INTRODUCTION

Le projet de création du conseiller territorial en lieu et place du conseiller général et du conseiller régional, dès que connu, a suscité de multiples questions, des débats passionnés, des prises de positions politiques opposées, des avis d'experts contradictoires, sur fond de brume, tous les éléments du problème n'étant pas encore connus.

Le projet renvoie, en effet, à plusieurs textes :

- le projet de loi relatif à « la réforme des collectivités territoriales » (n° 60), adopté en première lecture au Sénat, posant le principe de la création du conseiller territorial et les objectifs de son mode de désignation : assurer « la représentation des territoires par un scrutin uninominal, l'expression du pluralisme politique et la représentation démographique par un scrutin proportionnel ainsi que la parité. » Article 1 er A (nouveau) ;

- le projet de loi relatif à « l'élection des conseillers territoriaux et (au) renforcement de la démocratie locale » (n° 61) qui détaille le mode de scrutin envisagé par le Gouvernement pour l'élection du conseiller territorial ;

- un futur projet de loi habilitant le Gouvernement à fixer, par voie d'ordonnance, l'effectif des conseils généraux et des conseils régionaux (tableau n° 7 annexé au code électoral). Cette ordonnance devra faire l'objet d'une ratification explicite du Parlement ;

- un futur décret en Conseil d'État redécoupant les cantons actuels, diminuant globalement leur nombre d'environ un tiers et augmentant fortement leur étendue en zone rurale. Ce redécoupage devra respecter les limites des circonscriptions telles que dessinées par la récente loi.

Si chaque texte pose des problèmes spécifiques, si chaque question appelle des réponses particulières, il n'en demeure pas moins que tous et toutes interfèrent. Pour ne prendre qu'un exemple simple, l'effet réel des modes de scrutin dépend largement du nombre de sièges à pourvoir. De même, en deçà d'un certain nombre de sièges, « l'expression du pluralisme politique », quel que soit le mode de scrutin, devient impossible.

L'objet strict de ce rapport est de clarifier les enjeux relativement au mode d'élection du conseiller territorial tel qu'il figure dans le projet de loi n° 61, d'examiner le champ des autres modes de scrutins possibles pour finalement reposer la seule question qui vaille : la réforme représente-t-elle un progrès démocratique et un gage de meilleure gestion des collectivités territoriales ?

Que le Premier ministre ait décidé, fin avril 2010, de consulter officiellement les partis politiques sur le mode d'élection des conseillers territoriaux, après de multiples déclarations d'Alain Marleix indiquant que le Gouvernement restait « ouvert à toute amélioration » (AFP 23 mars 2010), laisse supposer que le projet n'est pas vraiment satisfaisant.

Mais, sauf à se cantonner à des généralités sans grand intérêt, cette réflexion ne pouvait totalement séparer la question du mode de scrutin de celles posées par la création du conseiller territorial.

L'objet de la première partie de celle-ci est donc de rappeler, pour mémoire, les principaux problèmes, tant constitutionnels que pratiques ainsi posés. On parlera de « questions préjudicielles » dans la mesure où des réponses qui leur seront apportées dépendront largement les effets réels des modes de scrutin envisageables pour l'élection du conseiller territorial et le jugement que l'on pourra porter sur eux.

La seconde partie rappelle la fonction des modes de scrutin, leur typologie mais aussi leurs effets potentiels, selon les conditions dans lesquelles ils sont mis en oeuvre. Par exemple, un mode de scrutin majoritaire, dans certaines conditions, pourra permettre l'expression du pluralisme mieux que ne le ferait le scrutin proportionnel dans un autre contexte. Inversement, un mode de scrutin majoritaire ne garantit pas par ses seules vertus et dans toutes les situations, des majorités stables.

La troisième partie dresse la liste des objectifs, des contraintes, qu'idéalement devrait satisfaire le mode d'élection du conseiller territorial, élu représentant un territoire, gérant deux collectivités, conformément aux principes d'une démocratie où existe un contrôle de constitutionnalité.

L'application de cette grille d'analyse au mode de scrutin exposé dans le projet de loi n° 61 pour l'élection du conseiller territorial constitue la quatrième partie du rapport.

La cinquième partie recherchera si d'autres modes d'élection des conseillers territoriaux sont susceptibles d'apporter des réponses, sinon meilleures, du moins alternatives à celle envisagée par le projet de loi initial.

A partir d'un tableau synthétique des potentialités des modes de scrutins étudiés, la conclusion s'efforcera de borner le champ du possible... ou de l'impossible.

Pour finalement conclure à la seule question qui importe : la création du conseiller territorial, quel que soit le mode de scrutin envisagé pour son élection, représente-t-elle un progrès démocratique et un gage de gestion plus efficace des collectivités territoriales ?

I. TROIS QUESTIONS PRÉJUDICIELLES

Une réflexion sur le ou les modes de scrutins acceptables pour l'élection des conseillers territoriaux n'a de sens que si la création du conseiller territorial, lui-même, dans son principe ou dans son application, ne se heurte pas à des obstacles constitutionnels ou pratiques rédhibitoires.

Trois questions se trouvent ainsi posées :

- la question de l'étendue du contrôle du Conseil constitutionnel sur les modes de scrutin. Si la liberté du législateur en la matière est totale, le débat sur la constitutionnalité du mode de scrutin qu'il adoptera perd l'essentiel de son intérêt ;

- la question de la compatibilité du conseiller territorial, administrant région et département, avec l'article 72 de la Constitution interdisant toute tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre ;

- la question de la distribution des conseillers territoriaux entre départements d'une même région, au regard du principe constitutionnel d'égalité devant le suffrage.

A. L'ÉTENDUE DU CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ SUR LES MODES DE SCRUTIN

Traditionnellement le Conseil constitutionnel n'exerce qu'un contrôle restreint sur les modes de scrutins dont la définition relève de la loi simple et qui ne concernent ni les libertés fondamentales, ni des droits substantiels.

Ce à quoi le constitutionnaliste Guy Carcassonne objecte que le Conseil constitutionnel avait considéré la dualité des juridictions judiciaire et administrative comme un principe fondamental des lois de la République, alors qu'à l'évidence il ne s'agit là ni de libertés fondamentales ni de droits substantiels.

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