celle-ci ont toujours considéré que la France est avec l'Allemagne l'un des pays les plus crédibles de la zone euro. Toute ambiguïté, incertitude ou doute sur nos comptes ne pouvaient qu'affecter notre réputation. La France emprunte déjà à un taux favorable grâce à sa crédibilité et à la liquidité de son marché. L'administration a toujours fortement déconseillé au Gouvernement de recourir à ce type de techniques et elle a été suivie. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de mesures exceptionnelles ayant induit un écart entre le déficit et la dette, mais elles étaient justifiées. Je pense à la soulte France Télécom de 1997. La presse nous en fait parfois le reproche comme étant un artifice comptable, mais il fallait changer le statut des personnels de France Télécom. L'important était que cela soit fait dans la transparence comptable et n'affecte pas le jugement porté par les autres pays européens et par la Commission européenne sur notre trajectoire budgétaire et nos engagements en matière de réduction des déficits. Ce n'était pas le cas en 1997 comme aujourd'hui, et quand la Commission publie maintenant son évaluation des programmes de stabilité, elle raisonne, comme vous le savez, sur l'évolution, la variation du déficit structurel corrigée des effets de la conjoncture et des mesures exceptionnelles. Aujourd'hui, un versement de soulte est possible s'il a un intérêt conjoncturel mais il serait nettoyé des comptes et n'affecterait pas l'évaluation de la Commission sur la trajectoire des finances publiques.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Ce qui est tout à fait logique. Je me souviens de la soulte France Télécom et j'avais été extrêmement choqué. C'était une manière de dire qu'on était à 3 % de déficit. Mais c'était une duperie ; la soulte n'était pas en soi critiquable, mais en faire l'élément permettant d'être à 3 % n'avait pas de sens. C'était tout sauf pédagogique.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - C'était possible dans le contexte de l'époque mais cela ne le serait plus aujourd'hui parce que la Commission ne considèrerait plus que le déficit est à 3 %.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Cela prouve les immenses progrès que nous avons faits.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Il en va de même pour l'ensemble des mesures exceptionnelles, et en particulier des privatisations. De toute façon, celles-ci n'affectent pas le niveau de déficit. S'il y avait une titrisation que l'on considérerait comme justifiée au plan économique ou du point de vue de la réforme de l'Etat, on pourrait la faire mais la Commission n'en tiendrait alors pas compte dans l'évolution de la trajectoire de finances publiques. Ces règles datent d'avant la crise.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - L'Europe est appelée à se ressaisir, après une phase de tâtonnements. Parmi les règles de bonne gouvernance publique, il y a certainement la nécessité de rendre l'institut de statistiques plus indépendant par rapport à l'autorité politique et d'en faire le correspondant privilégié d'Eurostat. Cela suppose qu'il y ait une vraie indépendance et que les principes de comptabilité publique mis en oeuvre soient assez convergents sur le plan européen.

Accomplit-on un travail pour définir des normes de présentation des comptes publics ? Nous avons l'Etat, les collectivités territoriales, la sécurité sociale. Si l'on peut bien appréhender les comptes de l'Etat, il y a peut-être beaucoup d'aléas dans les comptes des collectivités locales ou de la sécurité sociale ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Je pense que MM. Cotis et Champsaur ont dû vous donner leur avis sur ce premier point de l'indépendance de l'Insee. Mon sentiment à ce sujet est que l'article 144 de la loi de modernisation de l'économie a déjà fait faire un grand progrès pour l'indépendance de l'Insee avec la création de l'autorité statistique. Je n'ai pas le sentiment que le statut actuel de l'Insee, dont l'indépendance opérationnelle est garantie, mais qui dépend organiquement du ministère des Finances, s'oppose à la sincérité des comptes publics français. Il arrive régulièrement que l'Insee prenne un avis contraire au gouvernement sur des questions de classification comptable. Je pense que la question du classement des partenariats public/privé pour les prisons en est un bon exemple. Nous l'avons découvert ce matin en lisant le communiqué de l'Insee. C'est une décision qui est prise souverainement par l'Insee.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Il va se passer la même chose pour toutes les gendarmeries et les commissariats de police construits en partenariat public/privé. On a cru à un moment que ce n'était pas une dette de l'Etat. Or c'est bien une dette de l'Etat.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Dans le système actuel, ce sera à l'Insee d'en décider souverainement. Il nous prévient la veille, par courtoisie, mais ne nous demande pas notre avis sur ces classifications.

Mme Nicole BRICQ . - Comment faites-vous ? Vous le réintroduisez ces opérations dans la dette publique ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Tout cela est du ressort de l'Insee. Dans le communiqué publié ce matin. - la communication sur l'encours de dette publique au 31 décembre 2009. -, on retrouve un certain nombre de classifications, notamment celle sur les prisons, qui contribuent à augmenter le niveau de dette publique au 31 décembre 2009.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Y retrouve-t-on les gendarmeries ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Je ne crois pas.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Ce n'est pas normal parce que celles qui ont été faites en partenariat public/privé sont carrément des dettes publiques et c'est la même chose pour les commissariats. C'est un engagement hors bilan. On peut tout faire à condition qu'il en soit rendu compte et qu'on donne une image fidèle de la situation.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Sur votre deuxième question, Monsieur le président, concernant les progrès dans l'harmonisation, tout cela résulte de règlements européens et les comptes publiés par l'Insee s'inscrivent dans le cadre du système européen de comptes. Il est lui-même la déclinaison au niveau de l'Union européenne du manuel de comptabilité nationale de l'ONU. Il y a donc un système assez formalisé, avec des règles harmonisées. Je pense que l'on peut affirmer avec un assez bon degré de certitude que la mesure des actifs et des passifs des collectivités locales ou des administrations de sécurité sociale est harmonisée au sein de l'Union européenne. Il peut y avoir des interrogations sur la sincérité des données transmises et cela est tout le sujet du pouvoir d'inspection d'Eurostat pour s'assurer que tout a bien été déclaré, mais en termes méthodologiques, je pense qu'il y a maintenant un assez grand degré d'harmonisation, en tout cas s'agissant du compte d'exploitation et donc du déficit.

En matière patrimoniale, comme vous le savez, les progrès sont plus lents et il n'y a pas de système harmonisé de comptabilité patrimoniale des administrations publiques au niveau européen. Nous l'avons en France de deux manières : dans la comptabilité générale, à travers le compte général de l'Etat, et en termes de comptabilité nationale, puisque l'Insee publie des comptes de patrimoine de l'ensemble des agents. - des ménages, des entreprises et des administrations publiques. - en comptabilité nationale. Mais la France est l'un des seuls pays à le faire en Europe. Si l'on voulait donc réfléchir à des progrès ultérieurs des comptes publics, il faudrait envisager une comptabilité patrimoniale harmonisée pour avoir une vision non seulement de la dette financière mais également de l'ensemble des éléments de passifs et d'actifs. Nous l'avons pour la France mais ne l'avons pas, en général, pour les autres pays.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Merci. Avez-vous le temps, Monsieur le directeur, de répondre aux questions que mes collègues souhaiteraient vous poser ?

Mme Nicole BRICQ . - Vous avez dit, à juste titre me semble-t-il, que la Grèce relevait finalement de la dimension de l'apprentissage, depuis une dizaine d'années avec la mise en place de l'euro, de toute cette surveillance comptable au niveau européen. Pensez-vous que la « révélation » grecque peut amener à se pencher sur d'autres comptabilités nationales au sein de la zone euro ? Je ne parle pas de la France, car vous y avez très nettement répondu.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Je pense qu'il faut différencier l'optimisation comptable et la sincérité. Toute règle entraîne une forme d'optimisation, et pendant toute la période où les règles en matière de titrisation et de partenariat public/privé étaient relativement accommodantes, un certain nombre de pays ont procédé à ces opérations. Mais ils ont arrêté de le faire depuis que les règles ont été durcies. Cela donne d'ailleurs une réponse indirecte à la question de leur pertinence économique, beaucoup de ces opérations ayant disparu quand ces règles comptables ont changé.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Quand je pense qu'on a fait toute une série de colloques sur les partenariats public/privé. C'était extraordinaire, le nec plus ultra de la bonne gestion publique...

M. Jean-Jacques JEGOU . - Je pensais plutôt aux titrisations.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Oui, mais c'est pareil.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Il y a donc eu de l'optimisation comptable par le passé. Elle n'était pas litigieuse mais elle résultait simplement de l'utilisation des règles existantes. En termes de sincérité, il me semble, en revanche, que la Grèce est un cas vraiment à part. Les rapports d'Eurostat sur ce pays ont bien mis en évidence l'absence d'indépendance de l'institut de statistiques, la manipulation des comptes par le Gouvernement et le fait qu'il y avait un problème de gouvernance majeur en Grèce. Le nouveau Gouvernement grec s'attache d'ailleurs à les régler ; cela fait partie du plan d'ajustement demandé à la Grèce avec un nouveau statut de l'institut de statistiques et l'entrée d'un représentant d'Eurostat au conseil de surveillance de celui-ci. C'est un problème spécifiquement grec et, à ma connaissance, je ne crois pas que qu'il y ait eu des problèmes d'insincérité des comptes à la même échelle dans les autres pays européens. Je ne le crois pas.

