d) Poursuivre la mobilisation en faveur de l'emploi des seniors

Ne pas utiliser la crise comme prétexte pour écarter les seniors du marché du travail

Il n'est pas acceptable de continuer à voir les travailleurs âgés de plus de cinquante ans subir leur éviction du marché du travail. Au-delà des drames humains qu'elle engendre, cette situation n'est conforme ni aux défis économiques et sociaux auxquels est confronté le pays, ni aux exigences de la cohésion sociale .

La mobilisation pour l'emploi des seniors est en marche depuis plusieurs années. Dans le contexte économique actuel, il est indispensable qu'elle soit confirmée et même amplifiée par les pouvoirs publics. La crise ne doit en effet pas servir d'alibi pour revenir aux mauvaises pratiques d'éviction des seniors dans le but d'ajuster les effectifs des entreprises ou d'éviter les licenciements économiques. Certains syndicats ont plaidé pour des dispositifs de préretraites, sous de nouvelles formes ou appellations. Le recours à de telles pratiques signifierait un retour à la culture de la cessation précoce d'activité, avec laquelle la politique de l'emploi des seniors menée depuis le début de cette décennie s'efforce justement de rompre.

Allonger l'horizon de la vie professionnelle

L'allongement de la durée de la vie active, c'est-à-dire l'augmentation de l'âge effectif de départ à la retraite (actuellement de 61,5 ans), peut passer par le report de l'âge légal de départ à la retraite ou l'allongement de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein, mais aussi par le développement des dispositifs de surcote, qui commencent à produire des effets incitatifs sur les individus proches de la retraite.

Certains économistes 80 ( * ) avancent même l'idée d'une sortie en capital des surcotes. Au lieu de constituer un flux de pensions supplémentaires, versé sur une durée de vie incertaine, les surcotes pourraient prendre la forme d'un capital versé lors de la cessation définitive d'activité. Cette solution aurait le mérite d'être plus visible et plus incitative qu'une majoration marginale du taux de remplacement. En outre, compte tenu de la difficulté à prendre en compte l'hétérogénéité de l'espérance de vie, elle serait plus juste car elle ne pénaliserait pas ceux qui vivent moins longtemps.

Mettre fin aux préretraites déguisées

En France , l'âge de cessation d'activité (58,5 ans) se situe bien avant l'âge de liquidation de la retraite (61,5 ans). Cet écart s'explique par l'importance du nombre de personnes en préretraite ou au chômage à ces âges (près d'un Français sur deux n'est déjà plus en activité avant de prendre sa retraite). Dans ces conditions, un but majeur de l'action publique doit consister à augmenter l'âge de cessation d'activité et à réduire l'écart avec l'âge de liquidation.

Certes, la fin progressive de la dispense de recherche d'emploi a été programmée, les dispositifs de préretraites ont été peu à peu restreints 81 ( * ) , mis en extinction ou non prorogés 82 ( * ) , les préretraites « maison », ont été plus lourdement taxées 83 ( * ) . Mais, comme l'ont indiqué les économistes Antoine d'Autume et Jean-Olivier Hairault lors de leur audition 84 ( * ) , ces mesures demeurent insuffisantes tant que subsisteront des formes déguisées de préretraites . Parmi celles-ci figurent notamment les règles d'indemnisation des chômeurs âgés qui permettent aux entreprises de « pousser vers la sortie » des salariés de plus de cinquante-sept ans sans effet nuisible ni pour elles-mêmes ni pour eux.

En effet, les chômeurs de plus de cinquante-sept ans ont droit à trois années d'indemnisation qui peuvent se prolonger au-delà de soixante ans jusqu'à l'obtention du taux plein.

Ainsi, l'une des raisons du faible taux d'emploi des seniors réside encore dans les conditions très favorables d'indemnisation des préretraites , qui permettent d'atteindre , dans des conditions relativement satisfaisantes, l'âge d'une retraite à taux plein en situation d'inactivité .

Le problème n'est donc pas seulement le non-retour à l'emploi des seniors, mais aussi l'intensité des départs à l'amiable ou négociés provoqués par les dispositifs de préretraites. Alors que tous les pays européens ont mis un terme aux préretraites déguisées, parfois par des mesures impopulaires s'attaquant à un système trop laxiste de mise en invalidité, il semble aujourd'hui temps de s'interroger sur la suppression des filières longues d'indemnisation chômage, qui sont le support effectif des divers dispositifs de préretraite depuis les années soixante-dix.

Eviter que la rupture conventionnelle ne devienne une nouvelle voie de sortie du marché du travail pour les seniors

Créée par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail, la rupture conventionnelle est une procédure qui permet à l'employeur et au salarié de convenir en commun, dans une convention signée par eux, des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie.

