Rapport d'information n° 647 (2009-2010) de M. Alain ANZIANI , fait au nom de la mission commune d'information sur les conséquences de la tempête Xynthia, déposé le 7 juillet 2010


N° 647

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 juillet 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information (1) sur les conséquences de la tempête Xynthia ,

Par M. Alain ANZIANI,

Sénateur.

Tome II : Auditions

(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Bruno Retailleau , président ; MM. Éric Doligé, Michel Doublet, Ronan Kerdraon, Jean-Claude Merceron, vice-présidents ; Mme Marie-France Beaufils, MM. François Fortassin, Daniel Laurent, secrétaires ; M. Alain Anziani, rapporteur ; M. Claude Belot, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Michel Boutant, Philippe Darniche, Yves Dauge, Charles Gautier, Mme Gisèle Gautier, M. Pierre Jarlier, Mme Fabienne Keller, MM. Gérard Le Cam, Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Paul Raoult, Daniel Soulage, Mmes Catherine Troendle, Dominique Voynet.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

554 (2009-2010)

Mercredi 7 avril 2010 M. Nicolas Camphuis, Directeur du Centre européen de prévention des risques d'inondation

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président -

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Nicolas Camphuis, directeur du Centre européen de prévention des risques d'inondation (CEPRI).

M. Nicolas Camphuis, directeur du CEPRI, a tout d'abord présenté son association créée en décembre 2006 à la suite d'une mission de préfiguration que le Conseil général du Loiret a portée avec l'appui du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'aménagement du territoire dès juillet 2003. Destinée aux autorités locales et aux pouvoirs publics, elle se veut un pôle de compétences scientifiques et techniques sur la prévention du risque d'inondation. Elle regroupe aujourd'hui des collectivités territoriales ainsi que des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), notamment celui de la Loire. Son objet consiste surtout à analyser, à sensibiliser et à formuler des préconisations sur les risques d'inondation. Elle s'intéresse ainsi aux plans de prévention des risques, à la question spécifique des digues, mais aussi au suivi de la législation communautaire. Le cas de la transposition de la directive 2007/60/CE du 23 octobre 2007 relative à l'évaluation et à la gestion des risques d'inondations en est un exemple. La tempête Xynthia a confirmé la faible préparation des collectivités territoriales face au risque certain que constituent les inondations.

Après avoir relevé les différences de prévisibilité selon que le risque d'inondation résulte de la crue d'un fleuve ou d'une submersion marine, M. Bruno Retailleau, président, a souhaité savoir dans quelle mesure ces deux types d'événements sont comparables et si les réponses à leur opposer peuvent être identiques.

M. Nicolas Camphuis a déclaré ne pas faire de distinction entre les inondations causées par les cours d'eaux, les pluies ou les submersions marines, du point de vue de leurs conséquences. Il a cependant indiqué que les écarts sur le plan de leurs origines justifient que les systèmes d'alertes et de prévision soient différents.

M. Bruno Retailleau, président, a estimé que chacun de ces risques ne peut être modélisé de la même manière et qu'il s'agit donc d'une différence fondamentale. Il lui est apparu que les inondations faisant suite à des précipitations peuvent ainsi être plus facilement anticipées que les cas de submersion.

M. Nicolas Camphuis est convenu de cette spécificité qu'il a toutefois relativisée. En effet, il reste très difficile de prévoir avec précision les crues des fleuves à plus ou moins 50 centimètres près dans un délai de moins de 48 heures, en particulier aux confluents des grands fleuves. L'existence d'outils de suivi régulier ne permet pas d'éviter cette difficulté, qui conduit à des approximations importantes. Or le dépassement des digues peut se jouer à une dizaine de centimètres près alors que les systèmes de prévisions conservent des marges d'erreur de l'ordre de 30 à 50 centimètres. De plus, les alertes ne suffisent pas à prévenir les crises. Ainsi, la tempête Xynthia a suscité une alerte rouge 12 heures avant la catastrophe sans que cela n'ait conduit à des mesures suffisantes. Les difficultés et les drames engendrés par la tempête résultent surtout de l'absence de décision d'évacuation des populations, alors que le scénario de rupture des digues aurait pu être anticipé. Inversement, lors du passage du cyclone Katrina à la Nouvelle-Orléans en 2005 environ 50 000 personnes ont été évacuées avant les inondations parce que le scénario de surverse des digues a été envisagé.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'opportunité de déclencher des évacuations à chaque alerte rouge.

M. Nicolas Camphuis a attiré l'attention de la mission d'information sur les travaux de M. Patrick Lagadec dont le rapport sur l'examen des enquêtes sur le cyclone Katrina cherche à en tirer des conséquences pour les systèmes d'alerte face aux risques d'inondations. Il a ensuite déploré l'insuffisante culture d'évacuation en France métropolitaine et souligné son existence outre-mer, en raison notamment du passage de cyclones. En outre, il a précisé que la législation oblige les propriétaires de digues à connaître et à entretenir leurs biens. Ils doivent en particulier être en mesure d'indiquer aux maires et aux préfets l'état de leurs digues et l'existence, le cas échéant, d'un risque de rupture.

M. Bruno Retailleau, président, a relevé le caractère théorique d'une telle obligation puisqu'il semble impossible pour tout propriétaire de digues de savoir comment se comporterait sa digue en cas de survenance d'un événement climatique. Il a donc jugé nécessaire de mieux accompagner les propriétaires, à travers les plans de sauvegarde notamment.

M. Nicolas Camphuis a rejeté le caractère théorique d'une telle démarche. La réglementation procède au contraire d'un important travail de concertation de deux ans entre le Gouvernement, les élus locaux et le CEPRI. Il a rappelé l'exemple du risque incendie, qui a également fait l'objet de réserves similaires pendant un temps assez long : les établissements recevant du public (ERP) n'étaient pas initialement perçus comme étant capables de se mettre au niveau des exigences légales. Et il conviendrait de connaître une évolution similaire dans l'attitude à l'égard du risque inondation, surtout que le risque de mort par incendie serait cent fois moins important que le risque de mort par inondation.

M. Bruno Retailleau, président, est convenu du fait que le régime particulièrement exigeant en matière de prévention des incendies, est aujourd'hui connu et généralement accepté.

M. Alain Anziani, rapporteur, a considéré que la comparaison entre Xynthia et Katrina était excessive. De même, il s'est étonné de l'assimilation entre les dégâts causés par submersion et ceux résultant d'une simple inondation fluviale puisque la violence mécanique est sensiblement supérieure dans les cas de submersion: des causes différentes ne sauraient donc conduire au même traitement. Enfin, il s'est interrogé sur les dispositifs existants en matière d'évacuation et d'information des populations et s'ils peuvent être améliorés, de manière à clarifier la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales dans des contextes d'urgence.

M. Nicolas Camphuis a redit qu'il existait une similarité entre les inondations fluviales et maritimes. Si le choc mécanique des vagues constitue un facteur aggravant, il ne représente pas pour autant une différence significative, surtout qu'un cours d'eau peut être tout aussi violent que la mer, à l'instar des coulées de boue ou des laves torrentielles. Il a enfin précisé que le niveau de la submersion n'emportait que peu de conséquences : le fait qu'elle soit de 50 centimètres ou de 2,50 mètres n'entraînerait pas de variations majeures sur l'ampleur des dommages.

M. Bruno Retailleau, président, a souligné que l'absence de différences selon le niveau de la submersion est avérée pour ce qui concerne les dommages aux biens, en revanche, comme en témoigne le nombre de décès dans le cas de la tempête Xynthia, l'impact sur les personnes n'est pas comparable.

M. Nicolas Camphuis est convenu de cette distinction et précisé que sa remarque ne visait que les dommages aux biens. Il a ensuite indiqué les difficultés rencontrées par les populations à se représenter les risques d'une inondation. La maison représente en effet le lieu où l'individu se sent par essence en sécurité. Un effort particulier et un accompagnement psychologique sont donc nécessaires pour réussir à sensibiliser les populations concernées. Il a invité à l'adoption de plans communaux de sauvegarde et à une meilleure explication des procédures en décrivant avec pédagogie les risques existants. Les deux expériences de graves inondations connues par la Grande-Bretagne en 2000 et 2007 ont ainsi conduit à des politiques de prévention particulièrement performantes. Les campagnes de communication sur les inondations réalisées chaque année s'élèvent ainsi à plus d'un million de livres sterling.

M. Nicolas Camphuis est ensuite revenu sur la répartition des compétences entre le préfet et le maire en rappelant les clarifications apportées par la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile : le maire est en charge de la sauvegarde tandis que le préfet est responsable des secours. Il a également reconnu la responsabilité d'autres acteurs, au-delà du secours aux personnes : ainsi, les infrastructures, de transport, d'énergie ou, encore, de télécommunications, doivent également bénéficier de plans de crise et de solutions de continuité. Enfin, il a relevé le caractère intercommunal de la lutte contre les inondations : le fait que le cadre de la commune soit souvent dépassé montre que les systèmes de plans communaux sont insuffisants. Dès lors, il convient d'envisager des coordinations intercommunales des plans de sauvegarde. Elles pourraient permettre d'éviter les difficultés en matière d'abris pour les sinistrés (utilisation des mêmes gymnases), de disponibilité de groupes électrogènes ou de motos-pompes.

M. Bruno Retailleau a relativisé la pertinence de cette préconisation : ainsi il n'existe que 14 plans de sauvegarde pour l'ensemble du département de Vendée.

M. Jean-Claude Merceron a réfuté l'assimilation entre les dégâts par inondation fluviale et par inondation marine dans la mesure où l'eau salée ne conduit pas aux mêmes dégâts que l'eau douce.

M. Nicolas Camphuis a reconnu le caractère agressif du sel contenu dans l'eau de mer mais a indiqué qu'une inondation supérieure à 12 heures engendre des dégâts comparables quel que soit le type d'eau.

M. Philippe Darniche a souhaité avoir des précisions sur les plans d'évacuation et sur les dispositifs d'alerte des populations mis en oeuvre à l'étranger.

M. Nicolas Camphuis a indiqué que, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, les habitants peuvent s'abonner à un système d'alerte par téléphone.

M. Bruno Retailleau, président, a relevé l'utilisation à la Nouvelle-Orléans, avant le passage de Katrina, de haut-parleurs installés sur des véhicules et alertant les habitants des zones concernées.

Mme Gisèle Gautier a déploré que les digues ne constituent pas une protection efficace contre le risque d'inondation alors que les collectivités locales ont investi des moyens considérables sur ce type d'ouvrage. Elle a souhaité savoir si d'autres instruments sont plus adaptés.

M. Alain Anziani s'est interrogé sur les apports escomptés du plan exceptionnel de reconstruction et de renforcement des digues annoncé par M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.

M. Nicolas Camphuis a précisé que toute digue est susceptible de connaître un événement climatique de nature à la faire dépasser par l'eau. Il n'existe donc aucun outil en mesure de garantir une sécurité totale. Toutefois, les digues utilisées aux Pays-Bas, depuis la catastrophe de février 1953, ont été renforcées et rehaussées au point d'apporter une sécurité plus significative.

M. Bruno Retailleau, président, a indiqué que la mission se rendrait aux Pays-Bas et a relevé que le plan « digues » annoncé par le Gouvernement ne prévoit pas de rehaussement.

M. Nicolas Camphuis a souligné que les renforcements permettent d'accroître la capacité de résistance des digues, ce qui conduit à une plus grande sécurité, même sans rehaussement du niveau de la digue. Il a observé que la Commission européenne et les Nations-Unies dans leurs guides de bonne pratique sur les inondations préconisent de ne pas construire dans les zones inondables. Le Gouvernement néerlandais déclare ainsi ne construire dans ces zones que parce qu'il y est contraint, ce qui n'est pas le cas en France. A moyen et long termes, la hausse du niveau de la mer et l'affaissement des sols devraient conduire à réfléchir avec une prudence encore plus grande à la question de la construction en zone inondable.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur les modalités du phénomène d'affaissement des sols.

M. Nicolas Camphuis a précisé que les polders, anciens marais souvent tourbeux, se tassent naturellement sous l'effet de l'assèchement. Il s'agirait ainsi d'environ 30 centimètres perdus aux Pays-Bas, comme le montre le rapport de la commission Delta 2 présidée par M. Cees Veerman. Il convient d'observer que, en Grande-Bretagne, la régulation de la construction en zone inondable passe directement par les assurances privées : en l'absence de régime public d'indemnisation des catastrophes naturelles, le coût des polices se veut dissuasif afin de décourager de telles constructions. Cette culture du rapport coûts/avantages pourrait avantageusement être développée en France.

Evoquant le cas d'une évacuation de 10 000 habitants en moins de 4 heures, M. Charles Gautier a estimé que les outils d'information mobilisables doivent être de nature diverse : radios locales, passages de véhicules avec haut-parleurs, alertes téléphoniques etc.

M. Éric Doligé a estimé que les difficultés et les préconisations sont connues des pouvoirs publics mais restent à traduire en actes. Ainsi, le risque d'inondation demeure particulièrement sous-estimé. Il a regretté que les collectivités territoriales financent les commissions de sécurité et que l'Etat soit, comme souvent, seul à exercer sa tutelle.

M. Yves Dauge a souligné la plus grande facilité à anticiper les crues lentes et leurs effets. Il est convenu de l'existence d'outils pour faire face aux inondations à l'instar de la loi sur l'eau qui a obligé à faire figurer sur les actes de vente et de location l'existence de risques éventuels d'inondation, bien que cette disposition reste toutefois difficile à appliquer. Il a souhaité le développement d'exercices dans le cadre de la prévention des risques, alors que la participation des habitants et des élus locaux reste notoirement insuffisante. Il a à son tour déploré que l'Etat reste l'acteur quasi unique des plans de prévention.

M. Alain Anziani, rapporteur, a relevé l'existence d'outils juridiques satisfaisants, à l'image des plans de prévention, de la loi sur l'eau, ou encore de la directive sur l'évaluation et la gestion des risques d'inondation. Il a souhaité savoir si cette dernière apporterait une contribution réelle à la prévention des risques.

M. Nicolas Camphuis a estimé que cette directive constitue une chance pour la France dans la mesure où elle encouragera les dispositifs de prévention. L'inondation, fluviale, maritime ou pluviale, y est pleinement reconnue comme un risque. Elle prend en compte les effets des risques sur la compétitivité économique. Enfin, elle conduira à une évaluation préliminaire des risques dans les zones inondables. Le rapport sur les politiques de prévention des inondations remis par M. Yves Dauge au Premier ministre en 1999 exigeait d'ailleurs déjà une telle évaluation.

En conclusion et en réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. Nicolas Camphuis a exprimé trois propositions :

- la France doit s'inspirer de l'expérience de la gestion des inondations aux Pays-Bas. Depuis le grave accident de 1953, ce pays s'est en effet doté d'une stratégie nationale ambitieuse de prévention du risque inondation ;

- les PPR ne représentent pas un outil suffisant. Les schémas de cohérence territoriale (SCOT) pourraient mieux répondre aux attentes des élus locaux, en dépit de la question de la pression foncière ;

- les digues doivent faire l'objet d'un pilotage plus exigeant alors que deux difficultés sont mises en évidence : d'une part, la multiplication des propriétaires privés plaide pour la création d'un établissement public national assurant la gestion des digues ; d'autre part, la dilution des responsabilités complique les modes de financements et retarde les travaux.

M. François Jacq, Président directeur général de Météo France

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La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de MM. François Jacq, président directeur général de Météo France, et Alain Ratier, directeur général adjoint.

M. François Jacq a indiqué que la tempête Xynthia, d'une durée de retour de cinq à dix ans et de nature non explosive, n'était pas exceptionnelle, comparée aux cyclones Lothar et Martin ou bien à la tempête Klaus. En revanche, sa trajectoire, partant du large des côtes du Maroc pour remonter vers le Sud-Ouest, puis vers le Nord-Ouest de l'Europe, était relativement rare, tout comme la conjonction d'une élévation du niveau général de la mer et du déferlement de vagues puissantes. Si la surcote d'un mètre, soit la différence entre la hauteur de l'eau observée et celle prévue, n'avait rien non plus d'exceptionnel, en-dehors de La Rochelle, où elle atteignait huit mètres, elle était cependant suffisante pour provoquer de graves dégâts dans les zones les plus exposées.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. François Jacq a jugé impossible de déterminer si la fréquence des tempêtes s'accroissait. Rapportant que Xynthia avait été anticipée par ses services dès le 26 février, et le communiqué d'alerte national prédisant une surcote d'un mètre envoyé le 27, il a fait observer que le dispositif de vigilance n'incluait pas la submersion marine et qu'il n'existait pas de croisement entre les prévisions météo et les éléments de vulnérabilité locale. L'avis de fortes vagues a été diffusé dès le matin du 27 février vers les instances de sécurité civile, et le passage a l'état d'alerte rouge opéré dans l'après midi, les avertissements ayant été donnés selon le niveau le plus élevé de l'état de l'art actuel en météorologie, a-t-il estimé.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur la procédure de vigilance « vagues submersion » annoncée par le Président de la République, M. François Jacq a indiqué que sa mise en oeuvre serait sans doute longue et qu'il faudrait veiller, en tout état de cause, à ne pas banaliser la procédure d'alerte, sous peine d'affecter sa crédibilité, ainsi qu'à adapter les messages à chaque zone spécifique, l'échelle efficiente étant selon lui infra départementale.

M. Bruno Retailleau, président, ayant fait remarquer que le système de vigilance et d'alerte n'intégrait pas le risque de submersion marine, M. François Jacq a rappelé qu'il était en effet basé sur le risque de tempête, plus facile à appréhender, et qu'il faudrait prendre en compte les spécificités propres au littoral.

M. Alain Anziani, rapporteur, l'ayant interrogé sur la coordination des outils existants en matière de prévision météorologique, M. François Jacq est convenu qu'il en existait une pluralité et qu'ils n'étaient pas intégrés. Ainsi, le modèle de prévision atmosphérique constitue une base de départ, dont les données sont ensuite injectées dans un modèle océanographique.

Répondant à nouveau à M. Alain Anziani, rapporteur, M. François Jacq a indiqué que la conjonction des phénomènes observée dans le cas de la tempête Xynthia avait incité Météo France à modifier sa démarche d'alerte classique.

A M. Bruno Retailleau, président, qui lui demandait ce qui serait advenu si un modèle anti- submersion marine avait existé, M. François Jacq a répondu que, dans la mesure où des seuils d'exposition et de vulnérabilité auraient été définis au niveau départemental, il aurait été possible de lancer des messages d'alerte suffisamment tôt pour éviter les dommages les plus graves.

A Mme Gisèle Gautier, qui l'interrogeait sur la variabilité du niveau de vigilance selon les côtes, M. François Jacq a répondu qu'il était identique, et n'intégrait donc jamais le risque de submersion, mais simplement l'alerte « grandes vagues ». Il a précisé qu'en l'absence de marées en Méditerranée, la conjonction des phénomènes observée sur la côte atlantique ne pourrait s'y produire, et qu'il faudrait y mener un travail de définition des seuils de submersion différent.

Rapportant que les élus avaient été informés de l'occurrence de vents forts ne laissant en rien présager d'aussi sérieux dégâts, M. Philippe Darniche a souhaité connaître la façon dont les messages d'alerte avaient été diffusés dans les médias.

M. François Jacq a indiqué que la tempête avait été traitée par Météo France dans le cadre du dispositif de vigilance associant des couleurs aux degrés de risque, lequel ne fait toutefois pas apparaître les prévisions de fortes vagues.

A M. Bruno Retailleau, président, qui l'interrogeait sur les procédures de diffusion des messages d'alerte, M. François Jacq a répondu que les informations étaient mises à disposition de l'Etat et des institutions en charge de la sécurité civile, lesquelles avertissaient à leur tour les élus locaux. En parallèle, les sites Internet comportent des cartes de vigilance et des conseils.

M. Michel Doublet ayant fait observer qu'une certaine banalisation des alertes provenait, dans certains cas, de leur manque de pertinence, M. François Jacq a fait valoir que la proportion de fausses alertes s'élevait à 17 %, conforme à la moyenne européenne.

M. Alain Anziani, rapporteur, s'étant enquis d'une comparaison avec les systèmes de prévision d'autres Etats membres et de l'intérêt pour les collectivités territoriales d'avoir un agrément auprès de Météo France, M. François Jacq a répondu, sur le premier point, que le phénomène Xynthia, qui a surtout touché la France, n'était pas le plus adéquat pour réaliser des comparaisons à l'échelle européenne. A une plus vaste échelle, l'Organisation météorologique mondiale (OMM) situe le dispositif français parmi les meilleurs au monde. Des coopérations sont par ailleurs développées avec d'autres pays européens, dont il n'est pas établi qu'ils aient des pratiques fondamentalement différentes ou meilleures.

M. Alain Ratier, directeur général adjoint de Météo France, a indiqué que les communes agréées possédaient des systèmes de prévision et de gestion des crues intégré dans des schémas directeurs, toutefois orientés sur les rivières et les cours d'eau.

Enfin, répondant à M. Bruno Retailleau, président, qui l'interrogeait sur l'expérience à retirer de la tempête Xynthia en matière de prévision et d'alerte, M. François Jacq a insisté sur la nécessité de renforcer la pédagogie à l'égard des différents publics.

M. Jean-Louis Borloo, Ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat

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Puis, la mission a entendu M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.

Ayant rendu hommage aux familles de victimes et aux services de secours qui sont intervenus dans les départements sinistrés, M. Bruno Retailleau, président, a estimé nécessaire de tirer les conséquences de la tempête Xynthia, qui résulte non seulement de la conjonction extraordinaire d'événements climatiques violents, mais aussi de carences et de négligences. Il a tout d'abord interrogé le ministre d'Etat sur la cartographie des « zones noires », ou « zones mortelles », dévoilée ce même jour par les préfets aux conseils municipaux concernés dans des réunions à huis clos, et dès le lendemain aux habitants dans des réunions publiques.

Soulignant la violence du traumatisme subi par les populations, M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat a indiqué que l'organisation de réunions sur la cartographie des « zones noires » à peine cinq semaines après la tempête Xynthia permettrait aux habitants d'être informés rapidement sur l'avenir de leur patrimoine ; il a en outre noté que, bien qu'elle ait été élaborée par des experts indépendants, une telle cartographie était par nature difficile à établir et contestable. Il a précisé que trois types de zones seraient instituées :

- les « zones blanches », ne présentant pas de risque particulier ;

- les « zones jaunes », qui seraient habitables à condition que des travaux de confortation et de sécurisation des bâtiments y soient réalisés ;

- les « zones noires », inhabitables en raison d'un niveau de risque trop élevé.

Ayant fait valoir que cette cartographie ne serait pas imposée, mais qu'elle ferait tout au contraire l'objet d'un débat entre les conseillers municipaux et les préfets au cours de la journée, il a estimé qu'elle ne devrait pas poser de difficulté en Vendée où les habitations concernées étaient essentiellement des résidences secondaires. Il a précisé que, dans quatre des seize communes de Charente-Maritime où des « zones noires » devaient être instituées, des débats complémentaires seraient organisés entre les maires et la préfecture. Il a indiqué que, en l'état actuel de la cartographie, environ 1 200 bâtiments (résidences ou locaux d'activité) seraient placés en « zone noire » et devraient donc être détruits ; dans ce cadre, il a souligné que les biens en cause seraient indemnisés à l'amiable, à leur valeur antérieure à la tempête (c'est-à-dire sans incidence du risque connu) et que cette valeur serait évaluée par le service des Domaines. Ayant estimé que cette opération coûterait entre 300 et 400 millions d'euros -ce montant reposant sur les estimations des services gouvernementaux et étant susceptible d'être révisé pour garantir une indemnisation totale des sinistrés-, il a précisé que l'État interviendrait, le cas échéant, pour financer la différence entre le montant réglé par les assurances et la valeur évaluée par le service des Domaines. Il a annoncé que le Parlement serait sollicité, dans le cadre de l'examen du projet de loi portant engagement national pour l'environnement (dit « Grenelle 2 »), pour modifier la législation régissant le fonds « Barnier », notamment afin de supprimer le plafond de 60 000 euros et, si nécessaire, d'assouplir les conditions d'indemnisation au titre de ce fonds. Il a considéré que le traitement amiable de l'indemnisation des sinistrés pourrait être effectif d'ici à l'été 2010 et, au plus tard, avant la fin de l'année.

Par ailleurs, constatant qu'il serait indispensable de recourir à un outil de portage intermédiaire pour gérer les terrains en « zone noire », il a envisagé que le Conservatoire du littoral intervienne sur les parcelles ayant vocation à retourner à l'état naturel, ou qu'un établissement public foncier ad hoc soit créé. En tout état de cause, il a jugé que les collectivités territoriales devraient être associées à ces mesures et assurer un portage local de la reconversion des sites rendus inhabitables.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, qui a fait valoir que la définition de critères objectifs et transparents faciliterait l'acceptation du zonage par la population, M. Jean-Louis Borloo, ministre d'Etat, a indiqué que 12 « zones noires » (couvrant 600 habitations) seraient créées en Charente-Maritime, et 4 en Vendée (couvrant 800 habitations, dont 80 % environ de résidences secondaires). Il a également précisé que le classement en « zone noire » répondrait à trois critères :

- la hauteur d'eau constatée (celle-ci devant être supérieure à un mètre pour justifier un classement en « zone mortelle ») ;

- la vitesse et la force de la vague ;

- la capacité de protection des populations résidant dans la zone.

En outre, deux critères complémentaires seraient pris en compte :

- les conditions d'évacuation ;

- la nécessité d'éviter le mitage urbain.

A cet égard, M. Michel Doublet a indiqué que, dans le sud de la Charente-Maritime, certaines parcelles avaient subi une submersion marine d'une hauteur d'environ 1,80 mètre, mais qu'elles n'avaient pas été classées en « zone noire », ce que les maires des communes concernées déploraient ; il a donc souhaité que les préfectures tiennent compte de ces cas particuliers et soient attentives aux demandes des élus.

Ayant rappelé que les maires estimant que certaines zones étaient trop risquées pour être habitées pouvaient prendre des arrêtés de péril sur les bâtiments qui y étaient situés et, en conséquence, rendre ces zones inhabitables, M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, a rappelé que la cartographie des « zones mortelles » n'était pas figée et pouvait faire l'objet d'une concertation entre les préfectures et les élus locaux.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur la manière dont il serait procédé aux expropriations des propriétaires d'habitations situées en « zone noire » qui refuseraient l'offre d'indemnisation à l'amiable de l'État, M. Jean-Louis Borloo a déclaré que, pour faire face à ces situations, le Gouvernement pourrait proposer d'adapter le cadre législatif par voie d'amendements au projet de loi « Grenelle 2 ».

M. Bruno Retailleau, président, a ensuite demandé si l'État verserait un acompte aux sinistrés afin de leur permettre d'acquérir un bien ou un terrain avant la fin du processus indemnitaire.

En réponse, M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, a indiqué que l'État interviendrait en complément des assurances privées. Il a fait valoir qu'il n'était pas possible de définir le montant de l'indemnisation que l'Etat attribuerait à chaque sinistré, et donc de verser une avance, avant de connaître le montant des indemnités allouées par les compagnies d'assurance, d'autant plus que ce montant dépendra du type de contrat souscrit et devra donc être apprécié au cas par cas. Il a toutefois estimé que ce principe pourrait être remis en cause dans certains cas particuliers -par exemple, en cas de divorce ou d'indivision. Il a estimé que globalement les compagnies d'assurance cherchaient à traiter au mieux les dossiers des sinistrés et que, face à l'ampleur du drame et de l'élan de solidarité nationale qui l'a suivi, elles ne pouvaient pas chercher à optimiser leur position dans les contrats individuels. Enfin, ayant considéré qu'un effort de la caisse de réassurance serait indispensable pour permettre au fonds « Barnier » de couvrir les dépenses d'indemnisation consenties par l'État et que, si tel n'était pas le cas, l'État devrait intervenir via le budget général, il a indiqué que l'indemnisation ne soulevait pas de problèmes financiers réels, contrairement au plan de renforcement des digues, qui correspondait à des montants beaucoup plus important et dont les modalités de financement étaient encore incertaines.

Répondant à une question de M. Alain Anziani, rapporteur, sur le rôle du « Monsieur Assurances » nommé le 5 mars 2010, M. Jean-Louis Borloo a expliqué que celui-ci avait un rôle de médiation entre les experts des assurances et les sinistrés ; il a ajouté que, à ce stade de ses travaux, ce médiateur n'avait pas identifié de difficultés particulières. Il a souligné que la fédération française des sociétés d'assurance s'était montrée réactive face à la catastrophe.

Interrogé par M. Michel Doublet sur la prise en compte du prix du terrain dans l'indemnisation des sinistrés, M. Jean-Louis Borloo a indiqué que l'État tiendrait compte de cet élément. En réponse à une remarque de M. Jean-Claude Merceron, il a également déclaré que l'État prendrait en charge, avec les collectivités territoriales, les coûts de remise en état des terrains devenus inhabitables.

Mme Gisèle Gautier a alors souligné que le cas des agriculteurs, dont les terres sont devenues incultivables pendant au moins trois ans à la suite de la submersion, devrait être traité avec une attention particulière.

Répondant à M. Philippe Darniche, qui s'interrogeait sur la prise en compte du préjudice moral, M. Jean-Louis Borloo a salué la constitution d'associations de victimes, celles-ci permettant aux sinistrés de faire mieux face à leur angoisse et aux problèmes matériels qu'ils rencontrent. Il a rappelé que le Gouvernement, en décidant d'indemniser le patrimoine des victimes à sa valeur d'avant la tempête et de procéder rapidement à cette indemnisation, avait voulu rassurer les populations touchées par ce drame.

Ayant rappelé que l'État était le garant de la prévention des risques naturels et ayant, en conséquence, marqué son accord avec la mise en place de « zones noires » inhabitables et inconstructibles, M. Bruno Retailleau, président, a souhaité savoir si ce dispositif serait étendu à d'autres parties du territoire national.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, a alors exposé qu'une cartographie des zones à risque mortel serait désormais établie systématiquement ; ainsi, il a annoncé qu'une cartographie nationale était en cours d'élaboration et qu'elle serait rendue publique dans un délai de 8 à 12 semaines.

En réponse aux interrogations de M. Bruno Retailleau, président, sur les conclusions du pré-rapport de la mission d'inspection instituée par le Président de la République le 1er mars dernier, M. Jean-Louis Borloo a déclaré que la conjonction exceptionnelle de phénomènes climatiques, plutôt que la faiblesse des digues, était la principale cause explicative du grand nombre de morts. À ce titre, il a indiqué que les digues, construites lorsque les territoires qu'elles abritaient n'étaient pas urbanisés, n'avaient pas été conçues pour protéger les populations ; dans cette optique, il a estimé que le plan « Digues » ne devait pas être l'occasion de renforcer des digues pour urbaniser des territoires exposés aux risques, mais devait permettre de rendre lesdits territoires à leur fonction initiale.

Au sujet du plan de renforcement des digues, sur lequel il était interrogé par M. Bruno Retailleau, président, qui a fait valoir qu'en dessous d'un seuil de 50 % de participation de l'Etat, les collectivités territoriales ne pourraient pas assumer le financement des travaux nécessaires, M. Jean-Louis Borloo, ministre d'Etat, a indiqué que la participation de l'Etat à hauteur de 40 % était acquise et que s'y ajouteraient à hauteur de 10 % des financements assurés par le FEDER. Les collectivités territoriales pourraient donc compter sur la prise en charge de la moitié du financement.

M. Michel Doublet lui a alors objecté que, en Charente-Maritime, les coûts afférents à la consolidation des digues étaient estimés à 200 millions d'euros et que 90 % de ces digues appartenaient au domaine de l'État ; au vu de l'état des finances du département, il a affirmé que le conseil général ne pourrait pas financer 50 % du plan « Digues ».

Ayant indiqué qu'en Vendée, les coûts de rénovation des digues étaient évalués à 100 millions d'euros, M. Bruno Retailleau, président, a observé qu'après la tempête de 1999, la région et le département avaient financé les travaux de reconstruction pour que les « petits » maîtres d'ouvrages (qui étaient, le plus souvent, des syndicats de communes) n'atteignent pas un taux de financement supérieur à 20 % ; dès lors, il a estimé nécessaire une solidarité à la fois européenne, nationale, régionale et départementale pour assurer le financement du plan « Digues ».

Soulignant que le problème de la propriété et de la gestion des digues était marqué par l'extrême diversité des situations observées sur le terrain, M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, a précisé que l'État et les collectivités territoriales débattraient, au cas par cas, des solutions les plus efficaces pour assister les propriétaires privés ou publics n'ayant pas les moyens d'assurer l'entretien de leurs digues, et que le taux de financement assumé par chacune des parties prenantes dépendrait de leurs capacités contributives respectives. Il a estimé que ce problème était particulièrement complexe et qu'il était impossible de l'appréhender totalement dans un laps de temps de cinq semaines, mais que des solutions pourraient être trouvées en s'inspirant de la stratégie générale impulsée par le Grenelle de la mer.

Faisant état des déclarations des experts entendus par la mission, Mme Gisèle Gautier a questionné le ministre d'Etat afin de savoir si les zones où les digues devraient être rehaussées étaient déjà définies, et afin de connaître les mesures que le Gouvernement comptait prendre pour lutter contre les habitations illégalement implantées sur des zones inconstructibles.

Ayant rappelé que le législateur avait, en 2009, doublé le montant du fonds « Barnier » afin d'accélérer la mise en place des cartographies des zones à risque et des plans de prévention des risques, M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, a affirmé que les zones de rehaussement des digues seraient connues au début du mois de mai 2010 et que, en matière de lutte contre les habitations illégales, des recours devant le juge administratif pouvaient être formés. Par ailleurs, il a jugé que les procédures d'adoption des plans de prévention des risques (PPR) étaient trop lourdes, ce qui retardait leur mise en place, et qu'une modification de la législation était nécessaire sur ce point. Il a annoncé que le Gouvernement proposerait au Parlement, dans le cadre du projet de loi « Grenelle 2 », de prévoir un délai maximal de deux ou trois ans au-delà duquel les PPR seraient opposables, même sans l'accord des élus locaux, dans certaines zones à risque définies par l'État ; il a considéré que cette innovation constituerait un progrès substantiel dans un contexte où, en pratique, certaines procédures de PPR ont été engagées il y a plus de dix ans et n'ont pas abouti depuis lors. Ainsi, il a souligné que les PPR, malgré leur jeunesse, avaient été efficaces dans les zones fluviales (celles-ci sont, en effet, presque toutes couvertes par un PPRI), mais qu'ils étaient encore insuffisants sur le trait de côte.

Revenant, à la demande de M. Bruno Retailleau, président, sur les premières conclusions de la mission d'inspection consacrée à la tempête Xynthia, M. Jean-Louis Borloo a indiqué que celle-ci saluait la qualité des services de sécurité civile et formulait un certain nombre de recommandations pragmatiques : par exemple, il a déclaré qu'elle préconisait de mieux coordonner les systèmes de vigilance et d'information afin de garantir que les alertes soient effectivement transmises à la population locale, de réaliser des travaux d'urgence et d'en assurer le suivi par des visites régulières des ouvrages d'art, et, à titre transitoire, d'appliquer le principe de précaution aux documents d'urbanisme.

Puis, interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur l'existence de dysfonctionnements dans la délivrance des permis de construire, M. Jean-Louis Borloo a indiqué que les préfets avaient été chargés de conduire une analyse exhaustive des situations à risque et qu'ils mobiliseraient, à cette fin, les moyens satellitaires de l'État et de ses opérateurs. Toutefois, il a déclaré que les réflexions sur l'opportunité de modifier les règles en vigueur en matière de délivrance des permis de construire étaient toujours en cours et que cette question n'avait pas, à ce stade, été tranchée. De plus, il a estimé que le double rôle des préfectures (instruction des demandes de permis de construire adressées aux petites communes par les services de l'équipement, et contrôle de légalité des permis de construire par les services dédiés) ne remettait pas en cause l'impartialité du déféré préfectoral, dans la mesure où les services instruisant les demandes de permis de construire se bornaient, en réalité, à vérifier leur conformité avec les documents d'urbanisme.

M. Bruno Retailleau, président, a rappelé que le projet de loi « Grenelle 2 » était soumis à la procédure accélérée et que, ayant déjà fait l'objet d'une lecture devant la Haute Assemblée, il ne serait plus examiné par le Sénat en assemblée plénière. Dès lors, il a appelé le Gouvernement ne proposer des amendements à ce texte que pour répondre aux questions urgentes soulevées par la tempête Xynthia, comme l'indemnisation des sinistrés et la modification corrélative des dispositions relatives au fonds Barnier, ou pour régler des points consensuels. Il a fait valoir que, sur les autres sujets, une proposition de loi serait mieux adaptée.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, a pris acte de cette demande : ainsi, il a jugé que l'allègement des procédures de PPR pourrait être traité à l'occasion du projet de loi « Grenelle 2 ». En revanche, il a fait valoir que d'autres problématiques, telles que l'équilibre à définir entre les responsabilités locales et celles de l'État en matière de sécurité civile, appelaient un débat de fond et devraient être examinées à part.

Remerciant le ministre d'Etat, M. Bruno Retailleau, président, a indiqué que la mission d'information serait aussi appelée à examiner la question des biens non assurables des collectivités territoriales et il a souligné la nécessité de développer une véritable culture du risque en France.

Jeudi 8 avril 2010 M. Paul Royet, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, expert senior du Cemagref

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président -

La mission a d'abord entendu M. Paul Royer, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, expert senior du Cemagref.

Ayant brièvement fait état des principales missions du Cemagref, qui est chargé à la fois de conduire des recherches et de fournir un appui technique à la mise en place des politiques publiques dans le domaine de l'eau et de l'aménagement du territoire, M. Paul Royer a décrit les actions entreprises pour consolider et mieux gérer les digues sur les deux dernières décennies. Il a ainsi indiqué que les crues intervenues en Camargue et dans l'Ouest et le Nord-est du pays entre 1993 et 1995 avaient donné lieu à l'adoption de diverses circulaires relatives aux digues (circulaires interministérielles sur la gestion des zones inondables et la connaissance des gestionnaires de digues en 1994 ; circulaire « Environnement » du 28 mai 1999 relative au recensement des digues fluviales et maritimes...) et que, dans cette période, le Cemagref avait mené ses premiers travaux pour développer des méthodes de diagnostic, d'entretien et de surveillance spécifiques aux digues fluviales. Il a relevé que, après l'intervention d'un décret exclusivement consacré aux digues fluviales en 2002, un décret du 16 juillet 2006 avait été adopté afin de fixer des prescriptions concernant l'intégralité des ouvrages de protection contre les submersions, dont les digues maritimes.

En réponse à une remarque de M. Bruno Retailleau, président, qui observait que les dispositifs de protection contre les inondations fluviales précédaient systématiquement les dispositifs s'appliquant au littoral, dont les particularités n'étaient que tardivement identifiées, M. Paul Royer a estimé que ce décalage pouvait être dû, au moins en partie, à l'existence de deux ministères séparés (à savoir le ministère de l'écologie et du développement durable, chargé des fleuves et des rivières, et le ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer) jusqu'en 2007.

Il a ensuite précisé qu'un premier dispositif de contrôle des digues, inspiré de l'organisation du contrôle des barrages, avait été mis en place par une circulaire du 6 août 2003 et qu'il confiait aux services départementaux du ministère en charge de l'environnement (assistés, à partir de 2004, par un pôle d'appui technique pour les ouvrages hydrauliques, dit « PATOUH », composé de structures de niveau national dont le Cemagref) la charge de ce contrôle et que, dans le même temps, l'Etat avait mené une action incitative à la constitution de structures de gestion décentralisées disposant de moyens de grande ampleur, comme le SYMADREM sur le Rhône aval ou l'AD Isère-Drac-Romanche pour la gestion de Grenoble. Il a en outre noté que la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) de décembre 2006 avait conduit à l'adoption du décret du 11 décembre 2007 et de divers arrêtés, qui instituaient une réglementation unique pour toutes les catégories de barrages et de digues ; plus particulièrement, il a indiqué que ces textes mettaient en place, pour les digues, une classification en quatre catégories, en fonction du niveau de risque (c'est-à-dire du nombre de personnes protégées), chacun de ces niveaux de risque imposant des obligations spécifiques aux propriétaires de digues. Il a ajouté que les études de dangers (EDD) instituées par le décret de 2007 constituaient un progrès en matière de sécurité, dans la mesure où elles permettaient d'identifier les zones potentiellement inondées en cas de rupture de digue.

M. Bruno Retailleau, président, lui a objecté que les morts provoquées par la tempête Xynthia ne l'avaient pas été par des ruptures d'ouvrages hydrauliques, mais au contraire par des épisodes de sur-verse au cours desquels les digues, justement parce qu'elles avaient résisté à la submersion marine, avaient empêché le reflux de l'eau et piégé les populations.

Par ailleurs, M. Paul Royer a exposé que toutes les missions déconcentrées qui concernent la sécurité des ouvrages hydrauliques seraient désormais regroupées au niveau régional au sein des DREAL (directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement), qui seront définitivement mises en place au cours de l'année 2010, et que les équipes nationales d'appui technique (Cemagref, CETEs, BETCGB) seraient mises en réseau. Il a estimé que ce cadre juridique, organisationnel et technique était de nature, à l'avenir, à garantir la sécurité des digues.

Puis, M. Paul Royer a expliqué que les travaux de recherche effectués par le Cemagref, qui concernent essentiellement les digues fluviales et de voies navigables, s'articulaient autour de deux axes :

- les méthodes de diagnostic et de surveillance des ouvrages hydrauliques ;

- l'érosion interne et externe de ces ouvrages, celle-ci étant la première cause de rupture des digues.

Enfin, M. Paul Royer a fait état des conclusions des travaux du Cemagref sur les protections contre les submersions marines. Dans ce cadre, il a indiqué que ces protections, qui pouvaient prendre des formes très diverses (ouvrages naturels, comme les plages et les cordons dunaires ; ouvrages construits par l'homme, comme les digues ou les épis ; structures mixtes...), remplissaient plusieurs fonctions : d'une part, elles sont un instrument de gestion du trait de côte qui protège le littoral contre l'érosion, et d'autre part, elles ont un rôle de protection des populations et des territoires contre les submersions.

Il a ainsi jugé que l'expérience du Cemagref sur les digues fluviales ne pouvait pas être directement appliquée aux digues maritimes. Toutefois, il a déclaré que deux problématiques communes à tous les types de digues pouvaient être dégagées :

- les questions relatives aux structures de gestion des ouvrages hydrauliques, qui sont aujourd'hui insuffisantes. À cet égard, il a estimé que trois axes de réforme devaient être privilégiés : premièrement, il convient de favoriser l'émergence de structures dont les moyens humains et financiers soient à la hauteur des enjeux protégés et du patrimoine géré, et agissant sur un périmètre géographique cohérent et assez large pour générer des effets d'échelle ; deuxièmement, un lien institutionnel entre la gestion des territoires (c'est-à-dire, notamment, l'élaboration des documents d'urbanisme et la délivrance des permis de construire) et la gestion des ouvrages devrait être introduit ; enfin, il est nécessaire de mieux tenir compte des coûts de gestion des digues ;

- les questions relatives au risque résiduel. En effet, dans le cas des digues maritimes comme des digues fluviales, il est souhaitable que les populations protégées aient conscience que tout ouvrage de protection a ses limites et pourra être dépassé lors d'événements extrêmes : il convient donc d'afficher le risque résiduel, de s'y préparer et de prévoir des plans de gestion des situations de crise.

En conclusion, M. Paul Royer a souligné que le corpus technique concernant les protections contre les submersions marines demeurait peu développé, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale, et que, en tout état de cause, les exemples étrangers n'étaient pas forcément transposables au cas français. De plus, il a indiqué que la modélisation des modes de sollicitation des digues situées en front de mer (marée, houle, déferlement...), que leur nature cyclique rend complexes à appréhender, demandait encore des efforts de recherche.

M. Alain Anziani, rapporteur, a ensuite interrogé M. Paul Royer sur les solutions retenues à l'étranger en matière de régime de propriété et d'entretien des digues. Il a également souhaité savoir si, pour répondre au risque de submersion marine, il était préférable d'interdire toute construction dans les zones à risque ou, à l'inverse, de privilégier de nouveaux modes de construction -par exemple, en construisant des habitations sur pilotis dans les zones de front de mer.

En réponse à ces questions, M. Paul Royer a distingué entre le système britannique, dans lequel l'ensemble des digues sont gérées par une agence rattachée au Ministère de l'environnement et qui semble en voie de régionalisation, et le système hollandais, qui a privilégié une gestion des digues à l'échelle de la zone protégée (c'est-à-dire du polder) par des structures démocratiquement élues et habilitées à percevoir des taxes. À ce titre, il a jugé que l'exemple néerlandais n'était pas transposable au cas français, dans la mesure où les Pays-Bas concentraient deux tiers de leur activité économique dans des zones situées sous le niveau de la mer, si bien que le problème de la gestion des digues y prenait une importance qu'il ne saurait avoir en France. En outre, il a estimé que, s'il était possible d'imposer aux populations habitant dans des zones à risque de résider dans des bâtiments adaptés, cette solution poserait un problème de coût, puisque les maisons sur pilotis sont plus chères que les maisons classiques.

Mme Gisèle Gautier a rappelé que certaines populations aux revenus modestes résidaient dans des maisons sur pilotis ; elle a donc jugé que la construction de telles habitations ne poserait pas nécessairement de problème de coût.

En complément, M. Michel Doublet a estimé que des maisons classiques pouvaient être construites dans les zones à risque, dès lors qu'elles étaient aménagées de manière spécifique -par exemple avec un rez-de-chaussée occupé par un garage, les pièces habitées étant toutes situées dans les étages supérieurs. Par ailleurs, concernant le régime de propriété des digues, il a souligné que, en Charente-Maritime, environ 90 % des digues étaient situées sur le territoire maritime appartenant à l'État, le reste étant géré par des communes ou, pour les digues en terre protégeant les marais, par des associations syndicales de propriétaires. Il a affirmé que, dans ce dernier cas, les travaux que les gestionnaires projetaient d'effectuer pour consolider les digues étaient retardés par la lourdeur et la lenteur des procédures, la DREAL (ou, anciennement, la DIREN) et la commission départementale des sites mettant parfois deux à trois ans pour autoriser de tels travaux. Il a donc estimé nécessaire de modifier la législation relative à la gestion des digues dans le sens de la simplification et du pragmatisme.

A cet égard, M. Bruno Retailleau, président, a estimé que l'appréciation « critique » des services de l'État sur les travaux de renforcement des digues était partiellement due à un parti pris des agents des DREAL, ces derniers ayant tendance à appréhender les digues comme des ouvrages « contre la mer », c'est-à-dire contre la nature.

Marquant son accord avec ces propos, M. Michel Doublet a ajouté que, sur l'Île-de-Ré, les services de l'État avaient imposé à certains propriétaires de construire des digues en calcaire blanc, pour des raisons esthétiques et environnementales, plutôt que dans un matériau plus résistant, la durite ; il a observé que ces digues en calcaire n'avaient pas été efficaces pour protéger les populations et qu'elles avaient été détruites lors de la tempête Xynthia.

Interrogé sur ce point par M. Bruno Retailleau, président, M. Paul Royer a rappelé que la législation imposait aux propriétaires de tenir compte des aspects environnementaux pour la conception et la construction des ouvrages de génie civil, mais que, selon son expérience personnelle, ces considérations étaient toujours supplantées par la nécessité d'assurer la sécurité des personnes. Il a estimé que la mise en place d'arbitrages harmonieux entre ces deux objectifs (préservation de l'environnement et protection des vies humaines) était facilitée par la création des DREAL.

Ayant considéré que les propos de M. Paul Royer démontraient qu'il était impossible de bien étudier le problème des digues si l'on ne tenait pas compte, au cas par cas, de la nature des terrains qu'elles protégeaient, M. Bruno Retailleau, président, a voulu savoir quelles étaient les implications de ce constat.

M. Paul Royer a indiqué que, pour tirer les conséquences de ce constat, il était nécessaire de :

- mener une analyse des risques à l'échelle du « bassin de risques » dans chaque zone inondable ;

- repérer les modalités d'occupation des terrains (habitations, agriculture...) et les caractéristiques des ouvrages de protection, afin de vérifier l'adéquation entre les deux ;

- ne pas accroître la vulnérabilité des zones à risque, c'est-à-dire éviter d'urbaniser les zones encore vierges.

Répondant à une question de M. Bruno Retailleau, président, sur le rehaussement des digues, M. Paul Royer a également exposé qu'un tel rehaussement ne devrait être effectué que dans les zones fortement peuplées, mais qu'il ne suffirait pas à effacer le risque résiduel et ne saurait, en aucun cas, protéger les populations contre des évènements climatiques exceptionnels.

M. Bruno Retailleau, président, s'est ensuite interrogé sur la nécessité d'intégrer des ouvrages hydrauliques d'évacuation d'eau à toutes les digues, afin d'éviter que ces dernières ne piègent l'eau en cas de surverse.

M. Alain Anziani, rapporteur, a envisagé que le législateur intervienne afin de rendre ces mécanismes d'évacuation d'eau obligatoires sur toutes les digues.

En réponse à ces remarques, M. Paul Royer a estimé qu'il n'était pas nécessaire qu'une réglementation impose l'intégration de tels mécanismes à toutes les digues, dans la mesure où la législation obligeait d'ores et déjà les propriétaires à réaliser des études de dangers qui permettaient de déterminer, au cas par cas, s'il était opportun de doter les digues d'ouvrages d'évacuation de l'eau.

Réagissant à une observation de M. Bruno Retailleau, président, sur l'entretien et la gestion des cordons dunaires, M. Paul Royer a ajouté que les structures de gestion des zones à risque devaient tenir compte de ces cordons et donc intégrer, dans leurs objectifs, la stabilisation du trait de côte.

Enfin, ayant fait référence au dispositif « Vague submersion » dont la création a été annoncée par le Président de la République le 16 mars 2010, M. Bruno Retailleau, président, a interrogé M. Paul Royer sur les outils permettant de modéliser l'impact des évènements climatiques sur le trait de côte. Celui-ci a estimé que cette question recouvrait deux problématiques caractérisées par des échelles de temps différentes :

- d'une part, l'évolution du trait de côte est appréhendée selon une perspective pluriannuelle et peut être gérée avec les outils existants, notamment par le biais d'outils satellitaires ;

- d'autre part, les phénomènes hydrauliques comparables à ceux qui ont eu lieu lors de la tempête Xynthia répondent à une temporalité rapide, et les caractéristiques des vagues qu'ils produisent dépendent de facteurs nombreux et variables (vitesse et direction du vent, topographie du fond de mer, etc.) ; en conséquence, il a jugé que la modélisation de l'impact des vagues produites par l'événement sur la terre serait particulièrement complexe.

M. Bernard Spitz, Président de la fédération française des sociétés d'assurances (FFSA)

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La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Bernard Spitz, président de la fédération française des sociétés d'assurances (FFSA).