Mme Nicole BRICQ . - Cela ne va-t-il pas amener Eurostat, avec tous les outils dont il dispose, à être tout de même plus regardant ? A moins que l'on nous dise que tout est parfait, mais nous n'en sommes pas moins, comme vous l'avez dit, dans une période d'apprentissage.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - C'est-à-dire qu'à l'avenir, avant d'admettre un nouveau membre dans l'euro groupe, il ne faudra pas seulement veiller aux critères définis par Maastricht mais il faudra également vérifier que les institutions fonctionnent bien et que l'institut de la statistique de cet Etat est suffisamment indépendant pour donner du crédit aux informations transmises à Eurostat ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Je suis tout à fait d'accord et je pense que cela fera effectivement partie des critères d'appréciation pour les nouveaux Etats membres. De même que l'on vérifie que la banque centrale est indépendante, on vérifiera peut-être mieux que l'institut de statistiques est indépendant. Par ailleurs, on peut sans doute s'attendre à une poursuite du durcissement de la jurisprudence d'Eurostat dans un certain nombre de domaines où il reste peut-être de l'ambiguïté, dans le partenariat public/privé mais également peut-être dans d'autres domaines comme dans l'utilisation d'instruments dérivés par les Etats.

On n'en a pas parlé mais l'un des éléments très problématiques en Grèce est qu'elle a réalisé des contrats d'échange sur les taux de change, des « swaps » de devises, qui lui ont permis d'engranger une recette de trésorerie immédiate. La Grèce procédait à la couverture de change de ses contrats militaires : c'est la fameuse opération avec Goldman Sachs.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Pouvez-vous nous décrire cette opération avec Goldman Sachs ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - La Grèce a couvert en change des contrats militaires achetés en dollars dont elle voulait ramener la charge en euros. En soi, ce n'est pas litigieux et il est même plutôt sain pour un Etat de vouloir neutraliser son exposition aux risques de change, mais la Grèce l'a fait d'une manière assez originale puisque le taux de change auquel l'échange était réalisé n'était pas celui du marché. En échangeant les devises à un taux hors marché, elle a pu engranger une soulte. Mais, c'était économiquement une dette.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - C'est la raison pour laquelle les Grecs ont acheté des avions américains. Ceci a dû jouer dans la décision de la Grèce à l'époque : Goldman Sachs conseillait le lobby militaro-industriel américain et les Grecs leur ont en plus promis de l'argent.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Comme pour les autres opérations, il faut là aussi distinguer l'optimisation et l'insincérité, c'est-à-dire que les « swaps » de change sont en soi une bonne chose. - la France couvre ainsi en change certaines de ses opérations en devises, en particulier les versements aux organisations internationales. - mais cela se fait sous forme d'échanges à terme qui sont évidemment au prix du marché. C'est neutre du point de vue du marché et il n'y a pas de recettes de trésorerie. Tout est par ailleurs transparent. C'est l'objet de la création du compte de commerce sur la couverture des risques financiers de l'Etat qui a permis de mettre en place ce type d'opération. Cela se fait pour neutraliser le risque de change au bilan de l'Etat, sans impact sur la dette publique.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Oui, mais il faut que cela corresponde à son objet.

M. Philippe ADNOT . - Comment va-t-on considérer au niveau européen la partie non consomptible du grand emprunt ? Cela va être comptabilisé comme de l'endettement ?

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Le grand emprunt : comment transformer du court terme en long terme ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Sur le grand emprunt, il est clair que l'impact sur la dette publique, à la fin de l'opération, sera le cumul de tout ce qui aura été consommé. Ce qui restera et ne sera pas consomptible n'impactera pas la dette publique. Pourquoi ? Parce que ces fonds seront placés sur le compte unique du Trésor et n'affecteront donc pas le besoin de financement de l'Etat. C'est neutre du point de vue du périmètre de l'ensemble des administrations publiques. C'est une condition posée dès le début de l'opération d'ailleurs inscrite dans le collectif de janvier. Les dotations aux universités, par exemple. - la partie non consomptible des dotations aux universités. -, est de l'argent transféré par l'Etat aux universités mais placé par celles-ci sur le compte unique du Trésor. En comptabilité nationale, on a donc un flux entrant et un flux sortant qui s'annulent et tout ceci n'affecte pas le montant de la dette publique. Cela peut s'interpréter en termes financiers et de trésorerie par le fait que cela n'appelle pas de besoins d'emprunt de la part de l'Etat, puisque l'argent ne sort pas du circuit du Trésor.

M. Philippe ADNOT . - C'est quand même de la création monétaire ? On produit des intérêts à partir de quelque chose qui n'existe pas puisque la sortie et l'entrée sont annulées.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Par convention, on dit que l'on va verser des intérêts ; on rabote sur les autres missions et c'est neutre. C'est une opération d'habillage, même si ce n'est pas très pédagogique.

M. Philippe ADNOT . - Je ne suis pas d'accord.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Cela s'inscrit aussi dans une politique générale que nous avions essayé de lancer il y a quelques années et qui consiste à essayer de ramener sur le compte du Trésor les actifs de l'administration publique de manière à limiter le niveau de la dette publique et l'appel au marché par l'Etat, de manière à éviter que l'Etat n'ait à émettre des obligations pour doter les établissements publics qui placeraient ensuite ces dotations sur les marchés financiers. Cela augmente les besoins en financement de l'Etat pour un intérêt économique assez limité. La direction générale du Trésor a encouragé une politique de centralisation des actifs des établissements publics sur le compte unique du Trésor, quand c'est possible au regard de leurs statuts.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Ce grand emprunt est un vrai raffinement. C'est un cas d'école.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - En termes de chiffres, le grand emprunt représente 35 milliards d'euros. L'impact sur la dette, celui qui a par exemple été inscrit dans le programme de stabilité, est de 5 milliards en 2010 et de 3,5 milliards par an sur les quatre années suivantes (2011-2014). Cela fait 19 milliards d'euros d'impact sur la dette à l'horizon 2014.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Il y a 16 milliards d'euros consomptibles et 19 milliards d'euros non consomptibles. Cela veut dire que, budgétairement, on a plombé de 35 milliards le budget 2010, alors que l'on ne va dépenser que 3 milliards d'euros, si l'on en croit M. Ricol. Quand on dépensera 4 ou 5 milliards par an, cela n'apparaîtra pas dans le déficit budgétaire.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Cela apparaît en une fois dans le déficit budgétaire de 2010.

Mme Nicole BRICQ . - C'est la même question mais rétrécie aux 13 milliards remboursés pour les banques ; je suppose qu'ils sont aussi dans le compte du Trésor et qu'ils obéissent donc aux mêmes règles que les 22 milliards d'euros que vous venez d'énoncer. Si l'on utilise une partie de ces 13 milliards pour financer une infrastructure de transport, par exemple. - ou doter en capital une société créée pour lancer une grande infrastructure. -, et alors que dans la loi de finances rectificative un amendement pour flécher cela sur les transports n'a pas été accepté ; pourrait-on le faire alors que loi a fléché les sommes ? Je viens de comprendre les règles, vous les avez bien exposées et, comme vient de le dire M. le président, cela est compensé par les réductions correspondantes, mais je trouve cette affaire quand même curieuse. Ces 13 milliards font partie de l'emprunt par une opération comptable et ils ne sont pas empruntés sur les marchés mais ils pourraient être délégués, à moins que le Trésor ne les garde ?

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Le Trésor les garde et il fait office de fondation qui gère pour le compte des universités.

Mme Nicole BRICQ . - Peut-être a-t-il des idées d'utilisation, et c'est du reste normal puisque c'est lui qui gère ; mais je ne comprends pas ces 13 milliards. Comment va-t-on les utiliser ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Je crois qu'il faut distinguer l'affectation budgétaire. - celle que vous avez votée. - et l'affectation financière, c'est-à-dire que l'argent est de toute façon sur le compte unique du Trésor et il n'en sort pas. On en prend soin.

Mme Nicole BRICQ . - On va peut-être vous demander de le sortir.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - On nous demandera effectivement de le sortir puisqu'il a donné lieu à des dotations budgétaires.

Mme Nicole BRICQ . - Je crois même qu'on vous l'a déjà demandé.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Dans le cadre du collectif budgétaire de janvier, le financement du grand emprunt des 35 milliards a été divisé entre d'une part ces fameux 13 milliards, qui sont les retours des dotations de capital aux banques, et il reste donc 22 milliards à financer. Sur ces 22 milliards à financer, 9 milliards viennent de l'excédent du compte du Trésor au 31 décembre 2009 qui est lié au fait que l'agence France Trésor a pu racheter des titres arrivant à échéance en 2010 et réduit ainsi son financement sur 2010. Il reste donc 13 milliards à financer par émission à moyen et long termes. Les 35 milliards du grand emprunt n'augmentent les émissions d'OAT, à moyen et à long terme, de 2010 qu'à hauteur de 13 milliards, 13 milliards venant des banques et 9 milliards de l'optimisation de la trésorerie d'une année sur l'autre. Les 13 milliards de retour des banques sont affectés au financement du grand emprunt et serviront à doter les établissements publics opérateurs. Ils seront ensuite décaissés par ces opérateurs, mais, comme l'a dit M. le président, sur une période plus longue, commençant en 2010 et s'étendant sur plusieurs années.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Vous êtes sorti d'Eurostat...

Mme Nicole BRICQ . - Concrètement, les opérateurs désignés et identifiés vont demander des fonds et il va donc y avoir un circuit pour cet argent.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Un circuit est précisément prévu dans le collectif, c'est-à-dire qu'il y a des dotations du budget général vers les opérateurs ; l'argent appartient à ces opérateurs à partir du moment où la dotation a été opérée mais ils sont tous tenus de le placer.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - C'est comme dans le cas des communes.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - C'est effectivement comme dans le cas des dotations aux collectivités locales. L'argent appartient aux opérateurs, est placé sur le compte unique du Trésor et il est ensuite décaissé par les opérateurs dans le cadre de la gouvernance du grand emprunt en suivant les instructions données par le commissaire général à l'investissement. La gouvernance est quand même très centralisée.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - C'est simple.

Mme Nicole BRICQ . - Oui, mais il n'y a pas de fléchage sur les transports. Il n'y en a pas dans ce qu'on a voté. Cela a été l'objet de la discussion qui nous a retenus une demi-heure en commission mixte paritaire avec un amendement de notre collègue Philippe Marini. J'avais compris et me vois confirmée dans ce que je pensais.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - J'avais également compris ce que M. COEURÉ, vient de confirmer.