Ce nouveau mode de rupture du contrat de travail est en plein essor : pendant l'année 2009, le ministère du travail a relevé plus de 190 000 ruptures conventionnelles. Depuis son entrée en vigueur, le nombre de ruptures conventionnelles validées par les services du ministère du travail 85 ( * ) n'a cessé d'augmenter, atteignant ainsi 20 991 en décembre 2009, soit une hausse de 86,4 % par rapport à décembre 2008.

Lors de son audition 86 ( * ) , Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, a indiqué qu'il n'existe pas de statistiques précises sur l'âge des salariés concernés par une rupture conventionnelle . Néanmoins, il semble que, proportionnellement, les seniors sont nettement plus concernés par les plans de licenciement que par les ruptures conventionnelles.

La Mecss estime indispensable de pouvoir disposer de tels chiffres afin de vérifier que ce nouveau mode de rupture du contrat de travail ne se transforme pas en une nouvelle « trappe à seniors » permettant de sortir ceux-ci du monde du travail sans conséquences financières dommageables pour eux .

Promouvoir une meilleure gestion des ressources humaines en fin de vie active

Les seniors constituent une richesse pour le monde du travail. Dans une économie fondée sur la connaissance, le capital humain occupe une place essentielle qu'il convient de valoriser. En renonçant aux compétences et à l'expérience des seniors, le pays, les entreprises se privent d'un atout décisif. Une gestion des ressources humaines plus attentive au cycle de vie des travailleurs , plus soucieuse de l'évolution des compétences, définissant des profils de carrière et s'appuyant sur une formation au cours de la vie, est donc une condition de la prospérité économique.

Encourager le maintien dans l'emploi des seniors passe par une capacité accrue d'adaptation à de nouvelles tâches, voire à de nouveaux métiers, dans le cadre d'une mobilité interne à l'entreprise, mais également parfois d'une mobilité externe. Une telle démarche suppose :

- de développer les bilans de compétences au cours de la carrière.

- de promouvoir la validation des acquis de l'expérience (VAE) et d'en faciliter l'accès à tous les publics 87 ( * ) ;

- de favoriser la formation des seniors, notamment en entreprise ;

- d'aménager les tâches, les postes et les horaires en fin de vie active.

La loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie a déjà permis des avancées sur ces sujets :

- en instituant un bilan d'étape professionnel obligatoire et en mettant à disposition de tous les actifs un passeport formation (article 12) ;

- en rendant obligatoire un entretien professionnel pour les salariés de quarante-cinq ans dans les entreprises employant au moins cinquante personnes (article 13) ;

- en encourageant les accords de branche relatifs à la validation des acquis de l'expérience (article 21).

Il convient aussi de favoriser, dans un souci de solidarité intergénérationnelle, la transmission aux jeunes du savoir professionnel acquis par les travailleurs seniors, via la mise en place de formules de tutorat et d'accompagnement . Le rapport de Bernard Masingue sur le tutorat senior, remis l'année dernière au secrétaire d'Etat à l'emploi 88 ( * ) , formule trois grandes préconisations en ce sens : amplifier et enrichir les pratiques de tutorat, les valoriser et les organiser, développer un cadre institutionnel adapté.

Récemment, la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 précitée a prévu, qu'à titre expérimental (jusqu'au 31 décembre 2011), une partie des dépenses de tutorat interne des entreprises puisse être imputée sur les fonds de la formation professionnelle (article 33).

* 80 Antoine d'Autume, Jean-Paul Betbèze, Jean-Olivier Hairault, « Les seniors et l'emploi en France », rapport du conseil d'analyse économique (CAE), janvier 2006.

* 81 Cats (cessation anticipée de certains travailleurs salariés), AS-FNE (allocation spéciale du fonds national pour l'emploi) dans le privé ; CPA (cessation progressive d'activité) dans la fonction publique.

* 82 Arpe (allocation de remplacement pour l'emploi) et PRP (préretraite progressive) dans le privé, CFA (congé de fin d'activité) dans le public.

* 83 La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a assujetti les préretraites « maison » à une contribution spécifique, à la charge exclusive des employeurs, dont le produit est affecté au fonds de solidarité vieillesse (FSV).

* 84 Audition d'Antoine d'Autume et Jean-Olivier Hairault, professeurs à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, auteurs du rapport du conseil d'analyse économique sur les seniors et l'emploi en France. Cf. Tome II p. 48.

* 85 La validité de la convention est subordonnée à son homologation par l'autorité administrative compétente, c'est-à-dire le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.

* 86 Audition de Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi. Cf. Tome II p. 187.

* 87 Rapport du groupe de travail sur la validation des acquis de l'expérience, décembre 2008.

* 88 « Seniors tuteurs : comment mieux faire ? », rapport de Bernard Masingue, mars 2009.

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