M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a précisé que son organisation représente 90 % du marché français des assurances. Les assurances mutualistes qui ne sont pas membres de la FFSA appartiennent au groupement des entreprises mutuelles d'assurances (GEMA). Il a cependant indiqué qu'il présidait l'association française des assurances (AFA), entité qui regroupe ces deux fédérations.

Il a ensuite souligné l'expérience croissante des assureurs face aux catastrophes naturelles, à l'image de la gestion de la tempête Klaus de janvier 2009. Les inondations ou les phénomènes de sécheresse doivent conduire à s'interroger sur les outils existants ainsi que sur la façon de les améliorer. S'agissant de Xynthia, plusieurs remarques doivent être formulées :

- il s'agit d'un évènement inédit qui résulte de la conjonction de plusieurs facteurs particuliers ;

- les réponses des pouvoirs publics ainsi que des assureurs sont pertinentes à l'image du régime « catastrophes naturelles » (« catnat ») ;

- les expropriations et les indemnisations seront financées par le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds « Barnier », qui en raison de son mode financement (12 % des primes d'assurances) ne peut pas être défini comme un « fonds public » ;

- les améliorations à apporter, s'il en existe, restent à définir et concernent plutôt le volet préventif.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'utilisation du FPRNM pour indemniser les sinistrés dont les maisons sont classées en zone d'extrême danger dites zones noires, où les risques mortels ne peuvent permettre de laisser les habitants se réinstaller. Rappelant que, lors de son audition par la mission, M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, avait estimé le coût total entre 300 et 400 millions d'euros, il a souhaité connaître le montant qui serait pris en charge par les assurances privées et son mode de calcul.

M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a relevé la différence entre les dommages causés par la tempête et ceux résultant des inondations. Seules ces dernières ouvrent en effet au bénéfice du régime « catnat ». Les assurances privées ne devraient prendre en charge que les dommages aux biens : l'interdiction de reconstruire par l'Etat constitue un fait juridique nouveau qui ne saurait être indemnisé en totalité. Ainsi, dans le cas où les dommages s'élèvent à la moitié de la valeur de l'habitation, l'assureur couvrirait ce montant, à charge pour le fonds « Barnier » de combler l'écart. Les dispositions relatives à ce fonds, introduit par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, ayant été conçues pour indemniser les propriétaires en cas de menaces graves de survenance d'un risque naturel, il s'agit d'un outil pertinent pour les sinistrés dont les habitations sont classées en zones noires. Les sommes disponibles représenteraient 140 millions d'euros, auxquels il convient d'ajouter 80 millions de trésorerie. L'évaluation par les Domaines devra conduire à l'indemnisation des sinistrés mais il est aujourd'hui difficile d'estimer avec précision le coût total pour les maisons concernées. Sans aucune certitude, sur la base d'une estimation de 250 000 euros par maison, un coût d'environ 260 millions d'euros peut être avancé. Le fonds « Barnier », intervenant en complément des dédommagements des assureurs, possède donc la capacité de mener à bien cette opération, surtout que l'étalement du paiement des indemnisations sur deux ou trois années la facilitera.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé des précisions sur la répartition de la charge entre le fonds et les assureurs privés.

M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a estimé que le mode de financement du FPRNM revient indirectement à une prise en charge totale par les assurances privées. Ce fonds est en effet financé par une taxe sur les primes d'assurances : 12 % des primes d'assurances sur les biens alimentent le régime « catnat » et 12 % de cette fraction sont destinées ensuite au fonds « Barnier ».

M. Frédéric Gudin du Pavillon, responsable « assurances des biens » à la FFSA, a précisé qu'en l'absence de cartographie détaillée, l'évaluation fine des dommages et des indemnisations reste difficile.

M. Bruno Retailleau, président, a indiqué que les dommages devraient s'élever à 30 000 euros en moyenne par habitation et être plus élevés dans les zones noires. Il s'est interrogé sur l'indemnisation du foncier et sur l'existence de franchises.

M. Frédéric Gudin du Pavillon a rappelé que seul le bâti fait l'objet d'indemnisations. La prise en charge par les assurances privées dans les zones noires sera donc relativement plus réduite.

M. Philippe Poiget, directeur des affaires juridiques à la FFSA, a précisé que s'agissant du cas précis des zones noires, la vétusté ne sera pas utilisée comme critère et ne devrait donc pas conduire à réduire le montant des indemnisations.

Pour ce qui concerne les autres zones, M. Frédéric Gudin du Pavillon a insisté sur le coefficient de vétusté utilisé pour calculer les indemnisations en cas de reconstruction sur place. Le code des assurances limite toutefois cette possibilité aux habitations situées dans des zones ne disposant pas de plans de prévention du risque inondation (PPRI). En présence d'un PPRI, ce coefficient ne sera pas utilisé.

M. Bruno Retailleau, président, s'est demandé si l'expérience britannique de modulation des primes d'assurances en fonction du degré de risque constitue une piste à explorer en France.

M. Frédéric Gudin du Pavillon a souligné que le Royaume Uni utilise une dissuasion financière par la variation des cotisations en fonction des risques naturels de la zone considérée. Il a fait valoir que cette dissuasion s'accompagne toutefois d'une politique volontariste d'incitation à la limitation des risques.

M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a jugé un tel dispositif peu utile en France, en raison de la faiblesse des primes d'assurances. La cotisation moyenne des contrats d'habitation s'élevant en effet à 220 euros par an, une modulation de l'ordre de 50 ou 100 % aurait peu de conséquences sur les capacités financières des assurances.

M. Bruno Retailleau, président, a mis en exergue les délais d'indemnisation pour les sinistrés dont les biens sont classés en zone noire.

M. Bernard Spitz a préalablement rappelé le délai supplémentaire accordé aux victimes pour la remise de leurs dossiers d'indemnisation : le délai de cinq jours a ainsi été exceptionnellement rallongé du 5 au 31 mars 2010 et les demandes formulées hors délai continuent d'être acceptées et traitées. Il a ensuite fait part de l'engagement des assureurs à traiter rapidement et de manière prioritaire les dossiers des habitations classés en zone noire. Il a ainsi souligné que les visites d'experts ont déjà eu lieu au moins une fois dans 80 % des zones sinistrées. Enfin, il a fait valoir que des avances sur indemnisation seront versées et particulièrement à ces sinistrés.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité savoir si les assureurs participeront à la cellule d'appui transversale aux assurés mise en place par le Gouvernement, réunissant les représentants des différents ministères concernés et des collectivités territoriales.

M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a fait valoir que chaque assuré possède son propre assureur et qu'il incombe d'abord à celui-ci d'accompagner ses clients. Sous cette réserve, les assureurs continueront évidemment à apporter leur assistance aux pouvoirs publics pour ce qui concerne les relations avec l'ensemble des victimes de Xynthia.

M. Jean-Claude Merceron a jugé possible de déterminer le montant des remboursements et le délai d'indemnisation pour les sinistrés relevant des 80 % des zones déjà visitées par un expert.

M. Bernard Spitz a rappelé que les dossiers seront traités le plus rapidement possible, surtout lorsque les expertises sont concluantes : certains dossiers ont ainsi d'ores et déjà donné lieu au versement d'indemnités. Cependant, il a fait observer qu'au moins deux visites d'experts doivent avoir lieu pour chaque sinistre et que l'existence de discussions entre le Gouvernement et les Domaines pourrait rallonger le délai d'indemnisation sans que les assureurs privés ne puissent donc être tenus pour responsables d'une telle situation.

M. Alain Anziani, rapporteur, a constaté les délais d'indemnisation souvent longs qui suivent la survenance de catastrophes naturelles. Il s'est ensuite étonné des écarts d'évaluation des dommages entre la FFSA et la Caisse centrale de réassurance (CCR), respectivement estimés à 1,5 milliard d'euros et 500 millions d'euros. Enfin, il s'est interrogé sur l'opportunité d'une réforme du régime « catnat » ainsi que sur le grand nombre de régimes d'indemnisation. Cette dernière caractéristique peut faire craindre une tendance au rallongement des délais de paiement des indemnités.

M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a insisté sur la rapidité avec laquelle les assurances ont dédommagé les victimes de la tempête Klaus en 2009. La mobilisation qui a suivi la tempête Xynthia devrait également se traduire par une accélération du versement des indemnisations. S'agissant des écarts d'évaluation, il a précisé que le montant annoncé par la FFSA, porté de 1,2 à 1,5 milliard d'euros, comprend la totalité des dommages alors que celui de la CCR ne considère que ceux relevant du régime « catnat ». En ne prenant en compte que ceux-ci, un écart de 200 millions demeure toutefois. Il s'expliquerait par une différence dans le calcul du coût des dégâts : alors que la CCR aurait utilisé les précédents de dégâts engendrés par des inondations à l'eau douce, la FFSA a procédé à une évaluation plus élevée en raison de la nature des dommages provoqués par l'eau salée.

M. Philippe Poiget, directeur des affaires juridiques à la FFSA, a ajouté que les conditions de déclenchement du régime « catnat » sont totalement remplies et qu'il est donc légitime de recourir à cet instrument de couverture des risques. Selon l'article L. 125-1 du code des assurances, il doit ainsi s'agir de « dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises ».

Dans le cas de survenance de catastrophes naturelles, M. Bernard Spitz est convenu de l'existence d'un emboitement de différents régimes assurantiels dont il a souligné la pertinence en vue de ne laisser aucune victime en dehors du système d'indemnisation.

Mme Gisèle Gautier a souligné les difficultés spécifiques auxquelles étaient confrontés les sinistrés des secteurs agricoles, piscicoles, ostréicoles et conchylicoles.

M. Bruno Retailleau, président, a insisté sur l'indemnisation particulière de ces catégories professionnelles, qui outre leurs garanties contractuelles, bénéficient d'un régime spécifique : le Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA).

M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a rappelé que les habitations classées en zone noire doivent constituer la priorité de l'action des assureurs. S'agissant du secteur agricole, l'existence de deux régimes assurantiels combinés doit permettre de couvrir la plupart des dommages.

M. Frédéric Gudin du Pavillon, responsable « assurances des biens » à la FFSA, a ainsi précisé que, pour les agriculteurs et aquaculteurs victimes d'inondations, le bâti et l'ensemble de son contenu rentreraient dans le régime « catnat ». En revanche, le cheptel hors bâtiment et les récoltes non engrangées devraient être quant à eux indemnisés par le FNGCA.

M. Michel Boutant a fait observer que des dégâts importants avaient été constatés hors de la zone littorale. Il a ainsi donné l'exemple des effets de la tempête Xynthia sur les stations de sports d'hiver des Pyrénées.

M. Frédéric Gudin du Pavillon, responsable « assurances des biens » à la FFSA, a rappelé qu'en dehors du régime « catnat » les sinistrés sont soumis au droit commun des assurances. Les dommages résultant de l'effet du vent seront ainsi indemnisés par l'assurance-tempête, avec les franchises et les plafonds prévus contractuellement.

M. Bruno Retailleau, président, a fait valoir que plusieurs rapports plaident pour une révision du régime « catnat ». La lenteur des indemnisations et l'interprétation juridique de certaines notions peuvent ainsi faire l'objet de critiques.

M. Frédéric Gudin du Pavillon, responsable « assurances des biens » à la FFSA, est convenu que des demandes d'aménagement de ce régime avaient été formulées, en particulier après la sécheresse de 2003. Cependant, il a souligné que les assureurs privés comme la CCR disposaient de provisions conséquentes. Ces provisions devraient permettre de faire face à un sinistre d'un coût élevé.

M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a invité à se concentrer sur des réformes relatives à la prévention plutôt que sur le régime « catnat », dont les qualités l'emportent sur les défauts. Pour renforcer les politiques de prévention, les normes de construction doivent être nettement plus exigeantes. Alors qu'elles comportent déjà des objectifs antisismiques, ces normes doivent évoluer pour répondre aux enjeux particuliers des risques d'inondation et de sécheresse. Celle-ci pose notamment la question spécifique de ses effets destructeurs indirects, visibles seulement à moyen terme : une habitation peut en effet s'écrouler deux ou trois ans après la survenance d'un évènement de sécheresse.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur les défaillances des différents plans de prévention ainsi que sur la cartographie des risques naturels.

M. Bernard Spitz a fait valoir que la tempête Xynthia a mis en évidence plusieurs difficultés :

- l'absence de PPRI dans de nombreuses zones ;

- le caractère obsolète ou inadapté de certains d'entre eux ;

- ou, encore, leur manque d'effectivité, voire leur inapplication.

Il a donc plaidé pour un renforcement du dialogue entre les structures disposant d'informations sur les risques naturels. Regroupant les ministères concernés, les assureurs et la CCR, un observatoire de la prévention des risques naturels pourrait être utilement mis en place.

M. Bruno Retailleau, président, est revenu sur la possibilité de lier le niveau de risque au montant des primes d'assurances, à l'instar du système britannique des contrats d'assurance des biens.

M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a jugé ce modèle peu transposable en France. Il a rappelé la distance de notre culture nationale de l'assurance, en donnant l'exemple du rôle du bureau central de tarification (BCT). Celui-ci peut en effet décider à quelles conditions un assureur choisi par un assuré et qui lui a opposé un refus peut être tout de même contraint à le garantir.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité savoir si la nomination par le Gouvernement d'un médiateur, M. Yann Boaretto, chargé du suivi des indemnisations suite à la tempête Xynthia ne révèle pas l'existence de tensions dans les relations entre les assureurs et les assurés.

M. Bernard Spitz a fait valoir que ce médiateur, mis en place également après le passage de la tempête Klaus en 2009, a principalement une mission de coordination. L'usage du terme « médiateur » paraît donc impropre puisqu'il s'agit de mettre à disposition des assurés, des assurances et des pouvoirs publics un porte-parole et un interlocuteur unique.

M. Bruno Retailleau, président, s'est demandé comment caractériser la culture du risque en France. Il s'est ensuite interrogé sur son niveau de développement par rapport aux autres Etats occidentaux.

M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a relevé que la première question dépasse la problématique des catastrophes naturelles. Puis il a déclaré que dans la mesure où la société française devrait faire face à des risques croissants et de plus en plus fréquents, la qualité des réponses qui seront apportées constitue un élément clé de la cohésion sociale et de la confiance dans les institutions. Le bilan dressé par la FFSSA en 2009 dans une étude relative à l'impact du changement climatique sur la survenance d'événements naturels en France souligne en effet la fréquence croissante des catastrophes naturelles et la hausse de leurs coûts pour la collectivité. Ils ont ainsi conduit à verser trente milliards d'euros d'indemnisations en vingt ans et ce montant devrait doubler dans les vingt prochaines années. Cette hausse devrait résulter d'un accroissement des risques et de la prise de valeur des biens. La réponse la plus adaptée aux catastrophes naturelles réside donc dans des politiques de prévention. Bien que la mission des risques naturels (MRN) fasse un travail utile, notamment en termes de cartographie, la création d'une structure plus ambitieuse dédiée à la prévention apporterait une réponse essentielle à ces questions.

M. Bernard Spitz a souligné l'écart entre la culture du risque en France et dans d'autres pays où elle est beaucoup plus affirmée, en particulier aux Etats-Unis. Des normes plus exigeantes et des formations adaptées auprès des populations doivent permettre d'être mieux préparé à vivre dans un monde où les risques seront de plus en plus présents et, surtout, de plus en plus grands.

M. Pierre Michel, Directeur général adjoint chargé de la réassurance des catastrophes naturelles à la Caisse centrale de réassurance, M. Laurent Montador, Directeur à la CCR

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La mission commune d'information a enfin procédé à l'audition de MM. Pierre Michel, directeur général adjoint chargé de la réassurance des catastrophes naturelles à la Caisse centrale de réassurance, et Laurent Montador, directeur à la CCR.

Présentant tout d'abord la Caisse centrale de réassurance (CCR), M. Pierre Michel a rappelé qu'elle avait été créée en 1946, à l'origine comme établissement public industriel et commercial (EPIC), avant d'être transformée en société anonyme aux capitaux détenus intégralement par l'Etat, et qu'elle assurait la réassurance des dommages aux biens dans le cadre du régime de catastrophes naturelles. Depuis que cette faculté leur est ouverte, en 1982, une grande majorité des assureurs a ainsi fait le choix d'acquérir auprès d'elle de la réassurance, ce qui leur permet de bénéficier de la garantie illimitée de l'Etat, qu'ils n'auraient pas en s'adressant à des réassureurs privés. La CCR n'est pas un fonds public alimenté par des prélèvements obligatoires, mais une entreprise de droit privé devant constituer des provisions techniques, voire des réserves.

Si les assureurs peuvent bien entendu couvrir n'importe quel type d'évènement naturel, ils sont en revanche légalement tenus de proposer le régime « catastrophes naturelles », qui fait l'objet du prélèvement d'une surprime de 12 % sur les polices d'assurance. L'obligation de réassurance s'explique par le caractère incommensurable des dommages potentiels, qui appelle nécessairement une couverture illimitée de la puissance publique. Si le régime « catastrophes naturelles » a toujours été en équilibre, voire excédentaire depuis sa mise en place, la survenance d'un évènement naturel de grande ampleur comme il ne s'en est jamais produit le mettrait irrémédiablement en difficulté. La garantie de l'Etat n'a, jusqu'à aujourd'hui, été appelée qu'une seule fois, en 1999, suite à un épisode de pluies cévenoles.

Le régime français de couverture des aléas naturels est parmi les meilleurs au monde, couvrant l'ensemble des risques, protégeant la quasi-intégralité des citoyens et étant entièrement solvable.

Interrogé sur ce point par M. Bruno Retailleau, président, M. Pierre Michel a indiqué que le chiffre d'affaires de la CCR s'élevait à 1,2 milliard d'euros, provenant aux deux-tiers des réassurances avec garantie de l'Etat, dont les catastrophes naturelles représentent 90 %, soit 700 millions d'euros environ. Le total des surprimes d'assurance « catastrophes naturelles » se monte à 1,3 milliard d'euros, la CCR disposant de 3 milliards d'euros de réserves pour couvrir le risque « catastrophes naturelles ». Ainsi, en cas de sinistre d'un coût global de 6 milliards d'euros, 1,2 milliard d'euros seraient à la charge des assureurs et réassureurs privés, tandis que la CCR couvrirait tout le reste, dont 2 milliards d'euros seraient in fine pris en charge par l'Etat.

Questionné par M. Bruno Retailleau, président, sur l'opportunité de réformer le régime de catastrophes naturelles, M. Pierre Michel a préconisé un renforcement du volet prévention, qu'il a estimé encore insuffisamment développé, jugeant en revanche très favorablement le dispositif d'encadrement et de mutualisation des primes.

A M. Bruno Retailleau, président, qui lui demandait s'il serait incitatif de diminuer les primes d'assurance en cas de bonne anticipation des risques, M. Pierre Michel a répondu que l'effet serait sans doute faible, compte tenu du niveau modique des primes pour les particuliers. Dans les zones pourvues de PPR, la franchise s'applique après sinistre selon les dispositions du code des assurances, quel que soit le nombre d'occurrences du sinistre. En revanche, dans les autres zones, la franchise est augmentée d'un facteur variable selon le nombre d'occurrences du sinistre. Cette élévation du niveau de la franchise intervenant toutefois après la survenance du sinistre, son effet incitatif reste limité.

M. Laurent Montador, directeur de la CCR, a souligné l'insuffisance de l'information donnée aux particuliers, celle-ci provenant soit des assureurs possédant des systèmes de géolocalisation de leurs polices, soit d'actes notariés. Il a ainsi préconisé une meilleure diffusion de la culture du risque sur l'ensemble de la chaine des acteurs concernés.

A M. Bruno Retailleau, président, qui lui demandait si le système assurantiel français serait en mesure d'assumer la tempête Xynthia, M. Pierre Michel a indiqué que la prise en charge financière des dommages ne poserait de problème ni aux assureurs, ni aux réassureurs, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la garantie de l'Etat. S'agissant des délais, en revanche, il a précisé qu'ils pourraient se trouver allongés du fait des discussions entre l'Etat et les assureurs en vue d'améliorer les modalités d'indemnisation actuelles.

M. Bruno Retailleau, président, s'étant enquis de savoir si les « zones noires » identifiées par le Gouvernement étaient particulièrement concernées, M. Pierre Michel a répondu par la négative. Il a précisé que le régime « catastrophes naturelles » suivait les règles contractuelles prévues par la police de base sur laquelle il se trouve greffé.

A M. Bruno Retailleau, président, qui l'interrogeait sur la prise en compte du critère de vétusté dans les indemnisations, M. Pierre Michel a indiqué que cela dépendait en théorie des clauses contractuelles des polices souscrites, précisant cependant que les assureurs avaient trouvé un accord avec l'Etat, dans le cas de la tempête Xynthia, pour ne pas en tenir compte en vue d'améliorer le niveau de couverture des sinistrés. La CCR, a-t-il ajouté, en partagera le coût supplémentaire.

M. Alain Anziani, rapporteur, a demandé à l'intervenant si l'action de la CCR rallongeait les délais d'indemnisation, si les règles posées par la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) s'imposaient à cette dernière et s'il s'accordait avec les préconisations de réforme du régime « catastrophes naturelles » formulées à la suite à l'épisode de canicule de l'été 2003.

En réponse, M. Pierre Michel a indiqué que :

- l'indemnisation des personnes sinistrées est assurée directement par les assureurs, l'intervention de la CCR n'ayant de ce fait aucun impact sur les délais ;

- les choix opérés par les assureurs ne s'imposent pas à la CCR, qui se limite à appliquer l'ensemble des dispositions du code des assurances relevant du régime « catastrophes naturelles » ;

- il serait souhaitable de renforcer les mécanismes de prévention dudit régime. Si la modulation de la surprime d'assurance serait de peu d'effet auprès des particuliers, elle aurait peut-être davantage d'efficacité auprès des professionnels. Il serait, en outre, opportun d'utiliser davantage les prérogatives règlementaires et de police, mais également d'objectiver les critères d'indemnisation prévus par le régime légal. En effet, ceux-ci ne présentent pas de caractère quantitatif, mise à part la vitesse du vent, et font l'objet d'une évaluation par une commission ministérielle. Leur quantification permettrait tout à la fois d'accélérer les procédures d'indemnisation et de réduire les motifs de contestation, tout en conservant la possibilité de discuter des situations particulières.

M. Laurent Montador a estimé impossible de multiplier à l'excès les instruments de mesure.

Mercredi 28 avril 2010 M. Gérard Andreck, Président du groupement des entreprises mutuelles d'assurances (GEMA) Mme Catherine Traca, secrétaire générale adjointe du GEMA

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Gérard Andreck et Mme Catherine Traca, président et secrétaire générale adjointe du groupement des entreprises mutuelles d'assurances (GEMA).

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'existence de nouvelles données relatives au nombre de sinistres résultant de la tempête Xynthia ainsi qu'à leur coût, suite aux annonces faites le 8 avril dernier par M. Bernard Spitz, président de la fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), lors de son audition par la mission. Ce coût était ainsi évalué à 1,5 milliard d'euros.

M. Gérard Andreck, président du GEMA, a confirmé cette estimation. Il a toutefois précisé que le nombre total de déclarations de sinistres provoqués par la tempête Xynthia serait plutôt de l'ordre de 400 000 et non de 500 000 comme annoncé précédemment.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, il a indiqué que le délai pour la transmission de dossiers de sinistrés, exceptionnellement rallongé du 5 au 31 mars 2010, fait l'objet d'une interprétation très souple puisque les sociétés d'assurance continuent d'accepter de nouvelles demandes d'indemnisation.

Mme Catherine Traca, secrétaire générale adjointe du GEMA, a confirmé l'inapplication de coefficients de vétusté dans le cas des biens immobiliers situés dans les zones noires. S'agissant des biens mobiliers, ce seront les clauses des contrats qui permettront de déterminer les règles d'indemnisation. Elle a toutefois précisé qu'une part croissante des contrats prévoit un remboursement égal à la valeur de remplacement à neuf des biens.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, Mme Catherine Traca a ensuite fait état de difficultés à établir la valeur moyenne du coût des sinistres provoqués par la tempête Xynthia. Elle a cependant indiqué la référence d'une indemnisation moyenne de 1 000 euros par assuré s'agissant des dommages faisant suite à une tempête. Ce précédent n'apparaît pas suffisant pour déterminer l'indemnisation moyenne des victimes de Xynthia.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité connaître les délais d'indemnisation envisagés par les sociétés d'assurance.

M. Gérard Andreck, président du GEMA, a souligné l'existence de deux cas de figure distincts :

- pour les sinistres d'une valeur inférieure à 2 000 euros, le délai de moins de trois mois sera de rigueur, dans la mesure où les expertises ne posent pas de difficultés ;

- les sinistres d'un montant plus important nécessiteront des expertises plus longues, qui auront des conséquences certaines sur les délais d'indemnisation.

M. Bruno Retailleau, président, a fait part des interrogations des sinistrés sur le nombre d'expertises nécessaires ainsi que sur la demande de production de factures dans certains cas. Ces deux éléments pourraient être de nature à ralentir les procédures d'indemnisation.

M. Gérard Andreck, a observé que les premières visites d'experts étaient justifiées pour distinguer rapidement les sinistres d'une valeur inférieure à 2 000 euros des autres dossiers : il s'agissait surtout d'effectuer un premier tri dans les dossiers. De plus, de nouvelles visites sont nécessaires puisque l'indemnisation des biens immobiliers doit s'accompagner d'une expertise spécifique, en recourant le cas échéant à des architectes.

Mme Catherine Traca, secrétaire générale adjointe du GEMA, est convenue que des factures et des devis, y compris dans les zones noires, avaient été demandés dans les jours qui ont suivi la tempête. Les zones noires n'ayant pas encore été annoncées, les sociétés d'assurance ont en effet appliqué les règles en vigueur. La production de tels documents n'apparaît plus nécessaire, ce qui devrait accélérer les procédures d'indemnisation.

Le calendrier devrait être le suivant : avant la fin du mois de mai 2010, l'ensemble des habitations classées en zones noires utilisées en tant que résidence principale doit avoir été expertisé. Les autres habitations, y compris les résidences secondaires, et l'ensemble des biens mobiliers seront, pour leur part, expertisés d'ici à la fin du mois d'août 2010.

Mme Catherine Traca a souligné la rapidité avec laquelle les sociétés d'assurance indemnisent dès lors que les sinistrés sont favorables aux propositions faites par celles-ci. Ainsi, dans un délai de quinze jours après la transmission des informations par les experts, les assureurs sont en mesure de formuler leurs offres. Si ces dernières font l'objet d'un accord, le paiement peut être effectué sans délai.

M. Gérard Andreck, président du GEMA, a précisé qu'à côté des zones noires les autres dossiers feront également l'objet d'un traitement accéléré. Il a observé qu'au 16 avril 2010, 40 000 habitations ont déjà été expertisées, sur un total de 58 000.

M. Michel Doublet s'est interrogé sur la présence dans les zones noires de maisons n'ayant pas enregistré de dégâts.

Mme Catherine Traca, secrétaire générale adjointe du GEMA, a reconnu l'existence de telles situations et précisé que, pour ces cas précis, les sociétés d'assurance n'ont pas vocation à intervenir. Ces habitations seront en revanche l'objet de visites par les Domaines.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité connaître le régime fiscal des indemnités versées par les assurances.

Mme Catherine Traca a observé que ces sommes échappent à la fiscalité.

M. Daniel Laurent a souhaité connaître l'état des indemnisations concernant les exploitations agricoles, ostréicoles et conchylicoles.

Mme Catherine Traca a indiqué que les sociétés adhérentes du GEMA sont principalement liées aux sinistrés par des contrats d'habitation : elles ne traitent donc que très marginalement des professionnels.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur les zones noires, l'évolution de leur dénomination et leur cadre juridique.

M. Gérard Andreck, président du GEMA, est convenu de l'absence de base juridique claire pour ce zonage. Il a déploré que les variations dans les déclarations successives des membres du Gouvernement aient pu susciter de plus grandes interrogations chez les sinistrés, voire accroître leurs inquiétudes.

M. Bruno Retailleau, président, a observé que l'indemnisation des habitations classées en zone noire conduirait à un versement par les assurances privées, d'une part, et par l'Etat via le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), ou fonds « Barnier », d'autre part. Il a souhaité savoir si l'évaluation par les Domaines serait postérieure à la fixation des indemnités par les sociétés d'assurance.

Mme Catherine Traca a confirmé le recours à ces deux instruments d'indemnisation. Elle a ensuite précisé que le travail des assureurs est conduit indépendamment de l'évaluation objective par les Domaines.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, qui a souhaité connaître la part prise en charge par les assureurs au sein d'une indemnisation moyenne estimée à 250.000 euros, Mme Catherine Traca a indiqué que le montant moyen pour une remise en état ou une reconstruction suite à une inondation s'élève à 20.000 euros. Elle a observé que l'indemnisation par l'Etat sera bien plus élevée puisqu'elle portera sur l'intégralité de la valeur vénale du bien immobilier, y compris son terrain.

M. Gérard Andreck, président du GEMA, s'est félicité de l'existence du régime « catastrophes naturelles » (catnat), dispositif efficace qui permet d'associer les assurances privées à un mécanisme de réassurance publique avec la garantie de l'Etat. Il a estimé peu utile le débat sur l'estimation des indemnisations par habitation dans les zones noires dans la mesure où cette indemnisation couvrira la valeur totale du bien.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur le degré de sollicitation du fonds Barnier, qui traduit le recours à la solidarité nationale.

Mme Catherine Traca, secrétaire générale adjointe du GEMA, a observé que les assureurs conduisent ce travail en relation avec les préfectures de Vendée et de Charente Maritime, mais que le montant des indemnisations par les assureurs ne serait connu qu'à la fin du mois de mai pour les résidences principales et à la fin du mois d'août pour les résidences secondaires.

M. Jean-Claude Merceron s'est interrogé sur l'existence de freins aux procédures d'indemnisation.

Mme Catherine Traca n'a pas relevé de blocage en cette matière. A l'inverse, les factures et devis ne sont pas exigés, de manière à accélérer les délais d'indemnisation. En outre, elle a précisé que les sinistrés conserveront la possibilité de contester les propositions faites par les sociétés d'assurance.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, elle a relevé le caractère provisoire des arrêtés de péril. Ceux-ci présentent l'intérêt d'empêcher à ce stade le retour des sinistrés dans les habitations classées en zone noire, mais il convient d'observer que ces mesures ne conduisent pas à interrompre les procédures d'indemnisation.

M. Michel Doublet a souligné la difficulté à solliciter le fonds Barnier à hauteur de 300 millions d'euros au minimum, alors que les réserves disponibles ne sont pas de cet ordre de grandeur.

M. Gérard Andreck, président du GEMA, a rappelé le mode de financement du fonds, qui conduit à dégager un produit d'environ 150 millions d'euros par an. Une telle somme peut donc être utilisée pour les indemnisations à la condition qu'elle soit étalée sur plusieurs années. Il a déploré que l'usage du fonds se destine parfois à des fins plus contestables, telles que des études. Il a plaidé pour un accroissement des mises en réserve vouées à l'indemnisation.

M. Bruno Retailleau, président, a fait état d'une réserve de trésorerie du fonds estimée à 80 millions d'euros environ. Il a indiqué que l'examen du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, dit « Grenelle II », est l'occasion d'une adaptation du cadre législatif du fonds Barnier. Il doit ainsi s'agir de prévoir son intervention pour les cas de submersion marine et de relever son plafond en matière d'indemnisation.

Mme Catherine Traca a rappelé que le fonds Barnier a été mis en place pour l'indemnisation de personnes soumises à des risques naturels graves, tels que le risque d'éboulement du massif de la Séchilienne. Différents aménagements législatifs ont ensuite conduit à élargir progressivement les missions de ce fonds.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'opportunité de prévoir la constitution de réserves obligatoires pour le fonds Barnier, selon un ratio à déterminer. Il a ensuite abordé la question du régime « catnat », en faisant part de l'existence de différentes propositions de réforme.

M. Gérard Andreck, président du GEMA, s'est félicité du modèle français d'assurance des catastrophes naturelles. Ce dernier représente l'un des systèmes les plus performants au monde. Il bénéficie en effet d'une large mutualisation, d'une présence dans la plupart des contrats d'assurance et de la garantie de l'Etat via la Caisse centrale de réassurance (CCR). Ce modèle pourrait toutefois être amélioré sur deux points : l'indemnisation des victimes de sécheresse et les procédures de zonage, notamment les zones d'expansion des crues. Les plans de prévention des risques constituent en revanche la principale faiblesse du régime actuel sur laquelle les pouvoirs publics doivent agir prioritairement.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur les intentions des assureurs quant à leur participation au débat public sur l'amélioration des régimes d'assurance.

M. Gérard Andreck, président du GEMA, a fait part de la volonté affirmée des sociétés d'assurance de contribuer à l'ensemble des réflexions en cours, y compris s'agissant des franchises.

Mme Catherine Traca, secrétaire générale adjointe du GEMA, a pour sa part exprimé son désaccord pour ce qui concerne la modulation des primes d'assurance en fonction du niveau de risque de la zone considérée. Elle a plaidé pour une conservation d'un mécanisme de solidarité et relevé le caractère modeste de la surprime induite par la tempête Xynthia, de l'ordre de deux à trois euros par contrat d'habitation. Le dispositif existant n'empêche pas la responsabilisation des assurés. Il appelle surtout un renforcement des politiques de prévention.

M. Bruno Retailleau, président, a observé le montant relativement conséquent des franchises : 380 euros pour les habitations, les véhicules à moteur et les autres biens à usage privé, d'une part, et 10 % du montant des dommages avec un minimum de 1.140 euros pour les biens à usage professionnel, sachant que les contrats peuvent prévoir une franchise supérieure. En outre, il s'est interrogé sur les limites de la culture du risque en France et sur les perspectives envisageables en matière de prévention.

En conclusion, M. Gérard Andreck, président du GEMA, a rappelé qu'environ 90 % des sinistrés seraient indemnisés dans le cadre de leur contrat d'assurance de droit commun. En effet, seuls 10 % des dossiers devraient relever du régime « catnat ». Il a souligné que l'aggravation prévisible des catastrophes naturelles, tant dans leur ampleur que dans leur fréquence, plaide pour des réponses adaptées, à l'instar de politiques de prévention plus ambitieuses.

Mme Chantal Jouanno, Secrétaire d'Etat chargée de l'écologie

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La mission a ensuite procédé à l'audition de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie.

Mme Chantal Jouanno a d'abord dressé un bilan des actions menées par les gouvernements successifs en termes de prévention des inondations, citant la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite « loi Barnier », ainsi que la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, dite « loi Bachelot ». Elle a également évoqué les débats sur les submersions marines dans le « Grenelle de la mer » ainsi que l'actuelle transposition de la directive européenne sur les inondations dans le projet de loi portant engagement national pour l'environnement.

Elle a ensuite rappelé le lancement, en 1995, des plans de préventions des risques naturels (PPRN), tendant à limiter l'urbanisation en zones à risques et à l'encadrer dans des zones de moindre risque. 7 750 communes avaient un tel PPR approuvé fin 2009, dont 6 600 pour le risque inondations. Par ailleurs, a-t-elle poursuivi, la prévision et l'alerte ont été renforcées avec l'instauration, depuis une dizaine d'années, de la vigilance météo, de la vigilance pluie-inondations et de la surveillance et la prévision des crues sur 20 000 km de cours d'eau, des travaux étant en cours depuis 2009 sur la submersion marine.

Les ressources financières, en particulier celles du fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit « fonds Barnier », ont été renforcées, tandis qu'une cinquantaine de plans d'actions de prévention des risques d'inondations (PAPI) et cinq plans « grands fleuves » ont concouru, entre autres, au renforcement des digues. Dans certaines zones à très fort risque de crue rapide, la délocalisation d'habitations, voire d'activités excessivement exposées ont été financées.

Restent cependant, a reconnu Mme Chantal Jouanno, certains points de faiblesse à traiter :

- les PPR sont contestés, étant accusés soit de trop contraindre le développement des territoires, soit de ne pas être totalement pertinents au regard du degré d'aléa retenu. L'adoption de nombre d'entre eux reste par ailleurs enlisée dans des procédures trop longues et complexes ;

- il convient de progresser pour intégrer en amont prévention des risques et organisation du territoire, par exemple au niveau des schémas de cohérence territoriale (SCOT) et des plans locaux d'urbanisme (PLU) ;

- le lien entre la surveillance des phénomènes, l'alerte et la gestion de la crise doit être renforcé, tout comme la performance des dispositifs, la capacité à couvrir un maximum de territoires à risques et l'aptitude à prendre en compte l'ensemble des phénomènes, qu'il s'agisse de submersion marine comme de ruissellement urbain ou rural ;

- 48 PAPI ont été conventionnés entre les collectivités locales et l'Etat depuis 2003, pour un total de 900 millions d'euros, dont un tiers pris en charge par l'Etat et deux tiers par les collectivités locales. Il convient à présent pour certains de dépasser la phase d'études et de lancer les travaux ;

- le renforcement et la gestion des digues doivent être revus. Nombre d'entre elles sont sans responsable actif, voire identifié, ce qui inévitablement retentit sur leur état. Les responsables privés ou publics ne sont pas forcément à la hauteur des enjeux techniques et financiers induits. Dans le même temps, les collectivités qui se lancent dans l'entretien des digues, par exemple sous forme de syndicats mixtes, s'interrogent sur leurs responsabilités à la fois financières et pénales, alors même qu'elles prennent une compétence non obligatoire.

Les 250 km de digues appartenant à l'Etat méritent d'être confortés en priorité ;

- si d'importantes avancées ont été enregistrées sur les crues fluviales, le bilan est moins bon sur les risques de submersion marine. Ainsi, sur 864 communes littorales, seuls 46 PPR ont été approuvés et 71 prescrits.

Mme Chantal Jouanno a appelé à développer des actions de terrain intégrant les sept piliers de la prévention : connaître les risques ; exercer la surveillance, la vigilance et alerte ; informer de façon préventive les citoyens ; aménager et urbaniser en intégrant le risque ; réduire la vulnérabilité ; préparer à la gestion de crise et intégrer le retour d'expérience. A cet égard, la transposition de la directive « inondations » implique tout à la fois d'identifier les territoires à risques importants, d'élaborer au niveau des grands bassins des plans de gestion des risques d'inondations et d'intégrer tous les types d'inondations, de la submersion marine au ruissellement urbain, en passant par les crues torrentielles ou de cours d'eau.

Evoquant ensuite les règles d'urbanisme et le droit des sols dans les zones dangereuses, Mme Chantal Jouanno a rappelé les objectifs fixés par le président de la République : arrêter de construire dans les zones à fort risque et réaliser les PPR inondations les plus importants d'ici trois ans. C'est dans cette optique que seront proposées, à l'occasion de l'examen du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, des modifications de la législation visant :

- à prévoir la définition par décret des grandes règles d'élaboration des PPR, notamment la détermination du niveau d'aléa, et des règles de constructibilité en fonction de l'ampleur du risque, de la nature urbanisée ou non de la zone et de l'existence de protections de qualité ;

- d'améliorer diverses procédures, comme le renforcement de la validité des PPR approuvés par anticipation et la simplification des processus de modification ;

- de réaffirmer la possibilité de limiter ou d'interdire les constructions dans les zones à risques, ainsi que l'impossibilité de tirer prétexte de l'existence d'ouvrages de protection pour construire dans des zones non urbanisées.

Mme Chantal Jouanno a par ailleurs souhaité améliorer la mise en oeuvre des mesures existantes, et ce par un renforcement des capacités de cartographie des territoires et des risques, mais aussi par une meilleure concertation avec les élus en vue de les inciter à introduire le plus en amont possible la prévention des risques dans les documents d'urbanisme. Elle a aussi souligné la nécessité d'une stratégie nationale de gestion du trait de côte, du fait notamment de la hausse prévisible du niveau de la mer, qui pourrait atteindre jusqu'à un mètre d'ici 2100, selon certains scénarios.

Elle a rapporté avoir demandé aux préfets et aux services déconcentrés, par une circulaire signée début avril, d'entamer les travaux sur le littoral en veillant à être intransigeants sur les constructions en zone à fort risque, y compris en l'absence de PPR ; d'identifier les territoires prioritaires nécessitant des PPR et de se préparer à les prescrire ; et d'évaluer les PPR prêts ou en voie de l'être et, s'ils sont de bonne qualité, de les appliquer par anticipation et de les mener rapidement au stade de l'enquête publique et à l'approbation. Elle a également dit avoir demandé aux 60 préfets n'ayant pas encore prescrit les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) qui les concernent de le faire dans les meilleurs délais, avec pour objectif l'intégralité des PPRT prescrits d'ici fin 2010. Seront diffusées par ailleurs des cartes des zones basses, tandis que la connaissance fine de la topographie du littoral sera renforcée.

S'agissant ensuite du plan de reconstruction et de renforcement des défenses contre la mer, Mme Chantal Jouanno en a rappelé les grands objectifs :

- renforcer les digues dans la durée, par rapport à leur destination actuelle. Ainsi, une digue n'ayant pas pour objet de protéger des zones occupées par des activités humaines ne pourra changer de destination ;

- prendre en compte, sauf exception dûment justifiée, le niveau de protection actuel visé par la digue qui, s'il est rehaussé au regard des enjeux à protéger, ne devra pas servir à augmenter l'exposition aux risques des populations ;

- ne pas créer de nouvelles digues destinées à ouvrir à l'urbanisation des zones exposées à un risque important ou perturbant l'expansion des crues ;

- interdire les constructions nouvelles derrière les digues dans les zones d'aléa fort, sauf certains bâtiments spécifiques et sauf les exceptions prévues par la future réglementation des PPR ;

- abandonner les digues protégeant des enjeux faibles ou bien se trouvant en déshérence ;

- inscrire le renforcement des digues dans une vision globale de la prévention du risque inondations, du type des PAPI ;

- renforcer les moyens de contrôle du respect de la réglementation relative à la sécurité des ouvrages ;

- prendre en considération les digues tant fluviales que maritimes ;

- créer les conditions de l'émergence et de la pérennité d'une maîtrise d'ouvrage compétente techniquement, solide financièrement et ayant les moyens de s'engager dans la durée.

Sur ce dernier point, a indiqué Mme Chantal Jouanno, des questions complexes restent à traiter, comme le caractère facultatif ou obligatoire de la compétence, son niveau communal ou départemental, la possibilité de lever une ressource pérenne et, enfin, l'appui de l'Etat au titre de la solidarité nationale et au regard de l'ampleur de l'enjeu. Aussi ce sujet sera t-il articulé avec la réforme des collectivités territoriales, en concertation avec la représentation nationale.

Sur le volet incitatif en revanche, des amendements seront examinés en urgence, s'agissant :

- d'élever le taux d'intervention du fonds Barnier, aujourd'hui au plus de 25 %, à 40 % si besoin, dans les communes couvertes par un PPR approuvé. Le FEDER pourra le compléter jusqu'à 50 %, cette demande devant être défendue au plus haut niveau communautaire ;

- de donner une compétence facultative aux communes et conseils généraux.

Puis elle a indiqué que sur 7 500 à 8 000 km de digues, 3 500 à 4 000 sont à conforter, pour un coût de l'ordre de 3,5 à 4 milliards d'euros. L'Etat doit, a-t-elle estimé, renforcer assez vite 250 km de digues fluviales, et mieux cerner les digues maritimes qui sont sous sa responsabilité. Le schéma théorique pourrait être, avec les ressources actuelles auxquelles serait adjoint un complément de l'ordre de 500 à 600 millions d'euros :

- 250 millions d'euros pour les digues d'Etat ;

- 550 millions d'euros d'aides aux collectivités.

Il conviendra de mobiliser des aides du Feder, en vue de lancer le renforcement de 1 600 km de digues prioritaires sur six ans, puis 150 à 175 km par an selon un programme s'étendant sur 18 à 20 ans.

Mme Chantal Jouanno a enfin souhaité augmenter les moyens humains dans les services de contrôle de la sécurité des ouvrages hydrauliques, digues et barrages. Ceux-ci sont passés de 20 équivalents temps plein (ETP) à 60 en deux ans, chiffre qu'il faudrait porter à 110 ou 120. Un renforcement des moyens sera par ailleurs également requis pour accélérer les PPR et améliorer la prévision des crues.

Au final, Mme Chantal Jouanno a rappelé qu'il conviendrait de veiller à ne pas suivre une politique du « tout digue », mais au contraire à combiner différents moyens de prévention et protection, ainsi qu'à ne pas chercher à urbaniser derrière les digues restaurées.

Rappelant que le ministre d'État chargé de l'environnement, M. Jean-Louis Borloo, avait annoncé lors de sa venue en Charente-Maritime à la mi-avril que les « zones noires » feraient l'objet d'une relecture, M. Michel Doublet a regretté l'annonce, la veille, de nouvelles zones de ce type dans un climat très tendu, s'interrogeant sur la pertinence du classement dans cette catégorie de maisons n'ayant pas été inondées.

Mme Chantal Jouanno a indiqué que le classement en « zones noires » avait été réalisé très rapidement en vue d'offrir aux personnes démunies de logement du fait de la tempête la faculté de faire racheter leur maison par l'Etat et de financer ainsi une nouvelle acquisition immobilière. Le zonage ayant été fait de manière globale et homogène, il peut englober des propriétés ayant été épargnées par les inondations. Cependant, il fera l'objet d'un travail d'affinement à la parcelle par des experts pour déterminer plus précisément lesquelles des maisons seront appelées à être détruites, après enquête contradictoire et déclaration d'utilité publique, sous le contrôle du juge. Les zonages actuels n'ont certes pas de caractère juridique, seuls ceux découlant des procédures d'expropriation étant appelés à en être dotés.

M. Daniel Laurent a déploré le manque d'information des élus et des populations à l'échelle locale et les effets dévastateurs sur l'opinion publique d'une communication qu'il a qualifiée de cacophonique. Puis il a interrogé la ministre sur le complément de financement des programmes de restauration des digues, l'Etat n'en prenant que la moitié à sa charge. Enfin, il a regretté les avis systématiquement réservés ou négatifs émis par les commissions des sites à l'encontre des projets de construction ou de renforcement de digues, qui bloquent ou retardent leur adoption et leur mise en oeuvre.

En réponse, Mme Chantal Jouanno a apporté les éléments de précision suivants :

- l'information a été délivrée par l'intermédiaire de la lettre de M. Jean-Louis Borloo aux maires, ainsi que par les délégués à la solidarité dépêchés sur le terrain ;

- l'intégralité des digues n'appartient pas à l'Etat. Il financera entièrement la restauration de celles dont il est propriétaire, portant pour les autres son soutien à 50 % du montant des travaux ;

- si le Gouvernement n'a pas été particulièrement alerté sur des problèmes liés aux commissions des sites, il reste ouvert à la réflexion sur ce point.

Mme Nicole Bonnefoy a souligné la contradiction du Gouvernement à souhaiter éviter tout mitage dans la détermination des « zones noires », tout en acceptant que celles-ci soient ensuite réétudiées afin éventuellement d'en extraire certaines parcelles.

Mme Chantal Jouanno a précisé que les « zones noires » avaient été définies de façon à ouvrir un droit à rachat suffisamment large et rapide. Elle a fait observer que le retrait du classement en « zones noires » de propriétés y figurant actuellement permettrait certes leur maintien, mais les fragiliserait davantage du fait de leur isolement et rendrait leur évacuation encore plus difficile.

Tout en rappelant qu'il ne souhaitait absolument pas remettre en cause le classement en « zones noires » des parcelles affectées par un risque mortel, M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur le développement d'un mouvement de contestation chez les populations concernées résultant d'une incompréhension des mesures gouvernementales.

Remarquant que la perception du risque par la population se rapportait au vécu de chacun, qui pouvait être en décalage avec le risque réellement encouru, Mme Chantal Jouanno a insisté sur le danger intrinsèque aux « zones noires » et rappelé les critères présidant au classement : la hauteur d'eau, supérieure à un mètre ; sa vitesse d'écoulement ; la proximité d'un pied de digue ; le positionnement en cuvette et la possibilité d'installer des dispositifs de protection.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, qui souhaitait savoir si le périmètre des « zones noires » serait superposable à celui des zones soumises à enquête d'utilité publique, Mme Chantal Jouanno a tout d'abord rappelé que ces zones étaient affectées d'un risque mortel. Elle a précisé que l'intégralité desdites zones ne figurerait pas dans le périmètre des zones soumises à enquête publique dans la mesure où la détermination de ces dernières serait précédée d'une étude détaillée préalable permettant d'affiner les parcelles situées en « zones noires ».

M. Philippe Darniche a souhaité savoir si des maisons à étages pourraient tout de même être classées en « zones noires ». Observant qu'une étude au cas par cas risquait d'entraîner des comparaisons et discussions sans fin, il a souligné la persistance d'une variable inconnue liée au degré de risque. Enfin, il a appelé à ce qu'interviennent rapidement les premières estimations immobilières et rachats subséquents, afin d'infléchir l'opinion publique dans un sens plus favorable.

M. Bruno Retailleau, président, a indiqué qu'une trentaine d'évaluateurs avait été dépêchée sur le terrain par l'administration, avec pour consigne d'opérer rapidement en veillant à donner la priorité aux résidences principales.

Mme Chantal Jouanno a alors apporté les précisions suivantes sur ce point :

- 34 évaluations sont en cours en Charente-Maritime et 76 en Vendée, la fin de la procédure y étant attendue pour respectivement la mi-juin et la fin mai ;

- 22 millions d'euros ont été délégués à cet effet dans le cadre du « fonds Barnier » ;

- le fait pour une maison en « zone noire » de posséder un étage n'est pas en soi un élément de protection, mais le devient en « zone jaune » ;

- il convient de prendre également en compte la qualité des constructions.

M. Bruno Retailleau, président, a noté que le fonds Barnier était plafonné à 60 000 euros par dossier et ne prenait pas en compte le risque de submersion marine. Il s'est par ailleurs interrogé sur l'opportunité de modifier son régime pour que le bilan entre le coût d'une expropriation et celui de mesures de protection alternatives ne soit plus le principal élément pris en compte.

Mme Chantal Jouanno a souligné que la procédure d'expropriation était une mesure ultime. Elle a par ailleurs rappelé que le Gouvernement souhaitait faire adopter, lors de l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, deux amendements tendant respectivement à étendre le « fonds Barnier » au risque de submersion et à définir par décret l'aléa de référence pris en compte dans les PPR. Elle a ajouté que le plafond du « fonds Barnier » avait été porté par arrêté de 60 000 à 240 000 euros.

Répondant à M. Bruno Retailleau, président, Mme Chantal Jouanno a indiqué que le Gouvernement souhaitait aller vite, et clore la phase d'expertise préalable d'ici la fin de l'été.