M. Philippe ADNOT . - J'avais une question à poser sur les 13 milliards. Si j'ai bien compris ce qui a été dit, cela a accru le déficit de cette année et comme les banques vont bientôt rembourser, cela nous prépare un exercice où l'on pourra dire qu'on a diminué le déficit.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Non, tout cela n'impacte pas le déficit parce que ce sont des opérations financières. On est dans l'utilisation du besoin de financement mais cela n'a pas d'impact sur le déficit public parce qu'on est en dessous de la ligne du déficit. Ce sont des opérations patrimoniales et cela n'impacte pas le déficit, au sens de Maastricht.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Non, cela ne joue pas sur Maastricht. Il faudrait d'ailleurs éviter de dire qu'il y a Maastricht ou qu'il n'y a pas Maastricht et que tout cela soit un peu convergeant. C'est comme dans les bénéfices selon le fisc et selon les comptes : il faudrait que cela puisse un jour converger.

J'ai deux questions à vous poser. Pensez-vous qu'Eurostat puisse prétendre à un statut au moins aussi indépendant que celui des instituts nationaux de la statistique ?

Dans les regards croisés nationaux, ne pourrait-on pas demander aux banques centrales, dès lorsqu'elles sont suffisamment indépendantes. - mais elles le sont de toute façon institutionnellement dès lors qu'elles font partie de l'euro groupe. - de donner une appréciation sur la sincérité des comptes publics ? Cela se fait, semble-t-il, au Portugal.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Je vais vous donner un avis strictement personnel sur cette question. Je ne suis pas sûr que cela soit une bonne idée. La banque centrale a de manière générale un rôle de conseil du Gouvernement. Sa communication publique est libre sur toutes les questions de politique économique et si la banque centrale souhaite émettre un avis sur ces questions, elle peut le faire et il faut qu'elle puisse le faire en toute indépendance. Maintenant, est-ce que, institutionnellement, il faut ériger la banque centrale en autorité statistique qui serait amenée à jouer un rôle, par exemple, d'agence de notation ? Faut-il impliquer la banque centrale dans le processus budgétaire ? Je ne le pense pas. La banque centrale est une institution monétaire et elle ne doit pas être amenée à intervenir dans la programmation budgétaire ou dans l'évaluation des programmes de stabilité. Je pense que ce ne serait pas une bonne répartition des rôles. Maintenant, si la banque centrale considère qu'il y a des problèmes dans des comptes qui sont de nature à avoir des conséquences pour la stabilité financière, par exemple, parce que cela induirait des primes de risque sur les obligations et pourrait fragiliser la situation des banques, il faudrait alors qu'elle le dise.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - La banque centrale grecque aurait pu, par exemple, tirer la sonnette d'alarme ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Absolument, ou la banque centrale européenne, mais c'est une répartition à revoir. En revanche, je ne pense pas que la banque centrale européenne doive devenir un auxiliaire des Gouvernements dans une procédure budgétaire.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Quelle est l'indépendance d'Eurostat par rapport à la Commission ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Je ne pense pas que le problème principal soit celui de l'organisation administrative. L'important est l'indépendance d'Eurostat dans ses décisions et dans sa gouvernance. Ensuite, que les fonctionnaires d'Eurostat soient payés par la Commission ou sur un budget propre ne me paraît à pas être le plus important. Il faut des garanties en matière de gouvernance statistique.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Oui, mais quelle indépendance pour des autorités dépendant de ministères ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Dans le cas français, l'Insee est une direction du ministère des Finances, mais l'autorité de la statistique est une autorité administrative indépendante qui vérifie l'intégrité de ce que fait l'Insee. Cela me paraît être un bon système et on pourrait le transposer au niveau européen. Je ne pense pas que l'on ait nécessairement besoin de faire d'Eurostat une agence.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Elle serait plus indépendante que M. Cotis ?

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Monsieur Cotis est indépendant en tant que producteur de statistiques, et il est par ailleurs payé par le ministère des finances. Son indépendance en tant que statisticien est vérifiée par M. Champsaur.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - C'est aussi vrai pour l'autorité de la concurrence : ils sont payés par le ministère de l'Economie et ils sont indépendants.

M. Benoît COEURÉ, économiste en chef et directeur général adjoint de la direction générale du Trésor . - Leur indépendance est garantie par la loi.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des finances . - Je vous remercie.

III. AUDITION DE M. GALLO GUEYE, CHEF DE L'UNITÉ C1 À LA DIRECTION DES COMPTES NATIONAUX ET EUROPÉENS D'EUROSTAT

M. Jean ARTHUIS , président de la commission des Finances . - Nous reprenons ces auditions, dont l'objet est de nous familiariser avec le mode de fonctionnement d'Eurostat. Nous avons vécu douloureusement la crise grecque et avons pris conscience des tolérances dans le fonctionnement des institutions européennes. Il y a manifestement eu là des lacunes graves, des manquements aux exigences de présentation de comptes publics sincères et nous souhaitons donc nous familiariser avec le fonctionnement d'Eurostat.

Je remercie beaucoup M. Gallo Gueye, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat. Il est accompagné de MM. Francis Malherbe et Christian Ravet, également membres de l'unité C1.

Peut-être pourriez-vous, Monsieur le directeur, nous donner votre analyse du cas grec, ce qui a posé problème et sur la façon de nous prémunir de telles situations ? Je rappelle que le 10 novembre 2009, le conseil Ecofin a invité la Commission européenne à élaborer un rapport sur les problèmes qui se posent, je cite, « à nouveau dans les statistiques budgétaires grecques ». Dans ce rapport, émis le 8 janvier 2010, la Commission européenne souligne notamment que « en 2004 et en 2009, des révisions substantielles ont eu lieu à la suite d'élections politiques » et il utilise le terme d'« ingérence ». « La récente proposition de règlement relative à la qualité des données transmises par les Etats membres dans le cadre de la procédure de déficit excessif » suggère quant à elle, dans ses considérants, que c'est « délibérément que des données erronées ont été transmises à la Commission ».

Voulez-vous, Monsieur Gueye, nous préciser ces points ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Bonjour, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, et merci de nous avoir invités à cette audition. C'est réellement un honneur pour nous de pouvoir venir devant vous expliquer le travail que nous faisons et répondre aux questions que vous voudrez bien nous poser.

Je vais expliquer en un mot comment Eurostat fonctionne en ce qui concerne la procédure sur les déficits excessifs. Cette procédure est prévue dans le traité de Maastricht et c'est l'un de ses protocoles. Le travail concret que nous faisons dans ce cas est régi par le règlement 479 du Conseil datant de 1979. Ce règlement prévoit que la Commission fournisse les données utilisées par cette procédure de déficits excessifs. En réalité, cela veut dire que la Commission utilise les données qui sont préparées par les Etats membres ; elle les regarde et, le cas échéant, peut poser des réserves ou y apporter des modifications.

En pratique, les Etats membres ont l'obligation de transmettre à Eurostat, avant le 1 er avril et avant le 1 er octobre de chaque année, leurs prévisions de déficit et de dette publique ainsi que les chiffres effectifs de ceux-ci. Les prévisions portent sur l'année en cours et Eurostat ne s'occupe pas de ces questions ; c'est la direction générale des affaires économiques qui suit ces dossiers, sachant que la Commission établit elle-même ses propres prévisions. Eurostat se concentre sur la deuxième partie, les données du déficit et de la dette effective pour l'année précédente et les trois années antérieures.

Lorsque nous recevons ces données, nous faisons un certain nombre de contrôles sur pièces, en étroite collaboration avec les Etats membres. Il y a un jeu de questions/réponses, et trois semaines après, nous publions un communiqué de presse où nous pouvons être amenés à poser des réserves sous la forme de notes de bas de page. Nous pouvons aussi, au cours de cette discussion, être amenés à revoir et à changer les chiffres des Etats membres.