Répondant ensuite à M. Jean-Claude Merceron, qui regrettait par ailleurs que le Sénat ne puisse se prononcer sur les modifications introduites dans le projet de loi portant engagement national pour l'environnement, Mme Chantal Jouanno a annoncé que les amendements du Gouvernement sur ce texte, qui avaient un caractère d'urgence, étaient d'ores et déjà consultables. Précisant que le Gouvernement consultait le Conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs, elle a ajouté que les adaptations de fond de la législation pourraient faire l'objet ultérieurement d'une proposition de loi.

M. Bruno Retailleau, président, a convenu de la nécessité d'utiliser rapidement un véhicule législatif pour les mesures les plus urgentes, soit le projet de loi portant engagement national pour l'environnement, dont la commission mixte paritaire est prévue pour le 16 juin. En revanche, il a insisté sur la volonté de la Haute assemblée d'examiner les mesures dépourvues de caractère d'urgence, et s'est enquis de savoir si un amendement imposerait des délais pour l'adoption des PPR.

Mme Chantal Jouanno a rappelé les cinq mesures portées par les amendements du Gouvernement dans le projet de loi, et précisé que n'y figurait pas la question des délais d'adoption des PPR.

M. Bruno Retailleau, président, s'étant inquiété de ce que le « fonds Barnier » ne permette pas de financer à la fois l'indemnisation des victimes de la tempête et les programmes de renforcement des digues, Mme Chantal Jouanno a rappelé que ce fonds disposait, au début de l'année, d'un reliquat de 75 millions d'euros, que l'Etat pourrait l'abonder et, en tout état de cause, que des ressources nouvelles resteraient à dégager, principalement pour le financement des digues.

M. Bruno Retailleau, président, l'ayant interrogée sur les facteurs humains de responsabilité auxquels faisait allusion le président de la République dans le discours qu'il a prononcé suite à la tempête Xynthia, Mme Chantal Jouanno a évoqué des responsabilités diffuses et partagées découlant de constructions dans les zones à risque. Se félicitant du bon fonctionnement du dispositif de prévision et d'alerte, elle a noté que l'expérience de la tempête de 1999 avait permis de mieux se préparer et que le processus d'apprentissage était continuel.

Convenant avec M. Bruno Retailleau, président, qu'il s'agissait davantage d'un problème lié davantage à l'application des normes qu'à leur contenu, Mme Chantal Jouanno a répondu à ce dernier, qui l'interrogeait sur le conflit d'intérêt relevé par la mission en Charente-Maritime pour la construction ou le renforcement de digues entre sécurisation des personnes d'un côté, et préservation de l'environnement de l'autre, que le principe de sécurité primait systématiquement. Estimant que le droit de l'environnement n'empêchait en rien l'entretien des digues existantes, elle a convenu qu'il pouvait s'opposer à la construction de nouveaux ouvrages de protection, surtout s'ils avaient pour but de protéger des opérations immobilières de nature spéculative.

M. Bruno Retailleau, président, ayant attiré son attention sur les problèmes de gouvernance liés à la multiplicité des propriétaires de digues, Mme Chantal Jouanno a dit attendre les conclusions de la mission travaillant actuellement sur le sujet.

Rapportant l'hostilité des propriétaires privés des digues à leur transmission à un opérateur public centralisé, M. Bruno Retailleau, président, s'est prononcé en faveur d'une gestion de proximité, faisant remarquer que l'Etat n'aurait pas les moyens d'entretenir des centaines de kilomètres d'ouvrages.

Mme Chantal Jouanno s'est dite ouverte sur la question, pointant les difficultés d'ingénierie existant en ce domaine.

Jugeant que cette dernière pouvait être mutualisée, M. Bruno Retailleau, président, a préconisé une meilleure prise en compte du trait côtier et du cordon dunaire, faisant état du recul de 5 à 22 mètres de ce dernier relevé par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

Mme Chantal Jouanno a indiqué que ces problématiques, étroitement liées, étaient au coeur du « Grenelle de la mer ».

Anticipant une montée du niveau de la mer de 20 à 50 cm d'ici cinquante ans, et faisant état d'un tassement des digues existantes, M. Bruno Retailleau, président, a interrogé la ministre sur l'opportunité d'un rehaussement de ces dernières.

Mme Chantal Jouanno s'y est montrée favorable, s'agissant de la protection du bâti existant, estimant en revanche que la préservation des activités économiques, par exemple ostréicoles, n'était pas prioritaire. Elle a par ailleurs fait observer que le risque résultant d'une surverse était d'autant plus grand que la digue était haute.

Notant que le financement de la restauration des digues était facilement assuré lorsque l'Etat en prenait en charge une moitié, M. Bruno Retailleau, président, s'est inquiété de savoir si celui-ci continuerait de s'engager ainsi dans la durée.

Mme Chantal Jouanno a indiqué que l'amendement portant l'intervention du « fonds Barnier » à 50 % des dossiers était dépourvu de date-butoir.

M. Bruno Retailleau, président, s'étant dit sceptique sur la capacité du « fonds Barnier » à porter durablement le financement des opérations de restauration attendues, Mme Chantal Jouanno a estimé celui-ci opérationnel pour les deux prochaines années, tout en reconnaissant la nécessité d'un complément de financement à hauteur de 500 ou 600 millions d'euros pour le « plan digues ». Elle a par ailleurs confirmé le soutien de l'Etat à hauteur de 50 %, sans qu'il soit restreint aux travaux d'urgence.

Convenant à son tour du bon fonctionnement global du dispositif d'alerte, M. Bruno Retailleau, président, a toutefois noté une carence, dans la modélisation de la tempête, s'agissant de son impact sur les côtes.

Mme Chantal Jouanno a souligné les importants progrès réalisés en matière de prévision, notamment dans l'évaluation du niveau des vagues en mer. Elle a reconnu que des progrès restaient à réaliser dans leur modélisation sur terre, du fait de la difficulté à prendre en compte la topographie des sites. Il s'agit là d'un sujet de recherche actuel, qui rejoint les travaux menés sur l'impact d'un tsunami en Méditerranée, et qu'il faudra croiser avec ceux réalisés sur les crues des principaux fleuves français. Les éléments de faiblesse concernent aujourd'hui la modélisation des crues sur les fleuves moins importants, ainsi que la submersion marine dans les zones littorales basses.

M. Bruno Retailleau, président, a relevé l'existence d'un dispositif de modélisation très abouti en Gironde, du fait de l'implantation d'une centrale nucléaire. Il a par ailleurs fait état de points de faiblesse dans le Nord de la France et dans le bassin méditerranéen.

M. François Démarcq, Directeur général délégué du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) M. Thierry Winter, adjoint au chef de service « risques naturels » MM. Manuel Garcin et Rodrigo Pedreros, co-auteurs du compte rendu de mission préliminaire du BRGM sur la tempête Xynthia

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La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de M. François Démarcq, directeur général délégué du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), Thierry Winter, adjoint au chef de service « risques naturels », M. Manuel Garcin et M. Rodrigo Pedreros, co-auteurs du compte rendu de mission préliminaire du BRGM sur la tempête Xynthia.

M. François Démarcq, directeur général délégué du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), a présenté le BRGM, établissement public de recherche qui se consacre aux phénomènes et ressources liés au sous-sol, avec une mission d'appui aux politiques publiques dans ses domaines de compétence. Le BRGM compte 1 000 personnes environ dont 25 personnes travaillant sur les risques littoraux. Il travaille sur les risques naturels (séismes, volcanisme, mouvements de terrain, risques liés aux cavités souterraines et risques côtiers) ainsi que sur l'eau, la géologie et les ressources minérales. Ainsi, le BRGM a pu mener ces dernières années, sur financement du « fonds Barnier », un grand programme de recherche lié à la problématique de la sécheresse (gonflement des argiles). Sa spécialité est la cartographie des aléas. Dans le domaine spécifique des risques littoraux (érosion, submersion marine), le BRGM travaille dans le cadre de programmes européens. Avec l'Office national des forêts (ONF) et l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), le BRGM a travaillé sur l'évolution du trait de côte en Aquitaine. Il a également conduit des recherches sur l'impact des houles, des tempêtes et phénomènes cycloniques dans plusieurs régions françaises métropolitaines et d'outre-mer.

M. Manuel Garcin, co-auteur du compte rendu de mission préliminaire du BRGM sur la tempête Xynthia avec M. Rodrigo Pedreros, a présenté, à l'aide d'une vidéo-projection, les principaux éléments de conclusions de la mission conduite du 8 au 12 mars 2010. Menée en collaboration avec l'ONF pour la gestion des dunes domaniales, la mission avait pour objectif de mesurer les phénomènes d'érosion, les niveaux d'inondation, et les dégâts induits par la tempête sur une côte de 240 kilomètres, à dominante sableuse, avec quelques secteurs à dominante vaseuse. Les principales constatations sont l'érosion de l'ensemble du cordon dunaire, de 3 mètres à 22 mètres, avec un phénomène de « falaisage » des dunes, une submersion marine très importante avec un cote absolue dépassant 4,5 mètres NGF (nivellement général de la France) et des dommages très importants aux habitations (érosion et affouillement des fondations, destructions par l'action directe des vagues) ainsi qu'aux infrastructures portuaires et routières. Les digues ont été fortement endommagées.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé des précisions sur la brèche du cordon dunaire dans le secteur de la Belle Henriette à la Faute-sur-Mer, sur la norme de référence NGF et la définition de la cote absolue.

M. Manuel Garcin a répondu que la brèche s'était produite dans le bas de la dune dans le secteur de la Belle Henriette, la mer retrouvant ainsi le cours de la rivière Le Lay.

M. Rodrigo Pedreros a précisé que la norme NGF correspondait au nivellement moyen du territoire métropolitain et que la cote absolue était le niveau d'eau maximal atteint lors de la submersion marine.

M. Rodrigo Pedreros a présenté les apports de modélisation numérique du BRGM. Il a détaillé le phénomène de la tempête Xynthia, caractérisée par une marée haute, des vents sud/sud-ouest créant des vagues au large, et une « surcote atmosphérique ». Au marnage (différence entre les niveaux haut et bas de la marée) se sont ajoutées la surcote atmosphérique et la surcote liée aux vagues (« set-up ») entraînant un jet de rive (« run up »), le tout atteignant la cote de 4,506 mètres NGF. L'état des recherches permet de modéliser avec une grande précision l'ensemble du phénomène, à l'exception de la phase de déferlement, dont l'effet dépend de facteurs qui ne sont pas toujours connus, comme la réaction de la roche sédimentaire. Pour ces travaux, le BRGM a utilisé les données du Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) de La Rochelle.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur la mention dans le rapport de mission du BRGM selon laquelle, « si l'on extrapole le niveau de 4,5 mètres NGF atteint à La Rochelle, cela correspondrait à une période de retour proche de 10 000 ans ».

MM. Manuel Garcin et Thierry Winter, adjoint au chef de service « risques naturels », ont souligné la mauvaise interprétation de cette observation par certains médias : il ne s'agissait pas d'affirmer qu'un phénomène comme la tempête Xynthia ne pourrait se reproduire que tous les 10 000 ans, mais de souligner qu'en extrapolant les hypothèses actuelles de « retour centennal », on aboutissait à cette probabilité statistique aberrante. Il s'agissait de mettre en valeur le fait que les extrapolations statistiques actuelles se fondent sur des données récoltées sur quelques dizaines d'années, ce qui en limite la validité.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé comment le BRGM pouvait intervenir en prévision des risques naturels et la manière dont il travaillait avec d'autres établissements comme Météo-France ou l'IFREMER.

M. Rodrigo Pedreros a répondu que le BRGM pouvait réaliser des simulations très précises, approchant la réalité, sur les niveaux d'eau en fonction de certaines données, mais qu'il ne jouait encore aucun rôle en matière de prévision des effets d'un phénomène naturel sur le point de survenir, Météo-France et l'IFREMER développant leurs propres modèles. Le BRGM fait des calculs a posteriori, il ne participe pas au dispositif d'alerte et se situe dans une logique de prévention plutôt que dans une logique opérationnelle face à un phénomène climatique.

M. Rodrigo Pedreros a conclu sa présentation par des perspectives, notamment confier au BRGM la prévision des niveaux d'eau au rivage à l'échelle régionale et si possible locale grâce à une connaissance topographique fine et à la modélisation des phénomènes de submersion. Il a évoqué des projets de recherches qui ont été conduits au Sri Lanka dans le cadre d'une aide de la France après le tsunami, et un projet en Languedoc-Roussillon et à Tahiti en Polynésie.

M. Manuel Garcin a indiqué que ces modélisations très précises des effets de submersion sur des zones côtières ne pouvaient être réalisées que sur des zones restreintes, qui ne pouvaient aller jusqu'au plan régional ou national.

M. Thierry Winter a expliqué que le BRGM commençait cependant à disposer d'outils qui permettraient une hiérarchisation des zones à risques à une échelle régionale, et qui seraient utiles dans la préparation des plans de prévention des risques d'inondations (PPRI).

M. François Démarcq a ajouté que le BRGM pouvait procéder à des recherches qui se fonderaient sur les niveaux d'eau extrêmes enregistrés par le SHOM, en appliquant des formules semi-empiriques permettant de caractériser le phénomène de « jet de rive » zone par zone, et en intégrant ces données à un modèle numérique de terrain pour mesurer les effets de la submersion marine sur les terres.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, sur le coût de telles recherches, M. Thierry Winter a répondu que celui-ci pouvait être estimé entre 500 000 euros et un million d'euros pour couvrir l'ensemble du territoire métropolitain sur une durée de deux ans. Cela permettrait de hiérarchiser les secteurs les plus exposés aux risques d'inondation et de faciliter les travaux de prévention. Dans un second temps, il serait possible de réaliser une modélisation à une échelle locale, grâce à un modèle numérique de terrain de très haute résolution (litto3D).

M. Bruno Retailleau, président, a demandé aux chercheurs du BRGM ce qu'ils pensaient de la fiabilité de la définition des « zones noires » et s'il fallait, selon eux, rehausser les digues.

M. Thierry Winter a répondu que les critères de définition des zones noires n'étaient pas seulement liés à des données scientifiques mais également à des considérations telles que le degré de protection des habitations ou les facilités d'évacuation, ce qui ne permettait pas de porter un jugement technique. Par ailleurs, il a souligné que la tempête Xynthia constituait la vraie référence puisque c'était bien là l'évènement qui s'était déroulé, et que les modèles scientifiques ne pouvaient pas remplacer l'expérience réelle. Pour les digues, il a indiqué que tout dépendait du niveau de protection que l'Etat souhaitait apporter aux habitants : les constatations du BRGM ont montré que les digues en Vendée et en Charente-Maritime étaient sous-dimensionnées pour un phénomène de retour centennal, mais on ne peut construire des digues qui résistent à tout et il y a des arbitrages, notamment financiers, à réaliser.

M. Bruno Retailleau, président, s'est ensuite interrogé sur l'élévation générale du niveau de la mer.

M. François Démarcq a confirmé que l'on se situait dans une dynamique d'élévation du niveau des mers.

MM. Manuel Garcin et Rodrigo Pedreros ont ajouté que le GIEC estimait que le niveau des mers s'élèverait de soixante-cinq centimètres à l'horizon 2100, d'autres estimations faisant désormais état d'une hausse d'un mètre à un mètre et vingt centimètres, en prenant en compte la fonte des calottes glacières. Les observations satellitaires permettent aujourd'hui d'enregistrer une hausse de deux millimètres par an.

A la question de M. Bruno Retailleau, président, sur la dégradation du cordon dunaire suite à la tempête Xynthia, M. Thierry Winter a confirmé que le recul et le falaisage des dunes étaient source d'une aggravation des risques de submersion marine.

M. François Démarcq a souligné l'importance de disposer de données de terrain fiables et actualisées qui permettent de connaître l'évolution morphologique de l'ensemble du trait de côte.

En conclusion, M. François Démarcq a indiqué que, pour les missions dans le champ de compétence du BRGM, la priorité devait être accordée à la définition des zones à risques de submersion marine au plan national, ce qui permettra de mieux préparer les plans de prévention des risques.

M. Dominique Bussereau, Secrétaire d'Etat chargé des transports

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Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat chargé des transports.

M. Bruno Retailleau, président, a rappelé que l'audition de M. Dominique Bussereau par la mission se tient à double titre, en tant que membre du Gouvernement mais aussi en tant que président du conseil général de Charente Maritime.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat chargé des transports, a précisé que les systèmes d'alerte ont correctement fonctionné en amont du déclenchement de la catastrophe. Suite à l'information des maires par le préfet de Charente Maritime, plusieurs mesures d'évacuation ont ainsi été prises permettant de réduire le nombre de victimes. L'ampleur du vimer, conjonction particulièrement puissante dans le cas de Xynthia de vents violents et de fortes marées, n'avait pu, quant à elle, être anticipée. En dépit de la gravité et de l'étendue des phénomènes de submersion et d'inondation, les opérations de sauvetage ont été conduites de manière remarquable. Il convient de souligner la grande réactivité des pouvoirs publics face à la catastrophe. Les visites de terrain du Président de la République et des membres du Gouvernement ont ainsi permis d'apprécier rapidement les conséquences de la tempête Xynthia et de proposer des mesures d'urgence.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité savoir si les moyens aériens mobilisés en vue du sauvetage des victimes ont rencontré des difficultés.

M. Dominique Bussereau a souligné que la réussite des opérations de sauvetage doit beaucoup au rôle essentiel joué par l'officier de liaison, qui a assuré une communication et une coordination particulièrement efficaces entre les différents services de secours.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur la présence éventuelle d'obstacles en matière de procédures et de délais d'indemnisation, ainsi que sur les dégâts causés aux exploitations agricoles.

M. Dominique Bussereau a relevé la forte implication des assureurs dans la gestion des conséquences de la tempête Xynthia. M. Bernard Spitz, président de la fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), a ainsi accompagné le Président de la République lors de son premier déplacement sur les lieux de la catastrophe, le lundi 1er mars 2010. Le médiateur des assurances, M. Yann Boaretto, a ensuite été nommé afin de faciliter l'exécution des procédures d'indemnisation.

Pour ce qui concerne les délais d'indemnisation eux-mêmes, s'il subsiste encore quelques cas de mécontentement, c'est principalement parce que l'ensemble des sinistrés n'ont pas encore reçu la visite des experts des sociétés d'assurance.

S'agissant enfin des agriculteurs, le ministre de l'Alimentation, de l'agriculture et de la pêche s'est fortement mobilisé pour répondre à leurs difficultés. Il convient à cet égard de distinguer les dommages réparables à court terme de dégâts plus indirects, à l'instar de la salinisation des terres qui nécessitera un gypsage conséquent. Pour le plan exceptionnel en faveur de l'aquaculture, un montant de 20 millions d'euros a été notifié et accepté par la Commission européenne. Cette somme devrait être consacrée pour 75 % aux agriculteurs de Charente Maritime, le reste allant aux producteurs vendéens. L'attribution des aides devrait relever d'une commission associant des représentants des départements, des régions et de l'Etat, comme dans le cas de la tempête de décembre 1999. Cette commission aura aussi pour mission d'attribuer, au cas par cas, des avances aux professionnels.

M. Bruno Retailleau, président, a évoqué les difficultés liées au traitement des indemnisations au titre du fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC), ainsi que celles résultant du plafonnement du chiffre d'affaires des entreprises éligibles à un million d'euros. S'agissant des agriculteurs, il s'est interrogé sur le taux moyen de couverture des dégâts indemnisés par l'intermédiaire du fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA), qui pourrait s'établir autour de 35 %.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat chargé des transports, est convenu de la faiblesse du seuil d'éligibilité au FISAC. Il a ensuite souligné que le FNGCA constitue l'outil adapté pour les biens non assurables, surtout que le Gouvernement devrait proposer que le taux moyen de couverture par ce fonds soit porté à 40 % dans le cas précis des conséquences de la tempête Xynthia. Enfin, il a indiqué que l'indemnisation des exploitants agricoles devrait représenter la difficulté majeure en matière de réparation des dégâts causés par la tempête Xynthia. Ainsi, l'acheminement de gypse sur les sites submergés devrait représenter un coût considérable, dont le montant n'est pas connu à ce stade. En outre, la possibilité de recourir aux crédits communautaires reste encore incertaine, en particulier s'agissant du fonds de solidarité de l'Union européenne (FSUE). Une part des crédits du fonds européen de développement régional (FEDER) devrait faire l'objet d'un redéploiement. Ainsi, au moins cinq millions d'euros pourraient être destinés à des travaux de reconstruction des digues.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur les motifs de la forte contestation des zones noires. Il a fait valoir que les différents discours tenus par les membres du Gouvernement concernant ce sujet ne sont pas toujours de nature à apaiser les tensions exprimées sur le terrain.

M. Dominique Bussereau a rappelé que le Président de la République, dans son discours prononcé à La Roche-sur-Yon le 16 mars 2010, visait explicitement l'interdiction de la reconstruction d'habitations sur des sites exposant à un risque mortel. Il a toutefois déploré que ces mesures de zonage aient ensuite été prises par les services de l'Etat dans la précipitation et en l'absence de toute concertation. A cet égard, il a regretté la prise en charge de l'élaboration de ces mesures par les préfets alors que des hauts fonctionnaires moins engagés dans la gestion de la crise auraient pu être spécialement nommés pour mettre en place ce dispositif.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat chargé des transports, a ensuite plaidé pour une approche différenciée des zones selon le caractère plus ou moins inhabituel des inondations. Ainsi, dans les villes, à l'instar de La Rochelle, ou dans des îles comme l'île de Ré ou l'île d'Oléron, ces phénomènes ne sont pas connus et provoquent des effets d'autant plus lourds qu'ils ne sont pas anticipés. Il a enfin observé que l'affectation de marais à des activités économiques telles que la pisciculture les a empêchés de jouer leur rôle d'absorbeur naturel, ce qui a amplifié les dégâts causés par la submersion marine.

M. Alain Anziani, rapporteur, a évoqué le flou qui entoure le régime juridique des zones noires, alors que des objectifs clairs doivent être conciliés avec une méthode efficace sur le plan de la mise en oeuvre des moyens.

M. Dominique Bussereau a estimé ces mesures suffisamment précises. D'une part, les zones jaunes, inondées mais non submergées, feront l'objet d'une prise en charge dans le cadre du plan digues. D'autre part, les zones orange ont vocation à devenir noires ou jaunes. Enfin, les zones noires, ou zones de solidarité, donneront lieu à des procédures de rachat à l'amiable des habitations. En cas de désaccord des sinistrés, une expropriation pourra intervenir suite à une enquête publique ayant débouché sur une déclaration d'utilité publique de l'opération. Celle ci sera soumise au contrôle du juge administratif, tandis que le montant de l'indemnité pourra être contesté devant le juge civil.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'existence de procédures contradictoires préalables aux expropriations.

M. Dominique Bussereau a indiqué que le Président de la République avait prévu la possibilité d'aménagements à la marge s'agissant des zones noires. Il a précisé que dans le cas d'accord des sinistrés sur la démarche à l'amiable proposée par le Gouvernement, les Domaines se rendent sur place pour évaluer la valeur du bien immobilier. Si les habitants souhaitent conserver leur maison, une enquête publique, soumise au principe du contradictoire, devra être ouverte et ce n'est qu'à son terme que l'Etat choisira de lancer ou non une procédure d'expropriation.

M. Dominique Bussereau a observé que les services du conseil général de Charente Maritime ont créé une ligne téléphonique gratuite, destinée à la fois à l'assistance aux victimes et à la gestion des sinistres.

M. Bruno Retailleau, président, a ensuite évoqué les difficultés liées à l'entretien des digues. Il a mis en exergue la contradiction potentielle entre les préoccupations environnementales et les objectifs de prévention et de protection des personnes.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat chargé des transports, a observé que les problèmes posés par la reconstruction et l'entretien des digues sont différents selon le type de digue, en particulièrement sur le plan de leur mode de financement et sur celui des procédures juridiques qui les régissent. Trois types de digues doivent ainsi être distingués :

- les ouvrages de protection en terre, propriété d'associations syndicales agricoles le plus souvent, relèvent du domaine privé bien qu'ils contribuent fréquemment à la protection de villages et d'infrastructures publiques ;

- les digues « en dur », construites sur le domaine public naturel (DPN) et qui sont donc la propriété de l'Etat, mais dont les départements assurent en réalité la maîtrise d'ouvrage des travaux ;

- les grandes digues entretenues directement par l'Etat, par le Conservatoire du littoral ou par de grandes entreprises publiques nationales, à l'image de Réseau ferré de France (RFF) ou la Société nationale des chemins de fer français (SNCF).

Dans certains cas, les travaux sur les digues nécessiteront de plus un examen par les commissions des sites. Pour mettre en oeuvre efficacement le plan digues, le Gouvernement devra répondre aux deux enjeux que sont la répartition du coût des travaux et l'évolution des règles en vigueur. Par ailleurs, la région Poitou Charentes pourrait utilement intervenir financièrement dans les travaux de reconstruction des digues, à l'image de ce que la région Pays-de-la-Loire s'est engagée à faire.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat chargé des transports, a estimé que la création d'un établissement public chargé de la gestion des digues représente une piste intéressante. Il serait également possible de confier au Conservatoire du littoral un rôle transversal dans le suivi et l'expertise de ces ouvrages. Une telle piste présente l'intérêt d'être plus consensuelle, puisqu'elle est compatible avec le maintien de propriétaires de proximité, à l'image des collectivités territoriales.

Le conseil général de Charente-Maritime a créé pour sa part une « mission littoral », dont l'expertise participera à la réflexion engagée par l'Etat et les régions. Cette mission s'appuiera notamment sur l'activité et les travaux de recherche de l'union des marais de la Charente-Maritime (UNIMA) et de l'institut du littoral et de l'environnement de l'université de La Rochelle.

M. Bruno Retailleau, président, a fait part de ses réserves quant à la création d'un établissement public national chargé de la gestion des digues, bien que le caractère public de la maîtrise d'ouvrage doive désormais devenir systématique.

M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité savoir si le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), ou fonds « Barnier », constitue un instrument satisfaisant et si le régime d'assurance des catastrophes naturelles, dit « catnat », doit être révisé comme le recommandait le rapport de la mission d'enquête sur le régime d'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles en 2005 et le rapport du groupe de travail du Sénat sur la sécheresse de 2003.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat chargé des transports, a plaidé pour une utilisation plus rationnelle du fonds Barnier : il convient en effet de conserver en son sein des réserves conséquentes et de réduire la part des crédits utilisée à des fins de recherches et d'études. Par ailleurs, il a indiqué que le régime « catnat » n'appelle pas d'observations particulières de sa part.

M. Bruno Retailleau, président, a fait état d'une pression importante en matière d'urbanisation du littoral. Selon une étude des Nations-Unies, 80 % de la population mondiale devrait ainsi habiter sur une bande côtière de 100 kilomètres au cours des prochaines années.

M. Dominique Bussereau a rappelé que le rôle des maires en matière d'urbanisme procède d'une délégation de l'Etat : il s'agit en effet d'une compétence déconcentrée mais non décentralisée. Les politiques d'urbanisation sont donc théoriquement mises en oeuvre au niveau local sous un contrôle particulièrement strict de l'Etat. Celui ci doit donc assumer la plénitude de ses responsabilités tout en veillant à conseiller les collectivités territoriales dans leurs prises de décision. Par ailleurs, il pourrait être envisagé d'associer avantageusement l'Etat à la définition des schémas de cohérence territoriale (SCOT). En revanche, le transfert aux intercommunalités de la compétence des communes en matière de droit de l'urbanisme n'apparaît pas opportun.

M. Bruno Retailleau, président, a ensuite évoqué le double rôle de l'Etat, dans l'instruction en amont et dans le contrôle de légalité en aval, ce dernier étant réalisé par échantillonnage.

M. Dominique Bussereau est convenu que la coexistence ces deux fonctions ainsi que le mode de contrôle par simple échantillon pouvaient créer une difficulté. Mais il a souligné que l'urbanisme était un domaine sur lequel les citoyens exerçaient une particulière vigilance.

M. Alain Anziani, rapporteur, s'est interrogé sur la possibilité de transférer aux intercommunalités ou aux départements la compétence de délivrance des permis de construire, ainsi que sur l'opportunité pour l'Etat d'abandonner son rôle d'instructeur au profit d'un recentrage sur le contrôle de légalité.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat chargé des transports, a observé que les intercommunalités développent de fait une compétence en matière de droit de l'urbanisme. Sans leur confier la responsabilité de la délivrance des permis de construire, il pourrait être envisagé d'accroître leurs missions de conseil aux communes, au moins à titre facultatif.

En conclusion, il s'est félicité de la démarche de la mission d'information du Sénat sur les conséquences de la tempête Xynthia, qui a contribué, notamment par son déplacement en Charente Maritime et en Vendée, à l'apaisement de la relation entre les pouvoirs publics et les sinistrés. En outre, il a fait état de deux attentes quant aux travaux de la mission : une analyse précise des événements, d'une part, et des préconisations utiles pour l'avenir, d'autre part.

M. Jean-Jacques Brot, Préfet de la Vendée

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Puis la mission a procédé à l'audition de M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur la qualité de l'alerte météo transmise aux maires et sur les actions entreprises par la préfecture avant le passage de la tempête Xynthia, M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée, a indiqué que l'insuffisance de la culture du risque en France métropolitaine avait été pénalisante dans la phase d'alerte, mais que le bulletin envoyé par Météo France, par sa précision sur le niveau de surcote, avait permis aux services préfectoraux de réagir rapidement : ainsi, une cellule de crise a été réunie dès le 27 février à 22 heures, tandis qu'une cellule opérationnelle était installée dès minuit. Il a précisé que cinq messages d'alerte avaient été envoyés à chaque maire par plusieurs moyens de communication, mais que ceux-ci étaient restés lettre morte dans certaines communes, comme à La Faute-sur-Mer. Dans ce cadre, il a souligné qu'aucun maire n'avait sollicité l'appui de la préfecture pour organiser l'évacuation des populations dans les zones menacées d'inondation, mais que cette mesure pourrait être prévue à l'avenir ; il a estimé qu'une évacuation ne pouvait pas être improvisée et qu'il était nécessaire d'anticiper les modalités de sa mise en oeuvre en l'intégrant aux plans communaux de sauvegarde (PCS), qui devraient alors délimiter des « zones de repli » permettant de protéger les populations évacuées. Il a en outre fait valoir que, en tout état de cause, aucune évacuation n'aurait pu être menée au cours de la tempête, c'est-à-dire de nuit et avec des vents de plus de 130 km/h, puisqu'une telle décision aurait mis en danger la vie des personnes évacuées et des sauveteurs.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée, a indiqué que, parmi les 69 communes vendéennes qui devraient être couvertes par un PCS, 49 (dont les communes de La Faute-sur-Mer et de L'Aiguillon-sur-Mer) étaient dépourvues d'un tel document, ce qui avait poussé la préfecture à leur adresser un courrier le 12 mars 2010 afin de leur proposer son soutien dans l'élaboration de ce plan.

À Mme Nicole Bonnefoy, qui rappelait que M. Dominique Bussereau avait déclaré, lors de son audition par la mission, que des évacuations avaient été réalisées en Charente-Maritime sur instruction du préfet, M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée, a répondu qu'il n'était arrivé en Vendée que depuis treize jours au moment du passage de la tempête et que s'il avait eu une plus grande connaissance des lieux (notamment la situation de la « cuvette » de La Faute-sur-Mer, dont il a considéré qu'elle était scandaleusement lotie), il se serait rapproché du maire de La Faute-sur-Mer en vue de procéder à une évacuation.

Interrogé par M. Dominique de Legge sur le contenu exact du message d'alerte envoyé par Météo France, M. Jean-Jacques Brot a rappelé que la tempête Xynthia avait fait l'objet d'une alerte rouge, ce qui signalait son caractère exceptionnel, et qu'elle avait été largement annoncée par les médias, si bien que les populations et les élus locaux avaient été parfaitement informés de la gravité de l'évènement ; dès lors, il a jugé que les maires des communes exposées à des risques d'inondation forts auraient dû tirer les conséquences de cette alerte en contactant la préfecture pour organiser, en amont, la gestion de la tempête.

En réponse à une remarque de Mme Gisèle Gautier, qui s'étonnait de l'absence de communication entre les préfets de Charente-Maritime et de Vendée, M. Jean-Jacques Brot a exposé que ces deux départements appartenaient à deux régions différentes et que les préfectures avaient dû agir dans l'urgence, ce qui expliquait qu'elles ne se soient pas concertées sur les mesures à prendre pour faire face à la violence de la tempête. Plus précisément, il a rappelé que la préfecture de Vendée, en l'absence de PCS comportant des plans d'évacuation et de demandes particulières des communes, n'avait pas pu évacuer les populations menacées.

M. Bruno Retailleau, président, a jugé que les questions relatives à la culture du risque, d'une part, et à la modélisation des risques complexes, comme les risques de submersion marine qui imposent de croiser plusieurs éléments et de modéliser l'impact de phénomènes maritimes sur la côte, d'autre part, devraient être traitées par la mission, qui serait amenée à formuler des propositions sur ces thèmes.

M. Philippe Darniche a marqué son accord avec ces propos et a estimé que la tempête Xynthia devait inciter les communes littorales à modéliser des plans d'évacuation et mettre en place des actions de préparation (entraînements, exercices...) afin de renforcer leur culture du risque.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur l'organisation des secours, M. Jean-Jacques Brot a déclaré avoir été impressionné par le professionnalisme, le dévouement et l'héroïsme de tous ceux qui avaient contribué aux sauvetages, malgré des problèmes matériels particulièrement graves : il a indiqué que les téléphones mobiles avaient connu des pannes lourdes, si bien que pendant douze heures, les services de secours n'avaient disposé que d'une seule ligne fixe ; toutefois, il a précisé que la zone de défense Ouest, basée à Rennes, ainsi que la direction de la sécurité civile, avaient apporté une aide précieuse aux secours vendéens.

M. Bruno Retailleau, président, a relevé que le problème de l'effondrement des réseaux de communication s'était également posé lors de la tempête Katrina à la Nouvelle-Orléans, et qu'il était nécessaire que la stratégie française de réponse aux crises intègre, à l'avenir, cet élément.

Mme Gisèle Gautier a rappelé que, lors de la visite de la mission au SDIS de Vendée, il avait été fait état de lourdes difficultés avec l'opérateur SFR, qui avait mis plusieurs jours à rétablir son réseau alors même que ce rétablissement était d'une importance capitale pour les services de secours, ce que M. Jean-Jacques Brot a confirmé ; elle a estimé que cette situation était aberrante et que la mission devrait faire état de ce problème dans son rapport.

Répondant à M. Bruno Retailleau, président, qui soulignait que l'urbanisation excessive du littoral avait contribué à alourdir le bilan de Xynthia, M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée, a estimé que l'implantation de maisons dans des zones à risque découlait d'un insuffisant contrôle de l'État sur les actes délivrés par les communes en matière d'urbanisme et, partant, d'une application dévoyée de la décentralisation : à ce titre, il a rappelé que le Président de la République avait déclaré, dans son discours du 16 mars 2010, que les conséquences dramatiques de la tempête étaient le fruit non seulement d'évènements climatiques, mais aussi d'une accumulation de confusions. Ainsi, il a estimé que tous les acteurs impliqués dans la délivrance des autorisations d'urbanisme avaient été, à des degrés divers, complaisants et laxistes : à titre d'exemple, il a cité les procès-verbaux de la commission départementale des sites, celle-ci ayant approuvé, parfois à l'unanimité, la construction de lotissements exposés à des risques majeurs et totalement détruits par Xynthia. De même, il a affirmé que la loi « Littoral » n'avait pas été correctement appliquée, que des décisions avaient été prises au mépris du bon sens, et que l'occupation illégale du domaine public maritime de l'État avait été tolérée (à L'Aiguillon-sur-Mer, dans le secteur de La Pointe, 150 maisons ont ainsi été illégalement construites), ce qui est d'autant plus problématique que l'occupation illégale du domaine public maritime de l'État est prescrite au bout de trois ans. Dès lors, il a estimé que l'esprit de la décentralisation, qui impose qu'un dialogue franc et loyal se noue entre les représentants de l'État et les collectivités territoriales, n'avait pas été respecté, et que les responsabilités de chacun des acteurs (État, élus locaux, habitants...), qui seraient établies par la justice, étaient conjointes.

Interrogé par M. Alain Anziani, rapporteur, sur les actions entreprises par la préfecture lorsqu'elle avait constaté que le droit en vigueur était mal appliqué par les collectivités, M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée, a indiqué que la mise en application anticipée du PPRI en juin 2007 dans les communes de L'Aiguillon-sur-Mer et de La Faute-sur-Mer avait permis de déférer une trentaine d'autorisations d'urbanisme, qui avaient toutes été censurées par le juge administratif ; il a toutefois déploré que ce sursaut ne soit intervenu que tardivement. En outre, il a regretté que les instruments dévolus aux représentants de l'État dans le cadre de leur mission de contrôle de légalité soient utilisés de manière très inégale, et que la fréquence du recours à ces outils dépende largement de la personnalité et du style des préfets en place ; de plus, il a estimé que cette application discontinue et inconstante du droit était une source d'incompréhension pour les élus locaux.

M. Bruno Retailleau, président, a rappelé qu'une très faible proportion des actes relatifs à l'urbanisme était finalement déférée au juge administratif (0,024 % en 2008) ; il s'est demandé si ce constat n'était pas lié au fait que les préfectures étaient « juge et partie », dans la mesure où elles étaient chargées à la fois de l'instruction des demandes de permis de construire pour le compte des petites communes, et de l'exercice du contrôle de légalité.

M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée, a estimé que ce constat du faible nombre de déférés préfectoraux à l'échelle nationale était affligeant. Il a fait valoir que l'Etat devait avoir un dialogue loyal avec les collectivités territoriales mais qui puisse, le cas échéant, déboucher sur un contentieux. Il a considéré que les préfets devaient privilégier l'exigence républicaine consistant à faire respecter le droit, en n'hésitant pas à déférer les actes apparemment illégaux. À cet égard, il a affirmé qu'il ne fallait considérer le contentieux comme un échec en soi, mais qu'il devait à l'inverse être assumé comme un moyen de faire respecter la loi. En outre, il a souligné que des directives orales incitant les préfets à exercer leur mission de contrôle de légalité avec moins de rigueur avaient été données par les membres de tous les gouvernements depuis plusieurs années, et que l'exercice du contrôle était complexifié par la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui avait provoqué une diminution drastique et brutale des effectifs consacrés à cette tâche sans pour autant atténuer la responsabilité de la puissance publique qui peut, quelles que soient les conditions matérielles de mise en oeuvre du contrôle de légalité, être engagée en cas de faute lourde. Il a estimé que, en réponse à cette baisse de moyens, les préfectures seraient contraintes de mieux hiérarchiser leurs priorités et qu'il serait souhaitable qu'elles contrôlent en priorité les actes ayant un impact sur la sécurité des personnes et des biens. Enfin, il a jugé que la dualité de fonctions des services de l'Etat, souvent chargés de contrôler des autorisations d'urbanisme dont ils avaient eux-mêmes réalisé l'instruction, posait un réel problème dont le législateur devait se saisir en interdisant aux services de l'État d'intervenir dans l'instruction des demandes de permis.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, sur le renforcement de l'effectivité des plans de prévention des risques (PPR), M. Jean-Jacques Brot, préfet de Vendée, a émis le souhait que l'adoption des PPR soit encadrée dans un délai raisonnable à l'expiration duquel le préfet pourrait, sous le contrôle du juge, les mettre en application ; dans ce contexte, il a rappelé que, en neuf ans, quatre projets de PPR avaient été préparés pour les communes de La Faute-sur-Mer et de L'Aiguillon-sur-Mer, mais qu'aucun document n'avait été adopté. En outre, concernant l'évaluation de l'aléa, il a estimé que les services de l'État devaient, à l'avenir, mieux tenir compte des données historiques et géographiques dont ils disposaient et des évolutions climatiques probables ; il a précisé que cette méthode avait été employée par le ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer (MEEDDM) pour la délimitation des « zones noires », et que des éléments de terrain, comme l'état des digues, avaient également été pris en compte.

Ayant fait état de la diversité d'appellation des zones exposées à de forts risques de submersion marine, celles-ci étant nommées alternativement « zones noires » ou « zones de solidarité », M. Bruno Retailleau, président, a rappelé que M. Dominique Bussereau avait affirmé devant la mission d'information que les experts nationaux en charge du zonage avaient fait preuve d'amateurisme et que le choix des préfectures de département n'était peut-être pas le plus pertinent pour gérer la question des « zones mortelles ».

Ayant relevé que M. Dominique Bussereau, en sa qualité de secrétaire d'Etat chargé des transports, était présent à la réunion du 1er avril 2010, au cours de laquelle les cartographies des « zones noires » avaient été approuvées par le gouvernement, M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée, a rappelé que les zonages avaient été établis par les préfectures, mais en fonction de critères figurant dans une circulaire du 18 mars 2010 et fixés par l'administration centrale. Il a indiqué que, sur la base de cette circulaire, une première cartographie avait été élaborée par les préfectures et qu'elle avait ensuite été affinée, au cours de visioconférences successives, par un jeu itératif entre les experts nationaux, les cabinets des ministères compétents et les services préfectoraux ; à ce titre, il a précisé que, dans la cartographie définie pour la Vendée au tout début du processus, les « zones noires » étaient sensiblement plus étendues que dans la version finale du gouvernement. Il a estimé que les délais impartis pour élaborer ce zonage, bien que courts, avaient été suffisants dans la mesure où, en Vendée, seules deux communes étaient concernées, et où leurs caractéristiques en termes de risques étaient parfaitement connues des services de l'État grâce au long travail de préparation des PPRI qui avait été mené depuis 2001. En outre, il a indiqué que chacune des 915 habitations classées en « zone noire » n'avait pas été visitée en amont de la définition de la cartographie, et que les conseils municipaux n'avaient pas été formellement consultés.

En réponse à M. Alain Anziani, rapporteur, qui soulignait que la rapidité avec laquelle le processus de délimitation des « zones noires » avait été mené avait suscité l'incompréhension des habitants, et qui s'interrogeait sur le nombre de demandes d'acquisition amiable reçues par la préfecture, M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée, a rappelé que le classement en « zone noire » permettait aux propriétaires concernés de bénéficier d'un système d'indemnisation exceptionnellement favorable et sans précédent en France. En outre, il a indiqué que les évaluateurs du service des Domaines avaient reçu 613 personnes désireuses de recourir à la procédure d'indemnisation amiable, qu'ils avaient procédé à 109 évaluations et qu'ils devraient en avoir mené 138 d'ici la fin de la semaine en cours ; sur ce terrain, il a souligné que les premières acquisitions seraient actées dans la semaine à venir et qu'elles seraient définitives dès la fin du mois de juin.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les critères de définition des « zones de solidarité », M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée, a souligné que l'État s'était attaché à délimiter des zones homogènes afin d'éviter le mitage urbain. De plus, il a indiqué que les périmètres ainsi définis n'étaient pas intangibles et que des modifications à la marge pourraient être opérées, ainsi qu'en témoignait la mise en place de « délégués de solidarité » envoyés sur le terrain par le Premier ministre pour examiner les cas litigieux. Il a estimé que les zones d'expropriation finalement retenues devraient tenir compte des observations formulées par les élus locaux et des conclusions des commissaires-enquêteurs chargés de mener l'enquête publique préalable à toute expropriation et que ces enquêtes publiques devaient être lancées rapidement, simultanément dans les deux départements de Vendée et de Charente-Maritime, et dans une période où les résidents secondaires pourraient faire valoir leur point-de-vue : il a donc envisagé que la phase d'expropriation débute dès le mois de juillet, sous réserve que ce calendrier convienne à la préfecture de Charente-Maritime. Ayant indiqué qu'il ne disposait pas encore d'instructions gouvernementales sur le déroulement de cette phase, il a déclaré que, selon lui, il était logique que les enquêtes parcellaires dont la mise en place a été annoncée par le Premier ministre soient organisées pendant l'enquête publique. De plus, il a estimé nécessaire que plusieurs enquêtes publiques soient mises en oeuvre, chaque « zone noire » étant couverte par une enquête séparée, afin qu'une éventuelle annulation contentieuse de la déclaration d'utilité publique sur un secteur n'entraîne pas mécaniquement l'annulation de l'intégralité de la procédure.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, qui l'interrogeait sur le rôle exact des « délégués à la solidarité », M. Jean-Jacques Brot, préfet de Vendée, a indiqué que ces délégués étaient chargés de réexpliquer le processus de définition des « zones noires » aux sinistrés et de prendre note des cas les plus complexes afin que ceux-ci soient réexaminés avant la délimitation du périmètre d'enquête publique.

Concernant le plan « Digues », M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée, a émis le souhait que l'État prenne un rôle central dans la gestion des ouvrages de protection ; à titre personnel, il s'est déclaré favorable à une gestion des digues par l'Etat. En tout état de cause, il a estimé que les expériences étrangères récentes, et notamment le mouvement de « dépolderisation » qui est à l'oeuvre aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, devraient être pris en compte, et que l'État devrait s'attacher à éviter que les digues ne soient utilisées à des fins de spéculation immobilière.

M. Philippe Darniche a fait valoir que l'information sur le zonage établi était essentielle. Il a jugé nécessaire que le dossier soit solide juridiquement et souhaité que l'indemnisation des sinistrés soit rapide et équitable. Il a estimé que, si cet objectif était rempli, les expropriations seraient peu contestées devant le juge administratif.

M. Jean-Claude Merceron a marqué son accord avec ces déclarations ; il a en outre estimé judicieux d'organiser des enquêtes publiques séparées.

M. Benoist Apparu, Secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme

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Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la mission a entendu M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme.

Ayant rappelé que l'augmentation de la pression démographique sur les zones littorales était un phénomène de fond au niveau mondial, M. Bruno Retailleau, président, a exposé que la construction indue d'habitations dans les zones à risque, que la tempête Xynthia avait révélé, résultait d'une cascade de responsabilités impliquant non seulement les élus locaux, mais aussi les services préfectoraux, qui instruisent environ 80 % des demandes de permis de construire et qui ont peu fait usage de leur capacité de déférer des actes apparemment illégaux à la juridiction administrative ; il a interrogé M. Benoist Apparu sur les conséquences à tirer de ces constats en matière de droit des sols.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme, a tout d'abord souligné qu'une éventuelle réforme du droit des sols ne concernerait que les logements futurs et que le législateur, s'il pouvait gérer l'avenir, n'avait pas d'emprise sur le passé, c'est-à-dire sur le stock de maisons existantes ; à cet égard, il a rappelé que les plans de prévention des risques (PPR) pouvaient contenir des prescriptions applicables aux bâtiments existants, mais que les coûts des travaux qu'ils imposeraient alors de réaliser était limité à 20 % du prix de l'habitation. Ensuite, sur le cas particulier de l'urbanisme du littoral, il a estimé que deux dynamiques contradictoires étaient à l'oeuvre, à savoir une forte pression démographique (en France, le quart nord-est est en effet en dépeuplement, tandis que les façades maritimes sont en nette croissance) et la nécessité de tenir compte des risques et de protéger le patrimoine. Il a fait valoir qu'elles formaient une équation extrêmement complexe à gérer. Dans ce cadre, il a observé que des expériences d'urbanisme de projet, qui permettent de faire primer les objectifs poursuivis -qui sont prédéfinis en amont par les pouvoirs publics- sur les normes infra-législatives, avaient récemment été menées dans les zones littorales, par exemple à Guérande et à Antibes, et qu'elles avaient montré que la prolifération et la complexité des normes pouvait faire obstacle à la réalisation effective des buts poursuivis par le législateur.

En outre, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme, a indiqué que la révision générale des politiques publiques (RGPP) avait des conséquences évidentes sur le contrôle de légalité, mais que l'acceptation totale de la logique de la décentralisation impliquait que le contrôle des préfets s'amoindrisse, et donc que les déférés soient plus rares ; il a également affirmé que le faible taux d'actes déférés en matière d'urbanisme (0,024 % en 2008) était dû à l'existence d'échanges informels entre les élus et les préfectures qui permettaient, le plus souvent, d'éviter les contentieux, et au fait que l'État, lorsqu'il instruit les demandes de permis de construire, vérifie ex ante la légalité desdits permis.

Ayant relevé que la proportion d'actes pris en matière d'urbanisme qui faisaient l'objet d'une lettre d'observation était elle aussi très faible (1,2 % en 2008, selon la DGCL), M. Bruno Retailleau, président, a estimé qu'il existait une tension entre les besoins des petites communes, qui sont dépourvues de services suffisants pour assurer seules l'instruction des demandes de permis de construire, et la nécessité de mettre fin à une situation dans laquelle l'État, en instruisant la délivrance d'actes dont il est censé garantir la légalité, est à la fois juge et partie.

Ayant rappelé que la plupart des communes françaises étaient trop petites pour disposer de services instructeurs efficaces, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme, a estimé que la question centrale était celle de la planification en matière d'urbanisme, et du niveau auquel cette planification devait être effectuée ; ainsi, il s'est demandé s'il était pertinent de maintenir les plans locaux d'urbanisme (PLU) au niveau communal.

M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité savoir :

- s'il était souhaitable que les services préfectoraux chargés de l'instruction des demandes de permis de construire, qui se bornent aujourd'hui à contrôler la conformité de ces permis aux documents d'urbanisme qui leur sont immédiatement opposables, mènent un contrôle plus approfondi à l'avenir, notamment dans la mesure où les maires s'en remettaient généralement à l'avis des services instructeurs sans effectuer d'investigations complémentaires ;

- s'il était souhaitable de mettre en place une règle supra-communale directement opposable aux permis de construire ;

- s'il était envisageable que l'instruction des demandes de permis de construire pour le compte des petites communes soit confiée aux intercommunalités ou aux départements, plutôt qu'aux services préfectoraux.

Enfin, il a estimé que l'esprit de la décentralisation ne s'opposait pas à ce que des actes soient déférés au juge administratif par le représentant de l'État, et ce d'autant plus que la responsabilité de l'État peut être engagée en cas de faute lourde dans l'exercice du contrôle de légalité.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a estimé que la mise en place d'une nouvelle norme supra-communale serait un facteur de complexité et que la hiérarchie des documents d'urbanisme devait être respectée. Ayant rappelé que, en l'état du droit, les PPR étaient directement opposables aux permis de construire, il a souligné que les actuels schémas de cohérence territoriale (SCOT) ne pouvaient pas valablement être utilisés pour faire échec aux permis de construire, dans la mesure où ils se bornaient à fixer des objectifs -et non des normes précises comme les PLU- et où ils ne couvraient que rarement des zones rurales, qui sont celles où l'instruction des demandes de permis de construire par les services préfectoraux est quasiment systématique.