Il y a ensuite un contrôle un peu plus approfondi puisque les Etats membres ont l'obligation, en vertu de ce règlement, de transmettre un inventaire de leurs sources statistiques, de leurs méthodes statistiques et des procédures d'établissement utilisées pour ces chiffres du déficit et de la dette publique. Nous analysons les chiffres et les méthodes décrites dans les inventaires et nous menons ce que nous appelons des « missions de dialogue » dans les divers Etats membres pour mieux comprendre ces données et ces procédures. Si au cours de ces missions de dialogue ou d'échanges avec les Etats membres, nous identifions des zones de risque ou des domaines qui font difficulté, nous menons alors ce que nous appelons des « visites méthodologiques ». Je précise que ces visites sont strictement confinées au domaine statistique. Cela veut dire que nous regardons les données transmises par les Etats membres à Eurostat mais que nous ne regardons pas les documents de comptabilité publique qui, évidemment, supportent la confection des données de comptabilité nationale.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Ce que vous venez de nous dire est important : vous n'avez accès qu'aux données statistiques, la comptabilité nationale. - avec toutes les approximations que cela suppose. - et vous n'avez pas accès aux comptes publics proprement dits ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Il y a trois niveaux. Le niveau de la comptabilité nationale : ce sont les chiffres de la dette et du déficit public s'agissant de la procédure de déficit excessif (PDE) et ces données sont basées sur les données de comptabilité publique. Nous regardons donc le passage des données de comptabilité publique vers les données de comptabilité nationale, mais nous n'avons pas le pouvoir de vérifier les données de comptabilité publique qui se situent en amont.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Pour les dettes publiques, vous pourriez demander les opinions exprimées par les cours des comptes ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - C'est tout à fait exact. Si je prends le cas de la France, il y a évidemment la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Y a-t-il en Grèce une cour des comptes ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Il y a une cour des comptes mais le contrôle, le maillage qui existe en France, avec les chambres régionales des comptes, n'est pas aussi important en Grèce. Nous aurions évidemment aimé avoir le même contrôle national sur les données, mais compte tenu des spécificités administratives, nous devons avoir des approches qui permettent de faire le contrôle et d'arriver à des données harmonisées en tenant compte de cet état de fait. En vertu du principe de la subsidiarité, les structures nationales sont évidemment du ressort des pays. Nous devons donc développer une approche de contrôle qui permette, dans la mesure du possible, de tenir compte de cet état de fait.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Jusqu'à maintenant, avec le principe de la subsidiarité, chaque pays certifie, la main sur le coeur, la sincérité de ses comptes ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat. - Tout à fait.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Eurostat considère que nous sommes dans un pacte de confiance ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Nous travaillons sur un volet de contrôle et sur un volet d'amélioration et d'harmonisation. Nous contrôlons les données mais nous travaillons aussi avec les pays pour améliorer et respecter les règles harmonisées au niveau européen. Cela veut dire que la coopération est extrêmement importante et que tous les pays doivent jouer le jeu.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Cela aurait pu durer très longtemps avec la Grèce ? Manifestement, ils trichaient ; en étiez-vous conscient ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Le rapport de la Commission parle de ce qui s'est passé en 2004 et en 2009 et s'attarde en particulier sur un problème d'indépendance et d'intégrité des statistiques grecques. Concrètement, le rapport explique qu'il y a des faiblesses méthodologiques, des opérations comptabilisées incorrectement, un manque de coopération entre les entités impliquées dans la préparation des données de procédure de déficit excessif et que les responsabilités ne sont pas clairement établies, cela voulant dire que les entités se rejettent la responsabilité pour ce qui concerne les chiffres et les corrections. Cela veut également dire qu'y a un manque de documentation écrite. On a découvert que des informations étaient échangées par téléphone. Tout ceci est un faisceau d'éléments qui favorisent l'absence d'indépendance et la manipulation.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Tout le monde savait que les Grecs trichaient.

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Je n'utilise pas vraiment cette terminologie. Ce que je dis simplement est que nous avons décrit dans le rapport de la Commission un certain nombre d'éléments factuels qui, pour nous, marquent un manque d'indépendance et l'absence de documentation sur certains chiffres.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous le saviez depuis le début, depuis 2004, et il n'y a pas eu de surveillance particulière ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Oui, nous le savions depuis 2004 et il y avait une surveillance particulière. Une procédure d'infraction était lancée contre la Grèce sur des questions spécifiques, comme celle des hôpitaux publics ou des reprises de dettes.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Quels étaient les problèmes des hôpitaux publics ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Le problème était que des dépenses étaient enregistrées mais n'étaient jamais réglées. Les dettes des hôpitaux publics n'étaient jamais reprises dans les comptes des administrations publiques. C'est donc un problème de sous-estimation de la dette publique.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - La dette des hôpitaux, de la sécurité sociale n'apparaissait pas dans la dette publique ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Il y a un tableau dans le rapport qui explique cela de façon détaillée. Le principal problème qu'on a eu pour la sécurité sociale était le transfert vers une entité qui était hors administrations publiques. C'est un transfert des administrations publiques vers une entité classée hors administration publique et qui n'apparaissait pas dans les comptes, à concurrence de 710 millions d'euros, je crois.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - C'est une externalisation de la dette.

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Tout à fait. Cette procédure d'infraction de 2004 portait sur ces éléments-là.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Cette externalisation de la dette publique portait sur quelles sommes ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - 710 millions d'euros, et c'est dans le rapport de la Commission. Depuis 2004, il y a eu un suivi. On a identifié quelque chose et un travail s'est mis en place. En 2007, la Commission a estimé que des actions significatives avaient été entreprises et la procédure d'infraction a donc été clôturée. Mais attention, la procédure d'infraction vise à résoudre une situation particulière ; cela ne signifie que, dès lors qu'elle est close, les comptes de la Grèce étaient exempts de toute défaillance. Nous avons relancé une procédure d'infraction en 2010 et dont le champ est beaucoup plus large, parce que cela vise à la fois certaines faiblesses méthodologiques et également les questions d'indépendance et d'intégrité du système grec.

Il faut bien voir que cette procédure d'infraction nous permet d'ouvrir un dialogue avec le pays, d'avoir des échanges, de préciser les points sur lesquels le pays ne respecte pas les règles et les exigences de qualité d'Eurostat, mais aussi de recevoir en contrepartie les actions entreprises par le pays pour régler cette question. Dans le cas de la Grèce, par exemple, une nouvelle loi a été adoptée le 4 mars pour créer un nouvel institut statistique, Hellestat. Le service national de la statistique de Grèce dépendait auparavant des finances, mais ce nouvel institut rapporte directement aujourd'hui au Parlement grec. De notre point de vue et d'un point de vue purement conceptuel, les éléments qui sont là et les caractéristiques de Hellestat nous paraissent aller dans la bonne direction mais il est sûr que c'est l'application pratique qui compte pour nous. Nous allons donc suivre très précisément ce qui va concrètement se passer. Est-ce que cette nouvelle structure juridique, ce nouvel arrangement va permettre de régler les problèmes d'indépendance qui ont été soulevés ?

Pour 2009, on a évidemment parlé de révision substantielle et cela porte essentiellement sur le déficit de 2008. Il est passé, je crois, de +5 % à 7,7 %. En 2004, la révision a été de 1,7 à 4 ,6 % sur le déficit 2003. Les raisons des révisions de 2004 et 2009 sont exposées dans le rapport de la Commission. Il y a évidemment beaucoup de choses. Nous avons parlé des hôpitaux publics, des subventions européennes qui ont été enregistrées en revenus par les autorités grecques mais dont le paiement au bénéficiaire final a été enregistré comme un prêt. Cela a évidemment tendance à améliorer les comptes publics. Un certain nombre d'éléments sont donc affichés là.

La question qui s'est posée a été de savoir ce que devait faire Eurostat. Il y a le système de contrôle, que j'ai cité au début de mon exposé, qui est basé la notification, sur ces visites de dialogue et ces visites méthodologiques. Je pense qu'il est surtout important de noter que c'est un travail collectif du système statistique européen, dès lors que nous sommes confrontés à des opérations complexes et à un certain nombre de pratiques. En réalité, il est inévitable que ces pratiques se produisent. Dès l'instant où vous avez un étalon, une référence, et que les gens doivent l'utiliser pour faire des déclarations et transmettre des chiffres PDE, il est inévitable que les gens essaient de mettre en oeuvre des techniques qui leur permettent de mieux présenter les comptes. Il y a également l'attrait de techniques financières complexes qui a joué un rôle. Ce qui est important, c'est que nous avons mis en place un système articulé autour du Comité des statistiques monétaires, financières et de la balance des paiements (CMFB) qui regroupe les statisticiens des instituts nationaux de statistiques et des banques centrales, car celles-ci ont un rôle particulièrement important pour ce qui concerne la dette dans un grand nombre de pays. Les questions complexes sont donc situées dans ce cadre. Il y a eu une très vaste consultation dans ce cadre, de sorte que les solutions reflètent le point de vue général des statisticiens les plus expérimentés sur ces questions au niveau européen.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Nous sommes là manifestement en présence de pratiques frauduleuses. C'est bien de sanctionner un pays ayant un déficit excessif, mais est-ce que l'Europe envisage un système de sanction quand la manifestation des comptes publics est manifestement frauduleuse ? On a fait des swaps de taux de change pour acheter des avions américains, dissimuler une partie de la dette et récupérer de la trésorerie. On dissimule sciemment une partie des dettes et c'est un manquement au pacte de confiance qui existe entre les Etats membres.

M. Pierre BERNARD-REYMOND. - Quel est, à ce stade, le rôle de la Cour des comptes européenne dans cette affaire et quel type de relations entretenez-vous avec elle ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - La Cour des comptes européenne n'est pas intervenue, à ma connaissance, dans ce processus. Nous demandons maintenant à avoir plus de pouvoir pour regarder précisément la comptabilité publique. Je fais cette différence entre la comptabilité publique et les comptes nationaux, qui sont des systèmes sur lesquels la procédure de déficit excessif est assise pour l'essentiel. Lorsque nous recevrons ces pouvoirs, nous devrons alors développer une approche de contrôle. Il serait bon, effectivement, de savoir dans quelle mesure la Cour des comptes pourrait nous aider dans ce processus, mais à la date d'aujourd'hui, il n'y a pas ce type de relation.

M. Pierre BERNARD-REYMOND . - A-t-elle d'ores et déjà un pouvoir qu'elle n'exercerait pas, ou faudrait-il changer le statut de la Cour des comptes ?

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - La Cour des comptes n'examine pour l'instant que l'utilisation des fonds européens et non les comptes publics. C'est le seul rôle qu'elle a actuellement. Le problème, ici, est celui de l'autorité comptable. Il faudrait que chaque cour des comptes nationale ait suffisamment d'indépendance, que ses membres ne passent pas leur temps entre les cabinets ministériels et cette cour des comptes pour donner des gages de vraie indépendance dans l'expression d'une opinion sur la sincérité des comptes.

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Je pense que cela nous aiderait beaucoup si les cours des comptes nationales et éventuellement la Cour des comptes européenne avaient plus de pouvoir et d'impact dans le travail que nous faisons. Evidemment, il y a la comptabilité publique et les comptes nationaux, et les statistiques de comptabilité nationale. Notre travail se focalise, pour l'instant et pour l'essentiel, sur l'aspect statistique de comptabilité nationale.

Mme Nicole BRICQ . - Quels sont les pouvoirs nouveaux que vous souhaiteriez avoir ?

Est-ce que le cas grec, un révélateur, va vous amener à réviser vos procédures pour d'autres Etats ? Les outils que vous avez ne conduisent-ils pas à avoir des doutes sur d'autres comptabilités ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Je dois dire que ce qui caractérise le cas grec est certainement l'ampleur des révisions et le fait que cela soit intervenu à plusieurs reprises. Nous n'avons pas de cas similaires dans les autres pays. C'est tout à fait exceptionnel. En ce qui concerne les pouvoirs de contrôle accrus que nous souhaitons obtenir, dès que nous les aurons, nous essaierons de développer une approche de contrôle qui soit en rapport et qui manifeste l'accroissement de ces pouvoirs de contrôle. Cela étant dit, il est important de savoir qu'il est impossible d'empêcher un pays, d'entrée de jeu, de réviser ses comptes de façon substantielle. Le contrôle a posteriori que j'ai évoqué est le travail que nous menons et nous menons également un travail d'harmonisation, c'est-à-dire que nous édictons des règles, des principes généraux. Dès l'instant où ces règles sont édictées pour un pays particulier, cela s'applique à l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne. Nous identifions également un certain nombre de transactions qui existent, apparaissent sur le marché et sont susceptibles d'être utilisées par les pays et faire un travail sur celles-ci, de façon à anticiper et à promouvoir des règles. Nous pensons que ceci joue le rôle d'une certaine forme de prévention. Nous avons également mis en place un système de communication précoce, appuyé par le conseil Ecofin, qui demande aux pays de communiquer les révisions envisagées longtemps à l'avance. Cela permet d'avoir une grande transparence, de les étudier et d'éviter d'avoir au dernier moment ce type de difficultés. Par exemple, les décisions prises par Eurostat en ce qui concerne la titrisation ont fait que, depuis 2007, ce type d'opération s'est complètement raréfié, voire évanoui.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Tout cela relevait au fond de la créativité comptable, à savoir comment maquiller les comptes publics pour les rendre plus présentables. En avez-vous un florilège ? Avez-vous repéré une certaine tendance, une certaine culture ?

Si l'on veut appréhender convenablement la dette, il faut avoir une vision du patrimoine public. Est-ce que les comptabilités publiques tendent vers un modèle prenant appui sur une comptabilité patrimoniale ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Nous avons évidemment vu dans la presse le concept de créativité comptable, mais il n'est pas réellement utilisé par Eurostat. Ce qui nous importe factuellement est véritablement de recevoir les données qui sont demandées dans le cadre du SEC95 mais il est certain qu'un certain nombre d'innovations ont été développées par les Etats membres. Pour florilège, il y a eu notamment la titrisation de revenus fiscaux futurs, cela ayant permis à certains Etats membres de présenter dans le passé un déficit public amélioré, mais nous avons fermé cette porte. Toutes ces opérations sont maintenant traitées en opérations financières. Comme je disais, depuis que nous avons pris cette décision en 2007, les opérations se sont raréfiées. Il y a également la question des swaps de devises. C'est une question complexe mais il est sûr qu'à travers l'arbitrage entre les taux de marché, les taux de change des marchés et ceux qui sont inscrits dans les contrats de swap, il est possible d'améliorer la dette. Il y a l'histoire de l'enregistrement des impôts en droits constatés par opposition à la méthode cash et cela implique évidemment des pratiques d'estimation, notamment en ce qui concerne les impôts qui ne sont pas susceptibles d'être collectés et qui permettent là aussi de jouer sur les montants. Il y a eu un festival de soultes dans le passé.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Ce n'est pas brillant. Les soultes, en soi, sont concevables mais il ne faut pas les imputer comme des ressources de l'exercice.

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - On a donc vu apparaître toutes ces techniques et ces questions ont été prises à bras-le-corps par Eurostat dans le cadre de ce comité que j'ai mentionné, avec l'ensemble des Etats membres, et des décisions ont été prises. Beaucoup de portes se sont donc fermées. Il y aura toujours, évidemment, une armée de consultants pour conseiller les Etats membres et il y aura des nouveautés. Nous devons être absolument clairs là-dessus, mais je pense que nous avons accumulé une expérience et elle s'est traduite sous forme de règles obligatoires et il est aujourd'hui beaucoup plus difficile de manipuler ces chiffres et d'en faire une plus belle présentation, comme avant la procédure mise en place en 1994.

Mme Nicole BRICQ . - Ne demandez-vous pas de nouveaux pouvoirs ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Dans le cadre de ce règlement 479 qui réglemente nos travaux sur les déficits, nous regardons essentiellement les comptes nationaux, le passage des chiffres de la comptabilité publique vers les comptes nationaux mais nous n'avons pas le droit et le pouvoir d'examiner en amont les comptes publics. Le pouvoir que nous demandons donc est celui-ci : quand nous effectuons des visites méthodologiques et que nous remarquons qu'il y a un doute substantiel sur certains éléments, nous aimerions pouvoir regarder de près la comptabilité publique. Il faut qu'elle puisse supporter de façon valable des comptes nationaux de qualité, des finances publiques au sens de la PDE qui soient de qualité. Là est le premier pouvoir que nous demandons.

Nous demandons ce deuxième pouvoir : que les Etats membres aient l'obligation de mettre à notre disposition des comptables nationaux lorsque nous faisons notre visite. Il faut que nous ayons en face de nous des gens qui parlent le même langage pour améliorer l'efficacité des procédures.

Pour l'instant, lorsque nous visitons les pays, il arrive que des experts des autres Etats membres participent aux missions, en plus des experts de la Banque centrale européenne, mais c'est sur la base du volontariat, dans le cadre actuel du règlement 479. Nous voulons donc le pouvoir qu'un pays ne puisse pas dire qu'il n'admet pas que des experts en finances publiques des autres Etats membres participent aux visites que nous menons. Je pense que cela serait de nature à accroître l'efficacité du contrôle.

M. Pierre BERNARD-REYMOND . - Au-delà de la fraude, il doit y avoir des différences d'interprétation entre vous-même et tel ou tel Etat. Comment cela se règle-t-il et pouvez-vous nous citer des possibles divergences d'appréciation sur la façon d'utiliser les domaines statistiques ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Il y a un certain nombre de sujets comme, par exemple, la question des swaps. Une équipe est actuellement en Grèce pour obtenir les contrats de swap et pouvoir regarder ce qui s'est passé exactement. Nous avons une forme de description de ces opérations mais ce n'est pas clair, pour l'instant. On ne sait pas très précisément ce qui s'est passé et cela fait donc partie d'un contrôle qui a lieu sur place en ce moment.

La façon de régler ces questions est double. L'Etat membre peut d'abord saisir Eurostat à l'avance en disant envisager ce type d'opération et demander notre point de vue sur la façon de traiter cela en ce qui concerne la procédure de déficit excessif, et nous avons des délais très courts pour apporter des éclaircissements sur la manière d'interpréter le SEC95 ou, en tout cas, sur la règle appliquée en en matière de PDE. Nous pouvons être confrontés à des opérations plus complexes. Les swaps en sont, mais il y a un certain nombre d'autres opérations, comme celles concernant le classement en marchand ou non de certaines activités. - c'est une question essentielle pour ce qui concerne l'établissement du déficit et de la dette publique. - ou lorsque des questions ont un intérêt général, c'est-à-dire qu'elles concernent un grand nombre de pays, et il s'agit alors et en général de la procédure de consultation du CMFB qui permet de les régler. Cette procédure très précise a été mise à jour en février 2007 et consiste en une analyse de la situation. C'est le travail d'une task force, le travail de ce que nous appelons les « groupes de travail » et qui mettent ensemble, en réalité, les comptables financiers et non financiers des Etats membres de façon à préciser les questions sur la base de ce questionnaire précis, à consulter les banques centrales et les instituts nationaux de statistiques, dont l'Insee, de façon à arriver à une opinion consultative, à un conseil que le CMFB donne à Eurostat. Sur la base de ce conseil, Eurostat prend une décision prenant valeur de règle appliquée. Jusqu'ici, l'essentiel de ces décisions était transcrit dans un document que nous appelons le « Manuel sur le déficit et la dette publique ». Nous sommes en train de réviser le système européen de comptes. - le SEC95. - et la plupart, sinon l'intégralité des règles de jurisprudence qui sont dans ce manuel va être maintenant injectée dans le SEC95. Il sera donc assis sur un règlement du Conseil et du Parlement européen.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Je trouve que le langage européen est extrêmement policé. Le cas grec est typique. Manifestement, les autorités grecques ont tout fait pour tricher et dissimuler, et la Commission dans son rapport daté du 8 janvier, dit : « La commission est pleinement résolue à poursuivre sa coopération avec les autorités grecques en vue de soutenir leurs efforts visant à améliorer la collecte et le traitement des statistiques sur les administrations publiques, afin de remédier ainsi aux carences récurrentes et de restaurer la confiance dans les statistiques grecques. » C'est incroyable !

M. Edmond HERVÉ . - C'est le langage diplomatique, habituel et classique. Ces gens-là ne se font pas couper les cheveux, ils se font coiffer.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Ne pensez-vous pas que ceci peut rapidement devenir un élément de faiblesse ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - C'est évidemment un langage diplomatique, mais je pense que la Grèce a reçu un certain nombre d'instructions fortes sur la base de ce rapport. J'ai ici la décision du Conseil du 16 février 2010 qui enjoint la Grèce de prendre un certain nombre de mesures. Les conséquences de ce rapport sont quand même fortes. Sur la base de ces informations, le Conseil européen des chefs d'Etats et de Gouvernement des 25 et 26 mars a aussi pris une décision disant qu'il fallait assurer la qualité, la fiabilité et la fraîcheur des données statistiques fournies par les offices statistiques nationaux et qu'une décision rapide est nécessaire concernant la proposition de la Commission concernant l'accroissement de ses pouvoirs dans ce domaine. Je pense que rapport, en dépit de son langage policé, a eu des conséquences.