À M. Alain Anziani, rapporteur, qui déclarait que la solution consisterait alors à rendre les PLU obligatoires sur tout le territoire, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a répondu que cette question était complexe, puisqu'un PLU communal n'était pas utile dans les très petites communes et que la progression des SCOT permettait d'ores et déjà de structurer les territoires au niveau des agglomérations, mais que, parallèlement, si le PLU était intercommunal, la solution de sa généralisation pourrait avoir de nombreux avantages. Toutefois, il a noté que les maires étaient très attachés au maintien d'une compétence communale en matière de droit des sols.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, qui faisait valoir que le fonds Barnier, qui perçoit environ 150 millions d'euros par an, ne pourrait que difficilement faire face aux dépenses résultant de la tempête Xynthia -les dépenses d'indemnisation dans les « zones de solidarité » étant, à elles seules, évaluées entre 300 et 400 millions d'euros-, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a rappelé que l'État pouvait consentir des avances au fonds.

Ayant estimé qu'il était légitime de maintenir l'urbanisme à un niveau de proximité avec les populations, M. Bruno Retailleau, président, a voulu connaître le contenu des amendements qui seraient déposés par le gouvernement à l'Assemblée nationale sur le projet de loi portant engagement national pour l'environnement, dit « Grenelle 2 », afin de mettre en oeuvre les mesures d'urgence permettant de faire face à court terme aux conséquences de la tempête Xynthia.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a indiqué que les amendements déposés par le gouvernement viseraient notamment à :

- sécuriser l'intervention du fonds Barnier, qui doit être étendu aux cas de submersion marine ;

- augmenter la capacité d'intervention de l'État pour le financement du plan « Digues », en faisant passer le taux d'aide aux collectivités territoriales dans le cadre du fonds Barnier de 25 à 40 % dans les communes disposant d'un PPR approuvé ;

- mettre en place une procédure simplifiée de révision des PPR, afin de garantir une prise en compte rapide de l'augmentation de l'aléa de référence par ces documents ;

- faire en sorte que les PPR mis en application par anticipation ne soient pas inopérants à l'expiration d'un délai de trois ans.

En outre, il a fait valoir que d'autres dispositions du « Grenelle 2 », comme la généralisation des SCOT, auraient un impact positif sur la prévention des risques, et que la généralisation des PPR relevait d'une volonté politique, traduite par les instructions données par le gouvernement aux préfets de département, plutôt que de modifications législatives : il s'agirait alors de donner pour directive aux préfets d'accélérer l'adoption des PPR, ce qui se traduira mécaniquement par une diminution de la concertation avec les élus locaux.

Répondant à M. Alain Anziani, rapporteur, qui envisageait qu'une date maximale pour l'adoption des PPR soit fixée par voie législative, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a estimé que cette solution, bien que légitime dans son principe, se heurtait à l'état d'avancement très variable des PPR, certains étant presque achevés alors que, pour d'autres, les travaux n'ont même pas débutés. À cet égard, il a souligné que les PPRI, qui tenaient compte des risques d'inondation et non des risques de submersion, étaient bien plus avancés dans les zones fluviales que dans les zones littorales et que ces deux situations soulevaient des problématiques très diverses, les PPR en zone fluviale devant prévenir les atteintes aux biens tandis que les PPR en zone littorale doivent s'intéresser prioritairement aux risques pour les personnes : il a estimé que, à l'avenir, ces deux types de risques devraient être clairement différenciés dans les PPR. En outre, il a exposé que, si le législateur fixait une date-butoir pour l'adoption des PPR, il devrait alors prévoir une sanction proportionnée.

À M. Bruno Retailleau, président, qui l'interrogeait sur les conséquences à tirer de la tempête Xynthia à long terme en matière de droit de l'urbanisme, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a indiqué que le gouvernement mènerait cette réflexion à la lumière des travaux du Parlement.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, sur la raison des fortes oppositions à la cartographie des « zones noires » sur le terrain, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a indiqué qu'il avait rencontré les maires des communes de Charente-Maritime touchées par la tempête Xynthia lors d'une réunion du 10 mars 2010 sur le relogement des sinistrés et que, à cette occasion, il avait été interrogé sur le devenir des habitations à court terme ; dès lors, c'est pour répondre aux interrogations et aux craintes des élus locaux et des habitants qu'un micro-zonage a été mis en place pour repérer rapidement les zones mortelles et empêcher les populations de s'y réinstaller. Il a précisé que les expertises conduites pour mener à bien cette opération, bien que rapides, n'avaient pas été précipitées, et qu'elles avaient été sérieuses et s'étaient attachées à mettre en place des zones pertinentes : à cet égard, il a souligné que les experts avaient travaillé durant 5 000 heures pour établir la cartographie des « zones mortelles » en Charente-Maritime. Toutefois, il a admis que des incohérences -dont certaines ne sont qu'apparentes et visent, en réalité, à éviter le mitage urbain- persistaient et que des erreurs de communication avaient été commises par le gouvernement, ce qui expliquait partiellement la forte opposition aux « zones noires » sur le terrain.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur le périmètre des zones soumises à enquête publique et sur le calendrier des procédures d'expropriation, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a indiqué qu'une enquête parcellaire serait menée, en concertation avec les élus locaux et les habitants concernés, avant le lancement des enquêtes publiques afin d'affiner les périmètres d'expropriation, et que ces derniers seraient ensuite précisés tout au long de la procédure. En outre, il a souligné que des directives claires seraient données aux préfectures par le pouvoir central, certainement par le biais d'une lettre d'engagement interministériel.

M. Alain Anziani, rapporteur, a relevé que les expropriations pour risque naturel majeur ne pouvaient, aux termes de la loi « Barnier » de 1995, être menées que si elles s'avéraient moins coûteuses que la mise en place de mesures de protection ; ayant estimé que ce « bilan financier » était difficile à appréhender, il a souhaité savoir comment ce critère serait appliqué par le gouvernement et s'il avait eu un impact dans la définition des « zones de solidarité ».

Ayant souligné qu'aucun critère financier n'avait été pris en compte pour la délimitation des « zones de solidarité », M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a indiqué que la législation applicable en matière d'expropriation serait strictement appliquée par le gouvernement mais que, dans la mesure où les « zones noires » se caractérisaient par un degré de risque pour la vie humaine tel qu'aucune protection efficace ne pouvait être mise en place -contrairement aux « zones jaunes »-, il ne serait peut-être pas nécessaire d'établir un bilan financier. De plus, il a précisé que les enquêtes publiques, qui seraient informellement lancées à la fin de l'été 2010, débuteraient au cours de l'automne.

Interrogé par M. Alain Anziani, rapporteur, sur la possibilité de construire les habitations autrement plutôt que de déclarer les zones à risque inconstructibles, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a estimé que des prescriptions sur la construction et l'aménagement des maisons ne sauraient être suffisantes pour prévenir les risques extrêmes, dans la mesure où elles ne s'appliqueraient qu'aux bâtiments nouveaux et non aux maisons existantes. Néanmoins, il a souligné que le risque d'inondation n'interdisait pas, en tant que tel, toute construction et que, dans les zones exposées à un niveau de risque acceptable, il conviendrait de garantir non seulement la protection des biens, mais aussi la préservation de la vie sociale, économique et humaine de la zone en cas d'inondation durable.

Interrogé par Mme Gisèle Gautier, qui estimait anormal que chaque maison classée en « zone noire » n'ait pas été préalablement visitée par les experts et qui relevait que de nombreuses erreurs de pédagogie avaient été commises, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a indiqué qu'il partageait cette analyse mais que, sur un plan technique, il n'était pas nécessaire que les experts aient visité individuellement les habitations touchées par la tempête Xynthia pour déterminer si elles étaient soumises, ou non, à un risque mortel ; en outre, il a fait valoir que ces experts avaient été sur le terrain, où ils avaient effectué plus de 150 relevés des niveaux de submersion, mais qu'ils auraient dû y rester environ six mois pour effectuer une analyse au cas par cas, cette durée étant incompatible avec la nécessité de renseigner rapidement les populations sur l'avenir de leur maison. Enfin, il a souligné que, sur les 915 habitations classées en « zone de solidarité » en Vendée, 830 avaient fait l'objet d'une demande de rendez-vous dans le cadre de la procédure d'acquisition amiable.

M. Jean-Claude Merceron a jugé nécessaire d'examiner de plus près les cas les plus difficiles.

En réponse à des remarques de MM. Bruno Retailleau, président, et Alain Anziani, rapporteur, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a indiqué que le gouvernement avait donné pour instruction aux préfets de repérer et de signaler d'éventuelles « zones mortelles » dans leur département, et que les « zones noires », une fois « sanctuarisées » (c'est-à-dire au terme de la phase d'acquisition amiable et de la phase d'expropriation), pourraient être réhabilitées dès lors qu'aucune activité nocturne n'y était organisée ; en tout état de cause, il a précisé que la destination de ces zones serait régie par les futurs PPR.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur l'établissement public foncier d'État dont le gouvernement a annoncé la création pour contribuer, en Vendée, à la gestion des conséquences de la tempête Xynthia et notamment au relogement des sinistrés, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a précisé que le décret instituant cet organisme serait prochainement publié.

Mme Gisèle Gautier a estimé qu'il serait opportun de permettre aux sinistrés de recourir à une procédure d'urgence en matière de marchés publics.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a indiqué que le relogement à long terme des populations serait facilité par plusieurs mesures :

- l'accélération de l'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme ;

- l'assouplissement du prêt à taux zéro : ce prêt, qui est aujourd'hui réservé aux primo-accédants, sera ouvert aux sinistrés, et une enveloppe exceptionnelle de 5 millions d'euros sera accordée au financement de ce dispositif.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, qui l'interrogeait sur un éventuel déplafonnement des ressources prises en compte pour ce prêt, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a fait valoir que les procédures d'acquisition amiable des habitations permettront déjà de couvrir 100 % du coût du foncier.

Enfin, il a précisé que les dépenses exposées par les communes pour préfinancer le fonds d'aide au relogement d'urgence (FARU) -pour un coût estimé, à ce stade, à 954 millions d'euros- seraient remboursées en urgence et intégralement par l'État.

En conclusion, M. Benoist Apparu, secrétaire d'État en charge de l'urbanisme et du logement, a déclaré comprendre les difficultés auxquelles les sinistrés se trouvent confrontés. Il a rappelé que l'objectif prioritaire était de protéger la population. Il a de nouveau souligné que les PPR apporteraient une réponse pour l'avenir mais qu'il fallait pouvoir traiter la situation du bâti existant.

M. Raymond Léost, responsable juridique de France nature environnement

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La mission a enfin procédé à l'audition de M. Raymond Léost, responsable juridique de France nature environnement (FNE).

M. Raymond Léost a tout d'abord rappelé que FNE était une fédération d'associations créée en 1968 et reconnue d'utilité publique, regroupant 3 000 associations locales et plusieurs associations nationales défendant, non des intérêts catégoriels, mais l'intérêt général environnemental.

Puis il a dressé certains constats relatifs à la tempête Xynthia :

- la mer aurait pénétré sur les terres, qu'il y ait eu des digues ou non ;

- les réponses doivent être différenciées, selon que les zones sont urbanisées ou non ;

- si les risques de submersion ou d'inondation sont connus, leur probabilité est en revanche difficilement définissable.

Il a alors exposé les mesures préconisées par sa fédération :

- la prévention des risques naturels ne peut s'analyser à l'échelon de la seule commune ; elle requiert un territoire approprié, qui coïncide préférentiellement avec une entité écologique ;

- les communes situées à l'intérieur des terres, et non les seules communes littorales, doivent être prises en compte ;

- l'objectif d'un développement à tout prix des communes doit être abandonné. Il convient en effet de réfléchir à l'échelon intercommunal aux moyens de mieux répondre aux besoins des habitants actuels.

M. Bruno Retailleau, président, ayant fait remarquer que les populations demandaient souvent le développement de leur commune, M. Raymond Léost a acquiescé, tout en précisant que la réponse ne devait pas être que quantitative. La loi « littoral », a t-il poursuivi, doit intégrer les risques naturels et viser, non la seule protection des espaces naturels, mais également leur mise en valeur. Ainsi, l'interdiction de construire dans une bande de 100 mètres en retrait du rivage, motivée par la prévention de l'érosion, pourrait également être justifiée par la protection des communes exposées. De même, la capacité d'accueil de ces dernières devrait prendre en compte la prévention des risques naturels. Il conviendrait également d'identifier les espaces non urbanisés soumis à ce type de risques en vue de les soustraire à l'urbanisation et d'y développer des activités marines ou agricoles. Enfin, il faudrait revenir sur la disposition de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux ayant rendu inapplicable l'interdiction de construction dans la bande de 100 mètres pour ce qui est des chenaux : en effet, la mer s'y est engouffrée, dans le cas de la tempête Xynthia, provoquant des dégâts dans les parties urbanisées.

M. Bruno Retailleau, président, a fait observer le risque de fragmentation de la législation entre des plans de prévention des risques inondation (PPRI) relevant du code de l'environnement, et une loi « littoral » intégrée dans le code de l'urbanisme. Il s'est interrogé sur l'opportunité d'une meilleure adaptation des PPRI au risque de submersion marine, plutôt que d'une modification de la loi « littoral » en ce sens.

M. Raymond Léost a estimé que la protection des risques naturels dans la loi « littoral » ne serait en rien exclusive des dispositions contenues à cet effet dans les PPRI. Il a par ailleurs regretté que les directives territoriales d'aménagement (DTA), créées en 1995, risquent d'êtres supprimées lors de l'adoption prochaine du projet de loi portant engagement national pour l'environnement. Elles offrent en effet une réflexion sur les coupures d'urbanisation dans les espaces proches du rivage à une échelle supérieure à celle de la commune. Il eût été judicieux d'utiliser un tel instrument existant plutôt que d'en développer de nouveaux.

M. Raymond Léost a par ailleurs jugé que la gestion du trait de côte devait également être approchée à une échelle supracommunale, soit celle de la région au moyen de syndicats mixtes interdépartementaux, permettant d'avoir une vision concertée entre élus. Dans les zones urbaines exposées à des risques, a t-il poursuivi, il conviendrait de mieux prendre en compte le bilan coût/avantages d'une destruction des maisons. Celle-ci n'étant pas nécessairement la meilleure solution, une restauration ou une surélévation des digues pourrait lui être préférée, l'objectif prioritaire devant être de soustraire les populations exposées aux risques.

Notant qu'un tel bilan coût/avantage se trouvait dans la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite « loi Barnier », M. Bruno Retailleau, président, a alors interrogé l'intervenant sur les « zones de solidarité ».

Remarquant tout d'abord qu'elles échappaient à toute définition juridique, M. Raymond Léost s'est inquiété du devenir des terrains ainsi libérés, préconisant leur affectation au Conservatoire du littoral, ainsi que du relogement des actuels propriétaires, estimant qu'il faudrait veiller à ne pas les installer dans de nouvelles zones à risques ni ouvrir de dérogations aux dispositions anti-mitage de la loi « littoral ».

Déplorant l'insuffisante transparence dans la procédure de détermination des « zones de solidarité », il a observé que l'Etat avait repris les critères présidant à l'élaboration des PPRI, dont il a jugé qu'ils seraient sous-dimensionnés en cas de survenance d'un évènement climatique de plus grande ampleur.

Evoquant le manque de culture du risque chez les citoyens et l'effort pédagogique que devraient fournir les pouvoirs publics, M. Raymond Léost a apprécié favorablement le principe des « zones de solidarité », sous réserve de quelques ajustements possibles à la marge. Partisan d'une libre circulation des eaux mais jugeant de façon assez négative les maisons sur pilotis, que le courant affaiblit, il a souhaité que les recherches sur les ouvrages de protection soient rendues publiques et que la concertation soit renforcée. Par ailleurs, a-t-il poursuivi, les documents d'urbanisme doivent tenir compte des éléments de prévision des risques et l'Etat devrait contraindre les communes récalcitrantes dans cette voie. Evoquant une récente jurisprudence, il s'est dit favorable à la suppression de la procédure des permis de construire tacites dans les zones exposées aux risques, dans l'intérêt tant des auteurs desdits permis que des pouvoirs et des finances publics. L'Etat, et non les autorités décentralisées, doit rester le garant de la prévention des risques naturels. Il conviendrait enfin de revenir sur la loi de décentralisation du 7 janvier 1983 ayant transféré définitivement de l'Etat aux communes la responsabilité de la délivrance des permis de construire dès l'adoption d'un plan local d'urbanisme (PLU), en ôtant notamment cette compétence lorsqu'elle est exercée en anticipation d'un PPRI.

M. Bruno Retailleau, président, a fait observer que l'Etat pouvait déférer des permis de construire devant le juge administratif et qu'il l'avait d'ailleurs fait à plusieurs reprises.

M. Alain Anziani, rapporteur, a rappelé pour sa part les principes généraux de la responsabilité pénale du maire.

M. Raymond Léost a préconisé l'implantation des postes de secours en-dehors des zones à risques, ainsi que l'application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales pour ses dispositions relatives aux plans communaux de sauvegarde (PCS), dont il a estimé que les populations devaient être régulièrement informées.

M. Bruno Retailleau, président, a noté que l'occurrence d'une tempête du type Xynthia étant improbable à l'échelle d'une vie, la culture du risque par mémorisation du vécu s'en trouvait réduite d'autant.

M. Raymond Léost a précisé que la responsabilité pénale d'une personne ayant délivré un permis de construire pouvait être recherchée pour délit de blessures ou homicide involontaire, en cas de dommages corporels, les personnes l'ayant assisté étant susceptibles d'être considérées comme complice. Les règles de prescription, favorables aux victimes, rendent possibles des mises en examen longtemps après la survenance des faits, la date de leur connaissance étant prise en compte.

A M. Bruno Retailleau, président, qui lui demandait si des élus avaient, selon lui, pu délivrer des permis de construire sur des terrains affectés par des risques mortels, M. Raymond Léost a répondu que l'instruction des dossiers permettrait parfois facilement de prouver la faute caractérisée des autorités concernées. Le système assurantiel, a-t-il continué, devrait être davantage incitatif, en privant d'une partie de leurs droits à réparation les victimes s'étant installées en connaissance de cause dans des zones à risques. Enfin, les assureurs devraient pouvoir se retourner contre les personnes responsables.

M. Bruno Retailleau, président, a ensuite interrogé l'intervenant sur le « plan digues », dépourvu de dispositions concernant le cordon dunaire, ainsi que sur l'incidence des contraintes environnementales sur la construction ou le renforcement des digues.

M. Raymond Léost a estimé que les dunes devaient être prioritairement restaurées, les digues, sans lesquelles il faudrait apprendre à vivre, n'étant en aucun cas des protections absolues. Leur restauration ou surélévation ne doit être recherchée que lorsque leur bilan bénéfice/coût est positif.

M. Alain Anziani, rapporteur, l'ayant interrogé sur les effets des digues sur l'environnement et la biodiversité, M. Raymond Léost, après avoir précisé qu'il n'était pas spécialisé dans ces problématiques, a indiqué qu'elles favorisaient l'érosion du littoral, la Grande-Bretagne ouvrant d'ailleurs certaines d'entre elles afin de laisser les eaux circuler librement.

M. Bruno Retailleau, président, ayant fait remarquer que certaines digues, notamment dans les marais bretons, avaient contribué à la protection et au développement de la biodiversité, M. Raymond Léost a répondu que la réticence de sa fédération aux digues était un principe susceptible d'aménagements selon les circonstances.

Mardi 5 mai 2010 M. Jean-Bernard Auby, professeur des universités à Sciences Po

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Au cours d'une deuxième séance tenue dans l'après-midi, la mission a tout d'abord entendu M. Jean-Bernard Auby, professeur des universités à Sciences Po.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les liens entre le droit actuellement applicable en matière d'urbanisme et l'objectif de prévention des risques, M. Jean-Bernard Auby a précisé que la question des risques naturels avait, de longue date, été prise en compte par la législation de l'urbanisme, non seulement par le biais du règlement national d'urbanisme, mais aussi à travers des plans spécifiquement conçus pour intégrer les risques naturels ; dès lors, il a estimé que les lacunes révélées par la tempête Xynthia découlaient avant tout des retards dans la mise en place, par les communes, des mécanismes de prévention des risques prévus par le législateur. Ayant marqué son désaccord avec cette opinion et estimé que le retard dans l'approbation des plans de prévention des risques (PPR) était la conséquence de la longueur et de la lourdeur des négociations entre les communes, qui souhaitent urbaniser les zones à risque pour répondre à la pression foncière qu'elles subissent, et les préfectures, M. Bruno Retailleau, président, a relevé qu'il n'y avait pas, en l'état actuel du droit, de lien systématique et évident entre les PPR et les plans locaux d'urbanisme (PLU), les premiers n'étant pas pleinement opposables aux seconds.

M. Jean-Bernard Auby a souligné que les PPR étaient des servitudes d'utilité publique et que, en tant que tels, ils étaient opposables aux demandes d'autorisation d'urbanisme -et notamment aux permis de construire- et qu'ils devaient être pris en compte par les documents d'urbanisme comme le PLU.

M. Bruno Retailleau, président, a observé que l'approbation d'un PPR avait pour seule conséquence d'imposer la « mise à jour » du PLU (c'est-à-dire une simple actualisation des annexes du PLU, dont le PPR fait partie), et non sa révision.

M. Jean-Bernard Auby a expliqué que cette situation était problématique car elle révélait l'existence d'une pluralité excessive de documents -d'où une superposition complexe de plusieurs zonages parfois concurrents-, et non une absence d'autorité juridique de certains d'entre eux, si bien qu'elle pouvait être résolue par une meilleure information des constructeurs. En outre, il a rappelé que le préfet pouvait imposer une révision du PLU, mais qu'il ne faisait que rarement usage de cette faculté ; en conséquence, il a estimé que cette question méritait d'être étudiée. À ce titre, il a exposé que le défaut de liaison formelle entre ces différents documents résultait du principe d'indépendance des législations, qui avait poussé à une distinction stricte entre la législation de l'urbanisme et les dispositions applicables en matière de prévention des risques, celles-ci ayant été totalement séparées jusqu'aux lois de décentralisation de 1982-1983 -c'est-à-dire jusqu'à ce que le législateur impose une indexation des documents relatifs aux risques en annexe des documents locaux d'urbanisme.

M. Alain Anziani, rapporteur, a noté que la mission pourrait envisager de permettre aux préfets de mettre les communes en demeure de réviser leur PLU en cas d'approbation ou de modification d'un PPR.

M. Bruno Retailleau, président, a souligné que la législation actuelle était fragmentée entre le code l'urbanisme, qui vise principalement à garantir la protection des populations, et le code l'environnement qui, quant à lui, a pour objectif majeur la protection des milieux, et que cette « parcellisation » pouvait mener à des incohérences.

En réponse à ces remarques, M. Jean-Bernard Auby a jugé que le code de l'urbanisme était aujourd'hui dénué de ligne directrice claire, si bien qu'un travail de mise en ordre des normes était désormais nécessaire afin de déterminer quelles dispositions avaient vocation à y être intégrées et lesquelles devaient, à l'inverse, en être retranchées. En outre, après avoir marqué son accord avec la mise en place d'une révision obligatoire du PLU en cas d'approbation d'un PPR, il a répété qu'il était essentiel de renforcer l'information des constructeurs, confrontés au manque de lisibilité et de clarté de la législation actuelle, par exemple en modifiant la composition des dossiers de PLU, plutôt que de conforter l'autorité juridique des documents prévus par le code de l'urbanisme. Plus généralement, il a estimé que les impératifs contenus dans des législations extérieures à l'urbanisme (comme la prévention des risques naturels, incarnée par les PPR, ou la préservation des monuments historiques) devaient être davantage pris en compte par les PLU.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur la nécessité de clarifier la terminologie employée par la loi « Littoral » du 3 janvier 1986, M. Jean-Bernard Auby a rappelé que les dispositions de cette loi ne prenaient pas en charge les problèmes relatifs aux risques naturels, mais se bornaient à assurer la préservation des sites et l'accueil des activités économiques et touristiques.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, sur la possibilité de mettre en place un maillage plus étroit entre les plans communaux de sauvegarde (PCS) et les PPR, M. Jean-Bernard Auby a jugé que les lacunes constatées dans la législation relative aux risques naturels découlaient d'une insuffisante culture du risque ; ainsi, il a rappelé que, à l'inverse de pays comme la Grande-Bretagne, où la cartographie des risques d'inondation est mise à disposition du public et permet de mettre l'accent sur une définition collective du niveau de risque acceptable, puis sur la responsabilité individuelle des acquéreurs de biens, la France avait développé une « culture du secret » qui poussait le citoyen à compter sur la protection de la puissance publique pour se prémunir contre les risques.

À M. Alain Anziani, rapporteur, qui envisageait qu'un état des lieux des risques d'inondation soit communiqué par le notaire, M. Jean-Bernard Auby a répondu que cette mission pouvait en effet lui échoir dans le cadre de son devoir de conseil, qui l'amène déjà à informer les futurs acquéreurs sur l'existence d'éventuelles servitudes d'urbanisme.

Mme Marie-France Beaufils s'est déclarée surprise de ces débats sur l'information des citoyens en matière de risques naturels, dans la mesure où le droit en vigueur imposait déjà aux communes ou aux groupements de communes soumis à un PPR de communiquer des pièces relatives aux risques aux notaires ; elle a donc estimé que l'état d'esprit des futurs acheteurs au moment de l'achat devait être mis en cause, plutôt que la qualité de l'information qui est portée à leur connaissance à cette occasion.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les causes de la gravité du bilan humain de la tempête Xynthia, M. Jean-Bernard Auby a indiqué que certaines habitations avaient pu être construites sans tenir compte des risques naturels justement parce qu'elles avaient été bâties avant que la législation n'intègre pleinement cette problématique, et notamment avant l'apparition des PPR.

En outre, concernant le double rôle des préfectures de département, qui sont chargées à la fois d'instruire les demandes de permis de construire pour le compte des petites communes et de contrôler la légalité des autorisations d'urbanisme, M. Jean-Bernard Auby s'est déclaré choqué des accusations formulées à l'encontre des maires des communes sinistrées, qui passent sous silence la responsabilité des services de l'État dans la délivrance des permis de construire. À cet égard, il a rappelé que, dans les communes non dotées d'un PLU ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu, les permis étaient délivrés au nom de l'État (et qu'ils étaient même délivrés directement par le préfet en cas de désaccord entre la mairie et les services de l'État) et que, dans ce cas, l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme permettait au préfet de refuser un permis de construire en présence d'un risque d'inondation important et avéré.

De même, M. Jean-Bernard Auby a souligné que, même dans les communes couvertes par un PLU ou un POS, les services préfectoraux étaient généralement amenés à donner un avis sur les demandes de permis de construire soumises aux communes de moins de 10 000 habitants et pouvaient également utiliser l'article R. 111-2 pour marquer leur objection à la délivrance d'un permis, à défaut de pouvoir l'empêcher. Il a donc estimé que les services de l'État disposaient de moyens suffisants pour assurer une gestion efficace et effective des risques naturels.

En réponse à une remarque de M. Alain Anziani, rapporteur, qui s'interrogeait sur la possibilité de confier l'instruction des demandes de permis de construire aux intercommunalités afin de distinguer clairement l'autorité chargée de la délivrance des autorisations d'urbanisme de l'autorité en charge de leur contrôle, M. Jean-Bernard Auby a estimé opportun de séparer strictement ces compétences, mais aussi d'éviter les conflits d'intérêts dans d'autres champs, notamment en confiant à deux entités distinctes la mission d'élaborer les documents d'urbanisme (comme le PLU, qui est actuellement défini par les conseils municipaux) et la charge de la délivrance des autorisations individuelles ; il a ainsi cité l'exemple du Québec, où le PLU est voté par des élus locaux, mais où les permis de construire sont délivrés par des fonctionnaires qui se bornent à appliquer les documents locaux d'urbanisme.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les réformes permettant de rendre le contrôle de légalité plus opérant en matière d'urbanisme, M. Jean-Bernard Auby a estimé que la faiblesse du taux d'actes déférés au juge administratif (0,024 %), optiquement impressionnante, devait être nuancée, ce taux devant en réalité être rapporté au nombre d'autorisations d'urbanisme non instruites par les services préfectoraux.

Par ailleurs, M. Jean-Bernard Auby a jugé que la création d'une agence indépendante, soustraite à l'influence des autres services de l'État et des acteurs locaux et jouant le rôle d'un « ministère public » dans le cadre du contrôle de légalité poserait d'importants problèmes pratiques, notamment pour la détermination de sa politique de contrôle. Il a d'ailleurs souligné que la mise en place d'une politique de déféré systématique irait à l'encontre de la jurisprudence actuelle -qui considère que la responsabilité de l'État pour les carences commises à l'occasion du contrôle de légalité ne peut être engagée qu'à condition que celles-ci soient constitutives d'une faute lourde-, mais qu'il était souhaitable que les préfectures défèrent tous les actes pour lesquels elles suspectent une irrégularité traduisant une mauvaise prise en compte des risques naturels.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, qui relevait que les règles contenues dans le code de l'urbanisme ne parvenaient pas à protéger les citoyens des risques graves auxquels ils sont exposés, M. Jean-Bernard Auby a fait valoir que la relative inefficacité de la législation actuelle découlait du fait que le code n'était pas un ensemble cohérent et hiérarchisé, mais un empilement de normes accumulées avec le temps. À cet égard, il a souligné que ce code exprimait un manque d'acceptation de la décentralisation de l'urbanisme et de confiance aux élus locaux. De ce fait, le code de l'urbanisme est devenu un entassement de mécanismes décentralisateurs et de « contre-mécanismes » visant à encadrer l'action des communes. Dès lors, il a émis le souhait que la décentralisation de l'urbanisme soit menée à terme, qu'elle soit placée au niveau intercommunal et soumise à un contrôle de légalité effectif.

M. Alain Anziani, rapporteur, a envisagé que le code fixe clairement la liste des documents auxquels les autorisations individuelles d'urbanisme doivent se conformer et qu'un contrôle de légalité systémique soit mis en oeuvre dans des zones exposées à des risques majeurs. En outre, ayant jugé nécessaire de clarifier le code de l'urbanisme, il a souhaité savoir si cette clarification pourrait passer par une intégration des acquis jurisprudentiels ou par un allègement de la législation.

M. Jean-Bernard Auby a estimé qu'un allègement des normes serait en effet nécessaire pour garantir que la législation de l'urbanisme soit recentrée sur ses priorités, dont la protection des populations contre les risques naturels devait faire partie.

Enfin, en réponse aux interrogations de M. Bruno Retailleau, président, M. Jean-Bernard Auby a jugé que le mécanisme d'expropriation pour risque naturel majeur mis en place par la loi « Barnier » du 2 février 1995 pourrait utilement être utilisé pour sanctuariser les « zones d'acquisition amiable », et que le code de l'urbanisme, dans sa rédaction actuelle, ne prévoyait aucun outil susceptible de garantir le relogement sur place des sinistrés de la tempête Xynthia, si bien qu'un « droit de préférence » ad hoc devrait être créé par le législateur.

M. Yves Jégouzo, professeur agrégé de droit public à l'université Paris-I

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Puis la mission a entendu M. Yves Jégouzo, professeur agrégé de droit public à l'université Paris-I.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les causes de la gravité du bilan humain de la tempête Xynthia, M. Yves Jégouzo a expliqué que la législation de l'urbanisme permettait une prise en compte effective des risques, non seulement en amont de la mise en place des documents d'urbanisme avec le principe général de prévention des risques qui figure à l'article L. 121-1 du code, mais aussi au moment de l'élaboration du PLU, puisque l'exposition aux risques est un élément essentiel du rapport de présentation de ce plan et que le zonage qu'il établit permet d'interdire la construction dans les zones à risque, et après sa mise en application avec l'article R. 111-2 du code, qui fonctionne comme un « article de secours » permettant au préfet de pallier les lacunes du PLU ou d'imposer la prise en compte de risques découverts ultérieurement.

Dès lors, M. Yves Jégouzo a estimé que ces outils étaient mal utilisés, et que le retard pris dans la mise en place des PPR et des PLU résultait largement des difficultés rencontrées sur le terrain par les décideurs publics, qui peinent à remettre en cause des situations préexistantes. À ce titre, il a jugé que la procédure d'expropriation pour risque naturel majeur prévue par la loi « Barnier », en dérogeant au principe de non indemnisation des servitudes d'urbanisme, permettait de passer outre ces difficultés en instaurant un système de solidarité nationale où les propriétaires expropriés sont indemnisés au prix du marché sans qu'il soit tenu compte de la moins-value liée à l'existence d'un risque.

M. Yves Jégouzo a ajouté que la jurisprudence du Conseil d'État, qui permet de recourir à cette procédure d'expropriation sans procéder à un bilan financier préalable, dès lors qu'aucune mesure de protection ne peut efficacement être mise en place, était de nature à permettre une utilisation raisonnée de ce mécanisme.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, sur les liens entre les PPR et les documents d'urbanisme et sur l'opportunité d'une véritable transposition des PPR au sein des PLU, M. Yves Jégouzo a rappelé que, avant l'adoption de la loi dite « Solidarité et Renouvellement urbain » du 13 décembre 2000, le respect des servitudes d'urbanisme -comme les PPR- était un élément de légalité des PLU, tandis qu'en l'état actuel du droit, la hiérarchie entre ces deux types de documents n'était plus assurée qu'indirectement, par le biais des permis de construire (qui peuvent être censurés s'ils ne respectent pas les PPR, même s'ils sont conformes au PLU, ce qui indique une supériorité des PPR sur les PLU). De même, il a exposé que le juge administratif, s'il pouvait censurer les PLU non conformes à un PPR, ne pouvait en constater l'illégalité que de manière indirecte, c'est-à-dire sur le fondement de l'erreur manifeste d'appréciation. Il a observé que cette situation était peu lisible et peu compréhensible pour les citoyens et ce, malgré l'action positive des notaires qui informent les acquéreurs de biens immobiliers de l'existence d'un zonage PPR.

En outre, ayant marqué son accord avec la proposition exprimée par M. Bruno Retailleau, président, selon laquelle les documents d'urbanisme, et notamment le PLU, devraient être impérativement et automatiquement révisés en cas d'approbation ou de modification d'un PPR, M. Yves Jégouzo a rappelé que le préfet pouvait mettre une commune en demeure de réviser son PLU pour assurer sa conformité avec un projet d'intérêt général (cette notion pouvant, à son sens, intégrer les projets de PPR).

Ayant considéré que cette manière de faire valoir la supériorité du PPR sur les PLU était trop indirecte et complexe, M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité qu'une hiérarchie claire soit rétablie ; pour ce faire, il a envisagé que la liste des documents auxquels les autorisations individuelles d'urbanisme doivent se conformer soit clairement fixée par le code de l'urbanisme.

M. Yves Jégouzo a jugé que cette proposition était légitime et opportune, mais qu'elle devait être analysée avec prudence. Si elle était retenue par la mission, il conviendrait que l'énumération ainsi mise en place ne soit pas limitative. En outre, il a indiqué que la complexité croissante du droit de l'urbanisme, qui est progressivement devenu le réceptacle de nombreux enjeux (prévention des risques, protection de la nature, etc.) qui dépassent le cadre originel de la matière, n'était pas un phénomène propre à la France et que, à l'inverse, il pouvait être observé dans toute l'Europe.

Faisant référence aux propos tenus par M. Jean-Bernard Auby, M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur la possibilité de mener la dynamique de décentralisation de l'urbanisme à son terme.

M. Yves Jégouzo a tout d'abord rappelé que la responsabilité de l'État pouvait être engagée lorsque les services préfectoraux en charge de l'instruction des demandes de permis de construire n'exécutaient pas les directives du maire en matière de prévention des risques, cette faute étant considérée comme une faute simple de nature à engager la responsabilité de l'État. Ayant exposé que la décentralisation de l'urbanisme s'était avérée problématique en tant qu'elle avait été opérée au profit de toutes les communes et de manière égale, alors même que les plus petites d'entre elles ne disposaient pas de moyens suffisants pour assumer les compétences qui découlaient de ce transfert, il a ensuite jugé qu'il était dangereux de confier l'élaboration des PLU à des communes de petite importance au regard des enjeux sur le littoral, et que l'instauration d'une distance minimale entre les élus responsables de la planification de l'urbanisme et les administrés était un « garde-fou » nécessaire.

Par ailleurs, il a déploré que le contrôle de légalité n'ait pas permis d'empêcher la construction d'habitations dans les zones à risque et émis le souhait que, à l'avenir, les services de l'État contrôlent, avec une vigilance et une rigueur particulières, la bonne prise en compte des risques naturels.

Interrogé par M. Bruno Retailleau sur les outils permettant de renforcer la cohérence entre les documents régissant l'occupation des sols, M. Yves Jégouzo a estimé que le PLU était, peu à peu, devenu un instrument de cohérence qui tenait compte de problématiques nombreuses, diverses et hétérogènes (environnement, préservation du patrimoine, mixité sociale, protection des ressources en eau, etc.), alors même que ce n'était pas sa vocation initiale.

M. Bruno Retailleau, président, a fait observer que le droit de l'urbanisme ne serait sans doute jamais apte à lui seul à éviter l'ensemble des dommages en cas de catastrophes naturelles, se demandant s'il ne vaudrait pas mieux adopter une vision plus globale et intégrée de la prévention.

Notant que ce droit avait l'avantage de saisir aisément l'activité humaine, M. Yves Jégouzo a convenu qu'une approche verticale des risques, telle que suivie en Grèce, en Espagne ou en Allemagne, pouvait fonctionner efficacement à condition, tout de même, d'établir un lien étroit avec les règles d'urbanisme.

M. Bruno Retailleau, président, a souligné que la volonté de la mission d'intégrer les PPRI aux PLU relevait de cette logique. Détaillant son propos, il a indiqué qu'il convenait sans doute de ne pas ériger le droit de l'urbanisme comme unique moyen de prévention, mais d'avoir une démarche globale et intégrée de l'ensemble des autres instruments, allant de la prévision des submersions à l'édification d'ouvrages de protection en passant par la prévention.

M. Yves Jégouzo a évoqué la Suisse, qui élabore des cartes de grande qualité sur le risque « avalanches ». Le croisement des documents d'urbanisme avec des éléments de prévention plus généraux impliquerait, selon lui, la transformation des PPR en plans mi prévisionnels, mi opérationnels, ce qui existe déjà en partie avec les SDAGE. Il conviendrait par ailleurs de prendre en compte les impératifs de recensement de l'information, très délicats à réaliser. En outre, le rôle de l'État devrait être réaffirmé, en tant que garant face aux catastrophes. Les ministres pourraient se substituer aux préfets pour prendre des décisions délicates à l'échelon local, tandis que le contrôle de légalité devrait être renforcé.

Mme Marie-France Beaufils a plaidé pour une concertation approfondie avec les services de l'État, ayant la connaissance du risque, durant laquelle se diffuserait une réelle « culture du risque » commune.

Relevant que l'applicabilité d'une norme dépendait désormais de son degré de compréhension et d'acceptation, M. Yves Jégouzo a souligné la difficulté d'appropriation liée à la technicité du droit de l'urbanisme. Le droit communautaire, orientant en ce sens notre droit national, y répond en favorisant le débat contradictoire. La procédure des PLU le permet, davantage encore que celle des PPR, qui pourrait donc utilement être amendée en ce sens. En revanche, l'efficacité d'une concertation renforcée à l'échelle de communes moyennes semble très réduite du fait que ces procédures débouchent nécessairement sur des servitudes de non construction.

Jeudi 6 mai 2010 M. Daniel Dubost, Chef du service France Domaine, M. Guy Correa, Chef du bureau des missions domaniales

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine, et de M. Guy Correa, chef du bureau des missions domaniales.

Après avoir souligné le rôle essentiel joué par France Domaine dans les évaluations des biens faisant l'objet de la procédure d'acquisition amiable, M. Bruno Retailleau, président, a interrogé M. Daniel Dubost sur les dispositions prises à ce stade par son service en vue de satisfaire au double enjeu d'efficacité et d'équité.

M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine, a indiqué en préambule qu'il a effectué un déplacement en Charente-Maritime la veille de l'audition, consacré à l'organisation des travaux d'évaluation. A cette occasion, il a constaté que la situation sur le terrain était bonne, l'accueil des personnes sinistrées semblant répondre à l'implication et à l'empathie particulière des agents évaluateurs de France Domaine.

Pour ce qui concerne les moyens mis en oeuvre en Vendée, où 915 propriétés sont à évaluer, et en Charente-Maritime, où le chiffre actuel de 612 propriétés est susceptible de s'établir finalement à plus de 800, M. Daniel Dubost a fait valoir que la mobilisation de renforts régionaux et nationaux, conjuguée à l'attitude compréhensive des autres départements, a permis la mise à disposition de 30 agents évaluateurs sur les zones sinistrées.

S'agissant des méthodes employées, M. Daniel Dubost, directeur de France Domaine, a précisé que consigne est donnée aux évaluateurs de chercher à déterminer la valeur du bien antérieurement à la catastrophe, sans aucune prise en compte du risque potentiel, en s'appuyant sur les statistiques de vente des différents marchés de l'immobilier en 2009.

La procédure retenue est la suivante : au terme d'une appréciation complète et précise de chaque bien, conduite dans un climat d'écoute - chaque agent se limitant à quatre évaluations quotidiennes -, un prix de rachat sera proposé, qui devra pouvoir être justifié, tout propriétaire bénéficiant du droit de se faire expliquer comment l'évaluation a été faite.

M. Daniel Dubost a indiqué, qu'à ce jour, 300 visites ont été effectuées et que la transmission des premières propositions aux propriétaires est imminente ; un juste prix devant être communiqué de prime abord, qui exclut à la fois les sous-évaluations destinées à ménager des marges de négociation ultérieure et les surévaluations censées favoriser les acceptations.

En cas d'accord, la mobilisation affichée par les notaires peut laisser espérer, pour les cas simples au moins, la conclusion d'un acte de mutation dans un délai de un à trois mois.

M. Bruno Retailleau, président, l'ayant interrogé sur la possibilité de contester l'estimation de France Domaine, M. Daniel Dubost a estimé que dans le cadre d'une procédure amiable il ne pouvait y avoir de contestation au sens juridique du terme, les propriétaires pouvant accepter ou refuser la proposition qui leur était faite. Il a ajouté que ces derniers pourraient cependant faire valoir des éléments objectifs qui auraient été omis lors des évaluations.

A MM. Bruno Retailleau, président, et Alain Anziani, rapporteur, qui l'interrogeaient sur la valeur du bien prise en compte en cas de désaccord conduisant à une expropriation, M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine, a répondu que, selon lui, les valeurs retenues par les juges n'étaient jamais très éloignées des évaluations de France Domaine.

M. Guy Correa a ajouté, qu'en tout état de cause, ce serait la valeur du bien sur le marché de l'immobilier avant la catastrophe qui ferait référence.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, qui s'interrogeait sur les moyens de contester l'évaluation, M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine, a précisé que la décision n'était pas une décision faisant grief. Il a précisé que les actes pourraient être conclus dans un délai compris entre un et trois mois après l'échange des consentements.

M. Bruno Retailleau, président, a alors demandé si les premiers actes pourraient être passés à la mi-juin et s'il n'y avait pas un risque d'encombrement des études notariales.

M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine, a indiqué que son service travaillait en lien étroit avec les chambres des notaires et que ceux-ci étaient mobilisés pour ne pas dépasser un délai d'un mois. Mais les délais pourront être plus longs en cas de successions non réglées ou de divorce.

M. Alain Anziani , rapporteur, a rappelé que le quatrième alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'environnement précise que « pour la détermination du montant des indemnités qui doit permettre le remplacement des biens expropriés, il n'est pas tenu compte de l'existence du risque ». Cette disposition doit être considérée avec la plus grande attention. En outre, il s'est interrogé sur le délai nécessaire pour un acte sous seing privé, notamment si l'avis d'un conseil est demandé.

M. Daniel Dubost a fait valoir qu'aucun délai ne s'imposait aux particuliers mais qu'en revanche l'Etat s'imposait à lui-même une obligation de délai.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. Daniel Dubost a observé que les assureurs verseront un montant qui permettra de parvenir à la valeur vénale totale du bien. L'acte authentique, qui ne contiendra que la part indemnisée par l'Etat, devra donc tenir compte du montant versé par les assurances.

M. Bruno Retailleau, président, a estimé que dans la mesure où la valeur indemnisée par l'Etat sera minorée de la part versée par les assurances, il existe un risque de sous-estimation par celles-ci du montant des travaux de remise en état. Il s'est demandé s'il est possible de réduire ce risque dès lors que l'Etat s'est engagé à combler la différence entre l'indemnisation des assurances et la valeur vénale des biens.

M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine, France Domaine, est convenu de l'existence d'un tel risque. Dans le cadre de la procédure retenue, les assurances pourraient avoir un intérêt à sous-estimer la valeur des travaux de remise en état.

M. Alain Anziani, rapporteur, a évoqué la possibilité d'un mécanisme de subrogation, favorable aux victimes. Ce dispositif juridique conduirait l'Etat à indemniser intégralement les particuliers puis à se retourner vers les assurances pour s'entendre avec elles sur la part indemnisée contractuellement.

M. Daniel Dubost a fait état de la possibilité d'un tel mécanisme qui favorise la résolution des indemnisations dans des délais raisonnables voire rapides.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur le risque de mobilisation du fonds Barnier au-delà de ses capacités financières. Il a souhaité savoir si des instructions avaient été données pour que les évaluations respectent une enveloppe globale.

M. Daniel Dubost a précisé n'avoir reçu aucune consigne dans ce sens.

M. Alain Anziani, rapporteur, a évoqué les cas spécifiques de zones géographiques où les valeurs foncières sont particulièrement élevées ainsi que le risque de renoncement aux acquisitions amiables qui pourrait résulter de telles situations.

M. Daniel Dubost a précisé qu'aucun renoncement résultant de la valeur du bien considéré n'a été constaté. Il a toutefois reconnu que ses services ont privilégié pour les premières indemnisations les habitations situées en dehors de l'Ile de Ré. Pour autant, celle-ci ne sera pas exclue du dispositif.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité connaître les prix estimés des habitations et la valeur globale des indemnisations envisagées.

M. Daniel Dubost, directeur de France Domaine, a indiqué un ordre de grandeur de 800 millions d'euros d'indemnisations pour l'acquisition des 1.515 habitations classées en « zone de solidarité », en soulignant qu'il ne s'agit que d'une première approximation.

M. Bruno Retailleau, président, a rappelé que, lors de son audition par la mission, le ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer avait donné une estimation comprise entre 300 et 400 millions d'euros. Le doublement de cette estimation pose la question des capacités du fonds Barnier.

M. Daniel Dubost a estimé ne pas être en mesure de répondre à la question du financement des indemnisations. L'activité de son service consiste en effet à appliquer des méthodes d'évaluation pour déterminer le montant des indemnisations et non pas à s'inscrire dans une enveloppe globale.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur la méthode d'évaluation des fonds de commerce.

M. Guy Correau chef du bureau des missions domaniales, a distingué les méthodes de calcul de la valeur des murs de ceux relatifs à l'évaluation des fonds. Il a insisté, s'agissant des cas de cessions, sur une méthode fondée sur l'activité des trois dernières années ainsi que sur une estimation des pertes. Les frais de réinstallation devraient également faire l'objet d'une prise en compte.

M. Bruno Retailleau, président, s'est inquiété de la disparition totale d'activités économiques au sein des zones d'acquisition amiable.

M. Guy Correa a précisé qu'il s'agit à ce stade d'un droit au départ ouvrant la possibilité d'une indemnisation.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. Guy Correa a souligné l'absence de différence dans les méthodes d'évaluation selon qu'il s'agirait d'une résidence principale ou d'une résidence secondaire.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé si l'on pouvait observer un mouvement de demandes d'évaluation systématique par France Domaine, qui serait encouragé par les associations de sinistrés.

M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine, est convenu de remontées d'informations de ce type par les agents d'évaluateurs. Il a observé que des démarches du même type par des experts immobiliers indépendants sont probablement fréquentes. France Domaine apparaît à cet égard comme un évaluateur parmi d'autres pour les sinistrés.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. Daniel Dubost a indiqué que les propositions d'acquisition amiable seraient envoyées en recommandé avec accusé de réception ou remises en mains propres aux intéressés.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'existence de dates butoirs pour la phase d'acquisition amiable avant de procéder aux expropriations. Il a estimé opportun de pouvoir continuer à procéder aux acquisitions amiables lors de la phase d'expropriation, jusqu'à la déclaration d'utilité publique (DUP) en particulier.

M. Daniel Dubost a souligné que cette possibilité n'a pas encore été envisagée bien qu'elle semble constituer une piste intéressante. Il a relevé que des acquisitions amiables jusqu'à la DUP conduiraient à limiter les procédures d'expropriation. Enfin, il a précisé qu'en théorie la phase d'acquisition amiable est close en cas de refus par le sinistré de la proposition d'indemnisation faite par l'Etat.

M. Alain Anziani, rapporteur, a salué à son tour l'intérêt d'une telle méthode qui permet un échange de consentements sans limitation dans le temps, y compris postérieurement à la DUP. La réduction du nombre de contentieux profiterait à la fois à l'Etat et aux particuliers.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité que cette question fasse l'objet d'une réponse officielle à la mission sénatoriale. Il a ensuite considéré que la présence de trente agents évaluateurs sur place, procédant à un nombre de trois à quatre visites par jour, doit conduire à l'achèvement des évaluations dans un délai d'environ treize jours.

M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine, a fait valoir que deux facteurs rallongent le nombre de jours nécessaires aux évaluations :

- la présence des habitants lors des visites d'experts est inégale ;

- les évaluateurs doivent régulièrement, voire après chaque visite, revenir dans leurs bureaux pour récapituler et mettre en forme leurs expertises.

M. Daniel Dubost a annoncé un objectif de finalisation des estimations pour la fin du mois de mai 2010 s'agissant du département de Charente-Maritime et pour le 15 juin 2010 pour ce qui concerne la Vendée. Ces objectifs de délais ont conduit à demander un renfort de trois agents évaluateurs supplémentaires.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité connaître les administrations en charge du suivi du dossier.

M. Daniel Dubost a indiqué le rôle essentiel joué par les services déconcentrés de la direction générale des finances publiques (DGFiP) et par les différents services préfectoraux en particulier les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM). Les services centraux effectuent pour leur part des visites sur place régulières, en particulier ceux relevant du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité que des informations fondées sur des échantillons d'évaluation anonymisés soient transmises à la mission.

M. Daniel Dubost a répondu favorablement à cette demande.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité savoir si les enquêtes parcellaires qui seront réalisées lors de la phase d'expropriation auraient seulement pour but de connaître les propriétaires ou également de réaliser une étude parcelle par parcelle.

M. Guy Correa, chef du bureau des missions domaniales, a souligné la coexistence des deux objectifs. Cette démarche permet une évaluation globale particulièrement utile. En outre, la connaissance des dossiers individuels apparaît nécessaire, surtout dans les cas complexes de successions non réglées ou encore de procédures de divorce.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine, a indiqué que France Domaine ne se préoccupe pas des questions de contre-expertises techniques sur l'évaluation des risques.

M. Alain Anziani, rapporteur, s'est interrogé sur la justification des motifs de l'expropriation par l'appartenance à une zone déterminée ou par la situation individuelle de chaque habitation.