Mme Nicole BRICQ. - On a quand même cru comprendre que beaucoup d'Etats ne seraient pas d'accord avec cet accroissement.

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Tout à fait, pour l'instant nous avons reçu les commentaires écrits des Etats membres. Nous avons une première réunion au Conseil le 8 avril pour les examiner et notre calendrier est de pouvoir arriver à quelque chose pour septembre. Le Conseil économique et financier européen a été saisi. Certains Etats membres demandent de préciser les critères substantiels qui entraîneraient le déclenchement.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Les Grecs ont enregistré des recettes fiscales fictives. Ils n'enregistraient pas, ne payaient pas les factures des hôpitaux, et cela restait dans le brouillard. C'est quand même gravissime. « Les dépenses d'équipements militaires des administrations publiques avaient été largement sous-estimées dans les années 1997/2003. Cela était dû au fait que les autorités grecques avaient déclaré disposer d'informations complètes sur la valeur des équipements militaires livrés alors que tel n'était pas le cas en réalité, puisque les informations sur les livraisons étaient confidentielles et que, par conséquent, seule une petite partie des équipements militaires livrés était enregistrée comme dépenses des administrations publiques. » Parce que les dépenses militaires sont évidemment secret défense.

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Il y a bien cet aspect-là, mais ce que nous demandons, en tant que statisticien, ce sont des données agrégées qui nous permettent de faire les comptes et on ne cherche évidemment pas à entrer dans le détail des équipements.

M. Edmond HERVÉ . - Monsieur Gueye est tenu à une certaine obligation de réserve mais s'il s'en libérait, il pourrait vous parler de certains pays méditerranéens et de la Corse...

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Nous avons nous-mêmes des problèmes avec les hôpitaux...

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Sur cette question, je dois quand même dire que les relations avec l'Insee sont très bonnes. Il y a des contacts réguliers, l'Insee est très actif en ce qui concerne les groupes de travail au niveau européen. Le directeur général de l'Insee fait partie du groupe de partenariat qui dirige le système statistique européen et donc, par ce biais-là, l'Insee fait bénéficier l'ensemble du système d'une expertise reconnue au plan international et pas seulement européen.

Maintenant, pour compléter la réponse à cette question du contrôle et du langage policé qui est de mise dans ce type de rapport, il y a un autre volet : le volet coopération et amélioration des statistiques. Dès l'instant où un pays fait partie du club, la Commission combine le contrôle, pour assurer à la fois la transparence et l'équité de traitement entre les Etats membres, parce que si les données sont effectivement utilisées pour des usages administratifs et qu'un pays fournit des données erronées ou sous-estimées, cela a des conséquences pour les autres pays. Il y a donc les intérêts de l'Union européenne mais il faut aussi considérer l'équité des Etats membres. Cela veut dire, en tout cas, que si un pays fait partie du club, nous essayons tous ensemble. - c'est-à-dire, la Commission plus l'ensemble du système statistique européen. - de soutenir ce pays pour qu'il améliore ses données et qu'il applique les règles harmonisées. C'est ce que nous sommes en train de réaliser avec la Grèce en lançant un plan d'action pour les aider à améliorer la situation et à fournir des données plus fiables.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - La Croatie est candidate pour entrer dans l'Union européenne ; Eurostat est-il consulté pour porter une appréciation sur son système d'information statistique ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Tout à fait, cela fait partie des chapitres de négociation. Des pays évoluent jusqu'au statut de pays candidat et deviennent ensuite Etat membre. Nous accompagnons tous ces pays, y compris la Croatie depuis plus de dix ans. Ces pays sont invités à nos réunions, nous recevons une description complète de l'ensemble de leurs procédures statistiques. Ils viennent pour apprendre la façon de travailler mais également pour expliquer à l'ensemble des statisticiens européens leur façon de procéder. Nous sommes donc consultés et devons donner une opinion sur la qualité des statistiques de la Croatie.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Quand la crise financière a été à son paroxysme, au lendemain de la faillite de Lehman Brothers, les différents Etats membres ont pris des initiatives et la France a par exemple créé une société de financement de l'économie française. Cette société a donc emprunté ; est-ce que vous avez été consultés à ce moment-là ? Cela vous semble-t-il maastrichtien comme démarche ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat. - Nous avons eu une discussion autour de la SFEF sur la question de savoir si cet organisme devait faire partie des administrations publiques ou se situer en dehors. Une consultation du CMFB a été menée, et cela fait partie des cas complexes dont je parlais tout à l'heure. Eurostat a pris une décision le 15 juillet 2009 sur cette question après de nombreuses discussions et elle a considéré que la SFEF n'était pas à inclure parmi les administrations publiques.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Quels étaient les arguments forts pour pencher vers cette interprétation ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Je n'ai pas suivi à titre personnel cette question mais je pense que l'idée était que la SFEF apporte sa garantie à un certain nombre d'emprunts et que, au travers de son contrôle. - je ne me souviens plus des pourcentages de détention. -, il y avait un certain nombre d'arguments liés à ce contrôle et à l'activité de la SFEF qui a fait que l'on a estimé qu'elle faisait partie des sociétés financières.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Plus globalement, quelle est la doctrine d'Eurostat sur les engagements hors bilan ? Il y a bien souvent une subtilité qui consiste à faire porter par un tiers une partie de l'endettement et de mettre une petite mention « engagement hors bilan » et personne n'en tient compte. Est-ce qu'il n'y a pas là la nécessité d'avoir un corps de doctrine bien charpenté ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Il y a en effet la nécessité d'avoir un corps de doctrine. En ce qui concerne les garanties accordées, nous sommes en train de réviser le SEC. Au chapitre 20 du nouveau SEC, il y a un certain nombre d'éléments, notamment autour de la probabilité d'appel de ces garanties qui font qu'il sera moins facile à l'avenir de traiter un engagement hors bilan des données qui doivent être bilancielles. Il est sûr que si les engagements hors bilan fournissent une information complémentaire, ce n'est pas alors la même chose d'avoir des montants dans le bilan qu'un engagement hors bilan. Cela n'a pas la même signification.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Bien sûr. Combien de personnes travaillent-elles chez Eurostat ? Combien êtes-vous globalement ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Nous sommes entre huit cents et mille à Luxembourg.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous avez des correspondants dans les Etats membres ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Nous avions un certain nombre de bureaux qui s'occupaient de la diffusion mais ce système a été abandonné. Nous travaillons maintenant essentiellement avec les instituts nationaux de statistiques. Nos correspondants sont les « INS », comme l'Insee en France ou le Destatis en Allemagne.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Comment êtes-vous structurés ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Nous sommes structurés par directions. Je pense qu'il y en a sept et elles regroupent les différentes activités statistiques. Le département des comptes nationaux et européens s'occupe de l'ensemble des statistiques macro-économiques. Une direction s'occupe des entreprises, une autre des statistiques sociales, une autre de l'environnement. Une direction des ressources, horizontale, supporte les différentes unités. Une autre direction s'occupe des questions énergétiques.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous êtes combien sur les comptes publics ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - La question des comptes publics est prise en charge par la direction des comptes nationaux et européens. Nous avons en réalité deux unités, dont l'une s'occupe du contrôle des données de la procédure sur les déficits excessifs où il y a pour l'instant une quinzaine de personnes. Cela fait partie évidemment des pouvoirs accrus que nous demandons : il y a cette idée d'avoir un dialogue plus régulier et des missions plus fréquentes dans les Etats membres.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Vous dites que quinze personnes s'occupent des comptes publics ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Oui, pour la partie PDE des comptes publics.

M . Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - C'est vraiment très faible : huit cents personnes à Luxembourg et quinze pour s'occuper des comptes publics, alors qu'ils sont au coeur du pacte de confiance.

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Il y a donc une quinzaine de personnes sur les statistiques PDE et une dizaine sur les questions de qualité des données d'un gouvernement.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Quelle disproportion incroyable !

Mme Nicole BRICQ. - Cela tient au pouvoir ; ils réorienteront peut-être différemment leurs ressources s'ils ont des pouvoirs accrus.

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - C'est aussi pour cela que nous demandons ces pouvoirs accrus. Si nous sommes amenés à remplir plus de missions et de contrôle, il faudra davantage de personnes pour supporter cet effort.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - C'est une espèce de pacte de gens addicts aux déficits publics et qui ne veulent pas y voir trop clair.

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - La proposition est sur la table et nous attendons les réponses des Etats membres.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Quelle devrait être, selon vous, la bonne dimension ? Quels sont les moyens à mobiliser pour exercer cette autorité ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Nous avons demandé une cinquantaine de personnes, et la proposition est sur la table. Des discussions sont en cours.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Il n'y a pas d'autres directions qui sont peut-être d'un intérêt moindre ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Des redéploiements sont faits mais il faut savoir que le contrôle du déficit demande une combinaison de qualités assez rare.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Je trouve cela confondant. Vous n'avez pas les moyens correspondants à une ambition de faire régner un minimum de transparence et de sincérité dans les informations. On ne peut pas faire un pacte de stabilité, de confiance et de croissance sans qu'il n'y ait des gages de sincérité des comptes publics.

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Nous demandons évidemment ce renforcement mais nous avons également besoin d'un appui, que les Etats membres supportent le nouveau dispositif et qu'ils supportent également le fait que tous les pays jouent le jeu et qu'il y ait un renforcement de la coopération et de la volonté de coopération.

Mme Nicole BRICQ . - On y arrive bien un peu pour les paradis fiscaux.

M. Pierre BERNARD-REYMOND . - Je crois savoir que la dette constituée par le versement à venir des retraites ne fait pas partie des déficits au sens maastrichtien.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Je pense qu'il serait intéressant de publier la synthèse des auditions de ce matin, avec quelques recommandations tendant à asseoir l'autorité et l'indépendance d'Eurostat. Vous êtes d'accord ?