M. Daniel Dubost a observé que les motifs d'expropriation seraient fondés sur des critères de sécurité publique et sanitaire, dans le cadre d'une procédure juridique particulièrement formalisée. Les mesures de zonage devront en effet être particulièrement justifiées d'un point de vue juridique.

M. Bruno Retailleau, président, a fait état de la contestation des méthodes d'évaluation des habitations classées en zone d'acquisition amiable par certains délégués à la solidarité.

M. Daniel Dubost s'est montré rassurant à ce sujet. Il a toutefois déploré que certains délégués aient fait part à tort d'une indemnisation des maisons supérieure de 30 % à la valeur de marché.

M. Bruno Retailleau, président, a constaté la diversité des fonctions assumées par les délégués à la solidarité, qui doivent expliquer des procédures complexes aux sinistrés, notamment en matière d'indemnisations. Il a plaidé pour un dialogue fécond et régulier entre ces délégués et les évaluateurs de France Domaine.

M. Joël L'Her, Directeur du département « environnement, littoral et cours d'eau » du Centre d'études techniques maritimes et fluviales (CETMEF), M. Jean-Jacques Vidal, Chef du service « risques naturels et ouvrages hydrauliques » de la DREAL de Midi-Pyrénées, M. David Goutx, Chef du service « hydrométrie, prévision des étiages et des crues » de la DREAL du Centre

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Puis la mission a entendu MM. Joël L'Her, directeur du département « environnement, littoral et cours d'eau » du Centre d'études techniques maritimes et fluviales (CETEMF), Jean-Jacques Vidal, chef du service « risques naturels et ouvrages hydrauliques » de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Midi-Pyrénées, et David Goutx, chef du service « hydrométrie, prévision des étiages et des crues » de la DREAL du Centre, tous trois membres de la mission d'appui qui a contribué à la définition des zones d'acquisition amiable, ou « zones noires ».

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur la méthodologie et le processus de production des cartographies des « zones d'extrême danger », M. Jean-Jacques Vidal a indiqué que le rôle principal de la mission d'appui avait été d'assister les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) de Charente-Maritime et de Vendée.

Ayant indiqué que la mission d'appui avait été constituée par une lettre de mission de la direction générale de la prévention des risques du 16 mars, il a précisé que le zonage avait été établi en trois phases :

- lors d'une première phase, menée sur le terrain entre le 18 et le 21 mars 2010, les éléments menaçant la vie humaine (hauteur d'eau supérieure à un mètre, importance de la force de la vague, etc.) ont été identifiés, et une évaluation rapide des zones à fort danger a été menée conjointement par la mission d'appui et les services préfectoraux, sur la base de relevés effectués juste après le passage de la tempête Xynthia. Les 20 et 21 mars, ce travail a été finalisé par les DDTM seules, puis transmis aux cabinets ministériels compétents afin de servir de base à une discussion itérative entre les ministères et les préfectures ;

- la seconde phase, qui visait à ajuster la cartographie transmise aux services centraux le 21 mars, s'est déroulée sans le concours de la mission d'appui ; celle-ci est cependant revenue dans les zones sinistrées les 25 et 26 mars afin de consolider son premier zonage et de vérifier qu'il ne contenait aucune aberration ;

- une troisième phase, qui est encore en cours, a été engagée au début du mois d'avril afin de mener des analyses complémentaires ; dans ce cadre, la mission d'appui est chargée de rencontrer les élus et de formuler des diagnostics de terrain pour affiner le zonage rendu public le 7 avril 2010.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, M. Jean-Jacques Vidal a estimé qu'environ 10 % du zonage avait été modifié entre le 21 mars et le 7 avril 2010, la majorité de ce pourcentage correspondant en réalité à des retouches marginales.

M. Bruno Retailleau, président, a relevé que, en conséquence, 90 % du zonage avait été définitivement fixé en moins de 8 jours ; il a estimé que ce délai semblait extrêmement court.

M. David Goutx a précisé que cette évolution d'environ 10 % était largement due à un changement de classification des parcelles dangereuses, certaines étant passées de la « zone noire » à la « zone jaune », et réciproquement.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur l'articulation entre les différents critères de caractérisation des « zones d'extrême danger », M. Jean-Jacques Vidal a tout d'abord précisé que l'approche globale qui avait présidé à l'élaboration de la cartographie impliquait que, dans une même zone, le degré de risque sur chaque parcelle soit hétérogène. En outre, il a rappelé que le principal critère définissant une « zone noire » était la hauteur d'eau, qui devait être supérieure à un mètre, et que les autres critères (force de l'eau, topographie, proximité d'un ouvrage de protection) permettaient avant tout de distinguer les « zones noires » des « zones jaunes ».

Répondant à une question de M. Bruno Retailleau, président, sur le délai imparti à la mission d'appui et aux services préfectoraux pour élaborer le zonage, M. Joël L'Her a souligné que certains critères, comme la vitesse de déferlement de la vague ou la possibilité de mettre en place des ouvrages de protection efficaces, n'avaient pu être approchés que de manière indirecte, faute de temps, si bien que la cartographie avait été largement mise en place « à dires d'experts ». Toutefois, il a jugé que le travail mené était satisfaisant et que, même si les acteurs en charge de l'élaboration du zonage avaient disposé de plus de temps, les résultats finaux n'auraient pas présenté de différence sensible par rapport à la cartographie rendue publique en avril.

M. David Goutx a précisé que, concernant l'évaluation de la vitesse de la vague, un travail important d'étude des indices (traces d'érosion violente, enfoncements dus à des objets flottants lourds, etc.) avait été mené au cours de la deuxième phase. Par ailleurs, il a indiqué que la mission d'appui avait dû travailler rapidement afin qu'une première définition des zones d'extrême danger soit disponible avant les grandes marées de la fin du mois de mars, c'est-à-dire pour éviter que les sinistrés ne soient réexposés à un risque naturel grave. En outre, il a rappelé que le zonage répondait à la préoccupation de ne pas laisser les populations se réinstaller dans des zones dangereuses, comme l'a indiqué le Président de la République à La Rochelle dans son discours du 16 mars, et que, en tant que tel, il n'était pas animé par un esprit de planification de l'urbanisation à long terme.

M. Alain Anziani, rapporteur, a ensuite souhaité savoir si :

- l'avis des experts de la mission d'appui aurait pu être infléchi si, disposant de plus de temps, ils avaient été à même d'échanger davantage avec les sinistrés et les élus locaux ;

- la légitimité de la cartographie était totale, dans la mesure où les outils les plus performants (comme la mesure par laser aéroporté pour déterminer le niveau des terres pouvant être submergées) auraient pu être employés.

Ayant admis que, avec des délais supplémentaires, la mission d'appui aurait été capable de mieux expliquer son action en objectivant ses diagnostics et de mieux croiser les informations données par les riverains, M. David Goutx a souligné que de nombreux déplacements sur le terrain avaient permis de pallier cette lacune dans la troisième phase d'élaboration de la cartographie. En outre, il a indiqué que la mission d'appui, même si elle n'avait pas utilisé un laser aéroporté, avait pu se fonder sur des données fiables et précises (à savoir, sur les relevés d'altimétrie effectués en préparation des PPRI, et sur des relevés de voirie).

M. Jean-Jacques Vidal a signalé que des informations supplémentaires sur la topographie seraient disponibles rapidement et qu'elles devraient permettre de préciser les diagnostics de la mission d'appui sans pour autant remettre le zonage en cause.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur la pertinence de l'approche par zones homogènes qui avait été retenue par la mission d'appui, M. Jean-Jacques Vidal a estimé que ce raisonnement était légitime puisqu'il permettait d'éviter le mitage urbain et que, si seules les maisons les plus directement exposées au risque de submersion étaient détruites, la prochaine catastrophe toucherait les habitations situées derrière ce premier rang de maisons. En outre, il a souligné que les secours ne pouvaient que difficilement intervenir en présence d'une hauteur d'eau supérieure à un mètre, ce qui posait la question de l'évacuation des populations.

M. Joël L'Her a marqué son accord avec cette analyse.

Interrogé par M. Alain Anziani, rapporteur, sur une éventuelle reconversion des « zones noires », M. Jean-Jacques Vidal a indiqué que l'installation d'activités diurnes dans ces secteurs ne poserait a priori aucun problème de sécurité, mais qu'il serait alors nécessaire de veiller à ce que les processus d'écoulement des eaux ne soient pas perturbés.

Enfin, en réponse aux interrogations de M. Bruno Retailleau, président, M. Jean-Jacques Vidal a précisé que la mission d'appui n'avait pas été sollicitée pour participer à la constitution du dossier d'enquête publique, mais pour travailler sur la définition des « zones oranges » ; toutefois, il a estimé qu'un effort particulier de collecte d'informations topographiques devrait être effectué en vue des expropriations, afin que des éléments parfaitement objectifs et indiscutables puissent être mis en avant.

M. Laurent Michel, Directeur général de la prévention des risques

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La missio a ensuite procédé à l'audition de M. Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques.

A M. Bruno Retailleau, président, qui l'interrogeait sur les points de faiblesse du dispositif de prévention contre les risques d'inondation, M. Laurent Michel a tout d'abord répondu que la tempête Xynthia était un évènement important, de récurrence probablement centennale, mais pouvant se reproduire. Il a souligné qu'elle avait révélé les faiblesses de la politique des risques. Il a illustré ce constat pour chacune des grandes composantes de la politique de prévention :

- l'encadrement de l'urbanisation, qui s'est révélé insuffisant ;

- la conception et l'entretien des ouvrages de protection, également lacunaire ;

- la prévision météorologique, globalement satisfaisante ;

- l'adaptation des comportements, objet d'importantes carences.

Puis il a développé plus longuement le volet « prévision », se félicitant à cet égard de la bonne anticipation du niveau de la mer, mais soulignant la nécessité :

- d'approfondir la prévision du niveau de submersion littorale ;

- de coupler les cotes de niveau de mer et des cours d'eau, ainsi que cela est fait en Gironde ;

- de mettre au point un modèle de prévision pour les petits estuaires et les zones basses ;

- de mesurer l'impact d'une submersion marine par rapport aux enjeux locaux tout en prenant en compte les facteurs de protection.

M. Laurent Michel a indiqué que les services de prévision des crues, d'hydrométéorologie et d'appui à la prévention des inondations, qui relèvent du ministère en charge de l'environnement, vont poursuivre leurs travaux sur les modèles locaux et la prise en considération des informations relatives aux crues des grands fleuves. Seront par ailleurs intégrées dans le plan d'action des outils génériques appréhendant les zones basses, tandis que le service de prévision des crues et les services préfectoraux donneront aux préfets des moyens de prévision et d'alerte en vue de saisir les maires et diffuser l'information.

M. Bruno Retailleau, président, ayant remarqué l'inexistence d'outils de prévision de la submersion marine, M. Laurent Michel a évoqué le dispositif de vigilance « fortes vagues et tempête » de Météo France qui, depuis 2009, tente d'étendre la modélisation à l'impact littoral, espérant aboutir à des expérimentations en 2011.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur le degré de prévision des perturbations qui venaient de frapper la Côte d'Azur, M. Laurent Michel a répondu qu'une alerte nationale avait été émise plusieurs heures à l'avance par Météo France, à travers un avis de tempête et de très fortes vagues. Convenant que l'anticipation des inondations résultant de crues était bien mieux maîtrisée que celles provenant de submersions marines, il a plaidé pour un croisement du dispositif de prévision avec les plans communaux de secours (PCS), relevant du ministère de l'intérieur et dont il a observé le degré d'appropriation extrêmement variable localement.

M. Bruno Retailleau, président, ayant plaidé pour que soit établi un lien entre les plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) et les PCS, M. Laurent Michel a indiqué que la prévention devait consister en un ensemble de mesures cohérentes, selon une vision globale développée avec les plans d'action de prévention des inondations (PAPI) intégrant la gestion de l'eau, l'urbanisme, l'information des populations, l'animation et la conduite des projets. Reconnaissant qu'ils existaient surtout dans les bassins fluviaux, il a rappelé l'objectif fixé récemment par la Secrétaire d'Etat chargée de l'écologie d'accélérer la couverture des communes situées dans les communes les plus exposées à la submersion marine.

M. Laurent Michel a reconnu que l'avancement des PPR littoraux était encore loin d'être satisfaisant, seuls 113 étant prescrits et 85 approuvés sur plus de 900 communes concernées. Il a fait état d'un aléa défini de façon satisfaisante pour les îles de Ré et d'Oléron, mais insuffisant à La Faute-sur-Mer et l'île d'Yeu. Il a noté que les autres types de PPR étaient davantage développés. Mentionnant une analyse en cours du retour d'expérience de ces plans à l'aune de la tempête Xynthia, il a indiqué qu'une étude en vue d'améliorer la base de connaissance historique de tels évènements était en cours.

A M. Bruno Retailleau, président, qui l'interrogeait sur l'opportunité d'une modification de l'aléa de référence, M. Laurent Michel a répondu qu'il devrait effectivement être réexaminé dans les zones touchées et que l'atlas des zones inondables devrait être approfondi, en veillant à intégrer les différences d'appréciation à l'échelle locale. L'élévation du niveau de la mer due au réchauffement climatique, de l'ordre de 40 cm à un mètre sur quelques décennies, devra également être intégrée. En tout état de cause, le degré de prévention des risques à mettre en oeuvre continuera de relever de la seule décision politique.

Sollicité par M. Bruno Retailleau, président, sur les procédures d'urbanisme, M. Laurent Michel a rappelé que les PPR, annexés aux PLU, s'imposaient à ces derniers. Evoquant la responsabilité des services de l'Etat dans la délivrance des permis de construire, par contrôle systématique de légalité ou par sondage, et l'obligation pour le préfet de déférer au tribunal administratif ceux lui paraissant illégaux, il a indiqué qu'une circulaire conjointe aux ministères en charge de l'intérieur et de l'environnement avait réaffirmé la priorité donnée à l'environnement. Pointant une application partielle d'outils existant en nombre suffisant, il a prôné, s'agissant des PPR, une amélioration de la connaissance de l'aléa ; une accélération de leur adoption, souvent en situation de blocage ; une clarification aux niveaux national et local des règles intangibles les régissant ; ainsi que la mise en oeuvre de solutions alternatives au déplacement des populations lorsque le foncier est trop élevé.

Questionné par M. Bruno Retailleau, président, sur l'opportunité de PPR « submersion marine », M. Laurent Michel a mentionné l'existence de PPR littoraux, dont l'application devrait être renforcée, et le cas échéant anticipée, dans les zones cartographiées comme prioritaires, qui devraient être recensées d'ici la fin de l'année, en réévaluant éventuellement l'aléa de référence.

Soulignant la complexité du code de l'urbanisme, M. Alain Anziani a jugé utile une clarification passant par l'intégration des différents éléments contenus dans les PPR, les PLU, les PAPI ou les PCS dans un document global. S'interrogeant sur l'opportunité de réaliser un plan-type permettant d'harmoniser les PPRI, il a envisagé la fixation d'une date butoir pour leur adoption.

M. Laurent Michel a fait observer que la révision des PLU pouvait être l'occasion d'intégrer des PPR. Le volet « aménagement du territoire » des schémas de cohérence territoriale (SCOT) présente l'intérêt d'intégrer les risques existants. Soulignant que les préfets n'étaient en rien tenus par de quelconques délais d'adoption des PPRI, il a suggéré que soit précisé dans un décret le délai maximal d'adoption, estimant à cet égard qu'une durée de trois ans semblait raisonnable. Voyant dans les PAPI l'expression d'une stratégie collective portée par les collectivités, avec l'appui de l'Etat, sur les réponses à apporter aux risques d'inondation, il a précisé qu'ils devaient s'intégrer dans les PPR, suggérant que soit détaillées par décrets les règles-types encadrant chaque catégorie de risque.

A M. Bruno Retailleau, président, qui lui demandait si l'élévation du niveau de la mer devait entraîner nécessairement le réhaussement des digues, M. Laurent Michel a recommandé d'adopter une vision globale en matière de protection. Il a rappelé qu'un plan de confortement des digues avait été annoncé à la suite de la tempête Xynthia. Si les digues ne doivent pas être érigées en vue d'urbaniser davantage, l'action des maîtres d'ouvrage doit en revanche être confortée, a-t-il poursuivi, évoquant l'accroissement du contrôle règlementaire des digues et barrages résultant de la loi sur l'eau du 30 décembre 2006.

Invité par M. Bruno Retailleau, président, à se prononcer sur l'opportunité de développer d'autres prescriptions de protection, M. Laurent Michel a estimé sous-développée la réduction de la vulnérabilité du bâti existant. Il a par ailleurs cité le rôle des dunes, dont il a recommandé le renforcement au vu des circonstances locales.

M. Bruno Retailleau, président, a fait mention du programme communautaire Theseus, doté de 6,5 millions d'euros et visant à établir une stratégie de protection des zones côtières.

Evoquant un livre blanc de la Commission européenne sur la connaissance des catastrophes naturelles, M. Laurent Michel a indiqué que la directive communautaire du 23 octobre 2007 relative à l'évaluation et à la gestion des risques d'inondation appelait, de façon très cohérente, à définir des territoires prioritaires, à protéger la vie humaine et l'activité économique, et à prendre en compte l'ensemble des risques d'inondation, qu'ils proviennent de ruissellement ou de submersion marine. Procédant à un emboîtement entre des stratégies définies à l'échelle nationale, des plans de gestion des risques d'inondation et des plans d'action locaux s'apparentant aux PAPI, elle implique la concertation de l'ensemble des acteurs : Etat, préfets, comités de bassin, et collectivités territoriales.

Regrettant que les outils existants en matière de prévention ne soient pas systématiquement utilisés et que l'adoption d'une vision globale conduise à oublier parfois l'essentiel, M. Dominique de Legge a déploré que le projet de loi portant engagement national pour l'environnement soit rédigé en des termes insuffisamment prescriptifs. Soulignant que le respect de la biodiversité impliquait, en premier lieu, la protection de l'homme, il a appelé à recentrer les documents d'urbanisme sur la protection des personnes.

Souscrivant à ces propos, M. Bruno Retailleau, président, a estimé que le contrôle de légalité des permis de construire délivrés dans les zones à risque devrait être systématique.

M. Laurent Michel a indiqué que des moyens humains supplémentaires seraient mobilisés au niveau ministériel en matière de prévention des risques, et que les actions seraient hiérarchisées, en précisant dans quelles zones les PPR devraient être réalisés de façon prioritaire.

M. Yann Boaretto, Médiateur des assurances

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Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Yann Boaretto, médiateur des assurances.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité connaître l'étendue exacte du mandat du médiateur des assurances.

M. Yann Boaretto, médiateur des assurances, a préalablement rappelé avoir occupé cette fonction suite à la catastrophe de la tornade qui a frappé le Val de Sambre, autour de la commune de Maubeuge, le 3 août 2008 ainsi qu'après le passage de la tempête Klaus du 24 janvier 2009, qui a principalement touché le sud-ouest de la France. Il a indiqué que ses différentes expériences de médiateur l'ont conduit à développer une certaine connaissance des acteurs concernés : les sociétés d'assurance privées tout d'abord, mais également les nombreux services de l'Etat concernés par les conséquences des catastrophes naturelles et l'indemnisation des victimes.

Sa mission s'agissant de la tempête Xynthia consiste surtout à veiller au bon déroulement des procédures d'indemnisation et à la qualité des relations entre les assureurs et les assurés. Il s'agit également d'encourager les assurances à s'organiser efficacement pour traiter rapidement les dossiers et verser les indemnisations dans des délais raisonnables.

M. Yann Boaretto a fait part de la méthode de suivi retenue. En accord avec les sociétés d'assurance, sur la totalité des 65 départements touchés par la catastrophe, un suivi fin est effectué sur les 24 départements où la vitesse du vent a été supérieure à 140 kilomètres à l'heure. Les quatre départements pour lesquels l'état de catastrophes naturelles a été reconnu dès le 2 mars 2010, ainsi que les communes d'autres départements ayant depuis cette date subi la même reconnaissance, font pour leur part l'objet d'une attention encore plus soutenue. Il a précisé ensuite que son mandat est antérieur à l'annonce du principe d'interdiction de reconstruction dans les « zones de solidarité » mais qu'il participe toutefois également au suivi du travail des assureurs sur ce dossier. Enfin, il a indiqué que les biens des collectivités territoriales relèvent de procédures particulières et qu'ils sont pour la plupart non assurables, à l'instar des infrastructures (voirie, digues...).

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur le rôle particulier joué par le médiateur dans les zones d'acquisition amiable.

M. Yann Boaretto, médiateur des assurances, a fait état du traitement particulier réservé à ces sinistrés. En effet, les sociétés d'assurances indemniseront les biens abimés ou détruits sans que la remise en état soit effectuée, mais comme si elle devait avoir lieu. Bien que cette procédure se déroule dans un cadre juridique incertain, les assureurs n'ont pas soulevé de difficultés. L'Etat indemnisera les personnes concernées selon la valeur vénale des biens antérieure à la catastrophe, en déduisant la part prise en charge par les assurances privées au titre de la remise en état. En dépit du caractère relativement scriptural de l'opération, une coordination étroite entre les services de France Domaine et les assureurs, au nombre de près de 300, est nécessaire.

M. Bruno Retailleau, président, a évoqué le risque d'un ralentissement du rythme des procédures d'expertise conduites par les assureurs face à l'action des évaluateurs de France Domaine.

M. Yann Boaretto, médiateur des assurances, a distingué deux phases dans le travail d'expertise des assureurs :

- la phase de « reconnaissance », au cours de laquelle l'expert prend la mesure générale des dégâts et classe les dossiers en fonction de leur degré de priorité. Ce travail peut se dérouler très rapidement et a souvent été réalisé pour les dégâts ne posant pas de difficultés ;

- la phase d'expertise détaillée, qui nécessite une activité plus longue. Ainsi trois ou quatre biens peuvent être visités au maximum par demi-journée. La mobilisation dans les départements touchés par la catastrophe apparaît satisfaisante puisqu'environ 150 experts sont présents sur le terrain.

Au total, les capacités des sociétés d'assurance semblent donc clairement supérieures à celles de France Domaine.

M. Alain Anziani, rapporteur, s'est interrogé sur les difficultés qui pourraient résulter des différences dans les méthodes d'évaluation utilisées par les assurances, d'une part, et par France Domaine, d'autre part.

M. Yann Boaretto, médiateur des assurances, a rappelé que son rôle de médiateur ne consiste pas à arbitrer les conflits mais à prévenir leur formation. Il a estimé que le risque de difficulté est fortement réduit par la coexistence de deux opérations indépendantes, conduites parallèlement par les assureurs et par l'Etat. La première porte sur la valeur d'indemnisation en vue d'une remise en l'état alors que la seconde consiste à indemniser les sinistrés selon la valeur vénale de leurs biens immobiliers. Le seul obstacle réel pourrait résider dans le cas d'un bien évalué par France Domaine à une valeur inférieure à celle proposée par les sociétés d'assurance. M. Yann Boaretto a donc fait valoir que la question du partage du coût entre l'Etat et les assureurs peut être assimilé à un faux problème, sachant que le seul point qui importe réellement pour les sinistrés est que l'indemnisation soit rapide et qu'elle soit faite à un juste prix.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité connaitre les modalités pratiques du suivi de la situation, particulièrement sur le plan des statistiques.

M. Yann Boaretto, médiateur des assurances, a indiqué la mise en place rapide de l'organisation suivante :

- les deux fédérations que sont la fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) et le groupement des entreprises mutuelles d'assurance (GEMA) ont toutes les deux nommé des coordonnateurs dans chacun des vingt quatre départements principalement touchés par la tempête. Ils centralisent les données et les dossiers pour l'ensemble des sociétés adhérentes ;

- les services de l'Etat, en particulier les préfectures très mobilisées de Vendée et de Charente-Maritime, coordonnent localement l'action publique, consécutivement à la tempête. Des réunions régulières sont ainsi organisées entre les services préfectoraux, les directions départementales des finances publiques, les directeurs de succursales de la Banque de France, les collectivités territoriales et leurs services techniques, et, enfin, les sociétés d'assurances. Il convient également de noter la participation à ces réunions du médiateur local du crédit. Celui-ci tout comme le représentant de la Banque de France assume une fonction importante de prévention des difficultés économiques des particuliers et des entreprises, surtout en matière de surendettement.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'existence de plaintes de la part des sinistrés quant aux procédures d'indemnisation.

M. Yann Boaretto, Médiateur des assurances, a souligné le faible nombre de dossiers transmis. Les tableaux de suivi établis deux fois par semaine montrent que les motifs d'insatisfaction sont le plus souvent formels - ils peuvent ainsi porter sur l'application des franchises ou sur les délais de visite des experts. Les questions de fond, portant sur la technicité assurantielle elle-même, sont très rares.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. Yann Boaretto a relevé l'existence au 28 avril 2010 de 19 dossiers, dont seuls 8 nécessitent une analyse plus poussée. Le taux de résolution des problèmes transmis est de cent pour cent à ce jour et doit beaucoup à la mobilisation des sociétés d'assurance, dont les préoccupations commerciales les conduisent à souhaiter conserver une bonne image. Un seul cas, ayant conduit à une pollution par dispersion d'huile, apparaît relativement complexe à régler. Tous les dossiers nécessitant une analyse poussée sont transmis et traités au niveau des fédérations des sociétés d'assurance.

M. Bruno Retailleau, président, a observé que les biens non assurables des collectivités territoriales font l'objet de procédures exceptionnelles d'indemnisation.

M. Yann Boaretto, médiateur des assurances, a tout d'abord observé l'absence de difficultés dans les relations entre les assurances privées et les collectivités territoriales. S'agissant ensuite des biens non assurables, il convient de les déterminer précisément sachant que les collectivités peuvent souvent choisir le classement sur option de leurs biens au sein de cette catégorie. Il a indiqué que son mandat de médiateur ne s'étend pas jusqu'aux dispositifs de prise en charge, au titre de la solidarité nationale, des biens non assurables des collectivités territoriales.

M. Alain Anziani, rapporteur, a évoqué la problématique spécifique de l'indemnisation des meubles.

M. Yann Boaretto, médiateur des assurances, a distingué les cas de présence des biens mobiliers dans les locaux, des situations où ils étaient situés à l'extérieur au moment de la catastrophe, à l'instar du matériel et de la production des ostréiculteurs. Ces deux types de configuration conduiront à des régimes d'indemnisation différents.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, et à M. Alain Anziani, rapporteur, M. Yann Boaretto a observé que les dossiers d'indemnisation des fonds de commerce seraient résolus sans difficultés.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'indemnisation des professionnels, en particulier à travers la mobilisation du fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC) et du fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA).

M. Yann Boaretto, médiateur des assurances, a tout d'abord observé que la première limite des indemnisations pour les professionnels consiste en l'application d'une franchise d'une valeur de 10 % des biens. Il s'agit d'une pénalité assez forte, surtout que le FISAC ne prévoit pas le remboursement de la franchise. Toutefois, une certaine souplesse pourrait être appliquée par la commission chargée de procéder à l'évaluation des aides au titre du FISAC. Il convient de noter que pour les particuliers, cette franchise est plus réduite : elle est soit prévue contractuellement, soit d'un montant de 380 euros pour les dégâts résultant de catastrophes naturelles.

Pour ce qui concerne le FNGCA, il s'agit d'une compétence du ministère de l'agriculture et M. Yann Boaretto a donc regretté son incapacité à pouvoir répondre à la question posée.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'opportunité d'une réforme du régime assurantiel des catastrophes naturelles - appelé régime « catnat » - ainsi que du fonds Barnier.

M. Yann Boaretto, médiateur des assurances, a attiré l'attention de la mission sur le faible intérêt du classement en zone de catastrophe naturelle en matière d'indemnisation par les assurances. En effet, il ouvre une procédure plus lourde et induit des franchises plus élevées. Ce régime catnat est en revanche favorable aux assureurs puisqu'il conduit à faire de l'Etat le payeur en dernier ressort par l'intermédiaire de la Caisse centrale de réassurance (CCR). Un autre de ses intérêts réside dans la prise en charge des risques non assurables, à l'instar des inondations.

M. Bruno Retailleau, président, a déploré le caractère non assurable du risque inondation.

M. Yann Boaretto, médiateur des assurances, a souligné que les risques climatiques font progressivement l'objet d'une prise en charge dans les contrats d'assurance de droit commun. Il a relevé que l'indemnisation du risque tempête sans nécessiter l'intervention du régime catnat résulte notamment d'un arrêt du Conseil d'Etat du 10 février 1993, « Etablissements Jean Diant et compagnie ».

La déclaration de l'état de catastrophes naturelles possède surtout une dimension psychologique. Elle permet en effet de reconnaître la gravité de la catastrophe subie par les victimes et de témoigner à celles-ci la mobilisation de la communauté nationale. Une confusion semble souvent faite entre cet aspect rassurant et la possibilité d'une extension de la couverture assurantielle. L'indemnisation suite au déclenchement du régime catnat est en effet dans l'ensemble plus lente et moins favorable aux sinistrés. Il convient donc de mobiliser un tel régime sans faire preuve de précipitation.

M. Yann Boaretto a donc en outre regretté le classement rapide et parfois peu pertinent de la totalité de quatre départements en zone de catastrophes naturelles dès le lendemain de la tempête alors que certains d'entre eux, notamment les Deux Sèvres, avaient principalement subi les effets du vent et non des inondations, ce qui rendait inutile la reconnaissance de l'état de catastrophes naturelles d'un point de vue assurantiel.

Pour ce qui concerne la réforme du régime catnat lui-même, il a attiré l'attention sur la nécessité de recourir au budget de l'Etat avec une préoccupation marquée d'économie et de bonne gestion.

M. Bruno Retailleau, président, a relevé à son tour le caractère assez symbolique de la reconnaissance de l'état de catastrophes naturelles. Il s'est ensuite ému de l'évaluation annoncée par France Domaine du coût des indemnisations dans les zones d'acquisition amiable : alors que M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, lors de son audition par la mission avait fait part d'une fourchette comprise entre 300 et 400 millions d'euros, il s'agirait plutôt d'un ordre de grandeur de 800 millions d'euros. La capacité financière du fonds Barnier paraît donc totalement dépassée.

M. Yann Boaretto, médiateur des assurances, est convenu de l'augmentation des montants estimés, notamment sous l'effet de la hausse du nombre de biens à indemniser. Il a observé la valeur foncière souvent considérable des habitations concernées. Pour ce qui concerne le financement de ces opérations de rachat, le fonds Barnier ne semble pas l'instrument le plus pertinent pour faire face à leurs enjeux. En effet, d'une part, il ne prévoit pas le risque de submersion et, d'autre part, il fixe le principe d'un plafonnement du montant à indemniser - aujourd'hui établi à 60.000 euros. Ces deux dispositions pourront être aménagées mais il devrait plutôt s'agir de procéder à une révision plus globale de l'architecture du fonds. Son mode de financement, un prélèvement de 12 % sur l'enveloppe du régime catnat, lui-même appuyé sur un prélèvement de 12 % du montant des surprimes des contrats d'habitation, apparaît complexe. Son utilisation croissante pour des études limite de plus ses marges de manoeuvre, alors que sa capacité à être mobilisé serait accrue par la constitution de réserves.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur la révision des règles d'abondement du fonds Barnier.

M. Yann Boaretto, médiateur des assurances, a plaidé pour une segmentation du fonds en deux enveloppes fixes : une part déterminée serait consacrée à des activités d'études et de prévention tandis que la majeure partie des crédits serait destinée à des indemnisations. Il a estimé que l'utilisation du fonds en vue de l'indemnisation des sinistrés dont les habitations sont classées en zone d'acquisition amiable nécessitera la mise à disposition de moyens financiers adéquats. Dans le cas où un mécanisme d'avances par l'Etat serait envisagé, la Caisse centrale de réassurance (CCR) pourrait servir d'intermédiaire.

En réponse à M. Alain Anziani, rapporteur, M. Yann Boaretto a déclaré ne pas avoir eu connaissance de refus d'indemnisations par les assureurs au motif d'une non appartenance aux zones d'acquisition amiable. Il a toutefois précisé avoir entendu parler de tels refus sans qu'aucun élément matériel ne lui ait été soumis à ce sujet.

M. Alain Anziani, rapporteur, a ensuite évoqué la possibilité de cession à l'amiable pour les propriétés situées hors des « zones de solidarité », dans des communes classées en zone de catastrophes naturelles par exemple.

M. Yann Boaretto a observé que des demandes d'évaluation ont déjà été adressées aux préfectures pour des biens immobiliers ne relevant pas des zones d'acquisition amiable. Il a notamment fait état d'une dizaine de cas. La mise en oeuvre d'une telle procédure d'indemnisation, tout comme son rejet, nécessitera une expertise juridique poussée de la part des services de l'Etat, à la lumière du principe d'égalité. A cet égard, le Gouvernement pourrait utilement solliciter l'avis du Conseil d'Etat.

En conclusion, M. Yann Boaretto a annoncé le résultat des dernières compilations des données transmises par les deux fédérations de sociétés d'assurance et consacrées aux 24 départements où la vitesse du vent a été supérieure à 140 kilomètres à l'heure :

- 377.328 sinistres ont été déclarés dont 28.587 au titre du régime catnat ;

- 35 % ont été réglés ou sont sur le point de l'être ;

- 9,3 % des dossiers ont bénéficié du versement des indemnisations.

Les données disponibles montrent que les départements de Vendée et de Charente-Maritime représentant une part importante des indemnisations, en particulier au titre du régime catnat, ce dernier constat correspondant à l'impact des phénomènes de submersion.

S'agissant de la couverture des dégâts dans le monde agricole, et sur la base d'un échantillon de 14.467 dossiers de sinistres de la fédération française des assurances (FFSA) :

- 26,6 % de ces dossiers ont été réglés ou sont sur le point de l'être ;

- environ 0,5 % ont conduit au versement d'indemnités ;

- seuls 3,9 % des agriculteurs sinistrés relèveraient du régime catnat.

M. Loïc Prieur, Avocat spécialisé en droit de l'urbanisme et loi du littoral

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Enfin, la mission a procédé à l'audition de M. Loïc Prieur, avocat spécialisé en droit de l'urbanisme et du littoral.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, qui l'interrogeait sur les causes de la catastrophe créée par la tempête Xynthia, M. Loïc Prieur a estimé qu'à l'évidence, ce drame mettait en cause le droit de l'urbanisme et en particulier de l'urbanisme sur le littoral. Il a cependant ajouté que la création de dispositifs juridiques nouveaux dans le code de l'urbanisme ou dans le code de l'environnement ne lui semblait pas nécessaire car de nombreux instruments juridiques étaient disponibles pour faire face à de telles situations. L'instrument de droit commun, l'ex-plan d'occupation des sols (POS) devenu plan local d'urbanisme (PLU) permet, dès lors que le risque est avéré, de rendre des terrains inconstructibles. Si un PLU ne le prévoit pas dans de telles circonstances, il peut être annulé par le juge administratif pour erreur manifeste d'appréciation.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé s'il ne fallait pas intégrer les plans de prévention des risques naturels (PPRN) aux plans locaux d'urbanisme (PLU) plutôt que de simplement les annexer.

M. Loïc Prieur a répondu qu'il conviendrait plutôt de hiérarchiser les PPRN et les PLU, afin de subordonner ces derniers aux prescriptions des premiers. Il a convenu que, en cas de modification d'un PPRN, il serait logique de prévoir une modification systématique du PLU.

En réponse à M. Alain Anziani, rapporteur, il a confirmé que les PLU avaient déjà vocation à intégrer les risques et qu'il était possible de rendre des terrains inconstructibles en application des PPRN. Il a indiqué que la partie réglementaire des PLU, directement opposable, permettait une gradation des contraintes en fonction des risques, depuis des prescriptions de construction spécifiques jusqu'à l'inconstructibilité. Ainsi, dans certaines zones touchées par la submersion marine, on aurait pu imposer des constructions à deux étages plutôt que d'imposer un seul niveau d'habitation pour des raisons esthétiques.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé s'il fallait lier ces plans et les plans communaux de sauvegarde (PCS).

M. Loïc Prieur a répondu que l'on avait déjà rendu le droit de l'urbanisme complexe, avec de nombreuses références à prendre en compte, si bien qu'il n'était pas certain de l'opportunité de lier ces documents.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé si la séparation entre, d'une part, les prescriptions du code de l'environnement, notamment issues de la loi du 3 janvier 1986 dite « loi Littoral » et, d'autre part, celles du code de l'urbanisme, ne créait pas des difficultés juridiques.

M. Loïc Prieur a confirmé que les sources juridiques étaient éclatées mais que cela ne posait pas de problème dès lors qu'elles étaient coordonnées. Il a ajouté que la loi Littoral de 1986 ne contenait pas d'objectifs en termes de sécurité publique, cette notion n'apparaissant que de manière indirecte dans la prise en compte de l'érosion des côtes, qui permet d'étendre la bande de 100 mètres inconstructibles sur le rivage. Pour deux lotissements durement frappés par la tempête Xynthia dans la commune de La Faute-sur-Mer (Les Doris et Les Voiliers), les espaces d'urbanisation concernés n'étaient pas inconstructibles en application de la loi Littoral.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé si, dès lors, la loi Littoral ne devait pas prendre en compte des objectifs de sécurité.

M. Loïc Prieur a répondu qu'il avait étudié ce thème avec l'association France Nature Environnement et qu'il envisageait deux pistes de réflexion : d'une part, la prise en compte des risques de submersion marine parmi les objectifs de la loi Littoral avec la possibilité d'étendre la bande des 100 mètres inconstructibles dans ce cas et non plus pour de seuls motifs d'érosion de la côte ; d'autre part, l'extension des espaces naturels remarquables et inconstructibles pour des motifs liés aux risques de submersion marine et non plus pour des seuls motifs paysagers. Il a toutefois ajouté que l'on disposait déjà, dans le code de l'urbanisme, des instruments juridiques nécessaires pour rendre des terrains inconstructibles.

M. Bruno Retailleau, président, a fait observer que, malgré ces instruments, nombre de permis de construire avaient été délivrés sur des terrains durement touchés par la tempête, apparemment en toute légalité.

M. Loïc Prieur a reconnu que l'Etat, chargé la plupart du temps de l'instruction des permis de construire, et surtout responsable du contrôle de légalité, n'avait pas joué pleinement son rôle. L'Etat doit de plus donner son accord pour les constructions proches du rivage. L'article R. 111-2 du code de l'urbanisme permet à l'Etat de déférer un permis de construire au tribunal administratif pour des motifs de sécurité publique.

En réponse à M. Alain Anziani, rapporteur, il a confirmé que l'on enregistrait seulement un taux de 0,024 % de déférés préfectoraux et que chaque agent chargé du contrôle de légalité devait traiter 8.000 dossiers par an. Il s'agit donc d'abord d'une question de moyens et ensuite de volonté politique.

Répondant à M. Bruno Retailleau, président, qui a suggéré que le contrôle de légalité soit rendu systématique pour les constructions dans les zones à risques, M. Loïc Prieur a fait valoir que l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme permettait déjà aux préfets d'agir.

M. Bruno Retailleau, président, a souligné qu'il n'existait pas de réelle culture du risque en France et que l'Etat se montrait parfois plus tatillon pour la protection des espèces animales et végétales que pour des motifs de sécurité publique.

M. Loïc Prieur a indiqué que, outre le motif de déféré prévu à l'article R. 111 2 du code de l'urbanisme, un déféré était possible en application de la loi Littoral pour des motifs liés à l'absence de continuité d'une agglomération ou de villages. Mais l'expérience montrait, par exemple à Belle Ile en Mer, que les déférés touchaient des questions de paysages et non de risques.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé quelles mesures pourraient être prises pour être plus efficace en matière de prévention des risques.

M. Loïc Prieur a répondu qu'il était difficile à un juriste de dire comment mieux inculquer une culture du risque en France. Il s'est dit cependant surpris par le manque de connaissances juridiques tant des élus dans les petites communes que des agents de l'Etat. Il a souligné la nécessité de renforcer la formation sur le droit de l'urbanisme et du littoral mais aussi sur les aspects scientifiques et techniques.

M. Alain Anziani, rapporteur, a demandé s'il ne faudrait pas clarifier et mieux hiérarchiser les dispositions du code de l'urbanisme.

M. Loïc Prieur a souscrit à cette analyse, mais il a indiqué que cela serait compliqué car le code de l'urbanisme était devenu l'instrument juridique de toutes les politiques publiques ayant une incidence sur le sol. Il a ajouté qu'une meilleure articulation des normes applicables pourrait être recherchée.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité savoir s'il ne serait pas possible de s'inspirer des dispositifs relatifs aux établissements recevant du public qui fonctionnaient bien.

M. Loïc Prieur a estimé qu'en s'inspirant de ces dispositifs, on pourrait mieux associer à la confection des PLU les organismes ayant un savoir sur le risque.

Mercredi 12 mai 2010 M. Yannick Chenevard, Président de la Fédération nationale de protection civile, Mme Jacqueline Roy, Présidente, M. Pascal Miclot, Vice-président, M. Philippe Potier, Directeur de l'Association départementale de protection civile de la Vendée

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président

La mission a d'abord procédé à l'audition de M. Yannick Chenevard, président de la Fédération nationale de protection civile, Mme Jacqueline Roy, présidente, M. Pascal Miclot, vice-président, et M. Philippe Potier, directeur, de l'Association départementale de protection civile de la Vendée.

M. Bruno Retailleau, président, a tout d'abord rendu hommage aux intervenants, ainsi qu'à l'ensemble des bénévoles s'étant impliqués, pour leur action sur le terrain. Il les a ensuite invités à présenter leur fédération et à relater la façon dont ils avaient vécu les évènements.

M. Yannick Chenevard a précisé que la Fédération nationale de protection civile (FNPC), première association agréée de sécurité civile en France, comportait 32 000 bénévoles répartis dans 500 antennes.

Interrogé sur le déroulement de l'alerte et le rôle de l'Association départementale de protection civile de la Vendée (ADPCV) par M. Bruno Retailleau, président, Mme Jacqueline Leroy a rapporté la demande du préfet, vers 4h00 le 28 février, de se mettre en situation de pré-alerte. Une cinquantaine de secouristes étaient prêts dans la matinée. 250 lits, qui n'ont finalement pas servi en raison des propositions d'hébergement faites par les résidents, ainsi que des couvertures ont alors été proposés aux victimes de la tempête. L'association a ensuite procédé au recensement et à l'évacuation des sinistrés, qui ont été dirigés vers le centre d'accueil provisoire de L'Aiguillon-sur-Mer. Puis elle a accompagné ceux souhaitant revenir à leur domicile pour constater les dégâts. Enfin, elle a procédé au nettoyage des habitations sinistrées à partir du troisième jour.

Interrogée par M. Bruno Retailleau, président, sur l'articulation des secours, Mme Jacqueline Leroy a indiqué que son association avait été chargée de coordonner l'action des bénévoles, arrivés après le premier jour, certains d'entre eux ayant ressenti une certaine frustration pour ne pas avoir été autorisés à s'investir davantage. Elle a précisé avoir travaillé avec le Secours catholique.

M. Philippe Potier a complété ses propos en indiquant que l'association avait, dans les premiers jours, orienté son action vers l'hébergement des victimes à court terme, chez des habitants de la commune, le conseil général prenant ensuite le relais pour le moyen terme. Puis la protection civile a opéré à trois reprises le recensement des besoins et moyens disponibles en nourriture, eau, chauffage et soutien psychologique. Des dizaines de bénévoles ont du être accueillis et encadrés afin de les distinguer de personnes offrant des services aux victimes à des coûts exorbitants. Après cette première phase, qui a duré une semaine, la protection civile a procédé au nettoyage des maisons, en mettant à disposition un numéro d'appel et en conseillant les victimes, souvent totalement désorientées. Au cours de cette seconde phase, qui a duré un mois environ, 1 000 secouristes ont été mobilisés et onze départements sont venus en renfort.

A la fin de la première semaine, a ajouté M. Pascal Miclot, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) a demandé à se désengager au profit de l'association, qui a accepté. Elle s'est alors occupée de la coordination des différents acteurs, dont les 250 bénévoles quotidiens, tandis que le Secours catholique a géré les aspects humanitaires.

A M. Michel Doublet, qui s'interrogeait sur l'articulation avec les services d'autres départements, M. Pascal Miclot a indiqué que les associations de protection civile de Loire-Atlantique et des Deux-Sèvres notamment s'étaient investies, tandis que la veille nationale avait assuré la coordination générale.

Mme Jacqueline Roy a précisé que les associations de onze autres départements avaient apporté de l'aide. Soulignant la gravité des dégâts à l'intérieur des maisons, où presque plus rien n'était récupérable, elle a témoigné de la grande détresse des victimes. Une cellule de soutien psychologique a rapidement été mise en place. Elle devra demeurer en fonction pendant longtemps.

Interrogée par M. Bruno Retailleau, président, sur les lacunes éventuelles de la procédure de secours, Mme Jacqueline Roy a fait état d'un manque de moyens pour le nettoyage, pallié par ceux mis à disposition par d'autres acteurs, que des aides devraient permettre de compenser. Elle a précisé que l'ordre de mission de la préfecture, avec laquelle les relations avaient été étroites, était de nature orale et avait évolué dans le temps, sans que cela n'ait posé de problèmes.

Après avoir à son tour remercié et félicité les intervenants, M. Alain Anziani, rapporteur, les a interrogés sur d'éventuels problèmes de communication.

M. Philippe Potier a indiqué que si des difficultés avaient été relevées dans les premières 48 heures, la fédération, qui possède son propre réseau radio et rendait compte au poste central des sapeurs-pompiers, lesquels en référaient à la préfecture, n'en avait pas été affectée.

Questionné sur ce point par M. Bruno Retailleau, président, M. Yannick Chenevard a insisté sur le manque de culture du risque. Si des dépenses substantielles sont engagées en vue de protéger les infrastructures, et si l'arsenal juridique et les moyens techniques sont suffisants, la formation des citoyens est, elle, en revanche très insuffisante.

A M. Bruno Retailleau, président, qui lui demandait la façon d'améliorer les procédures d'alerte, M. Yannick Chenevard a relevé l'existence du réseau national d'alerte (RNA), dont il toutefois souligné l'état dégradé. L'Etat s'est engagé à y venir en aide, sachant que le coût d'une sirène s'élève à 42 000 euros. L'abonnement à des systèmes d'appels groupés - fax, email, SMS et téléphone - se monte quant à lui à 15 000 euros par an et permet de communiquer avec potentiellement 70 000 personnes. Dès que le maire ou le préfet a pris une décision, il conviendrait de pouvoir activer ce type de dispositif.

Interrogé sur ce point par M. Bruno Retailleau, président, M. Yannick Chenevard a indiqué que les plans communaux de sauvegarde (PCS) étaient d'un contenu fort variable, tout étant question de volonté et de moyens. Estimant délicat pour les petites communes d'élaborer de tels plans, il a préconisé leur conception à l'échelle intercommunale, ajoutant que les services préfectoraux pouvaient apporter une aide.

Indiquant qu'elle avait fait adopter un tel plan dans sa commune de 16 000 habitants, en ayant recours à un contrat de mission pour son élaboration, et soulignant l'importance du temps et des moyens requis, Mme Marie-France Beaufils a estimé que l'Etat n'était plus en mesure d'y répondre en préfecture, et que les petites communes ne pouvaient y parvenir seules.

M. Bruno Retailleau, président, lui ayant demandé s'il était opportun de définir des PCS types et d'autres plus spécifiques, M. Yannick Chenevard a estimé nécessaire de conserver en ce domaine une certaine simplicité, source d'efficacité. Reflet d'une commande, ces plans doivent distinguer la gestion du quotidien et le traitement de l'alerte. A cet effet, ils analysent les risques auxquels est exposée la commune et recensent les moyens d'y faire face.

M. Alain Anziani, rapporteur, a fait valoir que l'Etat était en principe responsable de la protection de la population mais que les maires étaient chargés de mettre en oeuvre cette protection sans en avoir les moyens. Il s'est demandé s'il ne fallait pas réaffirmer plus clairement la responsabilité de l'Etat dans ce domaine.

M. Yannick Chenevard a considéré que l'Etat pouvait formuler des recommandations mais qu'une prise en charge de la protection au niveau intercommunal, par exemple par un syndicat mixte, pouvait permettre de promouvoir une approche à la fois humaine et méthodique.

Après avoir noté que le caractère inopérant des réseaux téléphoniques tenait à leur fonctionnement simultané, M. Yannick Chenevard a souligné la nécessité pour les maires de disposer des moyens de transmission véhiculant voix, image et géolocalisation des correspondants leur permettant de prendre des décisions à tout moment. Il a chiffré à deux millions d'euros le coût d'un tel réseau autonome de 10 pylônes et 500 postes.

Jugeant qu'il revenait aux maires de hiérarchiser les risques, Mme Gisèle Gautier a relevé les appréciations divergentes de deux préfets, l'un ayant décidé de faire évacuer les populations menacées tandis que l'autre leur recommandait de rester chez elles. Estimant que les maires auraient mieux apprécié les circonstances locales, elle a relaté que nombre d'entre eux n'avaient pas allumé ce jour là leur téléphone mobile. Déplorant l'excessif cloisonnement de l'administration, elle a plaidé pour des moyens techniques permettant de joindre les élus locaux en un minimum de temps.

M. Yannick Chenevard a précisé que le dispositif qu'il avait évoqué ne cessait que lorsque le message avait été reçu par son destinataire.

M. Bruno Retailleau, président, ayant fait observer que la procédure d'évacuation devait être correctement préparée pour se dérouler de façon satisfaisante, M. Yannick Chenevard a renchéri en ce sens, jugeant nécessaire d'aider les maires à apprécier leur déclenchement, tout en la dédramatisant.

Relatant le dispositif en vigueur dans sa commune où, à défaut du maire, un élu et un service d'astreinte doivent être joignables en permanence, M. Philippe Darniche a proposé de le rendre obligatoire. Il a distingué deux niveaux de responsabilité :

- le directeur de la sécurité publique à la préfecture, qui devrait être en mesure de mettre en oeuvre le PCS sur toutes les communes à risque ;

- le maire, appelé à prendre les décisions opérationnelles.

Rapportant par ailleurs avoir reçu sur son téléphone mobile, peu avant la tempête Xynthia, un message d'alerte ne comportant pas d'indication de surcote, il s'est dit désireux d'informations fiables et graduées selon les risques réels.

M. Paul Raoult a fait état de la multiplication des alertes auprès des maires, sous l'effet du principe de précaution. Or la plupart ne sont pas justifiées, ce qui tend à les décrédibiliser. Il a par ailleurs exprimé ses doutes quant à la possibilité d'obtenir des élus municipaux d'être joignables en permanence notamment pour ceux qui travaillent hors de la commune.