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - D'accord. En réalité, il y a aujourd'hui qu'au niveau des comptes nationaux. - c'est-à-dire au niveau du système de l'ONU et du SEC. -, les dettes, les systèmes de pensions sans constitutions de réserve et les dettes qui y sont liées. - comme le système de retraite de l'Etat. - ne sont pas dans les comptes nationaux. Cela a été accordé dans le cadre de la révision du SNA et également au niveau international, parce que dans certains pays, il est très difficile de séparer la question de la sécurité sociale de celle des pensions de l'Etat. Nous avons donc pour l'instant dressé un tableau supplémentaire donnant malgré tout l'ensemble des dettes.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - C'est ce qu'on appelle du « hors-bilan ».

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat . - Voilà, même à supposer que, au niveau SEC et dans un avenir proche, on ne mette plus ces dettes dans le système, cela ne serait pas pour autant inclus dans la dette maastrichtienne. Ce n'est pas prévu, si la législation reste en l'état.

Sur la question de l'indépendance d'Eurostat, je n'ai évidemment pas d'opinion particulière. Nous accueillons avec beaucoup de joie et de gratitude ce que M. le président a énoncé. Au niveau de l'indépendance, la solution approuvée par le Conseil a été la mise en place de ce conseil consultatif sur la gouvernance des statistiques européennes qui aide un peu et regarde l'application du code de bonne pratique par Eurostat et par les Etats membres.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Je vous remercie, Monsieur Gueye. Je pense que vous avez bien compris que notre volonté est de veiller à ce qu'Eurostat conforte son autorité, son indépendance et soit en quelque sorte garante de la confiance qui doit régner au sein de l'Union européenne. La confiance est là quand on se rend mutuellement des comptes et qu'ils sont sincères. Il y a sans cela le doute et chacun peut être tenté de se livrer à des petites tricheries qui peuvent, à un moment donné, finir par rompre le pacte fondamental.

La commission autorise la publication, sous la forme d'un rapport d'information, des travaux de M. Jean Arthuis, président, sur la prise en compte de la dette et du solde publics dans les comptabilités nationales.


* 1 Rapport n° 277 (2004-2005), 31 mars 2005.

* 2 Après avoir été modifiée de façon substantielle, cette décision a été remplacée par la décision du Conseil du 13 novembre 2006 instituant un comité des statistiques monétaires, financières et de balance des paiements (2006/856/CE).

* 3 Après consultation de la Commission, le Conseil choisit le président du conseil consultatif et le Parlement européen approuve sa désignation. Après consultation de la Commission, le Parlement européen et le Conseil nomment chacun trois membres du conseil consultatif.

* 4 Il était alors désigné sous le nom de « comité consultatif européen de l'information statistique dans les domaines économique et social ».

* 5 Décision instituant le comité consultatif européen de la statistique et abrogeant la décision 91/116/CEE du Conseil.

* 6 Cf. en particulier le règlement n°223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 précité.

* 7 Gallo Gueye a ainsi déclaré, lors de son audition par la commission des finances : « Jusqu'ici, l'essentiel de ces décisions était transcrit dans un document que nous appelons le « Manuel sur le déficit et la dette publique ». Nous sommes en train de réviser le système européen de comptes. - le SEC95. - et la plupart, sinon l'intégralité des règles de jurisprudence qui sont dans ce manuel va être maintenant injectée dans le SEC95. Il sera donc assis sur un règlement du Conseil et du Parlement européen. »

* 8 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil concernant l'indépendance, l'intégrité et la responsabilité des autorités statistiques nationales et communautaire (COM 2005(217) du 25.5.2005).

* 9 Jean-Philippe Cotis a ainsi déclaré, lors de son audition par la commission des finances : « Très honnêtement, les institutions budgétaires et statistiques de l'Union européenne sont en moyenne très satisfaisantes. Il y a une idiosyncrasie grecque, avec une première crise puis une deuxième. Le fond du problème est que les finances publiques et la comptabilité budgétaire n'étaient pas, dans leur ensemble, sincères et elles ne l'étaient pas à l'échelle du gouvernement. » De même, Benoît Coeuré a estimé : « En termes de sincérité, il me semble (...) que la Grèce est un cas vraiment à part. Les rapports d'Eurostat sur ce pays ont bien mis en évidence l'absence d'indépendance de l'institut de statistiques, la manipulation des comptes par le Gouvernement et le fait qu'il y avait un problème de gouvernance majeur en Grèce. (...) C'est un problème spécifiquement grec et, à ma connaissance, je ne crois pas que qu'il y ait eu des problèmes d'insincérité des comptes à la même échelle dans les autres pays européens. Je ne le crois pas. »

* 10 Benoît Coeuré a ainsi déclaré, lors de son audition par la commission des finances : « Je pense qu'il faut différencier l'optimisation comptable et la sincérité. Toute règle entraîne une forme d'optimisation, et pendant toute la période où les règles en matière de titrisation et de partenariat public/privé étaient relativement accommodantes, un certain nombre de pays ont procédé à ces opérations. Mais ils ont arrêté de le faire depuis que les règles ont été durcies. (...) Il y a donc eu de l'optimisation comptable par le passé. Elle n'était pas litigieuse mais elle résultait simplement de l'utilisation des règles existantes. »

* 11 Mark Brown, Alex Chambers, « How Europe's governements have enronized their debts », 1er septembre 2005.

* 12 « Italy has used one-off measures including tax amnesties, sales of future revenue streams, real estate asset sales and the CDP deal to keep its deficit within 3% of GDP in four of the past five years, according to Fitch » (« L'Italie a utilisé des mesures temporaires incluant des amnisties fiscales, des ventes de flux futurs de recettes, des cessions immobilières et l'opération de la [ Cassa Depositif e Prestiti ] pour maintenir son déficit sous les 3 points de PIB quatre des cinq dernières années, selon Fitch »).

* 13 « Universal Mobile Telecommunications System ». Il s'agit d'une des technologies de téléphonie mobile de troisième génération européenne.

* 14 Benoît Coeuré a ainsi déclaré, lors de son audition par la commission des finances : « Je pense à la soulte France Télécom de 1997. La presse nous en fait parfois le reproche comme étant un artifice comptable, mais il fallait changer le statut des personnels de France Télécom. L'important était que cela soit fait dans la transparence comptable et n'affecte pas le jugement porté par les autres pays européens et par la Commission européenne sur notre trajectoire budgétaire et nos engagements en matière de réduction des déficits. Ce n'était pas le cas en 1997 comme aujourd'hui (...) ».

* 15 « Elles étaient à l'époque présentées par le Trésor belge comme une manière d'augmenter le taux de collecte de l'impôt. Le contrôle de la perception était toujours opéré par l'administration d'Etat mais il y avait une incitation financière. Le produit futur de l'impôt avait été cédé sur le marché et une partie du produit avait été utilisée pour créer une incitation financière, une forme d'intéressement de l'administration fiscale au taux de collecte. On pouvait donc considérer que cette technique financière accompagnait une réforme de l'Etat, à savoir l'intéressement de l'administration fiscale à l'amélioration du taux de collecte. Cela pouvait être le cas ou non, mais l'essentiel demeure la neutralité comptable et l'absence de diminution de la dette publique. »

* 16 La première décision d'Eurostat relative aux opérations de titrisation date de 2002.

* 17 Ce qui concerne les opérations comprenant une clause de prix d'achat différé (suggérant que l'acquéreur n'a pas la pleine propriété économique des actifs) ; ou comprenant une clause relative à la possibilité de substitution d'actifs (par exemple si l'on constate a posteriori que les actifs prévus ne peuvent être collectés) ; ou comprenant une clause stipulant une compensation ex ante des administrations publiques (par exemple en cas de déficit de l'acquéreur) ; ou se traduisant ex post (même si cela n'est pas prévu dans le contrat) par une compensation de la part du Gouvernement (cette compensation accroissant en outre le déficit public l'année où la compensation est décidée).

* 18 Selon Benoît Coeuré, « un certain nombre d'opérations réalisées par plusieurs Etats européens en matière de titrisation, leur ayant permis de se procurer des ressources financières sans augmenter leur dette publique, ne seraient aujourd'hui plus possibles. Je pense en particulier à la titrisation de créances dans le domaine de la sécurité sociale ». De même, selon Gallo Gueye, « les décisions prises par Eurostat en ce qui concerne la titrisation ont fait que, depuis 2007, ce type d'opération s'est complètement raréfié, voire évanoui ».

* 19 Avis n° 243 (2007-2008), 26 mars 2008.

* 20 Benoît Coeuré a ainsi déclaré, lors de son audition par la commission des finances : « Eurostat a également durci sa jurisprudence en matière de partenariat public/privé. On en a d'ailleurs eu une illustration ce matin à travers les chiffres publiés par l'Insee sur la dette du quatrième trimestre 2009 puisqu'il a notamment requalifié les partenariats conclus pour la construction de prisons en les réintégrant dans la dette publique. (...) L'Insee n'a fait qu'appliquer les nouvelles règles d'Eurostat datant de 2007. »

* 21 Règlement modifiant le règlement (CE) n° 1466/97 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques.

* 22 Règlement modifiant le règlement (CE) n o 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs.

* 23 « Mon sentiment à ce sujet est que l'article 144 de la loi de modernisation de l'économie a déjà fait faire un grand progrès pour l'indépendance de l'Insee avec la création de l'autorité statistique ».

* 24 Règlement relatif aux statistiques européennes et abrogeant le règlement (CE, Euratom) n° 1101/2008 relatif à la transmission à l'Office statistique des Communautés européennes d'informations statistiques couvertes par le secret, le règlement (CE) n° 322/97 du Conseil relatif à la statistique communautaire et la décision 89/382/CEE, Euratom du Conseil instituant un comité du programme statistique des Communautés européennes.