M. Alain Anziani, rapporteur, a fait remarquer que les difficultés se concentraient sur les nuits et les week-ends.

M. Michel Doublet a renchéri sur la multiplication des alertes inutiles. Il a indiqué avoir organisé, dans chaque commune de son département, une opération « référent tempête », et s'apprêter à en faire de même pour EDF.

M. Bruno Retailleau, président, ayant souligné la nécessité de mieux caractériser les alertes, M. Jean-Claude Merceron a suggéré qu'elles soient davantage graduées et pondérées selon les risques.

M. Bruno Retailleau, président, l'ayant interrogé sur les moyens de mieux diffuser la culture du risque auprès de la population, M. Yannick Chenevard y a vu la principale problématique en matière de prévention. Il a rappelé que la loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004 faisait du citoyen le premier de ses acteurs, préconisant de rendre obligatoire pour chaque étudiant, entre la classe de seconde et celle de terminale, de choisir une association de sécurité civile pour s'y former et obtenir ainsi un pré-requis qui lui serait demandé lors des journées d'appel et de préparation à la défense.

A M. Bruno Retailleau, président, qui lui demandait s'il ne serait pas davantage pertinent d'intégrer cette formation dans les programmes éducatifs, M. Yannick Chenevard a répondu qu'elle y était théoriquement inscrite mais n'était pas suivie d'effet. Il serait en outre préférable d'obtenir des jeunes un acte volontaire de formation. Il conviendrait davantage de réintroduire, comme c'était le cas auparavant, un module de formation sur l'alerte des populations dans le programme de prévention et secours civiques (PSC), qui forme 100 000 jeunes citoyens chaque année, contre 200 000 à la protection civile. Pourraient également être envisagées, pour un coût raisonnable, des incitations à la formation dans les polices d'assurance.

M. Yannick Chenevard a conclu en insistant sur l'importance, dans la gestion des problématiques de sécurité civile, du lien avec les élus.

Mme Jacqueline Roy a évoqué, pour finir, l'importance du mouvement de solidarité spontanée né au lendemain de la tempête et ayant mobilisé 722 bénévoles, dont de nombreux jeunes, qui en ont retiré une expérience très enrichissante. Elle a souligné la le travail collectif réalisé par les 24 antennes du département et celles situées dans 12 autres départements.

M. Jérôme Bignon, Président du Conservatoire du littoral

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Puis, la mission a entendu M. Jérôme Bignon, président du Conservatoire national du littoral.

Ayant rappelé que le Conservatoire national du littoral (CNL) avait été créé en 1975 sous l'impulsion de M. Michel Poniatowski, alors ministre de l'Intérieur, dans une perspective d'aménagement du territoire plutôt que de préservation de la biodiversité, M. Jérôme Bignon a souligné que :

- le Conservatoire était, comme le National trust britannique, un établissement public foncier dédié à l'acquisition de terrains sensibles ;

- l'objectif qui lui avait été fixé initialement était de maintenir un tiers des territoires littoraux à l'état « sauvage » ;

- au 31 décembre 2009, le CNL était propriétaire de 120 000 hectares de terrains (dont 30 000 provenant d'affectations de l'Etat), tous étant inconstructibles et inaliénables ; il achetait entre 3000 et 4000 hectares chaque année sur tout le territoire français, sauf dans les anciens territoires d'outre-mer (Nouvelle-Calédonie et Polynésie française) ;

- le CNL disposait d'un budget de 50 millions d'euros (dont 12 millions consacrés au fonctionnement du Conservatoire ; pour éviter que les crédits affectés au littoral ne soient gelés par le gouvernement pour faire face aux contraintes budgétaires, M. Jacques Chirac avait décidé, lorsqu'il était président de la République, d'affecter certaines ressources au Conservatoire (à savoir la taxe de francisation des navires de plaisance) ; le CNL bénéficiait également de contributions en nature accordées par les collectivités territoriales (prise en charge du salaire de certains gardes du littoral, travaux...) et de dotations de l'Union européenne pour certaines acquisitions ciblées ;

- le Conservatoire préservait les lieux remarquables dont il était propriétaire dans une logique non seulement de protection de l'environnement, mais aussi en tenant compte de la dimension culturelle et paysagère de ces espaces ;

- le CNL assurait une mission de médiation entre les propriétaires personnes physiques et les collectivités territoriales ;

- le CNL ne gérait pas lui-même les terrains dont il était propriétaire, mais en déléguait la gestion aux collectivités territoriales, à des associations ou à des syndicats mixtes ; en 1990, l'association « Rivages de France » a d'ailleurs été créée afin de mettre les différents gestionnaires et les 650 « gardes du littoral » en contact et de leur permettre de partager leurs expériences et leurs bonnes pratiques ; comme l'avait rappelé la Cour des comptes, le CNL conservait une large responsabilité dans la gestion de ces espaces.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les enseignements à tirer de la tempête Xynthia en termes de gestion du trait de côte, M. Jérôme Bignon a tout d'abord déclaré que le Conservatoire était solidaire des sinistrés. En outre, il a estimé que les outils existants (c'est-à-dire les instruments issus de la loi « Littoral » et de la législation relative à la prévention des risques) étaient suffisants, mais mal appliqués. Parallèlement, il a fait valoir que, si le CNL n'avait pas une vision d'aménageur de lieux habités et ne pouvait donc pas se prononcer sur les problématiques de protection des populations. Il a décrit les actions du Conservatoire dans la baie de Somme, où, en l'absence d'enjeux humains et de risques pour les personnes, il effectue un travail de dépolderisation et de réestuarisation des fleuves. Cependant, il a souligné que le CNL tenait compte des particularités des territoires sur lesquels il agissait, et notamment de la présence humaine ou de l'existence d'enjeux économiques ou patrimoniaux : dans ce cas, le Conservatoire collabore avec les acteurs en charge de la prévention des risques et de la protection des populations (ce qui peut l'amener à participer financièrement et techniquement à la rénovation des digues), mais ne prend pas ces problématiques en charge directement. Il a affirmé que le Conservatoire évaluait le degré de risque des espaces dont il est propriétaire et le degré d'exposition des populations à la mer afin de déterminer comment il convenait de gérer le cordon dunaire et le trait de côte.

En réponse à une remarque de M. Bruno Retailleau, président, qui citait l'exemple du village des Boucholeurs où un kilomètre de digue n'a pas pu être construit en raison d'une prise en compte excessive des problématiques environnementales au détriment de la protection, M. Jérôme Bignon a préconisé une gestion souple des espaces naturels sensibles, et a appelé à un renforcement de la coopération entre les acteurs chargés de la protection de l'environnement et ceux qui assument la protection des populations.

M. Yves Doublet a indiqué que la réserve d'Yves, en Charente-Maritime, était assurée par la Ligue de protection des oiseaux, qui avait fait obstacle au prolongement de la digue protégeant les Boucholeurs, et que ce type de conflit entre les associations environnementales et les collectivités était fréquent.

M. Jérôme Bignon a estimé que la situation à Yves était en réalité plus complexe, notamment parce que tous les acteurs -et non la seule Ligue de protection des oiseaux- avaient fait preuve d'inertie.

M. Daniel Laurent a jugé nécessaire d'alléger les procédures de construction et de renforcement des digues et a souhaité que la mission formule des propositions en ce sens.

M. Jérôme Bignon a marqué son accord avec ces propos et a jugé qu'un opérateur unique, détenant seul la responsabilité de la gestion de l'espace en cause et agissant en partenariat avec les autres intervenants, devait être mis en place pour gérer les terrains les plus sensibles. Pour illustrer cette déclaration, il a cité l'exemple des inondations ayant eu lieu dans la Somme en 1990, en précisant que le renforcement de la digue qui avait été décidé à la suite de cette catastrophe avait été financé à 50 % par l'Etat.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les réformes souhaitable en matière de gouvernance et de propriété des digues, M. Jérôme Bignon a réaffirmé l'intérêt d'avoir un opérateur unique, la forme juridique de celui-ci (syndicat mixte, établissement public d'Etat comme aux Pays-Bas...) important peu, dès lors que le système ainsi institué était simple et permettait d'associer les riverains à la gestion du milieu. En outre, soulignant qu'il était anormal qu'un agriculteur paie la même cotisation qu'un propriétaire profitant de la présence d'une digue pour faire de la spéculation immobilière, il a estimé qu'une réflexion devait être menée sur le financement et la fiscalité des digues.

M. Bruno Retailleau, président, a estimé nécessaire de mieux gérer le cordon dunaire et a craint que cette problématique soit mal prise en compte à cause d'une focalisation excessive sur les digues artificielles.

M. Jérôme Bignon a estimé que les dunes ayant un rôle de protection des populations devaient être gérées avec la même attention et la même rigueur que les digues.

M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité savoir s'il serait légitime de mettre en place un « plan Dunes », sur le modèle du « plan Digues » annoncé par le gouvernement.

M. Jérôme Bignon a jugé nécessaire d'évaluer la contribution des ouvrages naturels à la défense des populations contre la mer ; il a d'ailleurs fait valoir que des dunes artificielles pourraient être bâties pour assurer la protection des populations et que les dunes avaient une capacité d'absorption et jouaient un rôle d'amortisseur, de « tampon » que les digues solides ne peuvent pas assumer.

M. Paul Raoult a signalé que des phénomènes d'érosion puissants pouvaient avoir lieu et que, dans ce cas, l'intervention des pouvoirs publics était nécessaire.

Interrogé par M. Alain Anziani, rapporteur, sur les techniques de construction des digues, M. Jérôme Bignon a estimé que la France devait développer son ingénierie en la matière et que ce champ n'avait pas été suffisamment investi par les grandes entreprises de travaux publics.

M. Bruno Retailleau, président, s'est associé à ce constat et a rappelé que les collectivités territoriales, lorsqu'elles souhaitaient édifier des digues, n'avaient pas de cahier des charges ni de prescriptions techniques précises.

M. Jérôme Bignon a souligné que les compétences en matière de construction de digues étaient dispersées, et a souhaité que, dans le cadre du « plan Digues », des solutions adaptées à chaque milieu, au cas par cas, soient mises en place.

En réponse aux interrogations de M. Bruno Retailleau, président, M Jérôme Bignon a indiqué que le CNL était consulté lors de l'élaboration des PPRN, mais seulement de manière informelle, ce qui n'était pas satisfaisant. Il a souhaité que les différents acteurs impliqués dans la gestion des phénomènes naturels, qui travaillent aujourd'hui de manière isolée, mettent en oeuvre un partenariat afin de créer des synergies et qu'une « mise en réseau » soit instituée entre l'Etat, les collectivités territoriales et les grandes entreprises pour résoudre les problèmes d'ingénierie.

M. Paul Raoult a estimé que la distinction stricte entre les milieux habités et les milieux naturels n'était pas pertinente, dans la mesure où tous deux interagissaient de manière permanente.

M. Jérôme Bignon a confirmé que les espaces naturels avaient un impact sur les milieux urbanisés ; toutefois, il a précisé que le CNL ne tenait compte des espaces habités que lorsqu'il existait un lien direct et évident avec les terrains dont il était propriétaire.

M. Pierre Baudry, Directeur général adjoint de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de Poitou-Charentes-Vendée, M. Stéphane Marco, Responsable du service départemental de la Charente-Maritime de la SAFER de Poitou-Charentes-Vendée

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La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Pierre Baudry, directeur général adjoint de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de Poitou-Charentes-Vendée, et de M. Stéphane Marco, responsable du service départemental de la Charente-Maritime de la SAFER de Poitou-Charentes-Vendée.

A titre liminaire, M. Stéphane Marco, responsable du service départemental de la Charente-Maritime de la SAFER de Poitou-Charentes-Vendée, a indiqué que la démarche proposée consiste à ce que la SAFER, opérateur foncier de l'espace rural au service de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et des professions agricoles, procède, dans les zones rétro-littorales immédiates, à une anticipation et à une gestion foncière de long terme, sécurisée et économe vis-à-vis des finances publiques.

Cette démarche résulte d'une réflexion alimentée par trois facteurs :

- un facteur intrinsèque résultant de la tempête Xynthia et qui vise à en tirer les conséquences afin d'optimiser la protection du littoral et des personnes, de pérenniser les marais dans leur rôle d'absorbeurs naturels et d'adapter le droit des sols ;

- un facteur national de pression foncière exacerbée sur le littoral. Le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, présenté le 13 janvier 2010 en Conseil des Ministres, vise ainsi à réduire de moitié la perte annuelle de 75 000 hectares de terres agricoles ;

- enfin, un facteur local en raison de la présence de zones classées « espaces naturels sensibles » (ENS), que le conseil général peut acquérir au prix de 1,07 euro par mètre carré. Il convient d'observer à cet égard la réduction des ressources fiscales du département de la Charente-Maritime, sous l'effet notamment de l'abaissement des droits de mutation.

Ce contexte est également marqué par l'évolution de la demande d'acquisition foncière recensée par la SAFER auprès de la profession agricole, qui tient compte de la valorisation économique des biens.

M. Stéphane Marco a proposé d'utiliser le dispositif issu de la loi relative au développement des territoires ruraux du 23 février 2005 et du décret n° 2006-821 du 7 juillet 2006, codifié dans le code de l'urbanisme, et qui repose sur le recours à la création d'un périmètre de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PPAEN).

Il a précisé que la démarche proposée nécessite une interprétation large du champ d'application des articles L. 143-3 et R. 143-7 du code de l'urbanisme en permettant à la SAFER de réaliser des acquisitions amiables. Elle conduirait à la mise en oeuvre d'une stratégie d'acquisition foncière par voie de préemption par la SAFER, en vue de permettre des rétrocessions à des personnes physiques ou morales. Cette stratégie serait la traduction pratique d'une politique de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels, qui présente l'intérêt de ne pas pénaliser le développement des collectivités territoriales en identifiant les territoires susceptibles de faire l'objet d'une réorientation à long terme.

La mise en oeuvre d'un programme d'action, élaboré par le département en accord avec les communes ou EPCI concernés, serait un facteur de sécurité juridique de par son intégration dans chaque acte notarié.

M. Stéphane Marco, responsable du service départemental de la Charente-Maritime de la SAFER de Poitou-Charentes-Vendée, a ensuite évoqué la possibilité d'économies budgétaires pour les départements en raison de l'acquisition et de la rétrocession à l'amiable par la SAFER. Il s'agit ainsi d'une démarche déjà mise en place de fait dans certaines zones du nord de l'estuaire de la Gironde.

Par ailleurs, il a relevé que toute modification du PPAEN ayant pour effet de retirer de ce dernier un ou plusieurs terrains ne peut intervenir que par décret, ce qui assure une grande stabilité au périmètre concerné par les acquisitions amiables.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur les objectifs précis du dispositif proposé. Il a de plus observé que la SAFER étant déjà titulaire d'un droit de préemption, les modalités d'une extension éventuelle de celui-ci restent à déterminer.

M. Stéphane Marco a indiqué que la finalité de sa proposition réside dans l'anticipation de la gestion foncière à long terme, dans un cadre juridique et financier sécurisé. Les protections naturelles contre le risque de submersion, à l'instar des marais, doivent pouvoir jouer leur rôle d'absorbeur. Il doit s'agir de conjuguer, dans les zones sinistrées, la remise en état avec un principe général d'inconstructibilité.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. Pierre Baudry, directeur général adjoint de la SAFER de Poitou-Charentes-Vendée, a indiqué que la procédure envisagée aurait au moins permis d'éviter la pénétration aussi lointaine de la mer dans les terres. Il a rappelé que l'objectif principal consiste à sécuriser durablement un périmètre en vue de son maintien en tant qu'espace naturel ou de sa réaffectation en tant que terre agricole.

M. Bruno Retailleau, président, s'est demandé si des outils tels que les ENS ou les conventions agropastorales ne pouvaient d'ores et déjà garantir une certaine sécurisation des zones.

M. Pierre Baudry a observé que les ENS sont loin de couvrir l'ensemble des terres agricoles et qu'il apparaît donc pertinent d'étendre la zone sécurisée au-delà.

M. Bruno Retailleau, président, ayant souligné la lourdeur de la procédure réglementaire, M. Pierre Baudry a estimé que ce dispositif est adapté, y compris pour les zones périurbaines, surtout qu'il ne s'agit pas de créer un nouveau droit de préemption au profit des SAFER, mais d'encourager les procédures d'acquisition à l'amiable. Sans les prévoir explicitement, le droit en vigueur ne les empêche pas. Leur efficacité serait accrue par l'adoption de cahiers des charges contraignants qui permettraient de préserver les surfaces naturelles.

M. Alain Anziani, rapporteur, s'est interrogé de manière générale sur le bilan qui peut être dressé, à ce stade, des conséquences de la tempête, sur les différentes filières agricoles, ainsi que sur les mesures envisagées, afin de relancer l'activité au sein des territoires sinistrés.

M. Pierre Baudry, directeur général adjoint de la SAFER de Poitou-Charentes-Vendée, a fait état de l'impact important de Xynthia sur le foncier, de l'ordre de 20 000 hectares ayant été touchés en Charente-Maritime. La remise en état des terrains en vue de leur retour à une activité normale demandera un temps certain. Il a rappelé ensuite que les SAFER n'ont pas la possibilité d'apporter directement leur concours à la définition de mesures de relance de l'activité. Elles ont toutefois la faculté de ne pas réclamer les montants dus au titre du fermage ou d'autres redevances locatives.

M. Stéphane Marco, responsable du service départemental de la Charente-Maritime de la SAFER de Poitou-Charentes-Vendée, a mentionné les difficultés particulièrement fortes rencontrées par les filières ostréicoles et conchylicoles. Certaines exploitations ont vu leur production être totalement détruite et la reconstitution envisagée pour 2011 ne devrait être que d'environ 50 %. Enfin, s'agissant de la productivité des terres agricoles, la salinisation des terrains nécessitera des apports considérables en gypse.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité savoir si le conseil d'administration de la SAFER avait validé les propositions faites devant la mission et quelles étaient les réactions du monde agricole.

M. Pierre Baudry, directeur général adjoint de la SAFER de Poitou-Charentes-Vendée, a précisé que le conseil d'administration de la SAFER ne s'était pas encore prononcé sur les propositions qui venaient d'être défendues.

M. Bruno Retailleau, président, a souligné la fragilité financière de nombreux agriculteurs face à la conduite de travaux coûteux, notamment pour ce qui concerne les ouvrages hydrauliques, particulièrement onéreux.

M. Pierre Baudry est convenu de l'incapacité des SAFER à résoudre la diversité des difficultés rencontrées par les agriculteurs.

M. Stéphane Marco, responsable du service départemental de la Charente-Maritime de la SAFER de Poitou-Charentes-Vendée, a précisé que le dispositif proposé constitue une piste utile mise à la disposition des élus locaux et qu'il présente notamment l'intérêt de ne pas affecter l'équilibre des finances publiques.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. Pierre Baudry a indiqué que le département serait maître d'oeuvre au sein des périmètres retenus. Dans ce cadre, et à droit constant, la SAFER pourrait négocier les acquisitions amiables, préalables à la réorientation à long terme de la destination de ces territoires.

M. Jacques Serris, Directeur général adjoint de l'Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer (IFREMER), M. Fabrice Lecornu, Responsable du projet d'observations et prévisions côtières PREVIMER

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La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Jacques Serris, directeur général adjoint de l'Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer (IFREMER), et de M. Fabrice Lecornu, responsable du projet d'observations et prévisions côtières PREVIMER.

M. Jacques Serris a expliqué que l'IFREMER avait développé un modèle de prévision du niveau d'eau à la côte, baptisé PREVIMER, et qu'il intervenait également dans la surveillance de la qualité des eaux et des coquillages après la tempête Xynthia. Le programme PREVIMER est financé par le contrat de plan entre l'Etat et la Région Bretagne, et bénéficie d'une contribution de l'Union européenne. Il est développé en partenariat avec le Service Hydrographique et Océanographique de la Marine (SHOM), le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), le Centre d'Etudes Techniques Maritimes et Fluviales (CETMET) et Météo-France. Il permet une observation précise et quantifiée des niveaux d'eau et des courants côtiers et s'appuie sur des données numériques.

M. Bruno Retailleau, président, a relevé que les organismes cités, notamment Météo-France et le SHOM, développaient des modèles de prévision de hauteur d'eau sur les côtes, mais que l'on ne disposait pas encore d'un modèle sur l'effet de la submersion sur ces côtes. Il a demandé si des liens entre les établissements publics de recherche étaient développés pour résoudre cette difficulté.

M. Fabrice Lecornu a répondu que résoudre cette difficulté figurait au nombre des priorités du partenariat entre les organismes cités. Il a expliqué que les modèles utilisés dans le cadre du projet PREVIMER disposaient d'une résolution spatiale de 5,6 kilomètres et concernaient d'abord la façade Atlantique et la Manche. Des modèles à grande échelle baptisés ARPEGE sont développés ainsi que des modèles côtiers plus précis par exemple sur le bassin d'Arcachon, autour de Brest, et dans la zone de la Manche et de la Mer du Nord. Dans le cas de la tempête Xynthia, les modèles numériques ont été performants puisque la surcote à La Rochelle avait été évaluée à un mètre dès le 25 février 2010, avant d'être révisée à un mètre et vingt centimètres le 27 février 2010.

M. Bruno Retailleau, président, et M. Alain Anziani, rapporteur, ont demandé comment et auprès de qui les données du système PREVIMER étaient diffusées.

M. Jacques Serris a répondu que ces données étaient issues d'un modèle expérimental, pré-opérationnel, et n'étaient donc pas directement reliées à un système d'alerte. Elles servent essentiellement à donner une information qui est mise en regard des résultats provenant d'autres modèles de prévision, Météo-France développant ses propres modèles. Lors de la tempête Xynthia, les données délivrées par les différents modèles de prévision sont apparues comme cohérentes. L'IFREMER travaille désormais pour préciser la résolution spatiale de ses modèles, augmenter la fréquence des données délivrées (toutes les heures) et mieux intégrer l'effet des vagues.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé dans quel délai il était possible de développer cette nouvelle modélisation.

M. Fabrice Lecornu a répondu que le projet PREVIMER était conçu pour une période de recherche 2008-2012 et qu'à l'issue du programme, en ayant démontré la validité du modèle, il pourrait être envisagé de le relier aux systèmes de prévisions opérationnels. Ces systèmes ont besoin de plusieurs sources d'informations et de plusieurs modèles numériques, afin notamment de réduire les cas de fausse-alerte, qui comptent pour 17 % des messages d'alerte aujourd'hui.

M. Alain Anziani, rapporteur, a demandé si le modèle de prévision de l'IFREMER pourrait être lié à des objectifs opérationnels en permettant par exemple de donner des consignes d'évacuation.

M. Jacques Serris a répondu que les travaux de l'IFREMER s'arrêtaient à la mesure du niveau de l'eau et qu'il revenait à ses partenaires (SHOM, BRGM, Météo-France) d'en faire la traduction en termes de risques physiques. L'objectif de l'IFREMER est notamment d'aider les prévisionnistes de Météo-France à mieux mesurer les phénomènes extrêmes qui sont toujours difficiles à estimer. Les travaux de l'Institut portent sur la hauteur d'eau, les prévisions de vagues, de courants marins et d'une manière générale le suivi de la masse d'eau, y compris en profondeur. Les outils de suivi de l'évolution du trait de côte sont de la compétence du BRGM.

M. Fabrice Lecornu a confirmé que la mission de l'IFREMER s'arrêtait à l'aléa marin et que ses données devaient être croisées avec celles relatives au littoral. L'IFREMER a lancé fin 2009 un projet d'amélioration des modèles de mesure des surcotes avec Météo-France, le BRGM et le SHOM, ses propres estimations s'arrêtant à la mesure de la surcote atmosphérique et à l'intégration des courants marins. En 2011, le projet devrait également être pleinement étendu à la Méditerranée où la marée est peu importante mais les effets d'une éventuelle submersion potentiellement très significatifs.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé à quel organisme il revenait de traduire en termes opérationnels les données récoltées grâce aux divers modèles de prévision.

M. Fabrice Lecornu a répondu que Météo-France était le premier maillon de la chaîne car elle rédigeait les bulletins d'alerte. Il a souligné qu'aujourd'hui l'information était départementale mais qu'elle pourrait être déclinée de manière infra-départementale et permettre ainsi d'enrichir les bulletins de prévisions. Des zones cibles ont été définies par les chercheurs, en fonction de l'intérêt et des caractéristiques spécifiques des côtes, qui devraient permettre ensuite d'élargir la modélisation à l'ensemble de la côte. Pour le moment, les modèles de prévision fonctionnent tous les jours en continu mais sans personne pour les surveiller. C'est la raison pour laquelle l'IFREMER a proposé en Comité interministériel de la Mer (CIMER) la création d'un service national d'océanographie côtière opérationnelle.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé quelle forme juridique prendrait ce service et quelles missions lui seraient confiées.

M. Jacques Serris a répondu que ces points n'avaient pas encore été définis.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé si l'IFREMER avait constaté une élévation du niveau de la mer.

M. Fabrice Lecornu a répondu que le modèle PREVIMER fonctionnait sur des échelles de temps très courtes, en l'occurrence quelques jours et que le programme avait été lancé il y a seulement quatre ans. Il a ajouté que la réponse pourrait davantage être apportée par le SHOM.

M. Alain Anziani, rapporteur, a fait part de son sentiment d'une certaine absence de réactivité des programmes de recherche aux évènements concrets et il s'est demandé si la catastrophe Xynthia avait permis de mettre en valeur l'urgence de progresser sur le sujet de la submersion marine. Il a également fait part de son impression d'un morcellement des travaux de prévision et d'un manque de mise en oeuvre sur le terrain, les autorités préfectorales et territoriales ne disposant pas toujours de l'ensemble des informations nécessaires pour faire face aux risques.

M. Jacques Serris a répondu que l'IFREMER était un organisme de recherche qui avait fait le choix de développer des programmes prioritaires, dont l'océanographie côtière, bien avant la tempête Xynthia. La catastrophe avait ainsi renforcé un sentiment d'urgence préexistant. Par ailleurs, il a fait valoir que les modèles de prévision étaient bons mais que la principale difficulté était leur transposition dans une phase opérationnelle. Les travaux de l'IFREMER en partenariat avec Météo-France et le SHOM visent précisément à réduire cet écart entre la recherche et la mise en pratique, en introduisant des résolutions spatiales plus fines et des horizons temporels plus longs.

M. Fabrice Lecornu a ajouté que la tempête Xynthia avait renforcé la légitimité du projet PREVIMER qui était déjà forte.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. Jacques Serris a indiqué que l'IFREMER était placée sous la triple tutelle du Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de la Mer, du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche et du Ministère de l'Agriculture et de la Pêche. L'essentiel de son budget provient du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche.

M. Bruno Retailleau, président, a demandé si la multiplicité des organismes de recherche constituait un stimulant ou un frein aux activités de recherche en milieu marin et il s'est interrogé sur la qualité des travaux en France par rapport à ceux des pays ayant une grande tradition maritime.

M. Jacques Serris a précisé que la réponse différait selon que l'on s'intéressait aux missions de recherche ou de surveillance. Pour les premières, les organismes de recherche français recherchent des synergies, y compris au plan européen et international et s'associent par exemple avec des partenaires britanniques pour étudier la Manche ou avec des pays riverains de la Méditerranée, avec parfois des difficultés à trouver des équipes de chercheurs de taille suffisante. Pour les secondes, on peut se poser la question de la complexité du système français et il serait sans doute nécessaire de procéder à une unification ou à tout le moins à la mise en place d'un service opérationnel unique et cordonné. Le projet de création d'un service national d'océanographie côtière opérationnelle est une réponse possible.

M. Fabrice Lecornu a ajouté que les besoins de surveillance se développaient sur le milieu marin, pour appliquer la directive-cadre sur l'eau, ou encore en termes de sécurité maritime. Certaines offres, aujourd'hui mises gratuitement à disposition sur internet, pourraient par ailleurs répondre à des besoins de secteurs économiques, par exemple pour la navigation.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, sur la gestion côtière intégrée et la prise en compte du développement durable, il a indiqué que l'IFREMER pouvait apporter un soutien aux organismes compétents.

Sur la question particulière de l'effet de la tempête Xynthia sur les parcs ostréicoles et la conchyliculture, M. Jacques Serris a rappelé que l'IFREMER avait procédé à des analyses biologiques sur l'eau pour tenir compte du phénomène de reflux consécutif à la tempête. Les analyses ont fait apparaître au mois de mars 2010 une efflorescence bio-planctonique toxique exceptionnelle en raison du reflux de l'eau de mer chargée en produit azotés issus notamment de nitrates. Une variété de phytoplancton très toxique a été retrouvée dans les coquillages et les crabes entraînant une interdiction de leur commercialisation, interdiction désormais levée.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, M. Jacques Serris a précisé que l'expertise avait été réalisée en lien avec la déclaration de catastrophe naturelle et permettait d'ouvrir droit à une indemnisation.

Pour conclure, il a souligné le besoin d'avoir des procédures opérationnelles d'alerte afin de pouvoir mieux suivre les impacts après la survenance d'une tempête.

M. Brice Hortefeux, Ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales

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Enfin, la commission entend M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

M. Bruno Retailleau, président. - Merci, Monsieur le ministre de l'Intérieur, de vous livrer à cet exercice d'audition. Le président de la République l'a dit en Vendée : le drame consécutif à la tempête Xynthia tient à des éléments climatiques exceptionnels, mais aussi à des décisions antérieures, des faits ; c'est pourquoi nous attendons beaucoup de votre point de vue sur la prévention, la prévision et la protection contre ce type de catastrophes.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur. - L'histoire retiendra de la tempête Xynthia ses 53 morts, ce qui est un bilan particulièrement lourd et inacceptable. Pour qu'un tel drame ne se reproduise pas, nous devons développer une culture partagée du risque. J'évoquerai les trois domaines d'intervention de mon ministère, la sécurité civile, le soutien aux collectivités territoriales et le contrôle de légalité.

Premier point, la chaîne de sécurité civile a été efficace, grâce en particulier à l'anticipation des services, qui ont déployé les secours à temps et auxquels j'ai rendu hommage dès le 25 mars place Beauvau. Des mesures ont été prises dès le passage en vigilance rouge de Meteo France : activation du centre de gestion interministérielle des crises (COGIC), audio-conférence immédiate entre services de l'Etat et grands opérateurs, mise en alerte des préfectures et des SDIS, pré-positionnement de la sécurité civile dès le 27 février, avec 330 sapeurs-sauveteurs près de Poitiers et Angoulême, mise en alerte de 8 hélicoptères et acheminement de moyens de pompage lourds. Dès le dimanche 28 février, tous les moyens nécessaires étaient mobilisés avec 1 800 personnes au titre de la sécurité civile, dont 450 militaires ; les hélicoptères ont secouru 90 victimes, au cours de 92 heures de vol, la moitié de nuit, grâce à l'équipement en vision nocturne. Les soixante pompes installées, représentant une capacité de pompage de 26 000 mètres cubes à l'heure, constituent l'intégralité de la réserve nationale disponible.

Des difficultés, cependant, sont apparues pour la coordination des hélitreuillages, du fait que la zone sinistrée coïncidait avec deux zones de défense distinctes ; en quelques heures, les moyens de secours ont été redéployés, pour une meilleure efficacité. Désormais, la coordination sera systématique entre les trois niveaux, national, zone de défense et départemental.

M. Bruno Retailleau, président. - On a pu parer aux difficultés parce qu'un sapeur-pompier qui était aussi pilote a pris la direction des opérations à la tour de contrôle de La Rochelle mais il faut prévoir des réponses immédiates et automatiques.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur. - Le réseau de communication a bien fonctionné, qu'il s'agisse du réseau ANTARES, utilisé par le SDIS de Charente-Maritime, qui a pallié la saturation des lignes téléphoniques, ou du réseau analogique encore en usage en Vendée. Le passage à ANTARES sera un progrès.

Deuxième point, les demandes de reconnaissance de catastrophe naturelle ont été traitées dans des délais record, avec un arrêté dès le 1er mars pour les départements de Charente-Maritime, des Deux-Sèvres, de la Vendée et de la Vienne et dès le 12 mars pour 62 communes de Gironde et de Loire-Atlantique.

M. Bruno Retailleau, président. - Tous les records ont été battus, pour la vitesse comme pour le périmètre puisque toutes les communes de la zone d'alerte rouge ont été prises en compte.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Nous avons débloqué 3 millions de crédits d'extrême urgence, dont 1,6 million déjà utilisés pour des secours personnalisés et des réquisitions d'entreprises locales en vue des travaux de première urgence.

Les collectivités ont rencontré de très nombreuses difficultés - vous avez déjà évoqué le relogement des victimes, la reconstruction des digues et la mobilisation du fonds Barnier, je n'y reviens pas. Un mot des mesures d'urgence que j'ai ordonnées dans les premières heures - je rends hommage aux préfets et à leurs services. Le Fonds d'aide au relogement d'urgence (FARU) a permis d'attribuer un million à la Charente-Maritime et 500 000 euros à la Vendée. Nous avons prêté une attention particulière aux infrastructures détruites ; une mission d'inspection interministérielle recense actuellement les dommages, elle doit me rendre son pré-rapport cette semaine. Les dommages, d'après les premières estimations des préfets, s'élèveraient à 117 millions pour les quatre départements touchés, l'Etat subventionnera les réparations à 40 %. J'ai demandé d'ores et déjà l'inscription d'une ligne de 25 millions, c'est chose faite dans le collectif budgétaire et je veillerai à ce que cette somme soit versée dans les meilleurs délais. J'ai également sollicité le fonds de solidarité de l'Union européenne, qui avait été mobilisé notamment pour la tempête Klaus. La Commission européenne a reçu le dossier, elle rendra sa réponse fin juin. Nous avons mis tous les moyens de notre côté. Mais il faut rester lucide : il n'est pas tout à fait certain que les dégâts constatés convergent avec les critères de ce fonds, notamment quant aux périmètres concernés. J'ai encore obtenu du ministre du Budget le remboursement en année n de la TVA pour les dépenses des collectivités touchées ; la dotation a été fixée à 30,2 millions, la procédure est en cours.

D'une manière plus générale, nous avons besoin, pour faire émerger une culture commune du risque, de mieux coordonner la prévision, la prévention et la protection contre les risques naturels, et de conforter le rôle prééminent de l'Etat dans cette politique. J'ai saisi les ministres du budget, de l'économie, de l'écologie et du logement pour des réformes de structure dans ce sens.

S'agissant de mon ministère, j'ai donné instruction pour intégrer à l'alerte météo le risque de submersion marine. Un dispositif « Vague-submersion » devrait être opérationnel d'ici fin 2011, avec des données sur les vents violents et les fortes vagues, les zones de littoral fragile et des connaissances sur les hauteurs d'eau.

L'expérience nous démontre qu'une évacuation ne s'improvise pas, c'est là toute l'importance des plans communaux de sauvegarde (PCS), qu'il faudra mieux lier aux plans de prévention des risques naturels (PPRN). Sur les 21 communes de Charente-Maritime pour lesquelles un plan communal de sauvegarde était prescrit, une seule l'avait réalisé avant Xynthia ; en Vendée, aucune n'y était réglementairement contrainte... Le délai entre la prescription et la réalisation du plan communal de sauvegarde peut atteindre deux ans, c'est trop long : je proposerai qu'une commune ait l'obligation de réaliser un tel plan dès qu'il lui est prescrit de le faire. Par circulaire du 6 avril, j'ai demandé aux préfets d'agir dans ce sens.

J'ai toujours accordé une importance majeure au contrôle de légalité en matière de sécurité des personnes. Je n'ai jamais laissé croire qu'il s'agissait d'une activité secondaire, au contraire. Depuis mon arrivée place Beauvau, je l'ai rappelé par deux instructions écrites aux préfets, la première du 23 juillet et la seconde, très circonstanciée, du 1er septembre 2009, qui rappelle le caractère prioritaire du contrôle de légalité des documents collectifs d'urbanisme aussi bien que des permis de construire. Au lendemain de la tempête Xynthia, j'ai encore adressé une nouvelle instruction aux préfets dans ce sens, pour accélérer le développement des PPRN.

Les outils existent donc pour que l'Etat soit au premier rang dans la gestion des crises ; j'ai fait de la sécurité des personnes au sens large une priorité de mon action, cela vaut particulièrement pour les conséquences de cette catastrophe.

M. Bruno Retailleau, président. - La mission d'information considère que les règles en France sont déjà suffisamment complexes ; ce n'est pas en en ajoutant qu'on développera la culture commune du risque, mais il faut plutôt mieux coordonner et rendre plus cohérents les outils de prévision, de prévention et de protection.

S'agissant de la prévision, Météo France sait prévoir la montée du niveau marin mais pas les conséquences sur le trait de cote. Aussi l'alerte de submersion marine sera-t-elle un très bon outil. Nous sommes convaincus, comme vous, qu'il faut mieux lier les PCS et les PPRN. Cependant, beaucoup de petites communes touristiques, très fréquentées l'été n'ont qu'une faible population permanente, elles n'ont pas les moyens techniques de réaliser par elles-mêmes un PCS : l'Etat peut-il les aider dans cette tâche ? L'échelle pertinente est-elle toujours la commune, ou plutôt l'intercommunalité ?

M. Brice Hortefeux, ministre. - Que l'Etat apporte son concours pour aider les communes à élaborer leur PCS, j'y suis très favorable. Quant au périmètre de ces plans, ils sont communaux, exception faite de l'agglomération de Toulon, où l'on a entrepris un plan intercommunal.

M. Bruno Retailleau, président. - C'est qu'un maire-adjoint, que nous avons reçu, est aussi le président de la fédération nationale de la protection civile. Monsieur le ministre, vous nous aideriez en nous communiquant des informations sur les PPRN prescrits et les PCS déjà signés, de telle sorte qu'on puisse cartographier ces dispositifs en parallèle.

S'agissant de l'urbanisme, notre mission a repéré trois faiblesses. Les préfets, d'abord, ont du mal à déférer aux tribunaux administratifs les actes individuels que sont les permis de construire : il n'y aurait que 0,024 % de recours. L'Etat, ensuite, pour quatre permis de construire sur cinq, a la double responsabilité d'instruire et de contrôler la légalité du permis : cette double fonction ne biaise-t-elle pas l'attitude de l'administration ? Il apparaît, enfin, que les préfectures manquent de moyens pour exercer le contrôle de légalité : n'y aurait-il pas intérêt à le rendre systématique dans les territoires pourvus d'un PPRN, en constituant une sorte de géographie prioritaire où les risques sont plus importants ? La sécurité est une mission régalienne.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Le contrôle de légalité s'exerce au vu des éléments connus au moment de la décision. Or, jusqu'en 2000, le risque de submersion marine pour le littoral était inconnu et le contrôle de légalité consistait principalement dans le respect de la loi littoral. Les permis de construire dans la cuvette de La Faute-sur-mer n'ont pas été déférés pour la simple raison qu'ils respectaient les obligations légales de l'époque. Mais en 2001, une fois cartographié le risque de submersion, le préfet de Vendée a déféré au tribunal administratif l'autorisation de construire un parc de loisir, et c'est le juge administratif, tribunal puis cour d'appel de Nantes, qui a cru bon de maintenir l'autorisation. Ce n'est qu'à partir de fin 2004 que les préfets ont observé une évolution de la jurisprudence et ainsi, depuis, 17 autorisations ont été déférées par le préfet de Charente-Maritime et 12 par le préfet de Vendée.

S'agissant de la double fonction d'instructeur et de contrôleur qui est celle de l'Etat en matière de permis de construire, la loi de 1983 a posé le principe de la séparation, qui est strictement appliqué : l'agent qui contrôle n'est pas le même que celui qui a instruit le dossier. Ce principe se traduit dans l'organisation même des services en préfecture, c'est le cas en Vendée comme, avec des différences, en Charente-Maritime, où la priorité est donnée à l'examen des dossiers faisant l'objet d'avis divergents.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Nous avons été très impressionnés par la franchise du préfet de Vendée...

M. Brice Hortefeux, ministre. - Tout au long de sa carrière, il n'a jamais caché ses positions, même quand elles étaient divergentes...

M. Alain Anziani, rapporteur. - Il s'est étonné de la faiblesse du contrôle de la légalité des permis de construire avant son arrivée, estimant que des dossiers qui auraient dû être déférés en justice, ne l'avaient pas été ; on peut s'étonner aussi que des habitations aient été construites sans aucune autorisation et n'aient pas fait l'objet d'une procédure de destruction. Nous connaissions cette règle voulant que le contrôleur ne soit pas la même personne que l'instructeur, mais un fonctionnaire auditionné a souligné la gêne, pour un agent de la préfecture, à déférer en justice un acte instruit par l'un de ses collègues... Pourquoi ne pas mieux distinguer les fonctions ?

M. Brice Hortefeux, ministre. - J'ai déjà répondu sur ces points. Ma circulaire du 1er septembre 2009 est très précise sur le contrôle de légalité. Nous avons aussi amélioré le conseil aux préfets dans la phase d'élaboration des documents d'urbanisme, ce qui est aussi une façon d'alléger le contrôle de légalité. Comme je vous l'ai dit, j'ai rappelé aux préfets, sans aucune ambiguïté, le caractère prioritaire du contrôle de légalité, en particulier sous l'angle de la sécurité.

M. Bruno Retailleau, président. - Nous avons constaté, cependant, que de nombreuses habitations ont été construites sans aucune autorisation, en particulier à l'Aiguillon, y compris sur le domaine public. On nous a dit que le délai de prescription était seulement de trois ans : voilà un droit acquis dans des conditions bien avantageuses, une vraie prime à la triche ! Nous pourrions proposer d'allonger ce délai.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Les constructions sans autorisation font l'objet de référés pour 34 dossiers en Charente-Maritime et 24 dossiers en Vendée. Quant à l'interdiction de construction sur le domaine public, elle est bien imprescriptible et ne donne lieu à aucun droit acquis, malgré les apparences, ceci sur le littoral atlantique comme sur d'autres littoraux...

M. Bruno Retailleau, président. - La RGPP se traduit par une certaine régionalisation des services de l'Etat, avec des transferts de moyens de l'échelon départemental à l'échelon régional, lequel est devenu le niveau privilégié de la décentralisation. Monsieur le ministre, ne craignez-vous pas qu'un tel mouvement ôte par trop de moyens aux préfets de départements, qui demeurent pourtant responsables du contrôle de légalité, y compris pénalement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. - En arrivant place Beauvau, venant du ministère des collectivités locales, j'étais favorable à l'instauration d'une certaine autorité hiérarchique des préfets de région sur les préfets de département. J'ai changé d'avis à l'expérience, car une telle autorité érigerait immanquablement l'échelon régional en instance d'appel des décisions départementales. Le contrôle de légalité demeure une compétence du préfet de département, c'est une prérogative constitutionnelle, même si une certaine ambiguïté existe dans les esprits.

M. Bruno Retailleau, président. - L'Etat doit garantir la sécurité des personnes, il faut rendre un hommage aux préfets de Vendée et de Charente-Maritime, qui ont assumé pleinement leur rôle et démontré que l'échelon départemental est le plus pertinent, pour agir en proximité.

S'agissant de l'indemnisation des collectivités locales, au-delà des dispositifs propres aux catastrophes naturelles, il existe des subventions d'équipement pour les biens non assurables des collectivités locales : monsieur le ministre, comptez-vous mobiliser ces moyens ?

M. Brice Hortefeux, ministre. - De nombreux et importants biens non assurables des collectivités locales ont été endommagés dans les quatre départements les plus touchés par la tempête, qu'il s'agisse de la voirie, de ponts et ouvrages d'art, de réseaux d'adduction d'eau ou d'assainissement ou encore de stations d'épuration. La mission d'inspection va rendre son rapport. Les dommages sont évalués à 69 millions en Charente-Maritime, à 30 millions en Vendée, à 13 millions en Gironde et à 5 millions en Loire-Atlantique. L'Etat subventionnera 40 % des réparations, 25 millions sont réservés en autorisation d'engagement par le collectif budgétaire, 5 millions en crédits de paiement. L'enveloppe est validée, elle sera répartie en tenant compte de l'urgence et de l'importance de la population concernée.

M. Bruno Retailleau, président. - L'Etat donnera donc suite aux demandes de subvention d'équipement pour les biens non assurables des collectivités locales (M. le ministre le confirme).

S'agissant des acquisitions amiables, l'Etat envisage-t-il une forme de compensation de la perte de base fiscale subie par les communes ? Des habitations vont être détruites, après avoir été construites en toute légalité, les communes vont y perdre de la taxe d'habitation et de la taxe foncière, dans des proportions qui peuvent aller jusqu'au tiers : peut-on imaginer, comme cela s'est fait avec la taxe professionnelle, que l'Etat compense en partie la perte avec un lissage sur plusieurs années ?

M. Brice Hortefeux, ministre. - Cela représenterait jusqu'à 1,8 million d'euros. La compensation de perte de base n'existe pas pour la taxe d'habitation ni pour la taxe foncière, sa mise en place exigerait une large concertation et une loi.

M. Bruno Retailleau, président. - Cependant, il ne faudrait pas qu'après avoir subi la tempête, les populations subissent une double peine avec une augmentation des impôts, du fait de la perte de base...

M. Brice Hortefeux, ministre. - J'appuierai la démarche.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Les PPR sont prescrits sans date butoir et l'on constate qu'après neuf ans, des communes s'en dispensent sans en être inquiétées. Ne peut-on pas envisager, en cas de défaillance de la commune après un certain délai, que le PPR soit établi par l'Etat ?

S'agissant de l'alerte, il semble que les éléments de prévision arrivent au maire en ordre dispersé, depuis l'IFREMER, Météo France ou les ports, et que le préfet ne dispose pas non plus d'éléments mieux coordonnés : trop d'alertes font perdre de la crédibilité au message, il faut savoir à quel moment décider une évacuation.

En Gironde, enfin, nous n'avons pas de zones noires ; pourtant, des gens ont dû monter sur le toit de leur maison pour éviter les eaux, et ils ne bénéficieront pas de la cession amiable : faut-il attendre une prochaine tempête ? Ne peut-on pas étendre la cession amiable aux biens ainsi exposés ?

M. Brice Hortefeux, ministre. - Je souhaite également que les PPRN soient assortis d'une date butoir, mais l'Assemblée nationale vient de se prononcer contre.

L'alerte est une compétence du maire, son interlocuteur naturel est le préfet : j'ai exposé les améliorations qui vont être apportées au système de prévision.

Enfin, la procédure de cession amiable relève du ministère de l'économie et des finances, je ne saurais m'y substituer. Il me semble, cependant, que si des habitations ne sont pas en zone noire, c'est que les experts ont jugé que le danger n'était pas mortel.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Les gens ont dû monter sur le toit...Doivent-ils se dire qu'ils ont eu de la chance ?

M. Bruno Retailleau, président. - Monsieur le ministre, avez-vous le sentiment que, dans la gestion de cette catastrophe, la décentralisation ait été remise en cause d'une quelconque façon ? Le curseur entre élus et contrôle de l'Etat est-il à la bonne place ? Nous avons entendu des commentaires peu amènes sur les conditions d'exercice de la démocratie locale dans cet épisode, des tentatives de désigner des boucs émissaires : quelle est votre analyse ?

M. Brice Hortefeux, ministre. - J'ai été comme vous très attentif aux multiples commentaires. La loi de 1982 a fait le choix du transfert de la compétence de l'urbanisme aux maires, je me souviens que certains, en zone urbaine, y étaient réticents, mettant en avant la difficulté à résister aux demandes de telle famille nombreuse ou de telle personnalité en villégiature, et des maires sont allés jusqu'à passer convention avec la préfecture. D'autres demandaient que la compétence soit attribuée au conseil général, plus à même de résister à de telles pressions.

La décentralisation n'a pas été remise en cause : les maires décident et les préfets contrôlent.

M. Bruno Retailleau, président. - Merci pour vos réponses.

Mercredi 19 mai 2010 Mme Maya Atig, Sous-directrice des assurances à la direction générale du Trésor M. Sébastien Raspiller, Chef du bureau des marchés et des produits d'assurance

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- Présidence de M. Bruno Retailleau, président -

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de Mme Maya Atig, sous directrice des assurances, et de M. Sébastien Raspiller, chef du bureau des marchés et des produits d'assurance, à la direction générale du trésor.

M. Bruno Retailleau, président, a souhaité connaître l'état des lieux en matière d'indemnisation, le partage du coût et les propositions de réforme envisagées.

Mme Maya Atig, sous-directrice des assurances à la direction générale du Trésor, a présenté les règles relatives au régime d'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, dit régime « catnat », en soulignant qu'il était fondé sur la solidarité nationale à la faveur d'une large mutualisation du risque. Son champ est précisé, depuis la loi du 13 juillet 1982, par l'article L. 125-1 du code des assurances qui dispose que ce régime couvre « les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises ». En pratique, les risques concernés sont les diverses formes d'inondation (inondations de plaine, crue torrentielle, ruissellement en secteur urbain, coulées de boue et remontées de nappe phréatique), les phénomènes liés à l'action de la mer, les séismes, les mouvements de terrain (effondrement, affaissement, éboulement et chute de pierres, glissement et coulée boueuse associée, lave torrentielle), la sécheresse (y compris les mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation du sol), les avalanches, et, enfin, les effets du vent dû à un événement cyclonique. Le régime catnat bénéficie d'une réassurance publique avec garantie de l'Etat et s'appuie à cette fin sur la Caisse centrale de réassurance (CCR), institution détenue à 100 % par l'Etat, mais soumise au droit commun des sociétés d'assurances privées.

Mme Maya Atig, sous-directrice des assurances à la direction générale du Trésor, a observé qu'à la date du 11 mai 2010, 191 communes avaient été déclarées en état de catastrophe naturelle. Elle a rappelé que le Gouvernement s'était mobilisé en vue de faciliter le bon déroulement des procédures d'indemnisation. Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi avait en particulier décidé de nommer un médiateur des assurances. En outre, le délai de déclaration des sinistres au titre du régime catnat a été exceptionnellement porté de dix jours à un mois.

M. Sébastien Raspiller, chef du bureau des marchés et des produits d'assurance à la direction générale du trésor, a précisé que le choix du Gouvernement a consisté à reconnaître dans un premier temps l'état de catastrophe naturelle dans l'ensemble des communes des quatre départements fortement touchés par la tempête Xynthia. Ce n'est que dans un deuxième temps que des arrêtés de reconnaissance plus classiques portant sur des communes spécifiques et non sur la totalité d'un département ont été pris. Il a souligné que les effets du vent sont assurables de plein droit, sans nécessiter le recours au régime catnat. Le montant de ce type de dégâts se situe souvent entre 1.000 et 2.000 euros. Les dommages résultant de risques classés catnat, tels que les inondations, font appel au régime spécifique couvrant ces risques.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur les marges d'amélioration du dispositif catnat.

En réponse, M. Sébastien Raspiller a souligné le caractère éprouvé de ce régime. Chaque mois, des communes sont reconnues victimes de catastrophes naturelles et, moins fréquemment quoiqu'assez régulièrement, des phénomènes de grande ampleur sont observés, à l'instar de la tempête de 1999, des inondations de la même année et de 2003, de la tempête Klaus de 2009 ou encore de la tempête Xynthia en 2010. Dans chacune de ces situations, le régime catnat démontre sa capacité, son efficacité et sa solvabilité.

Mme Maya Atig a précisé comment le partage du coût entre les assurances et l'Etat serait effectué. Sur un coût total de 1,5 milliard d'euros, les sociétés d'assurance devront prendre en charge 800 millions d'euros. Pour les inondations, environ 50 % des 700 millions d'euros de dommages seront pris en charge par la CCR, soit un coût de 250 à 350 millions d'euros.

M. Sébastien Raspiller a fait état d'un régime financé par une provision d'égalisation en franchise d'impôts, qui s'élève à 2 milliards d'euros environ. Le prélèvement de 12 % sur les cotisations et primes additionnelles catnat des contrats d'habitation est destiné à la fois aux assureurs et aux réassureurs. L'assureur s'accorde avec la CCR sur un traité de réassurance en quote part, qui conduit à un partage du coût pour moitié entre les deux parties. La CCR, avec une garantie illimitée de l'Etat, offre de plus aux assureurs une clause de limitation des pertes. Dans les cas où les sinistres dépassent un seuil de 200 % de la valeur des primes, la CCR prend ainsi en charge le coût de l'indemnisation. S'agissant de la tempête Xynthia, il ne devrait pas y avoir de cas où ce seuil serait atteint. La survenance d'une catastrophe majeure de type séisme sur la Côte-d'Azur ou d'inondations à Paris conduirait en revanche à l'utilisation de cette clause.

En réponse à M. Alain Anziani, rapporteur, M. Sébastien Raspiller s'est montré optimiste sur la capacité de la CCR à participer rapidement aux procédures d'indemnisation au titre du régime catnat en cours.

En complément, Mme Maya Atig, sous-directrice des assurances à la direction générale du Trésor, a souligné le caractère parfaitement rôdé de ces mécanismes financiers.

M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité connaître le bilan des procédures d'indemnisation.

M. Sébastien Raspiller, chef du bureau des marchés et des produits d'assurance à la direction générale du Trésor, a précisé que des indemnisations ont déjà été versées, mais que les procédures nécessitent deux visites d'experts : une première pour identifier les dégâts suivie d'une seconde, plus approfondie, pour déterminer les sommes devant être allouées. Ces dernières ont eu lieu pour 80 % des sinistres en Vendée et pour 50 % en Charente-Maritime. Les assureurs se sont engagés à les terminer d'ici la fin du mois de mai.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur la procédure d'indemnisation dans les zones d'acquisition amiable, ainsi que sur le rehaussement, qui a été réalisé par la voie réglementaire, du plafonnement des subventions accordées par le Fonds « Barnier » de 60.000 à 240.000 euros par maison.

M. Sébastien Raspiller a déclaré que l'indemnisation s'effectuerait en deux temps : d'une part, la fixation d'une valeur d'intervention pour la remise en état au titre du régime catnat, de l'ordre de 20.000 euros en moyenne pour une inondation, d'autre part, la prise en charge de la valeur vénale du bien, voire des marges ajoutées au titre des frais de notaire, d'agence ou, encore, de démolition. Le recours au fonds Barnier pour le rachat des habitations devrait suivre trois procédures distinctes :

- une procédure d'acquisition amiable pour les biens sinistrés à plus de 50 % de leur valeur vénale. L'arrêté qui a déplacé le plafond de 60.000 à 240.000 euros ne concerne que cette procédure. Environ 30 maisons devraient être concernées ;

- une procédure d'acquisition amiable pour les biens non sinistrés ou sinistrés à moins de 50 % de leur valeur vénale. Dans ce cas, l'indemnisation n'est pas soumise à plafonnement ;

- enfin, une procédure formelle d'expropriation, soumise à déclaration d'utilité publique au terme d'une enquête contradictoire.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur la capacité du fonds Barnier à assumer de telles dépenses, qui pourraient s'élever à environ 800 millions d'euros, d'après M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine, tandis que les sociétés d'assurance n'apporteraient qu'une contribution réduite à ces indemnisations.

M. Sébastien Raspiller, chef du bureau des marchés et des produits d'assurance à la direction générale du Trésor, a tout d'abord observé que l'évaluation de France Domaine tient compte d'environ 10 % de frais annexes (notaire, agence, déménagement...). Il a ajouté que le fonds Barnier dispose d'un flux de trésorerie de l'ordre de 150 millions d'euros par an et est contraint par des dépenses annuelles « fixes » d'environ 75 millions d'euros, y compris le plan séisme aux Antilles et le financement des travaux de reconstruction des digues.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'opportunité d'une mobilisation des réserves de la CCR ou d'un abondement du fonds Barnier par l'Etat.

Mme Maya Atig, sous-directrice des assurances à la direction générale du Trésor, a indiqué que l'Etat avait la faculté de contribuer au financement du régime catnat. En revanche, la CCR est pour sa part soumise aux règles de droit commun des sociétés d'assurance, bien que l'Etat en soit actionnaire et garant. Elle doit disposer de fonds propres conséquents et ne peut donc être utilisée comme une « cagnotte », ni comme un instrument budgétaire.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, Mme Maya Atig a de nouveau précisé que le milliard d'euros de réserves de la CCR ne saurait être mobilisé par l'Etat pour abonder le fonds Barnier. Ces réserves apparaissent en effet incompressibles et il ne peut être distingué en leur sein une part de provisions et une part de fonds propres. Elle a souligné la différence de nature entre les deux structures : le fonds Barnier est un fonds budgétaire tandis que la CCR est un organisme de réassurance. Cette dernière répond donc à une logique spécifique qui ne lui permet pas de financer le fonds Barnier par ses réserves. L'hypothèse d'un financement budgétaire, sous forme d'avances, pourrait être, en revanche, envisagée. Une telle procédure devrait être approuvée par le Parlement à l'occasion de l'examen d'un projet de loi de finances.

M. Bruno Retailleau, président, a fait état des difficultés constatées dans les départements sinistrés pour le versement des indemnisations publiques dans le domaine agricole.

M. Sébastien Raspiller a rappelé que la CCR n'assure que la gestion du FNGCA, le pilotage de celui-ci relevant de la compétence exclusive du ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. Il a observé que les procédures d'indemnisation au titre de ce fonds peuvent prendre du temps et qu'elles nécessitent l'accord préalable de l'Union européenne.

M. Alain Anziani, rapporteur, a demandé confirmation que l'arrêté fixant le plafond d'intervention du fonds Barnier à 240 000 euros ne fera pas obstacle au rachat au prix de leur valeur vénale de la totalité des habitations classées en zone d'acquisition amiable.

En réponse, M. Sébastien Raspiller, chef du bureau des marchés et des produits d'assurance à la direction générale du Trésor, a confirmé que ces biens seraient tous indemnisés en fonction de leur valeur sur le marché de l'immobilier. Il a rappelé que l'arrêté qui a déplacé le plafond de 60.000 euros à 240.000 euros ne concerne que les biens sinistrés à plus de 50 % de leur valeur vénale. Or seulement 30 maisons devraient être concernées par ce cas de figure. Les autres biens échapperont donc à cette procédure et ne seront soumis à aucun plafonnement.

Mme Maya Atig, sous-directrice des assurances à la direction générale du Trésor, a précisé que les habitations n'ayant pas subi de dégâts et donc indemnisées sans plafonnement devront faire l'objet d'une évaluation scientifique du risque naturel impliquant un danger mortel.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'opportunité d'une réforme plus générale du fonds Barnier.

Mme Maya Atig a souligné les qualités de ce dispositif, en particulier sa grande réactivité et son incitation à anticiper les risques de danger mortel. Elle a observé que les travaux de la mission d'inspection interministérielle sur le régime catnat ont surtout conclu en faveur d'un développement des politiques de prévention.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, Mme Maya Atig est convenue du faible intérêt d'une prise en compte du risque dans le calcul du montant des primes d'assurances, bien qu'aujourd'hui, deux mécanismes se rapprochent d'une telle logique :

- les franchises sont modulées en fonction de l'adoption de plans de prévention des risques (PPR) et de l'existence de risques naturels ;

- l'ouverture de la garantie catnat est conditionnée par le respect des règles en vigueur, ainsi que le prévoit l'article L 125-6 du code des assurances. Les cas d'exclusion d'assurés restent rares, les assureurs préférant faire preuve de souplesse dans l'application de cette disposition.

La modulation financière des primes catnat ne peut avoir d'effets incitatifs que si les montants en jeu sont réellement conséquents. Or, la surprime est très peu élevée puisqu'elle représente aujourd'hui, en moyenne, 18 euros par contrat d'assurance. Les marges de manoeuvre existantes apparaissent dont particulièrement réduites.

M. Sébastien Raspiller, chef du bureau des marchés et des produits d'assurance à la direction générale du Trésor, a rappelé que M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, lors de son discours prononcé à La Roche-sur-Yon le 16 mars 2010, a invité à maintenir des dispositifs assurantiels fondés sur la solidarité nationale.

En outre, il a attiré l'attention de la mission sur les recommandations des deux rapports consacrés au régime catnat. S'agissant du risque sécheresse, des réponses spécifiques doivent être apportées. La simple définition de normes de construction plus rigoureuses permettrait de prévenir les difficultés liées à la nature argileuse des sols. Le régime catnat relève efficacement le défi de l'indemnisation des risques pesant sur les biens, mais, s'agissant des risques humains, le cadre juridique reste encore perfectible.

M. Michel Casteigts, Inspecteur général de l'Administration, chargé de la coordination de la mission interministérielle d'évaluation des dommages causés par la tempête Xynthia

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Puis la mission a procédé à l'audition de M. Michel Casteigts, inspecteur général de l'administration, chargé de la coordination de la mission interministérielle d'évaluation des dommages causés par la tempête Xynthia.

A titre liminaire, M. Bruno Retailleau, président, a rappelé que M. Michel Casteigts est chargé de la coordination de deux missions interministérielles différentes. La première est chargée de préparer la remise de la demande d'aide, au titre du Fonds de solidarité de l'Union européenne (FSUE), à M. Johannes Hahn, commissaire européen à la politique régionale. La seconde procède à l'évaluation des dégâts portant sur les biens non assurables des collectivités territoriales.

M. Bruno Retailleau, président, a ensuite souhaité connaître le bilan de l'activité de ces deux missions et la perspective des suites envisagées à leur travail.

M. Michel Casteigts, chargé de la coordination de la mission interministérielle d'évaluation des dommages causés par la tempête Xynthia, a rappelé que le dossier remis à la commission européenne au titre du FSUE a été finalisé par le secrétariat général des affaires européennes et la direction de la sécurité civile du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Il a précisé avoir rapidement renoncé au dépôt d'un dossier faisant état d'une « catastrophe majeure ». En effet, le seuil requis de 3,4 milliards d'euros de dommages ne sera pas atteint dans le cas de la tempête Xynthia. Le montant des dégâts devrait, en effet, se situer autour de 2,4 milliards d'euros. La mission interministérielle d'évaluation a donc travaillé au dépôt d'un dossier au titre d'une catastrophe régionale. L'intervention du FSUE étant dans ce cas exceptionnelle, elle est soumise à des critères plus stricts :

- un périmètre territorial doit être précisément délimité ;

- la majorité de la population doit être affectée dans ses conditions de vie, de manière grave et durable (c'est-à-dire supérieure à un an) ;

- la stabilité économique de la zone doit être atteinte.

M. Michel Casteigts a indiqué que le contrôle rigoureux de ces conditions par la Commission européenne a nécessité le montage d'un dossier particulièrement argumenté. Il a donc été choisi de déterminer, en tant que périmètre pertinent, les zones submergées. Celles-ci sont, en effet, apparues plus conformes aux critères requis. La ville de La Rochelle, apparaissant comme le point faible de l'argumentation, il a été décidé de l'exclure de la zone, tout comme la partie de Rochefort non submergée. Une telle démarche permet de mieux répondre à la condition de déstabilisation économique du territoire sinistré.

La Commission européenne ayant fait valoir l'interdépendance économique entre La Rochelle et l'ensemble des zones sinistrées, la mission interministérielle a bâti une démonstration appuyée sur le dualisme entre deux sous-secteurs économiques, en s'inspirant des théories de l'économiste Laurent Davezies :

- d'une part, un pôle urbain centré sur une économie de services et de tourisme nautique et culturel ;

- d'autre part, des territoires ruraux fondés sur une économie agricole et un tourisme populaire.

M. Michel Casteigts a fait part de ses réserves sur l'issue de la procédure, tout en conservant un optimisme raisonnable.

M. Alain Anziani, rapporteur, s'est interrogé sur la possibilité pour la Commission européenne de faire preuve d'une certaine souplesse s'agissant de l'application des critères de mobilisation du FSUE.

M. Michel Casteigts, chargé de la coordination de la mission interministérielle d'évaluation des dommages causés par la tempête Xynthia, a déclaré que, pour les demandes qui lui avaient été antérieurement soumises, la Commission européenne avait, dans l'ensemble, fait preuve d'une grande rigueur dans la mise en oeuvre des conditions prévues. L'absence de précédent, pour ce qui concerne des dégâts causés par un phénomène de submersion marine, représente un facteur d'incertitude plutôt favorable à la France. En effet, les conséquences précises de la salinisation demeurent incertaines, qu'il s'agisse des paysages, des terrains agricoles ou, encore, des fondations et des sous-sols des maisons.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur le montant des aides qui pourraient être versées à la France au titre de l'intervention du FSUE pour le financement des conséquences de la tempête Xynthia.

M. Michel Casteigts a rappelé que le taux de couverture des dégâts par le fonds est de 2,5 % du coût total de la catastrophe sur la zone considérée. Dans la mesure où le dossier s'est focalisé sur un territoire restreint, le montant déclaré des dommages n'est que de 1,5 milliard d'euros. La somme versée à la France par l'Union européenne pourrait donc être de l'ordre de 40 millions d'euros. Par ailleurs, l'assistance financière au titre du FSUE est limitée au financement d'interventions d'urgence entreprises par les autorités publiques pour faire face à des dommages non assurables, tels que la réparation d'infrastructures vitales, le coût des opérations de sauvetage ou, encore, la mise à disposition de logements provisoires.

Mme Nicole Bonnefoy a souhaité savoir si les aides versées à la France pourraient, au moins partiellement, faire l'objet d'une affectation aux collectivités territoriales.

M. Michel Casteigts est convenu d'une telle possibilité, en particulier au profit des communes et des départements les plus touchés ou, encore, des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Electricité réseau distribution France (ERDF) devrait également pouvoir en bénéficier.

M. Bruno Retailleau, président, s'est ensuite demandé comment les collectivités territoriales seraient indemnisées et s'il ne s'agit que de verser des aides relatives à des dommages provoqués sur leurs biens non assurables. Il a également souhaité savoir si le montant versé au titre de la solidarité nationale pourrait compenser, pour ce qui concerne ces derniers, le coût total des dégâts.

M. Michel Casteigts, chargé de la coordination de la mission interministérielle d'évaluation des dommages causés par la tempête Xynthia, a précisé que, à la différence du FSUE, l'aide aux collectivités territoriales, rattachée au programme budgétaire 122 « Concours spécifiques et administration » de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » ne peut pas prendre en compte l'ensemble des travaux de remise en état mais ne considère que les biens non assurables. D'après une estimation provisoire et très approximative, les collectivités territoriales pourraient déclarer entre 400 et 500 millions d'euros de dommages.

M. Alain Anziani, rapporteur, a rappelé que M. Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, lors de son audition par la mission, avait fait état d'un coût de 117 millions d'euros.

M. Michel Casteigts a déclaré que l'écart peut résulter de l'absence de prise en compte des travaux de renforcement des digues, évalués à plus de 4 milliards d'euros sur 20 ans. Alors qu'il serait pertinent de les prévoir, au moins s'agissant des travaux d'urgence réalisés par les communes, les données annoncées par le ministère de l'Intérieur ne les intègrent pas dans son évaluation.

M. Bruno Retailleau, président, s'est étonné de l'absence de versement d'indemnités aux collectivités territoriales, en particulier au bénéfice de certaines structures intercommunales, proches de la cessation de paiement suite à l'engagement important de dépenses pour faire face aux conséquences de la tempête Xynthia.

M. Michel Casteigts, chargé de la coordination de la mission interministérielle d'évaluation des dommages causés par la tempête Xynthia, a rappelé que le recours au programme budgétaire 122 nécessitera un passage devant le Parlement à l'occasion de l'examen d'une loi de finances. La deuxième loi de finances rectificative pour 2010 a d'ores et déjà permis de dégager 25 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 5 millions d'euros en crédits de paiement (CP). La mission interministérielle ne pourra à elle seule permettre la mise à disposition de fonds conséquents au profit des collectivités territoriales, cette tâche incombe tout d'abord au législateur.

M. Alain Anziani, rapporteur, s'est interrogé sur le calendrier et la méthode retenue pour l'élaboration du plan digues.

M. Michel Casteigts, chargé de la coordination de la mission interministérielle d'évaluation des dommages causés par la tempête Xynthia, a rappelé que le plan digues ne ressort pas de sa compétence. La mission chargée de préparer ce plan a déjà remis un rapport d'étape mais n'a pas encore terminé son travail. De nombreux arbitrages gouvernementaux devront être rendus suite à la remise de son rapport définitif. En effet, l'efficacité des digues en tant qu'outils de défense contre la mer reste une question très débattue. De plus, la forte variation du coût des travaux de renforcement des digues selon le type d'ouvrage visé, comme le montre l'exemple des Pays-Bas, invite également à une démarche prudente.

M. Bruno Retailleau, président, a relevé que la fixation du taux de subvention à un pourcentage de 40 % des coûts conduirait à une perte nette de richesse considérable pour les collectivités territoriales, au premier plan desquelles les petites communes frappées par la tempête Xynthia.

M. Michel Casteigts a insisté sur la limitation de son mandat à la constitution de deux dossiers d'évaluation des dommages provoqués par la tempête Xynthia, en vue de la sollicitation du FSUE, d'une part, et de la mobilisation d'une aide au titre du programme budgétaire 122, d'autre part. Il s'est engagé à communiquer le rapport relatif à ce dernier volet aux membres de la mission dès sa finalisation.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur la pertinence d'une réforme des conditions de mise en oeuvre de l'aide aux collectivités locales par l'intermédiaire du programme budgétaire 122.

M. Michel Casteigts, chargé de la coordination de la mission interministérielle d'évaluation des dommages causés par la tempête Xynthia, a attiré l'attention de la mission sur une situation paradoxale. Alors que le taux de 40 % paraît assez bas et semble traduire une certaine forme de sévérité, les deux critères que représentent l'appartenance à une zone où a été déclaré l'état de catastrophes naturelles et l'existence de dommages paraissent, quant à eux, excessivement larges et insuffisamment discriminants. Des critères qualitatifs et quantitatifs plus objectifs et équitables limitant les phénomènes d'effets d'aubaine devraient être déterminés. Une définition plus fine et plus stratégique des bénéficiaires des crédits doit permettre d'allouer plus efficacement les ressources disponibles.

M. Christian Kert, Président de l'association française pour la prévention des catastrophes naturelles, président du conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs

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Enfin, la commission a procédé à l'audition de M. Christian Kert, président de l'association française pour la prévention des catastrophes naturelles, président du conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs.

A l'invitation de M. Bruno Retailleau, président, M. Christian Kert a tout d'abord présenté M. Paul-Henri Bourrelier, l'un des fondateurs et principal animateur du conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs (COPRNM), qui l'accompagnait. Précisant que cette structure, qui avait été créée par un décret de juin 2003 du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, M. Jean-Louis Borloo, comptait une quarantaine de membres, dont des élus, des fonctionnaires et des acteurs de la société civile tels que des assureurs, il a énuméré les sujets d'étude des quatre groupes de travail mis en place dès l'origine, structures temporaires dont le rapport d'étape est attendu courant juin :

- la stratégie nationale pour la prévention du risque d'inondation, groupe qui est présidé par le sénateur Eric Doligé ;

- la prévention des risques sismiques ;

- les risques naturels et les actions internationales ;

- l'efficacité des plans de prévention des risques naturels (PPRN.

Il a précisé qu'il coprésidait le COPRNM avec la secrétaire d'Etat chargée l'écologie, Mme Chantal Jouanno, et que la sénatrice Mme Marie-France Beaufils en était vice-présidente. Il a indiqué que le conseil travaillait plus particulièrement sur la tempête Xynthia, une session spécifique y ayant été consacrée trois semaines auparavant. Il a par ailleurs mentionné les sujets d'étude prioritaire pour le conseil :

- les fleuves et littoraux ;

- la mise en oeuvre de la stratégie nationale de gestion des risques d'inondation ;

- la collaboration entre l'Etat et les échelons de proximité ;

- la maîtrise des digues. Il a fait état, à cet égard, de l'existence de barrages dépourvus de propriétaires tandis que d'autres en possèdent une pluralité, ainsi que de divergences d'avis, chez les mêmes fonctionnaires et selon les circonstances locales, sur l'utilité de la végétation recouvrant les ouvrages de protection. Il a regretté par ailleurs l'absence de révision de digues protégeant des secteurs urbanisés alors qu'elles avaient été initialement conçues pour abriter des zones agricoles ;

- les plans de prévention des risques d'inondation (PPRI). Plutôt que de poser des objectifs de couverture de communes dans un horizon de temps déterminé, il a préconisé de commencer par identifier les zones nécessitant en urgence de tels plans.

Faisant allusion à la mission d'information sur la tempête Xynthia créée à l'Assemblée nationale, il a recommandé que les deux assemblées travaillent de concert sur ce thème.

Interrogé par M. Alain Anziani, rapporteur, sur d'éventuels travaux consacrés au dispositif d'alerte, M. Christian Kert a indiqué qu'il constituerait le thème du premier des nouveaux ateliers qui seront mis en place à l'automne.

Déplorant la forte culture de protection par l'Etat existant en France et l'absurdité d'un système organisé de façon extrêmement hiérarchisée, fonctionnant du haut vers le bas, M. Paul-Henri Bourrelier a estimé qu'il devait revenir au maire, au plus près des circonstances locales, de prendre les décisions. Reconnaissant toutefois à l'Etat la légitimité pour relier les connaissances générales que possèdent sur le sujet des grands organismes avec le vécu des populations et des élus, il a estimé que l'état de la science de notre pays était, en ce domaine, équivalent à celui de nos partenaires. Il a préconisé, surtout pour les PPR littoraux, le développement d'un « échelon-charnière » entre l'Etat et le niveau local, d'échange et de débat entre maires et administrés, qui pourrait être départemental ou régional.

Observant que des pays comme la Belgique, l'Allemagne ou la Grande-Bretagne axaient l'essentiel de leur effort sur la prévention, là où la France se concentrait sur l'assurance et l'indemnisation, M. Paul-Henri Bourrelier a prôné une révision de l'aléa de référence au niveau local. Enfin, il a recommandé que le dispositif de vigilance météo, qui doit être élaboré localement, concerne et intègre un maximum de types de risques.

Faisant remarquer qu'une juste évaluation de la surcote avait été donnée par les services météo, mais aucune traduction en termes de submersion marine, M. Bruno Retailleau, président, a interrogé les intervenants sur les possibles améliorations du dispositif de vigilance.

M. Paul-Henri Bourrelier a suggéré l'extension de la vigilance météo à un ensemble de phénomènes naturels dérivés (crues, submersion, verglas, glissements de terrain ...). Il a rappelé que cela existe en matière en matière d'avalanche, où les stations de montagne se sont associées et ont créé des interfaces avec Météo France leur permettant de décider des procédures d'alerte en toute connaissance de cause, ainsi qu'en matière de crues, où un organisme composé d'hydrologues procède à des relevés de précipitations qu'il transforme en prévisions de débordement et transmet aux maires.

M. Paul-Henri Bourrelier a souligné la nécessité de disposer, dans les préfectures, de services aptes à transcrire les informations météo en messages d'alerte immédiatement compréhensibles. Il a par ailleurs recommandé de distinguer l'alerte proprement dite, décrétée par l'autorité préfectorale, pouvant consister en une indication de confinement ou d'évacuation, de la vigilance en amont, réalisée par les services météo.

Reconnaissant que les maires recevaient des messages d'alerte, M. Christian Kert a regretté, toutefois, que ces derniers ne soient pas accompagnés d'une analyse précise des risques encourus et de conseils de comportement. Le COPRNM, a-t-il ajouté, va travailler sur cette question.

Répondant à une objection de M. Alain Anziani, rapporteur, qui faisait observer que les préfets seraient sans doute mieux placés que les maires pour prendre les décisions opérationnelles, M. Christian Kert a indiqué que les préfets craignaient que les maires s'abritent derrière leurs instructions, et qu'au demeurant les maires possédaient une connaissance des circonstances locales que n'ont pas les représentants de l'Etat.

M. Paul-Henri Bourrelier a noté que le maire pouvait agir comme relais du préfet dans sa commune, et que l'intercommunalité constituait parfois le bon échelon d'intervention.

M. Alain Anziani, rapporteur, a fait observer que la compétence technique se trouvait au niveau, non de la commune ou de l'intercommunalité, mais du département.

M. Paul-Henri Bourrelier a reconnu qu'il relevait indiscutablement du préfet de décider, dans des circonstances exceptionnelles, du lancement des procédures d'alerte.

M. Christian Kert a fait valoir que, lors de l'épisode de crues du Rhône, il avait été difficile de lier la compétence concomitante de trois préfets ayant donné des consignes divergentes. Il a recommandé une meilleure coordination interrégionale au niveau des préfectures.

S'étonnant de la multiplicité des opérateurs de l'Etat susceptibles d'intervenir en cas de catastrophe naturelle, M. Bruno Retailleau, président, s'est demandé auxquels il appartenait plus spécifiquement de gérer la vigilance.

M. Paul-Henri Bourrelier a estimé que la réponse différait aléa par aléa, selon qu'il s'agit de risques incendie, crue, avalanche ou submersion marine, mais qu'il faudrait aller vers un regroupement ou une coordination des structures.

M. Bruno Retailleau, président, ayant questionné les intervenants sur les modes de transcription des risques dans la cartographie et les prescriptions opérationnelles, M. Christian Kert a évoqué les réticences des élus à réaliser des PPR, dues à la tutelle imposante de l'Etat, au coût des décisions à prendre, au risque d'une sanction électorale et à l'attachement des scientifiques à la seule historicité de l'aléa. Il s'est dit en revanche optimiste quant à la progression de la culture du risque, appelant à bien préciser aux maires ce qui relève de leur responsabilité et à travailler plus avant sur la constructibilité en zone inondable, envisageable dès lors qu'elle constitue une dérogation et s'accompagne de prescriptions particulières.

M. Paul-Henri Bourrelier a recommandé de mieux coordonner et hiérarchiser les différents niveaux de planification et de décision. Observant que les architectes du Grand Paris avaient tous envisagé de construire dans des zones inondables, il a reconnu qu'un travail « d'intelligence du territoire » restait, plus généralement, nécessaire sur ce thème.

A M. Alain Anziani, rapporteur, qui se demandait s'il serait utile de renforcer les liens entre PPR et documents d'urbanisme, M. Paul-Henri Bourrelier a indiqué qu'il s'agissait d'une question d'importance secondaire pour les plans locaux d'urbanisme, mais davantage centrale pour les schémas de cohérence territoriale (SCOT). Insistant sur le manque de plans locaux de sécurité (PCS), il a fait état de travaux en cours sur les conséquences du changement climatique.

M. Bruno Retailleau, président, ayant évoqué les réticences de l'administration à tenir compte de l'augmentation du niveau de la mer pour rehausser le niveau des digues, M. Christian Kert a convenu de cette frilosité. Reconnaissant ainsi qu'on ne construirait a priori plus de digues, tout en ajoutant qu'un programme de réhabilitation avait été décidé au niveau national, il a appelé à analyser de façon détaillée les cas où elles sont indispensables. Estimant que l'unicité du maître d'ouvrage était une garantie de bonne conception et d'exécution des travaux, il a jugé que l'Etat n'était pas le seul acteur envisageable, un syndicat représentatif pouvant être tout aussi efficace. Mentionnant la possibilité, envisagée par les scientifiques, d'un tsunami dans le bassin méditerranéen qui aurait des conséquences dramatiques sur les côtes du sud de la France, il regretté les réticences des élus locaux concernés à construire des digues en vue de le prévenir.

M. Paul-Henri Bourrelier a jugé que le relèvement attendu du niveau de la mer, de l'ordre de quelques dizaines de centimètres, n'était pas considérable. Par contre, il a fait observer que les Pays-Bas se protègent contre des risques plus rares. La différence d'aléa prise en compte aux Pays-Bas - qui intègrent un risque susceptible de survenir tous les 5 000 ans - et notre pays - où ce taux est simplement centennal - aboutit à une divergence substantielle de 1 à 1,5 m de hauteur d'eau.

Jeudi 20 mai 2010 M. Gilles Bessero, Directeur général du service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) M. Jean-Claude Le Gac, Chef de département au SHOM

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Présidence de M. Alain Anziani, rapporteur -

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Gilles Bessero, directeur général du Service Hydrographique et Océanographique de la Marine (SHOM) et de M. Jean-Claude Le Gac, chef de département au SHOM.

M. Gilles Bessero, directeur général du Service Hydrographique et Océanographique de la Marine (SHOM), a présenté le SHOM, héritier du premier service hydrographique officiel au monde créé en France en 1720, devenu établissement public national à caractère administratif en 2007, et placé sous la tutelle du Ministère de la Défense. Son objet est de garantir la qualité et la disponibilité des informations sur l'environnement maritime par le recueil, la diffusion et l'archivage de ces informations, et de satisfaire les besoins civils et militaires. Le SHOM est à la fois le service hydrographique national, un service d'appui au Ministère de la Défense pour certaines applications militaires et un service de soutien aux politiques publiques maritimes et littorales. La coexistence de ces trois missions permet d'établir des synergies face à des besoins croissants en termes de sécurité de la navigation maritime, de conduite des opérations militaires et d'expertise sur le littoral. Le SHOM dispose de 525 personnes et d'un budget de 60 millions d'euros ainsi que de moyens à la mer mis à sa disposition par la Marine Nationale pour environ 25 à 30 millions d'euros par an. Sous la présidence du Chef d'Etat major de la Marine, le conseil d'administration rassemble les représentants des ministères, des partenaires du SHOM, et des personnalités qualifiées dont le Président de l'association nationale des élus du littoral. Le SHOM est certifié ISO 9001 depuis 2004. Il poursuit une logique de coopération avec les autres organismes de recherche et opérateurs au plan national et international. Si sa culture interne privilégie davantage le « savoir-faire » que le « faire-savoir », le SHOM met l'accent sur les actions de long terme, et utilise ainsi des données qui datent de plus de deux siècles relatives au niveau de la mer.

M. Gilles Bessero a fait valoir que le SHOM est l'organisme de référence pour l'évaluation du niveau de la mer et la prévision des marées ; il est responsable de la cartographie des fonds marins et développe une fonction de soutien opérationnel des forces. Une océanographique opérationnelle s'est développée grâce à des efforts communs avec le Centre National d'Etudes Spatiales (CNES), le Centre National de Recherche Scientifique (CNRS), l'Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer (IFREMER), l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et Météo-France, sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP) Mercator-Océan créé en 2002.

M. Gilles Bessero a souligné que, malgré ces outils, le SHOM n'est que l'une des « briques » en matière de prévision marine et le Grenelle de la Mer a bien mis en valeur le besoin abyssal de connaissances en la matière. Il faut associer des compétences multidisciplinaires et croiser les informations, comme l'a montré l'expérience de la tempête Xynthia, et maintenir l'effort de recherche-développement. A ce titre, il faut citer le projet de service national d'océanographie côtière opérationnelle (SNOCO) ainsi que le lancement du centre national d'alerte aux tsunamis en 2009 et le projet de dispositif « vagues submersion » piloté par Météo-France, auxquels le SHOM est associé.

M. Alain Anziani, rapporteur, a demandé si le SHOM estimait disposer de données fiables sur la cartographie marine et s'il avait des connaissances sur le niveau des terres.

M. Gilles Bessero a répondu que les données du SHOM étaient fiables mais que le problème résidait dans la densité des informations recueillies. En effet, la qualité d'une modélisation est fonction du degré de résolution du modèle bathymétrique, c'est-à-dire de la représentation des fonds marins en trois dimensions. C'est pour améliorer la densité de ces informations qu'a été lancé le projet « Litto3D » sous l'impulsion du Comité Interministériel de la Mer (CIMER), en 2003, et du Comité Interministériel pour l'Aménagement et le Développement du Territoire (CIADT), en 2004. Le CIMER a demandé la mise en place d'un programme national en décembre 2009. Pour la connaissance du niveau des terres, cette compétence relève de l'Institut Géographique National (IGN). Le trait de côte, défini conjointement entre le SHOM et l'IGN marque en effet la frontière de leurs compétences respectives. Cependant, il faut remarquer que la cartographie terrestre nécessite des outils plus simples à manipuler que la cartographie marine, car tous les sites sont accessibles pour des photographies aériennes et des mesures par lasers aéroportés.

M. Alain Anziani, rapporteur, a interrogé M. Gilles Bessero sur la multiplicité des organismes intervenant dans le domaine de la recherche sur le milieu marin. Il lui a demandé s'il fallait regrouper ces organismes, mieux les coordonner ou les laisser en l'état.

M. Gilles Bessero a répondu que chacun de ces organismes disposait de compétences spécifiques et que, dès lors, un regroupement ne créerait pas d'économies. Il existe déjà une grande coordination, un partage de données avec des sites à disposition du public comme le géoportail. Par ailleurs, se met en place une coordination à la carte, en fonction des compétences et des problématiques, comme pour la coopération sur l'alerte aux tsunamis par exemple. La problématique est davantage celle du donneur d'ordre et du« chef de file ». Les priorités doivent être définies par les pouvoirs publics.

M. Alain Anziani, rapporteur, a demandé dans quelle mesure le SHOM était intervenu avant, pendant et après le déroulement de la tempête Xynthia.

M. Gilles Bessero a répondu que le SHOM n'avait pas joué de rôle « en amont » de la catastrophe, mais seulement en aval. Il a rappelé que le déclenchement de la tempête Xynthia était dû à un phénomène météorologique. Le SHOM apporte sa contribution grâce à l'observation instantanée du niveau de la mer, mais les marégraphes des Sables d'Olonne et de La Rochelle n'étaient pas équipés pour une transmission des données en temps réel.

M. Jean-Claude Le Gac, chef de département au SHOM, a précisé que seulement 17 marégraphes disposaient de cette faculté sur le littoral métropolitain. Il a ajouté que le programme de mise à niveau des marégraphes avait débuté en 2009 dans le cadre du projet d'alerte aux tsunamis et que la généralisation du dispositif était prévue pour fin 2012.

En réponse à M. Alain Anziani, rapporteur, sur l'utilisation qui aurait pu être faite de telles données en temps réel, il a indiqué que Météo-France aurait sélectionné les données pour obtenir le meilleur modèle de prévision et d'alerte.

M. Alain Anziani, rapporteur, a demandé si les données recueillies par les marégraphes pouvaient être considérées comme fiables par Météo-France.

M. Jean-Claude Le Gac a répondu que Météo-France développait un modèle « vague submersion » qui serait mis en place d'ici la fin 2011, avec un dispositif d'avertissement selon des couleurs (vert, orange, rouge etc). Les données seraient révisées toutes les six heures. Le maître d'oeuvre est Météo-France et les données des marégraphes ne font qu'alimenter le dispositif.

M. Alain Anziani, rapporteur, a demandé pourquoi les données n'étaient pas toutes intégrées dans un seul système opérationnel.

M. Gilles Bessero a répondu que les volumes d'information étaient trop importants pour être assemblés dans un même modèle, c'est la raison pour laquelle il y avait plusieurs modèles en parallèle. Les données sont publiques mais il manque un passage au stade opérationnel. Il faut veiller à générer des alertes à bon escient et, par exemple, à ne pas procéder à des évacuations inutiles.

M. Jean-Claude Le Gac a expliqué qu'il existait une dualité entre les systèmes opérationnels qui devaient fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, et la démarche scientifique de long terme d'amélioration des modèles de prévision.

M. Alain Anziani, rapporteur, a demandé s'il ne manquait pas un schéma d'ensemble qui relierait les phases de prévision, prévention et protection.

M. Gilles Bessero a estimé qu'il convenait effectivement d'avoir une approche intégrée mais que la phase « aval », c'est-à-dire la diffusion du message d'alerte et les mesures qui sont prises en conséquence, ne relevait pas de la compétence du SHOM. Il a indiqué que cela relevait d'une concertation entre la direction de la sécurité civile et la direction générale de la prévention des risques, ainsi que de l'interface entre les Préfets, les maires et les habitants. Lors de la tempête de 1953 aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, qui a fait plus de 2.000 morts, les messages d'alerte n'étaient pas parvenus jusqu'aux communes concernées.

M. Alain Anziani, rapporteur, a demandé à M. Gilles Bessero s'il pensait qu'un phénomène comme Xynthia pouvait se renouveler et, d'une manière générale, s'il constatait un développement de ce type de phénomènes.

M. Gilles Bessero a répondu que Xynthia était un phénomène exceptionnel avec malheureusement une coïncidence d'un vent fort, d'une élévation du niveau de la mer due à la pression atmosphérique et au vent et d'une pleine mer de fort coefficient. Si la dépression atmosphérique était passée quelques heures plus tôt ou plus tard, les conséquences auraient été moins lourdes. Le phénomène peut évidemment se reproduire mais sa probabilité d'occurrence est infime.

M. Alain Anziani, rapporteur, a cité le récent « coup de mer » sur la Côte d'Azur en demandant si les tempêtes se faisaient plus fréquentes.

M. Gilles Bessero a répondu que le SHOM n'avait pas de compétence pour répondre sur ce sujet. Sur le niveau de la mer, il observe grâce aux marégraphes à Brest et Marseille notamment, une élévation de 1,2 millimètres par an du niveau de la mer sur les deux cents dernières années, mais avec des variations suivant les décennies comportant des phases d'accélération et de décélération, sans qu'il soit toujours possible de distinguer les évolutions conjoncturelles des évolutions structurelles. Des observations par satellite, sur des périodes plus courtes, font état d'une élévation du niveau de la mer de 2 à 3 millimètres par an. Enfin, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a observé une élévation du niveau de la mer très variable suivant les océans, avec des cas très problématiques comme ceux des Etats insulaires du Pacifique. Sur les côtes françaises, à Brest ou au Mont-Saint-Michel, l'évolution tendancielle du niveau de la mer n'a pas beaucoup d'impact, tant sont grandes les amplitudes de marées.

M. Alain Anziani, rapporteur, a demandé si l'on aurait pu répondre autrement au phénomène Xynthia.

M. Gilles Bessero a répondu, qu'à titre personnel, il estimait qu'il convenait de s'interroger sur le message d'alerte adressé aux citoyens et sur le fait que l'alerte parvienne aux bonnes personnes. On pouvait aussi regretter que les efforts de recherche et de mise en oeuvre opérationnelle des données ne soient pas allés plus vite. Il a constaté que, dans nos sociétés modernes, on oubliait trop souvent les risques naturels.

M. Alain Anziani, rapporteur, a rappelé, qu'au cours d'une précédente audition, il avait été indiqué à la mission que des pays comme la Belgique mettaient beaucoup plus de moyens sur la prévention et que la France mettait davantage l'accent sur la protection.

M. Gilles Bessero a répondu que tout était une question de dosage et de culture du risque. Les ouvrages de protection comme les digues sont faits pour s'inscrire dans la durée, mais il faut mesurer toutes les conséquences de s'installer dans des zones à risques.

M. Stéphane Raison, Directeur de l'aménagement et de l'environnement de Dunkerque port, ancien chef du service maritime et des risques de la direction départementale de l'équipement (DDE) de la Vendée

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Puis, la mission a entendu M. Stéphane Raison, directeur de l'aménagement et de l'environnement de Dunkerque port, ancien chef du service maritime et des risques de la direction départementale de l'équipement (DDE) de Vendée.

Ayant brièvement décrit ses fonctions à la préfecture de Vendée entre 2005 et 2008, M. Stéphane Raison a exposé qu'il avait étudié les digues de La Faute-sur-Mer à l'occasion du congrès « Génie civil, génie côtier » de Nice en 2008 ; à ce titre, il a observé que les côtes vendéennes, considérées comme représentatives des côtes en érosion, étaient fréquemment étudiées par les universitaires et les spécialistes du trait de côte. Il a indiqué que sa communication avait repris les éléments figurant dans l'atlas des zones submersibles -qui avait été élaboré par la DDE et qui mettait en évidence la vulnérabilité des secteurs situés à l'arrière des digues en les classant en « zone rouge »-, ces éléments ayant été portés à la connaissance des élus locaux et de la population dès 2002.

M. Stéphane Raison a, de plus, rappelé qu'un arrêté préfectoral de classement des digues de La Faute-sur-Mer avait été prescrit en 2005, et qu'il avait alors été demandé à la commune de faire réaliser un diagnostic de ses ouvrages de protection. Ce diagnostic a révélé que la partie sud de la digue avait une altimétrie insuffisante et qu'elle présentait certains défauts structurels (une expertise géotechnique de structure a, en effet, montré que les matériaux qui composaient la digue étaient hétérogènes et que, en conséquence, celle-ci n'assurait pas une protection optimale des populations).

Sur une question de M. Charles Gauthier, il a précisé que l'altimétrie de crête de digue était de 4 mètres NGF, c'est-à-dire 50 à 70 centimètres de moins que ce qui aurait été nécessaire pour faire face à des évènements extrêmes.

M. Stéphane Raison a précisé que cette démarche avait été étendue à la moitié des digues de Vendée au cours de l'année 2005, si bien que 43 kilomètres de digues sur 100 avaient fait l'objet d'un diagnostic complet ; dans ce cadre, la DDE a noté que les digues étaient d'autant mieux entretenues que les gestionnaires avaient une forte conscience du risque.

Interrogé par M. Alain Anziani, rapporteur, sur les délais d'approbation des plans de prévention des risques (PPR), M. Stéphane Raison a souligné que la démarche de classement des ouvrages de protection lancée par la préfecture de Vendée en 2005 avait permis d'accélérer la signature des arrêtés portant anticipation des PPR. En outre, il a expliqué que la question de la gestion du trait de côte et des systèmes littoraux n'avait été prise en compte que de manière récente. Il a relevé que les submersions marines comparables à celle qui était intervenue lors de la tempête Xynthia avaient une récurrence très faible et que, de ce fait, elles n'étaient que rarement perçues comme un problème urgent par les élus locaux.

En réponse à une remarque de M. Alain Anziani, rapporteur, qui envisageait la mise en place d'une « date butoir » ou d'un délai maximal pour l'approbation des PPR, M. Stéphane Raison a fait valoir que le corpus réglementaire existant permettait déjà aux préfets de faire obstacle à la délivrance de permis de construire dans les zones à risque. Il a indiqué que la préfecture de Vendée avait utilisé l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme à cette fin à de multiples reprises à partir de 2007, et avait profité de sa mission de « porter à connaissance » auprès des élus locaux pour mettre en avant l'existence d'un risque naturel grave.

À M. Alain Anziani, rapporteur, qui lui demandait comment les conclusions de sa communication avaient été prises en compte sur le terrain, M. Stéphane Raison a répondu que la préfecture avait mené de nombreuses actions de communication (par exemple, 3 000 plaquettes d'information ont été distribuées dans les communes de La Faute-sur-Mer et de L'Aiguillon lors de l'approbation anticipée du PPR couvrant ces communes), mais que les élus locaux n'avaient pas pleinement tiré les conséquences de ces informations en raison d'une défaillance de la « mémoire du risque », qui peut parfois mener à un véritable « déni ». Par ailleurs, il a estimé que les moyens affectés à la défense contre la mer avaient été insuffisants et qu'il était nécessaire de trouver de nouvelles solutions de gestion et de financement des digues.

En réponse à M. Alain Anziani, rapporteur, qui s'interrogeait sur la manière de fédérer le savoir-faire des acteurs impliqués dans la « chaîne » de gestion des risques (selon le triptyque « prévision, prévention, protection ») et de mettre en place un schéma d'intervention global, M. Stéphane Raison a souligné que la question du niveau le plus pertinent pour mettre en oeuvre cette vision globalisée devrait alors être posée et que, plus particulièrement, il conviendrait de déterminer si cette mission devait être confiée aux services déconcentrés du niveau départemental (directions départementales des territoires et de la mer, DDTM) ou du niveau régional (directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement, DREAL).

M. Alain Anziani, rapporteur, a estimé nécessaire d'affirmer et de renforcer la responsabilité des préfectures en matière de diffusion des alertes et d'évacuation des populations. Il a ensuite interrogé M. Stéphane Raison sur les modalités d'amélioration de la culture du risque.

M. Stéphane Raison a estimé que l'insuffisance de la mémoire du risque (dont témoignaient les difficultés qu'il avait rencontrées pour collecter des informations sur les évènements climatiques majeurs passés lors de sa prise de fonctions à la préfecture de Vendée) faisait obstacle au développement d'une véritable culture du risque en France métropolitaine.

M. Stéphane Raison a fait valoir qu'un travail de caractérisation et de recensements des tempêtes passées était indispensable. En outre, il a exposé que les travaux sur la gestion du trait de côte, bien que nombreux et de qualité, n'avaient pas été vulgarisés et n'étaient donc pas accessibles au public. Enfin, il a considéré qu'un effort de pédagogie devait être mené sur le terrain, et notamment dans les écoles, et que de telles actions pourraient être organisées en partenariat avec les associations de protection de l'environnement.

Mercredi 26 mai 2010 M. Jacques Oudin, ancien Sénateur, Vice-président du conseil général de la Vendée

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président

La mission a procédé à l'audition de M. Jacques Oudin, ancien sénateur, vice-président du conseil général de la Vendée.

M. Jacques Oudin a tout d'abord rappelé qu'il avait siégé 18 ans au Sénat et qu'il était élu de Noirmoutier depuis 1976, dont les deux tiers de la superficie sont situés sous le niveau de la mer. Ayant connu les tempêtes de grande ampleur de 1972, 1978, 1987, 1999 et 2010, il s'est efforcé, ces trente dernières années, de faire réaliser d'importants travaux de consolidation des ouvrages de défense littoraux.

Puis M. Jacques Oudin a fait valoir que la politique du littoral avait réellement débuté avec le rapport Picard de 1972, suivi de la circulaire Chirac de 1976 et du décret d'Ornano de 1979. Puis la création de l'association nationale des élus du littoral (ANEL) a débouché sur la loi « littoral » du 3 janvier 1986. En 1988, la Vendée a été déclarée zone pilote pour l'application de cette dernière, donnant naissance à l'association vendéenne des élus du littoral (AVEL), puis à la création de l'observatoire du trait de côte sur l'île de Noirmoutier.

M. Jacques Oudin a rappelé que le groupe d'études sur la mer du Sénat, qu'il avait présidé de 1998 à 2005, avait fait porter ses réflexions sur une approche globale de la politique de la mer. Il a relevé l'échec de la planification territoriale sur le littoral en remontant à celui, à la fin des années 70, des schémas d'aptitude à l'utilisation de la mer (SAUM) et des schémas de mise en valeur de la mer (SMVM), ainsi que de l'opération pilote de gestion des zones côtières débutée en 2003. Faisant état de réflexions sur un schéma de cohérence territorial (SCOT) maritime, il a souligné la nécessité d'une politique globale du littoral.

Citant l'exemple des Pays-Bas qui, après la catastrophe nationale de 1953, ont élaboré les plans Delta I, puis Delta II, et qui consacrent un milliard d'euros chaque année à la prévention du risque de submersion, M. Jacques Oudin a estimé que les réussites qu'étaient, en France, la loi « littoral » et le Conservatoire du littoral et, à l'échelle européenne, la directive européenne 2007/60/CE du 23 octobre 2007 relative à l'évaluation et à la gestion des risques d'inondation, étaient fortement atténuées par certains éléments. Zone fragile, limitée et convoitée, le littoral est exposé à une intense pression démographique. L'augmentation substantielle du coût du foncier qui en résulte évince les populations locales qui, auparavant, entretenaient les ouvrages de protection contre la mer.

M. Bruno Retailleau, président, a précisé que la mission s'intéressait de près à la transposition en droit interne de ladite directive dans le projet de loi portant engagement national pour l'environnement, dont il a regretté qu'elle soit faite a minima.

M. Jacques Oudin a déploré l'absence de débat public préalable à cette transposition. Il a également regretté que la loi « littoral », adoptée durant le processus de décentralisation, ait été contrariée par la volonté de l'État de conserver au dispositif un certain degré de centralisation. Il a rappelé que le conseil national du littoral n'avait été créé qu'une vingtaine d'années après celui de la montagne. Revenant sur les tentatives infructueuses visant à planifier l'utilisation du littoral, ainsi que sur l'échec des 25 opérations de gestion intégrée de la zone côtière menées entre 2004 et 2007, à la fois excessives dans leur nombre et leurs délais, il a jugé que les SCOT, créés par la loi solidarité et renouvellement urbain, dite SRU, du 13 décembre 2000, devraient intégrer un volet côtier. Il a également pointé l'incohérence de la stratégie de protection des zones côtières, illustrée par l'instruction en six mois seulement de l'opération Natura en mer, ainsi qu'un manque certain de concertation, lors notamment de la création des aires marines protégées.

Il a critiqué par ailleurs la mise en place de gigantesques zones éoliennes, ainsi que l'autorisation d'extraction de quantités substantielles de sable près des côtes. Estimant que la gestion administrative du littoral était en outre perturbée par les revendications excessives de mouvements environnementaux, il s'est félicité toutefois de la restriction par la loi « littoral » de l'urbanisation, se référant au plan d'occupation des sols (POS) cantonal de Noirmoutier, qui a divisé le territoire en 27 % de surfaces constructibles et 73 % de non constructibles, et s'y est depuis tenu.

M. Jacques Oudin a recommandé de s'intéresser à l'évolution des crédits publics consacrés à la défense contre la mer, qu'il a qualifiée d'incohérente. Il a fait référence au vote récent des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), adoptés pour les six derniers en 2009, en regrettant l'absence de distinction entre le risque de submersion marine, conditionné par le coefficient de marée, la force du vent, la pression atmosphérique et la topographie du littoral, et le risque de crue. Déplorant que le volet de ces schémas consacré à la submersion marine ait été reporté à 2015, puis insistant sur la grande hétérogénéité des littoraux français, il a fait observer que le monde agricole n'avait cessé, pendant douze siècles, de chercher à gagner des terres sur la mer, en réalisant des polders, zones situées en-dessous du niveau de la mer, mais pas nécessairement inondables, ni « à risque ».