* 25 Le règlement (CE, Euratom) n°1101/2008, le règlement (CE) n°322/97 et la décision 89/382/CEE, Euratom.

* 26 Selon la Commission européenne, « le point crucial (...) est que les travaux d'Eurostat se bornent aux questions statistiques, le cadre institutionnel ne relevant pas de son champ d'action : " Les visites méthodologiques ne devraient pas aller au-delà du domaine purement statistique " et les interlocuteurs d'Eurostat devraient être " les services responsables de la notification dans le contexte de la procédure concernant les déficits excessifs ", ce qui fournit aux États membres des arguments possibles pour restreindre l'accès aux informations » (« Rapport sur les statistiques du déficit et de la dette publics de la Grèce », COM(2010) 1 final, 8 janvier 2010).

* 27 Ainsi, Paul Champsaur a déclaré, lors de son audition par la commission des finances : « J'ai quitté l'Insee en 2002 et je ne vous surprendrai pas en vous disant que je n'avais pas de très bonnes relations avec mon collègue grec. Je ne savais pas très bien ce qui se passait et je n'avais pas de très bonnes relations avec lui, alors que je n'avais aucune difficulté pour avoir des conversations assez directes avec des collègues d'autres pays. (...) Tout le monde le savait, mais Eurostat n'avait pas les moyens à l'époque. (...) On n'était pas consulté, à l'époque, et on n'avait pas les moyens. L'ambiance n'était pas bonne et satisfaisante. Il y avait des bruits, vaguement, mais je n'arrivais pas à avoir un contact clair avec mon homologue grec. On était sur des planètes différentes, et j'étais donc absolument incapable de substantifier quoi que ce soit. »

* 28 Dans un communiqué du 22 avril 2010, Eurostat indique qu'il « exprime une réserve sur la qualité des données déclarées par la Grèce, en raison des incertitudes sur l'excédent des caisses de sécurité sociale pour 2009, sur le classement de certains organismes publics et sur l'enregistrement des swaps hors taux de marché. Après l'achèvement de l'enquête qu'Eurostat a entreprise sur ces questions en collaboration avec les autorités statistiques grecques, cela pourrait conduire à une révision pour l'année 2009 de l'ordre de 0,3 à 0,5 point de PIB pour le déficit et de 5 à 7 points de PIB pour la dette ».

* 29 Un avis sur le programme de stabilité de la Grèce pour 2010-2013, une recommandation au titre de l'article 126, paragraphe 9, du traité, sur la correction du déficit excessif, une recommandation au titre de l'article 121, paragraphe 4, du traité, sur les réformes structurelles.

* 30 « Considérant que la Grèce a manqué à son devoir de communiquer des statistiques budgétaires fiables, comme on a encore pu le constater en octobre avec une révision significative des données pour 2008, la Commission engage également une procédure d'infraction, invitant le gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte de corriger toutes les lacunes et toutes les faiblesses systémiques identifiées dans le rapport récent de la Commission. La Grèce est invitée à coopérer avec la Commission afin de convenir rapidement d'un plan d'action visant à corriger les faiblesses en matière de statistiques, d'institutions et de gouvernance, notamment par l'adoption, pour le 15 mai au plus tard, d'une législation imposant de publier des rapports mensuels sur l'exécution budgétaire, imposant aux fonds de la sécurité sociale et aux hôpitaux de publier des comptes et renforçant les mécanismes de contrôle et la responsabilité des personnes dans les services responsables des statistiques et de la comptabilité, et afin de recevoir une assistance technique pour l'élaboration de statistiques fiables » (IP/10/116).

* 31 Benoît Coeuré a décrit le mécanisme de la manière suivante : « l'un des éléments très problématiques en Grèce est qu'elle a réalisé des contrats d'échange sur les taux de change, des « swaps » de devises, qui lui ont permis d'engranger une recette de trésorerie immédiate. La Grèce procédait à la couverture de change de ses contrats militaires : c'est la fameuse opération avec Goldman Sachs. (...) La Grèce a couvert en change des contrats militaires achetés en dollars dont elle voulait ramener la charge en euros. En soi, ce n'est pas litigieux et il est même plutôt sain pour un Etat de vouloir neutraliser son exposition aux risques de change, mais la Grèce l'a fait d'une manière assez originale puisque le taux de change auquel l'échange était réalisé n'était pas celui du marché. En échangeant les devises à un taux hors marché, elle a pu engranger une soulte. Mais, c'était économiquement une dette. »

* 32 Gallo Geye a ainsi déclaré, lors de son audition par la commission des finances : « Il y a un certain nombre de sujets comme, par exemple, la question des swaps. Une équipe est actuellement en Grèce pour obtenir les contrats de swap et pouvoir regarder ce qui s'est passé exactement. Nous avons une forme de description de ces opérations mais ce n'est pas clair, pour l'instant. On ne sait pas très précisément ce qui s'est passé et cela fait donc partie d'un contrôle qui a lieu sur place en ce moment ».

* 33 Commission européenne, « Rapport sur les statistiques du déficit et de la dette publics de la Grèce », COM(2010) 1 final, 8 janvier 2010.

* 34 L'important « déploiement d'activité » de la Commission européenne « n'a pas permis de déceler pleinement le degré d'ingérence dans les données PDE grecques ».

* 35 Proposition de règlement (UE) du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 479/2009 en ce qui concerne la qualité des données statistiques dans le contexte de la procédure concernant les déficits excessifs, 15 février 2010 (COM(2010)53 final).

* 36 « Des évolutions récentes ont néanmoins clairement fait apparaître que le cadre de gouvernance actuel pour les statistiques budgétaires n'était pas encore parvenu à réduire, dans la mesure nécessaire, le risque que des données incorrectes ou inexactes soient délibérément notifiées à la Commission ».

* 37 « M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Tout le monde savait que les Grecs trichaient.

M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat. - Je n'utilise pas vraiment cette terminologie. Ce que je dis simplement est que nous avons décrit dans le rapport de la Commission un certain nombre d'éléments factuels qui, pour nous, marquent un manque d'indépendance et l'absence de documentation sur certains chiffres. »

* 38 Sylvain Broyer, Islam Mahamoud, Juan Carlos Rodado, « Quelle rationalité macroéconomique aux CDS souverains ? », « Flash économie » n° 80, 23 février 2010.

* 39 Règlement portant modification du règlement (CE) n° 479/2009 en ce qui concerne la qualité des données statistiques dans le contexte de la procédure concernant les déficits excessifs.

* 40 Le règlement précise que « dans ce contexte, les informations budgétaires et comptables comprennent : - les transactions et bilans, - les enquêtes et questionnaires statistiques pertinents des administrations publiques, ainsi que d'autres informations connexes, telles que des documents analytiques, - les informations provenant d'autres autorités nationales, régionales ou locales pertinentes sur l'exécution du budget de tous les sous-secteurs des administrations publiques, - les comptes d'organismes extrabudgétaires, de sociétés, d'institutions sans but lucratif et d'autres organismes similaires relevant du secteur des administrations publiques dans les comptes nationaux, - les comptes des administrations de sécurité sociale ».

* 41 Les sept directions d'Eurostat sont les suivantes : Direction A - Coopération au sein du Système Statistique Européen ; Ressources ; Direction B - Qualité, méthodologie et systèmes d'information ; Direction C - Comptes nationaux et européens ; Direction D - Coopération extérieure, communication et indicateurs clés ; Direction E - Statistiques régionales et sectorielles ; Direction F - Statistiques sociales et société de l'information ; Direction G - Statistiques des entreprises.

* 42 Philippe Marini, rapport n° 277 (2004-2005), 31 mars 2005.

* 43 Après consultation de la Commission, le Conseil choisit le président du conseil consultatif et le Parlement européen approuve sa désignation. Après consultation de la Commission, le Parlement européen et le Conseil nomment chacun trois membres du conseil consultatif.

* 44 Rapport n° 428 (2009-2010).

* 45 Rapport n° 428 (2009-2010).

* 46 Dans son premier rapport annuel au Parlement européen et au Conseil sur la mise en oeuvre du code de bonnes pratiques, le CCEGS estime que « compte tenu de la nouvelle structure de gouvernance, il conviendrait de revoir le rôle du CMFB ». Il n'est pas explicite sur ce point, se contentant d'écrire : « L'une des tâches du comité est de rendre des avis sur des aspects méthodologiques liés à la procédure concernant les déficits excessifs (PDE). Eurostat prendra une décision après consultation du CMFB sur les cas complexes ou les cas d'intérêt général du point de vue de la Commission ou de l'État membre concerné. Avec la restructuration de la gouvernance globale du SSE au cours des dernières années, l'ESGAB [sigle anglophone du CCEGS] pense que le rôle du CMFB devrait être revu. »

* 47 Rapport n° 428 (2009-2010).

* 48 « M. Jean ARTHUIS, président. - Quelle est l'indépendance d'Eurostat par rapport à la Commission ? M. Benoît COEURÉ. - Je ne pense pas que le problème principal soit celui de l'organisation administrative. L'important est l'indépendance d'Eurostat dans ses décisions et dans sa gouvernance. Ensuite, que les fonctionnaires d'Eurostat soient payés par la Commission ou sur un budget propre ne me paraît à pas être le plus important. Il faut des garanties en matière de gouvernance statistique. (...). Dans le cas français, l'Insee est une direction du ministère des Finances, mais l'autorité de la statistique est une autorité administrative indépendante qui vérifie l'intégrité de ce que fait l'Insee. Cela me paraît être un bon système et on pourrait le transposer au niveau européen. Je ne pense pas que l'on ait nécessairement besoin de faire d'Eurostat une agence. »

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