M. Jacques Oudin a fait observer que le « plan digues » était toujours attendu depuis la tempête Xynthia.

Il a ensuite recommandé pour l'avenir plusieurs mesures telles que :

- la poursuite des réflexions sur une politique de gestion intégrée du littoral, qui n'hésite pas à faire appel à des « défenses dures », dont certaines permettent de protéger des richesses écologiques ;

- le renforcement du rôle du conseil national du littoral ;

- l'évaluation de l'efficience des actions. A cet égard, il a mis en balance le coût global des dommages liés à la tempête Xynthia, de l'ordre de 3,3 milliards d'euros, avec celui des travaux d'urgence qui auraient été nécessaires pour prévenir ces dégâts, s'élevant à 100 millions d'euros, et celui du « plan digues » préconisé par les départements de Charente-Maritime et de Vendée, s'élevant à 300 millions d'euros. Les Pays-Bas, a-t-il poursuivi, recourent à un tel bilan coût-avantage, qui les amène à diviser leur territoire en trois types de zones : les zones agricoles, dans lesquelles le degré de risque a été fixé à une probabilité de submersion d'une fois tous les 4 000 ans, les zones d'urbanisme diffus, où il a été fixé à une fois tous les 10 000 ans, et les zones d'urbanisme dense, où il a été fixé à une fois tous les 12 500 ans. Le conseil général de Vendée avait, en 2009, voté une motion demandant aux pouvoirs publics de mettre en place une politique permettant d'atteindre une probabilité d'occurrence du risque de submersion proche de zéro. Estimant que la classification en « zones noires » n'était « pas sérieuse », il a jugé qu'il devait être tenu compte du fait que le coût des travaux de protection indispensables à l'atteinte d'un tel objectif de risque sont inférieurs à celui qu'implique pour la collectivité la survenance d'un évènement de type « Xynthia » ;

- l'application de la directive européenne. Il convient à cet égard d'évaluer les installations existantes avant d'élaborer un « plan digues » ; de fixer des critères et normes de sécurité, qui n'ont jamais été définis alors que cela serait aisé, s'agissant d'éléments prévisibles et quantifiables ; de cartographier l'ensemble des zones basses, qui ne sont pas nécessairement des zones inondables ; d'harmoniser le grand nombre d'outils de programmation spatiale existant ; d'unifier la multiplicité de maîtres d'ouvrage, ce qui implique de modifier la loi de 1807 sur l'assèchement des marais ; d'élaborer des « plans digues » départementaux ; et d'engager le débat sur la directive 2007/60/CE du 23 octobre 2007 précitée.

M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité savoir si la capacité de résistance à la submersion des digues pouvait être considérée comme parfaitement fiable. Il a demandé s'il existait des documents techniques et des normes encadrant la construction des digues, et s'il convenait d'unifier leur propriété et à quel niveau.

En réponse, M. Jacques Oudin s'est dit perplexe suite à la réponse du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer à l'un de ses courriers transmettant la motion votée par le département de Vendée en 2009, qui expliquait que la protection contre la submersion marine n'incombe pas à l'État. Il a estimé que des digues bien conçues n'étaient assurément pas submersibles, comme l'illustre l'exemple hollandais, auquel cas il ne servirait à rien de construire des barrages. Il a indiqué qu'il n'existait aucune norme en la matière et que les travaux d'entretien des digues affectées par la tempête Xynthia n'avaient pas été réalisés depuis une quinzaine d'années.

Soulignant que les Pays-Bas avaient fixé une hauteur de digues de deux à trois mètres supérieure au niveau de submersion de 1953, M. Jacques Oudin a fait état de la nécessité de normes techniques sur la résistance des matériaux, que pourraient édicter les organismes techniques de normalisation. Indiquant que la face externe des digues devait absorber, et non restituer, le choc des vagues, et que la face interne, la plus fragile car exposée à l'érosion, devait être composée de matériaux solides. Il a vu dans l'enrochement le meilleur procédé actuellement disponible, ajoutant que les digues devaient comporter un chemin, qui pouvait être situé au-dessus, à l'intérieur ou à l'extérieur, et être raccordées à des bassins d'évacuation des eaux situés derrière les zones protégées.

Il a fait observer que le rehaussement des digues impliquait une révision de la structure et souligné que leur propriétaire pouvait varier. La gestion par une structure communale ou par des syndicats mixtes associant le conseil général peut constituer une bonne solution. Elle laisse cependant subsister une part d'autofinancement qui peut poser un problème. Aussi l'intercommunalité de Noirmoutier a-t-elle choisi de racheter 25 km de digues à leurs propriétaires.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, il a exclu l'idée de créer un établissement public d'Etat pour la gestion des digues.

M. Jacques Oudin a souligné que la faiblesse des digues résidait essentiellement dans leurs points de jonction et au niveau des estuaires, ainsi que sur les berges d'étais, qui peuvent être consolidées soit par un rehaussement, soit par l'avancement des écluses.

Répondant à une question de M. Alain Anziani, rapporteur, il a estimé, que les partenariats publics-privés ne fonctionnaient que s'ils ouvraient la perspective de la perception de recettes à venir.

M. Alain Perret, Préfet, Directeur de la sécurité civile au ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales

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M. Bruno Retailleau, président. - Nous parlerons avec vous monsieur le préfet, des systèmes de prévision : ont-ils bien fonctionné et comment peut-on les améliorer à l'avenir ? Notre première question concerne les conditions d'engagement de la mission sécurité civile et les moyens dont elle peut disposer.

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - La direction de la sécurité civile est, comme vous le savez, devenue une mission d'expertise chargée de préparer les répliques opérationnelles mises à la disposition des préfets, directeurs des opérations de secours. Elle regroupe des militaires, des sapeurs-pompiers, des civils, dotés d'une palette de compétences techniques - de la « poêle à frire » au tunnel sous la Manche- qui la met en mesure d'éclairer ses interlocuteurs confrontés à des catastrophes naturelles ou industrielles. Elle constitue, autrement dit, une structure de renfort national en interaction avec les SDIS, les services départementaux d'incendie et de secours. Le ministre a rappelé, le 8 décembre dernier, à l'Assemblée nationale, son souci de voir les sapeurs-pompiers placés sous l'entière autorité des préfets au cours des opérations.

La direction de la sécurité civile dispose d'une large panoplie de moyens. Le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) lui permet de savoir ce qui se passe sur le terrain. Avec 7202 implantations, 250 000 hommes et un dispositif opérationnel hautement performant avec la départementalisation - même si se pose la question de la maîtrise des coûts - notre pays se place au premier plan, en Europe, en matière d'organisation, de maillage et de capacité face aux situations de risque, qui peuvent aller du simple secours à personne - la « bobologie » - aux grands risques type Seveso ou problème nucléaire.

Parmi ces 250 000 hommes, on compte 200 000 pompiers volontaires, dont nous préparons l'évolution du statut en tenant attentivement compte de l'impact budgétaire attendu, et quelque 40 000 sapeurs-pompiers professionnels, qui sont souvent dans une logique revendicative assez systématisée, auxquels s'ajoutent 1 500 hommes regroupés dans les deux régiments du génie que sont les UIISC, les unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile, ultime réserve de la République qui peuvent mobiliser 300 hommes en alerte à trois heures et la totalité en six heures - on en a vu l'utilité lors des tempêtes Klaus et Xynthia, mais aussi à Haïti. A cela s'ajoute la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et le bataillon des marins-pompiers de Marseille, placé sous l'autorité du maire de la ville.

Le niveau de formation de ces hommes est élevé ; ils disposent d'équipements importants - même si nous avons supprimé certaines normes tatillonnes coûteuses, pour nous en tenir strictement à la réglementation européenne et nous fournir « sur étagères » à moindre coût...

M. Bruno Retailleau, président. - Quels enseignements avez-vous tiré de la tempête Xynthia ? On a entendu déplorer la faiblesse du réseau de communication et le manque de liaison et de coordination entre les moyens aériens militaires et civils. Quel est votre sentiment ?

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Le dispositif d'alerte préventive a bien fonctionné. J'étais alors aux commandes du centre opérationnel, en préalerte la veille du passage à l'orange. Nous étions en liaison constante avec les ingénieurs de Météo-France, et nous avons su au plus tôt quelles zones étaient susceptibles de passer en alerte rouge. Quand cela a été confirmé, dimanche dans l'après-midi, les unités étaient déjà prêtes, dans les camions. J'ai dégagé dix sections des UIISC, soit 330 hommes, qui se sont dirigés vers Angoulême et Poitiers pour se prépositionner au plus près. Nous avons retenu un spectre large, car les modélisations n'étaient pas encore assez stabilisées pour nous permettre de déterminer l'impact sur le littoral.

Qu'en a-t-il été du mécanisme de transmission de l'alerte ? Les préfets de Charente-Maritime et de Vendée ont aussitôt informé les maires, par SMS, téléphone et mail, pour prévenir les SDIS et leur apporter un soutien. Ce mécanisme d'alerte, créé il y a dix ans, fonctionne selon un système de seuils de vigilance à chacun desquels correspond une réponse.

M. Bruno Retailleau, président. - Les maires se plaignent pourtant souvent de recevoir énormément de messages d'alerte, dont la rédaction n'est pas toujours assez claire pour leur permettre de déterminer les conséquences sur leur territoire. Quid de la surcote ?

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Il est vrai que la formalisation du système d'alerte peut encore progresser. Mais au travers des medias, FR3, les radios, les détenteurs de l'autorité ont été suffisamment informés pour mettre en oeuvre les secours de premier échelon. J'estime qu'eu égard aux moyens dont nous disposons, la transmission a été satisfaisante - je me fonde sur le constat objectif des procédures engagées par les préfets. Il appartiendra à l'inspection générale et aux enquêtes de le confirmer.

M. Alain Anziani, rapporteur. - N'est-il pas de la responsabilité des préfets de délivrer une information précise - indiquer, par exemple, s'il faut ou non évacuer - plutôt que de s'en remettre aux hasards de l'information par les médias ?

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Vous touchez-là une question fondamentale. Notre réseau national d'alerte date de 1930. Il a été utile durant la guerre, mais n'a pas été depuis renouvelé. Or, nos problématiques de sécurité ne sont plus celle du bombardement aérien. Le Livre Blanc nous donne mission de faire évoluer ce système d'alerte national. La sirène du premier jeudi du mois n'est plus de mise. L'impératif premier est de tenir compte des schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques, selon une approche par bassin. L'autre impératif concerne la qualification pédagogique du message délivré à la population : quels sont les mots-clés idoines pour susciter les bons réflexes de protection ? Pour ce qui concerne les vecteurs, dans les mains des préfectures, ils peuvent aller du SMS au cell broadcast à la hollandaise. Je dispose, dans le cadre de ma mission, de crédits destinés à mettre en place un dispositif adéquat afin de s'assurer que, dans le périmètre où le risque est notoire, chacun aura été averti. La gageure est la suivante : un tsunami ne laisse que 15 minutes pour réagir. Comment faire pour que des personnes qui ne sont pas au fait des risques que comporte ce phénomène soient averties à temps pour se mettre à l'abri ? L'objectif est de rénover le réseau national en tenant compte de tous ces éléments.

Xynthia nous a appris que nous devons définir de nouveaux seuils de vigilance. Sur le risque de submersion marine, nous travaillons en liaison étroite avec Météo-France, le service hydrographique et océanographique de la marine, le SHOM. Nous travaillons également avec le Commissariat à l'énergie atomique, notamment pour élaborer un système d'alerte en fonction de l'évaluation du risque. Il s'agit de parvenir à une modélisation du risque, selon trois schémas de rupture, en allant même plus loin que le plan particulier d'intervention d'EDF - qui n'est pas ce qu'on pourrait espérer...Il s'agit de nous mettre en capacité de définir les effets sur la population selon des critères scientifiques et vérifiés.

M. Michel Doublet. - Il est vrai que nous avons été prévenus entre 17h30 et 18 heures. Mais les maires avaient reçu, au cours de l'hiver, sept ou huit coups de fils ou SMS des préfets pour les avertir de risques de tempêtes de neiges ou de verglas qui ne se sont jamais avérés. A trop crier au loup...

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Nous devons réussir, avec Météo-France, à établir une échelle de valeur liée à l'effet d'impact sur la population d'une mise en alerte vigilance. Il y a trois semaines, des vagues de 10 mètres ont déferlé sur Nice : du jamais vu. Au-delà des tsunamis, pour lequel il est essentiel de déclencher les bons réflexes, sachant que 25 % ont lieu en Méditerranée, nous devons trouver les vecteurs pour provoquer les bons réflexes en fonction de la situation.

Les relations entre le préfet et les maires, qui sont leurs interlocuteurs naturels, méritent d'être rénovées. C'est là que doit porter l'effort. Les nouvelles technologies nous offrent toute une palette de vecteurs. Les tempêtes du type de Klaus ou Xynthia, mais aussi les myriades de petites tornades qui peuvent ravager la côte sur un kilomètre, constituent un phénomène nouveau, qui ne laisse un délai de latence que de quelques minutes. Nous devons travailler à la rapidité de l'information. Sur la problématique de la submersion marine, nous n'avions jusqu'à présent que des surcotes, rien de plus.

M. Ronan Kerdraon. - Je suis l'élu d'une commune littorale, dans les Côtes-d'Armor, heureusement moins touchée que la Charente-Maritime. Je ne puis cependant laisser dire que la transmission de l'alerte a été satisfaisante. Alors qu'elle a eu lieu un week-end, elle est tombée sur un fax de la mairie après 17h30. Je n'ai eu ni appel, ni SMS. Si je n'y étais pas passé pour un mariage, je ne l'aurais pas reçue. Il faut en tirer la leçon : les élus sont en première ligne face à la population. Le système d'alerte serait aisément perfectible (M. Perret le reconnaît).

M. Michel Doublet. - En ce qui me concerne, j'ai reçu un coup de fil chez moi.

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Le fait est que l'on ne peut se contenter du dispositif actuel. Il est essentiel de construire de nouveaux modes de communication entre l'autorité préfectorale et les maires. C'est à quoi nous travaillons avec Météo-France, le SHOM, le CEDRE (Centre de documentation, de recherche et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux), le CEA.

M. Michel Doublet. - J'ai lancé une opération avec l'Association des maires de mon département. Il s'agit de désigner dans chaque commune deux délégués-tempête, joignables en permanence. Le système n'était hélas pas encore opérationnel au moment de la tempête Xynthia. Il serait utile que les coordonnées de ces délégués soient transmises aux services d'alerte.

M. Bruno Retailleau, président. - Au-delà des grands organismes que vous avez cités, il serait de fait bon, monsieur le préfet, que les grandes associations d'élus soient consultées.

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Cette problématique fait l'objet d'un exercice triennal qui vous sera soumis à l'automne. Il s'agit de créer une enveloppe de 20 millions, en complément de celle de la LOPSSI... Je laisse aux spécialistes les subtilités du débat académique sur la différence entre tsunami et submersion marine : en pratique, les conséquences en sont les mêmes pour les populations.

M. Bruno Retailleau, président. - Je suis ébahi d'apprendre que notre système d'alerte date de 1930...

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - C'est pourtant le cas. La question n'est pas tant que nous ayons 32 sirènes en Charente-Maritime et six seulement en Vendée : c'est là un système vétuste, mal adapté aux risques d'aujourd'hui.

Parce que nous n'avons pas voulu nous contenter d'un travail franco-français, nous avons demandé à la Commission européenne d'engager un programme spécifique sur la sécurité civile auquel tous les pays européens concernés pourront participer. Les Pays-Bas disposent du système le plus élaboré - tragédie oblige ; la France vient ensuite, mais l'écart avec eux est énorme : à nous de le combler, en nous appuyant sur les nouvelles technologies.

M. Bruno Retailleau, président. - Le fameux cell broadcast ?

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Il permet de lancer un message d'alerte par allumage automatique des postes de télévision, couplé à un message d'alerte sur portables. Mais la difficulté réside dans la définition du message d'alerte. Comment trouver les mots adéquats pour provoquer les bons réflexes ? Il nous faut, d'ici à deux ans, disposer d'un système achevé.

Il existe déjà des sirènes spécifiques autour des centrales nucléaires et les régions présentant une concentration élevée de sites Seveso à seuil haut.

L'expérience de la tempête Klaus avait déjà conduit à accélérer les mécanismes d'alerte. Xynthia nous a enseigné qu'il faut aller plus loin encore.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Je n'ai pas le sentiment qu'entre le préfet de Vendée et celui de Charente-Maritime, le dialogue ait été permanent. Ne faudrait-il pas un préfet coordonnateur ?

M. Bruno Retailleau, président. - Il en existe pour les bassins hydrologiques. Mais comment définir une cohérence géographique ?

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Le niveau pertinent n'est pas la région mais la zone de défense. Or, les deux départements relèvent de deux zones de défense différentes, celle de Rennes et celle de Bordeaux. Le décret du 4 mars dernier a renforcé le pouvoir des préfets de zone et institué des mécanismes de droit administratif simplifiés.

Vous faites allusion, monsieur Anziani, à l'engagement des moyens aériens. Ayant été pré-alerté dès samedi, j'ai dépêché huit hélicoptères dans les deux départements les premiers concernés. A partir de là est survenue une cascade de phénomènes. Le coordonnateur, en Charente-Maritime, prend possession de la tour de contrôle pour coordonner les hélicoptères. Le préfet de Vendée m'informe qu'il n'en voit venir aucun. C'est que l'officier des sapeurs-pompiers coordonnateur, ignorant que la Vendée est touchée, les a dirigés en Charente-maritime. Le problème a cependant été résolu dans l'heure puis les deux zones ont communiqué par visioconférence. Reste que, sur le terrain, les opérateurs ignoraient qu'un autre département que le leur était touché.

La deuxième difficulté est venue de ce que les moyens militaires lourds qui ont été engagés ne disposaient pas des fréquences civiles dont usaient les hélicoptères sur la zone. Il conviendra que les autorités militaires y pourvoient à l'avenir.

La troisième difficulté tient au fait que les gendarmes, désormais reliés au ministère de l'Intérieur, se sont auto-engagés, sans en informer tout de suite les préfectures de zone. Les liaisons tactiques ont été assurées sur le terrain, sans mise en cohérence globale. Ce problème est aujourd'hui corrigé puisque nous disposons désormais d'un coordinateur en charge d'une structure à trois niveaux -national, zonal, départemental- capable de coordonner tous les moyens du territoire.

Ces dysfonctionnements n'ont pas eu d'impact sur la population : 90 personnes ont été sauvées par hélitreuillage ; les militaires, les gendarmes et mes troupes ont effectué un travail remarquable mais chacun communiquait avec les siens : le problème tenait ainsi plutôt au risque d'accidents entre les hélicoptères. L'aéroport de La Rochelle n'ouvre le dimanche qu'à 9h30. Il faudra mettre en place une procédure pour permettre l'accès, dans un tel cas de figure, à sa tour de contrôle.

M. Ronan Kerdraon. - Vous avez évoqué le problème de la coordination entre les préfets. Se pose aussi celui de la coordination sur le terrain. Je salue l'investissement, le courage et le professionnalisme des sapeurs-pompiers de Vendée, où nous nous sommes rendus voici quelques semaines. Cette visite a mis en lumière les problèmes qu'ils ont rencontrés pour communiquer entre eux, en raison de la saturation des réseaux des grands opérateurs. Sans compter que l'absence d'électricité interdisait de recharger les téléphones portables. Ils nous ont fait observer que les téléphones satellitaires constituent de meilleurs outils de communication.

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - ANTARES ou pas, là est la question. Dans l'un des deux départements, l'équipement était numérique, dans l'autre, il était analogique et il est tout de suite tombé en panne.

ANTARES, certes cher, est un outil hors du commun. Il est vrai que lors de la tempête Klaus, on s'est rendu compte que certains segments passaient par le réseau des opérateurs téléphoniques : il suffit qu'un pylône tombe pour que plus rien ne passe. Nous nous sommes engagés, avec le ministre de l'Intérieur, dans un programme de transformation des pylônes en relais de faisceaux hertziens. Il en faut cinq à sept par département. Ils peuvent résister à des vents de 250 km/heure. C'est sans comparaison.

M. Bruno Retailleau, président. - Quelle fréquence ?

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Elle est supérieure à 400 mégahertz, quand l'analogique est à 150.

ANTARES est plus qu'un instrument de radio communication crypté. Il permet d'acheminer instantanément toutes les informations sur le terrain. Grâce à l'activation de la charte satellitaire, dont je suis le coordonnateur, on peut transmettre des cartographies de première qualité, mais aussi des informations médicales utiles au diagnostic au pied de la victime, et tout cela, via une plaquette de toute petite dimension. En Haïti, quand les Etats-Unis nous ont coupé les communications et étaient près de nous enlever nos véhicules, nous avons créé un réseau spécifique d'urgence satellitaire de 30 km de rayon pour transmettre des liasses d'information.

ANTARES, si l'on exploite toutes ses fonctionnalités, est véritablement un outil d'exception.

M. Bruno Retailleau, président. - A quelle date le territoire national sera-t-il couvert ?

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - En 2014.

M. Bruno Retailleau, président. - Espérons ne pas subir de nouvelle tempête d'ici là.

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Nous insistons pour que les présidents de conseils généraux, qui ont dégagé des crédits, poursuivent leur effort. ANTARES suscitera, à terme, des économies, puisqu'il permettra, dans les opérations de sauvetage, de disposer de toutes les informations médicales, et dans les opérations de secours, de retransmettre immédiatement images et données. C'est grâce au satellite que nous avons découvert que l'île de Ré était coupée en deux ; grâce à lui qu'un effort important a pu être déployé sur la commune de Charron, en Charente, grâce à lui que le centre opérationnel de Paris a pu assurer la coordination.

M. Bruno Retailleau, président. - Les pompiers n'ont pas parlé d'ANTARES, seulement du satellite.

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - C'est la même chose en l'occurrence : ANTARES est constitué d'une multicouche.

M. Bruno Retailleau, président. - Une couche de sécurisation satellitaire, si les pylônes sont par terre ?

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Exactement. Il y a quelques années, tous les SDIS ont été incités à acquérir des balises satellitaires. Reste que pour que le COGIC puisse joindre les opérateurs sur le terrain, le satellitaire doit être armé en permanence : il ne s'agit pas de le ranger au fond d'un placard.

M. Bruno Retailleau. - Nous nous interrogeons sur les moyens à développer pour mieux répandre la culture de prévention du risque en France. Les plans communaux de sauvegarde vous paraissent-ils adaptés ? Est-il utile de les lier au PPR, le plan de prévention des risques ?

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - C'est un grand débat ouvert dans le cadre du Grenelle. Nous avons été sollicités pour réfléchir aux moyens d'atténuer l'encadrement des plans communaux de sauvegarde. La position du gouvernement vise en effet à les disjoindre du PPR. Les plans communaux sont faits pour identifier les bâtiments où peuvent être recueillis les sinistrés, organiser le ravitaillement, prévoir l'évacuation...Ce sont des plans opératoires, sans haute technicité. Il faudra, dans le cadre du débat engagé par M. Borloo, parvenir à découpler les deux dispositifs.

M. Bruno Retailleau, président. - Le texte est passé à l'Assemblée nationale, il n'est rien ressorti de tel...

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Le bicamérisme permet de se rattraper...

M. Bruno Retailleau, président. - Nous sommes dans le cadre d'une procédure accélérée. La CMP n'est pas le moyen idéal...

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - Permettez-moi de vous montrer le fascicule « Risques et savoirs » que nous avons produit en liaison avec l'Éducation nationale. Il s'agit d'un document de vulgarisation, plutôt à l'usage des lycéens que des élèves du collège, sur l'évaluation des risques. Les Hollandais ont les bons réflexes, qui consistent à se protéger d'abord soi-même, en se dotant d'équipements de secours, de rations militaires etc. Nous voulons provoquer ces mêmes réflexes chez les Français. Ce n'est qu'ensuite que les unités de secours interviennent.

M. Ronan Kerdraon. - J'ai été, jusqu'il y a peu, enseignant, et je connais cette brochure, que j'ai présentée à mes élèves de collèges, pour lesquels il est vrai qu'elle reste un peu complexe. Mais c'est un document remarquable pour véhiculer l'information. Il serait efficace d'en éditer une version simplifiée pour les collégiens. C'est par les enfants que l'on atteint les parents. Ces plaquettes pourraient également circuler via les mairies.

M. Bruno Retailleau, président. - Est-il d'autres points, monsieur le préfet, sur lesquels vous auriez souhaité insister ?

M. Alain Perret, directeur de la sécurité civile. - J'insiste sur l'utilité des vecteurs aériens. Si nous n'avions pas disposé d'hélicoptères conduits par des pilotes bien formés, y compris à l'hélitreuillage et à l'emploi d'appareils de vision nocturne, nous aurions rencontré des problèmes : 90 personnes ont été sauvées dont la moitié de nuit. La flotte du ministère de l'Intérieur est désormais renforcée par celle des gendarmes. Toutes ses implantations territoriales sont précieuses : elle secourt 12000 personnes par an. Lors de la tempête Xynthia, c'est elle qui a permis les hélitreuillages et le travail sur les brèches des digues. Les hélicoptères sont tout particulièrement précieux pour le secours aux personnes : ils permettent d'intervenir en moins d'une demi-heure. Et ce ne sont plus des Alouette ou des Ecureuil, mais des EC-145, d'une haute qualité technique, qui volent en tout temps, conduits par des pilotes remarquables.

M. Bruno Retailleau, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation : votre connaissance du dossier nous est précieuse.

M. Jean-Luc Poulain, Président de la commission de gestion des risques de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), M. Stéphane Weil, Chef du service juridique et fiscal de la FNSEA, M. Hervé Pillaud, Secrétaire général de la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de Vendée

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Enfin, la mission a procédé à l'audition de MM. Jean-Luc Poulain, président de la commission de gestion des risques de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Stéphane Weil, chef du service juridique et fiscal de la FNSEA, et de Hervé Pillaud, secrétaire général de la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de Vendée.

M. Bruno Retailleau, président, a rappelé à titre liminaire qu'aucune indemnité n'a, à ce jour, été versée aux exploitants agricoles. En effet, la procédure de notification à la Commission européenne des aides publiques envisagées au titre du fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA) a été une fois de plus repoussée, de manière à finaliser une nouvelle version du dossier transmis par la voie officielle. Cet ajournement répété de la notification formelle empêche le versement effectif des aides sur le terrain.

Il a indiqué que, lors de l'examen au Sénat du projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, il a jugé nécessaire d'attirer l'attention du ministre de l'Alimentation, de l'agriculture et de la pêche, sur cette situation particulièrement préoccupante.

En outre, il s'est interrogé sur les conséquences, pour les agriculteurs, de la tempête Xynthia et des inondations qu'elle a provoquées, sur les mesures qui ont été prises ainsi que sur les autres dispositions qu'il reste possible de prendre.

M. Jean-Luc Poulain, président de la commission de gestion des risques de la FNSEA, a déclaré que l'urgence nécessite de permettre le versement le plus rapidement possible d'indemnités, en vue d'assurer un redémarrage de l'activité des exploitants agricoles. Le dispositif mobilisé au titre du FNGCA reste encore insuffisant, au moins sur le plan de son effectivité.

M. Hervé Pillaud, secrétaire général de la FDSEA de Vendée, a précisé qu'un millier d'exploitations agricoles ont été frappées par la tempête, dont environ 300 en Charente-Maritime et 150 en Vendée sont concernées en totalité, pour un montant total de pertes évalué à 71,5 millions d'euros. Il s'agit pour ces deux départements, les plus touchés au niveau national, d'inondations ayant endommagé environ 35.000 hectares de terres agricoles. La Gironde, moins affectée, a pour sa part subi des dégâts concernant 800 hectares de terrains. Au sein des 71,5 millions d'euros de pertes, doivent être distinguées la part relevant des pertes de culture (33,2 millions d'euros) et la part consacrée à la remise en état du fonds (38,3 millions d'euros). La perte sur récolte stricto sensu est estimée à 1.100 euros par hectare en moyenne, ce montant tombant à 630 euros par hectare en prairie. Pour les exploitations affectées à plus de 75 %, le taux de prise en charge devrait être de 60 % ; pour celles touchées entre 30 et 75 %, ce taux est réduit à 45 % ; enfin, s'agissant de celles dont les dégâts portent sur moins de 30 % des terres, le taux ne sera que de 35 %. Des moyens financiers considérables devront être dégagés pour la remise en état des exploitations, puisque le taux de prise en charge devrait être de l'ordre de 45 %. Outre les travaux de reconstruction, notamment des réseaux hydrauliques et des digues, il conviendra d'envisager le rehaussement de certaines de ces dernières. Les travaux de remise en état des terres, suite à leur salinisation, nécessitent des opérations de gypsage, qui feront l'objet de remboursement sur facture. Ces pertes de fonds sont évaluées à 1.600 euros par hectare pour les grandes cultures et à 500 euros par hectare en prairie. Cette indemnisation forfaitaire des travaux de remise en état devrait concerner deux exercices. Ce système forfaitaire suscite des réserves de la part de la Commission européenne, qui attire l'attention sur l'existence d'un risque de surcompensation. Le droit communautaire se montre plus souple pour ce qui concerne les indemnisations basées sur les estimations individuelles de pertes d'ores et déjà constatées. En outre, le refus de créer un précédent explique la vigilance des autorités communautaires.

M. Hervé Pillaud est convenu du caractère exceptionnel du dispositif proposé par le Gouvernement. Le taux habituel de prise en charge au titre du FNGCA s'élève en effet à 35 % par hectare de terres sinistrées et ne concerne que les pertes de culture. Le système d'indemnisation va plus loin et vise à compenser partiellement et par forfait les pertes de potentiel de production des sols inondés, en intégrant donc les pertes futures.

M. Ronan Kerdraon a estimé impossible que le FNGCA puisse surcompenser les pertes subies par les exploitants agricoles. Il a donc regretté la vigilance excessive dont fait preuve la Commission européenne.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. Jean-Luc Poulain, président de la commission de gestion des risques de la FNSEA, a évoqué les règles relatives au fonctionnement et au mode de financement du FNGCA. Il a relevé des difficultés dans la capacité financière du fonds depuis environ une dizaine d'années. Les épisodes de sécheresse des années 2006, 2007 mais surtout 2003, ont révélé cette fragilité. Le choix de développer l'assurance-récolte comme alternative à l'indemnisation par le biais du FNGCA paraît peu pertinent. En effet, l'assurance-récolte ne s'est diffusée qu'au sein des grandes cultures et, dans ce secteur, le taux de souscription ne s'élève qu'à 25 % des exploitants agricoles. Pourtant, sur la base de ce constat, le Gouvernement a fait le choix de suspendre l'indemnisation des grandes cultures au titre du FNGCA. Or, il convient d'observer qu'antérieurement ce fonds n'était d'ores et déjà que très peu sollicité pour les grandes cultures. Le fait que ce type d'activités soit exclu de son champ ne pose donc pas de difficulté. En revanche, le projet d'une extension de l'assurance-récolte et d'un abandon progressif du FNGCA paraît irréaliste. Le nombre d'agriculteurs couverts par un contrat d'assurance reste, dans les faits, très bas. Les dispositions qui devraient être introduites par la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, en cours d'examen au Sénat, ne devrait pas permettre d'avancées significatives. Les franchises, souvent élevées et donc décourageantes, continueront à représenter des coûts trop importants. La prise en charge partielle des primes d'assurance ne sera pas une incitation suffisante.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur le délai de versement d'indemnités aux agriculteurs.

M. Hervé Pillaud, secrétaire général de la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de Vendée, a précisé que la prise en charge des intérêts d'emprunts doit conduire à une mise en paiement d'ici à la mi-juin.

M. Stéphane Weil, chef du service juridique et fiscal de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), a indiqué que l'article L. 361 7 du code rural plafonne la prise en charge maximale des dégâts au titre du FNGCA à 75 %. La notification à la Commission européenne courant dès le premier euro, le dispositif élaboré doit avoir un caractère définitif. L'absence de transmission officielle bloque à ce stade le versement de la moindre indemnité.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'intérêt de cette procédure de notification surtout que l'existence d'un risque de surcompensation paraît nulle.

M. Hervé Pillaud a indiqué que, pour ce qui concerne les biens assurables, les sociétés d'assurance ont commencé à procéder au paiement des indemnités. Les visites d'experts étant la plupart du temps toujours en cours, les versements effectifs ne se feront que progressivement. Il a également relevé que les exploitants agricoles bénéficieront de la prise en charge de leurs intérêts d'emprunt ainsi que de leurs cotisations sociales, par le biais du fonds d'allègement des charges (FAC), pour un montant total fixé à 5 millions d'euros. Sur trois ans, le plafond des aides de minimis est fixé à 15.000 euros par exploitation. Cette limite sera particulièrement contraignante pour les agriculteurs les plus en difficulté.

Par ailleurs, M. Hervé Pillaud a fait état d'aides des conseils généraux et régionaux, qui seront ciblées sur les risques non assurables. Ces mesures devront elles aussi faire l'objet d'une notification à la Commission européenne.

M. Bruno Retailleau, président, a déploré l'opacité qui semble entourer le montage du dossier en cours de notification.

M. Hervé Pillaud a plaidé pour une exonération totale de cotisations sociales en 2010 puis pour une exonération partielle et dégressive les années suivantes. En matière fiscale, un dispositif exceptionnel devrait être mis à l'étude pour permettre aux agriculteurs de réduire fortement leurs niveaux d'imposition.

M. Stéphane Weil, chef du service juridique et fiscal de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), a observé que les exercices au cours desquels des catastrophes naturelles ont affecté la production conduisent à des impositions plus élevées, sous l'effet de la liquidation massive des stocks. Un lissage des revenus sur sept ans pourrait être envisagé.

M. Jean-Luc Poulain, président de la commission de gestion des risques de la FNSEA, a fait état d'un risque de cessations d'activités pour certains exploitants agricoles. Ces derniers parviennent à dégager des revenus modestes en temps normal. Le contexte actuel pourrait donc leur être fatal.

M. Hervé Pillaud, secrétaire général de la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de Vendée, a déclaré que les exploitants agricoles doivent traditionnellement faire face à des aléas non maîtrisables mais qu'ils ne s'assurent que pour des risques connus d'ampleur modérée. Face aux grandes catastrophes naturelles, ils demeurent peu enclins à recourir à des dispositifs assurantiels spécifiques.

Jeudi 10 juin 2010 M. François Baroin, Ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président

M. Bruno Retailleau, président. - Monsieur le ministre, nous sommes très heureux de vous entendre sur les conséquences de la tempête Xynthia, qui a provoqué des pertes irremplaçables de vies humaines. Les dégâts matériels imputables à cette tempête sont très supérieurs à ce que les premières estimations suggéraient. Des dispositions existent, au niveau des assurances, et pour les biens non assurables, mais des interrogations demeurent sur les conséquences budgétaires.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État. - Toute la région concernée a subi un drame humain. J'ai une pensée pour les élus et pour les familles qui ont perdu des proches.

La moindre des choses est que le Gouvernement soit à la disposition du Parlement sur ce sujet, comme sur tous les autres.

Nous avons très rapidement proposé l'acquisition amiable des habitations dans les zones de solidarité de Vendée et de Charente-Maritime, sans recourir à la procédure d'expropriation. L'État ne peut tout faire, mais il aide les victimes à se relever.

Un arrêté du 1er mars 2010 a constaté l'état de catastrophe naturelle consécutive aux intempéries du 27 février, qui ont frappé la Charente-Maritime, la Vendée, les Deux-Sèvres et la Vienne. Dès la fin mars, France Domaine a entamé l'évaluation des habitations situées dans les zones concernées. Ce travail considérable, conduit sept jours sur sept, a nécessité des renforts. Le but est de faire en sorte que les personnes acceptant la proposition se réinstallent ailleurs rapidement dans des conditions économiques satisfaisantes. C'est pourquoi nous appliquons la méthode du fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit « fonds Barnier », en évaluant les maisons par comparaison avec des biens semblables situés hors des zones à risques. Toujours formulées après une visite sur place, les offres sont valables trois mois.

L'acte authentique et le paiement doivent intervenir dans les trois mois suivant l'accord des propriétaires, car la qualité et la rapidité de notre réponse sont constitutives d'une mission de service public dans une situation humainement dramatique. Certains ont perdu tout leur patrimoine. L'accélération des procédures a été rendue possible grâce à un contrat-type dérogatoire établi en accord avec le Conseil supérieur du notariat. Ainsi, les notaires signeront sans disposer des certificats habituels, puisque les habitations sont vouées à la destruction. Je précise que les biens acquis par l'État seront intégralement payés dès la signature de l'acte authentique.

Les visites effectuées sur place en Charente-Maritime sont quasiment achevées depuis le 8 juin. Les avis domaniaux seront tous connus avant la fin du mois, mais 162 propositions ont déjà été transmises aux propriétaires, dont 56 les ont acceptées. Aucun n'a formulé de refus.

Il y a davantage de maisons à évaluer en Vendée, si bien que les visites sur place et les évaluations devraient être achevées début juillet, sauf quelques rendez-vous reportés à la demande des propriétaires. Dans ce département, parmi les 252 propositions transmises, 71 ont été acceptés ; une a été refusée.

Globalement, le taux d'acceptation avoisine donc 30 % à ce jour. Il faut laisser aux intéressés le temps de la réflexion.

Les acquisitions seront payées par le fonds Barnier, après déduction des indemnités à la charge des assureurs au titre des catastrophes naturelles. La situation financière du fonds Barnier est actuellement suffisante, mais il pourrait être abondé en cas de besoin.

M. Bruno Retailleau, président. - Les zones de solidarité, que je préfère dénommer « zone d'acquisition amiable », ont été au centre des débats ces derniers mois. Sans revenir sur leur cartographie, j'observe que la juste indemnisation et la rapidité sont indispensables aux sinistrés pour tourner la page.

Je suis vendéen. Les choses vont vite. France Domaine fait un bon travail et ses évaluations paraissent très correctes. Vous dites qu'elles seront toutes achevées fin juin. Comme une seule proposition a été refusée, le taux d'acceptation constaté est très supérieur à 30 %. Pouvez-vous confirmer que l'évaluation est achevée en Charente-Maritime ?

M. François Baroin, ministre. - Absolument.

M. Bruno Retailleau, président. - Pouvez-vous indiquer le niveau moyen des évaluations formulées ou acceptées ?

M. François Baroin, ministre. - Il me semble plus pertinent d'indiquer l'enveloppe globale que le fonds Barnier devrait utiliser : 400 millions d'euros. Il y a trop d'écart entre les valeurs des habitations pour qu'un chiffre moyen soit significatif.

M. Bruno Retailleau, président. - Suffit-il de diviser cette somme par le nombre d'habitations ? Le patron de France Domaine a évoqué un montant de 800 millions d'euros, alors que M. Borloo avait mentionné une fourchette allant de 300 à 400 millions d'euros. Vous avez repris ce dernier montant, mais le médiateur des assurances a parlé de 600 millions d'euros.

Compte tenu des biens professionnels, votre chiffrage n'est-il pas sous-estimé ?

M. François Baroin, ministre. - Il s'agit d'une enveloppe sincère, mais limitée aux habitations. La filière agricole notamment n'est pas incluse. Tout confondu, le montant sera bien sûr plus élevé.

M. Bruno Retailleau, président. - Les petites entreprises ont le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC). Le fonds national de garantie des calamités agricoles intervient pour les exploitations agricoles, mais la situation peut être complexe, par exemple lorsque la valeur d'un fonds de commerce s'ajoute à celle des murs, habituellement plus coûteux que pour des logements.

M. François Baroin, ministre. - En effet.

M. Bruno Retailleau, président. - Quand nous avons auditionné Mme Jouanno, nous avons appris que le fonds Barnier serait mis à contribution pour le plan digues. Or, ses ressources annuelles avoisinent 155 millions d'euros, dont la moitié sert à couvrir des engagements récurrents. Il faudra donc quelques années pour financer les acquisitions amiables. Dans ces conditions, comment soutenir le plan digues ?

Vous avez fait allusion à une dotation budgétaire complémentaire. Comment voyez-vous l'avenir du fonds Barnier ?

M. François Baroin, ministre. - Les engagements du Président de la République seront respectés. Il est trop tôt pour évaluer le coût du plan digues, mais l'État assumera ses responsabilités.

La tempête Xynthia est à tous égards une catastrophe extraordinaire et il n'y a pas heureusement pas un événement de cette ampleur chaque année. Reste que le fonds Barnier ne pourrait évidemment pas supporter deux ou trois événements de cette nature par an.

M. Bruno Retailleau, président. - Revenons aux habitations. Les assurances verseront une somme correspondant à ce qu'aurait coûté la remise en état de la maison. L'écart avec l'évaluation effectuée par France Domaine est couvert par le fonds Barnier. Les 400 millions que vous avez évoqués représentent-ils le coût total des acquisitions ou la seule part du fonds ?

M. François Baroin, ministre. - L'intervention du système assuranciel s'ajoute à cette somme.

M. Bruno Retailleau, président. - Connaissez-vous le montant acquitté par les assurances ?

M. François Baroin, ministre. - Non.

M. Bruno Retailleau, président. - Le groupement des entreprises mutuelles d'assurances (GEMA) a évoqué 20 000 euros par maison.

M. François Baroin, ministre. - Je n'ai pas de chiffrage.

M. Bruno Retailleau, président. - Les assurances relèvent de Bercy, mais pas de votre département ministériel.

M. François Baroin, ministre. - En effet.

M. Bruno Retailleau, président. - Dans l'estuaire de la Garonne, les critères du fonds Barnier s'appliqueraient à une dizaine de maisons, même si bien plus ont subi des inondations. Peut-on imaginer qu'après le Grenelle II qui a introduit le risque de submersion marine, ces habitations modestes soient acquises grâce au fonds Barnier ?

M. François Baroin, ministre. - Ma position est ouverte sur ce point : le Grenelle 2 a effectivement introduit le risque de submersion marine dans le périmètre du fonds.

M. Bruno Retailleau, président. - Cela n'aurait guère d'incidence budgétaire majeure. Nous avons suggéré au préfet d'agir en ce sens.

Mercredi, le Sénat va débattre des conséquences de la tempête Xynthia. Pourriez-vous nous transmettre les chiffres actualisés des acquisitions amiables à cette date ?

M. François Baroin, ministre. - Bien entendu.

M. Bruno Retailleau, président. - Le Parlement vous souhaite beaucoup de courage pour gérer nos finances publiques. À Bruxelles, nous avons rencontré le commissaire en charge du fonds de solidarité de l'Union européenne, créé à l'initiative de M. Barnier lors des inondations du Danube en Europe centrale. En évoquant les travaux destinés à consolider les digues ou à rétablir des routes communales, nous avons senti des résistances. Y a-t-il du nouveau ?

M. François Baroin, ministre. - Nous avons demandé le 7 mai que ce fonds verse 474 millions pour couvrir la remise en fonction des infrastructures, le nettoyage des lieux et les opérations de secours. La Commission doit se prononcer dans un délai que je qualifierai de « rapide ». Elle présentera ensuite au Conseil, puis au Parlement européen les propositions correspondantes. Après avoir obtenu les autorisations nécessaires, elle pourra décider d'octroyer une subvention. Le processus est donc assez long, mais l'essentiel est d'avoir l'autorisation d'engagement.

M. Bruno Retailleau, président. - Le dossier n'est donc pas repoussé. Pensez-vous que la Commission européenne réagisse aussi vite que le fonds Barnier ? Il est vrai que vous n'avez pas autorité sur elle...

M. François Baroin, ministre. - Cette demande fait partie de nos priorités essentielles.

M. Bruno Retailleau, président. - Nous examinerons chaque type d'aide avec le ministre sectoriel compétent, mais je voudrais évoquer aujourd'hui un sujet spécifique aux collectivités territoriales. De façon générale, leurs biens ne sont pas assurables. À l'exception de la Rochelle, les communes touchées sont toutes de petite taille. Des communes à faible potentiel fiscal ont subi donc des dommages considérables. Que fera l'État ?

D'autre part, la cartographie des zones à risques supprime une base fiscale substantielle pour des communes qui percevaient peu de taxe professionnelle. En effet, la taxe d'habitation et la taxe sur le foncier bâti représentent souvent un tiers du potentiel fiscal. Peut-on imaginer un mécanisme de lissage et de compensation fiscale analogue à celui appliqué pour les communes en cas de faillite d'entreprises ? Les contribuables communaux subiraient une double peine, si le sinistre était relayé par une hausse des impôts locaux.

M. François Baroin, ministre. - Certains ne comprennent pas pourquoi les communes n'assurent pas leur patrimoine, comme l'Etat. En réalité, les cotisations seraient énormes, ce qui imposerait un alourdissement fiscal insupportable. Ne pas être assuré n'est pas en l'espèce le signe d'une mauvaise gestion.

M. Bruno Retailleau, président. - Certes.

M. François Baroin, ministre. - Les élus ont parfois été injustement montrés du doigt.

Au fonds d'indemnisation des calamités naturelles, 25 millions d'euros viennent s'ajouter en loi de finances rectificative. Pour le reste, je suis ouvert à la discussion, sans être intellectuellement heurté à l'idée de contribuer par un cofinancement à la prise en charge de certaines conséquences patrimoniales.

Quant à votre deuxième question, il n'y a aucun précédent. Rien n'a été inventé à ce jour pour remédier à la disparition d'une zone entière de base fiscale. Il faudra y travailler d'ici la loi de finances. Sans prendre d'engagement, je suis disponible pour imaginer une façon d'éviter la « double peine » aux habitants concernés.

M. Bruno Retailleau, président. - J'imagine que la place Beauvau sera votre interlocuteur.

M. François Baroin, ministre. - Plus précisément, la direction générale des collectivités locales (DGCL). Mais la direction générale des finances publiques (DGFIP) interviendra également.

Même la tempête de 1999 n'avait pas eu de conséquences comparables.

M. Bruno Retailleau, président. - Dans le cas présent, la cartographie est très concentrée sur de petites communes, qui subissent une destruction sèche et instantanée de leur base fiscale. Il y a déjà eu des manifestations !

Nous interrogerons Mme Lagarde sur l'intervention des assurances.

Connaissez-vous au moins approximativement le coût de la tempête Xynthia pour le budget de l'État ?

M. François Baroin, ministre. - Non. Les évaluations sont en cours.

M. Bruno Retailleau, président. - Notre rapport final doit être publié début juillet. Le chiffrage sera-t-il disponible ce moment ?

M. François Baroin, ministre. - C'est trop tôt. Notre objectif est de présenter une évaluation sincère et précise à l'appui de la loi de finances. Sur un sujet aussi sensible, je préfère ne pas mentionner de chiffres incertains.

M. Bruno Retailleau, président. - Le régime juridique de la catastrophe naturelle a déjà fait l'objet de critiques lors de la sécheresse de 2003. Globalement satisfaisant, il combine une intervention assurancielle responsabilisante avec une forte composante de solidarité. Sans mettre en cause ces grands principes, certains souhaitent de nouvelles modalités.

M. François Baroin, ministre. - Les assureurs sont des investisseurs institutionnels contribuant à la pérennité de notre modèle social. L'évolution environnementale de la planète est une préoccupation aussi pour ceux dont le métier consiste à garantir des risques. Voyez ce qui se passe aux États-Unis : la responsabilité de British Petroleum (BP) est incontestable, mais l'assurance et la réassurance devront débourser des sommes considérables.

L'État ne peut seul mettre en cause le dispositif des catastrophes naturelles. En tout état de cause, celui-ci ne peut s'appliquer à tous les événements.

M. Bruno Retailleau, président. - Le Doubs a subi la grêle hier, surtout à Montbéliard ; Nice a connu des intempéries en mai.

M. François Baroin, ministre. - Une application trop large alourdirait les cotisations à l'excès.

M. Bruno Retailleau, président. - Les mouvements climatiques violents semblent se répéter à un rythme accéléré.

Les Pays-Bas sont à la pointe de la lutte contre la montée des eaux. J'espère que notre plan digues s'inspira de son exemple. En deux siècles, le niveau de la mer a monté de 40 centimètres. Les spécialistes du changement climatique s'attendent à une hausse comprise entre 50 centimètres et 1 mètre. D'après les Néerlandais, la fréquence d'une catastrophe centennale peut quadrupler lorsque le niveau de la mer s'élève de 25 centimètres. Et l'on atteint un rythme décennal avec une élévation de 50 centimètres! Ce calcul scientifique semble corroboré par l'observation empirique associant la tempête de 1999, les tempêtes Klaus et Xynthia.

Certes, un événement comme le dernier en date ne se répétera pas chaque année, mais l'occurrence du risque semble plus fréquente. Les dispositifs budgétaires en vigueur sont-ils compatibles avec les effets du changement climatique ?

Où l'État peut-il trouver de l'argent ? Pensez-vous faire appel à la Caisse de réassurance, un mécanisme prudentiel financé par l'État ?

M. François Baroin, ministre. - La réponse est clairement : non. Nous ne pouvons mettre le doigt dans un engrenage que nous ne maîtriserions pas.

Nos sociétés n'échapperont pas aux conséquences environnementales des activités industrielles. Je pense plus particulièrement aux plans d'occupation des sols, aux plans locaux d'urbanisme et aux contraintes spécifiques de construction dans certaines zones, notamment littorales. Cela concerne la métropole comme l'Outre-mer. Le risque sismique a des conséquences analogues. Inévitablement, les finances de l'État et celles des collectivités locales seront mises à contribution. Passer d'un risque centennal à un risque décennal donne le vertige.

M. Bruno Retailleau, président. - Le Président de la République a annoncé que l'État financerait 50 % du plan digues. C'est une opération de longue haleine. Coeur de métier pour l'État, la sécurité des gens ne se limite pas à l'intervention de la police.

Le budget mobilisé sera-t-il à la hauteur de l'annonce faite par le Président de la République ?

M. François Baroin, ministre. - Bien sûr ! Tenir ses engagements est un devoir. Le Président de la République incarne la Nation. Il a pris sa décision à un moment extraordinairement douloureux pour tous.

Nous sommes associés à la réflexion et nous allons le plus loin possible en matière d'expertise, comme pour la partie budgétaire.

M. Bruno Retailleau, président. - Au-delà des masses que Mme Jouanno a indiquées, sans prendre d'engagement ?

M. François Baroin, ministre. - C'est la différence avec aujourd'hui !

M. Bruno Retailleau, président. - Certainement... Aux Pays-Bas, les agences de l'eau sont compétentes pour l'assainissement, l'approvisionnement en eau potable et la protection contre la submersion, enjeu majeur d'un pays dont les deux tiers sont situés sous le niveau de la mer.

À la suite des inondations de 1953, qui avaient fait des milliers de victimes, les Pays-Bas ont conçu le « plan delta », doté d'un financement pérenne. Juste après la tempête de 1999, nous avons négocié avec l'État un plan subventionné à 50 %. Cinq ans après, l'État a divisé sa subvention par deux. J'ignore pourquoi nous sommes incapables de fournir un effort soutenu, mais il me semble nécessaire d'inventer un mécanisme pérenne. Vos services y travaillent-ils ?

M. François Baroin, ministre. - Nos aînés avaient bien disposé les digues, mais sans anticiper la concomitance des facteurs qui les ont détruites.

Verser les subventions budgétaires année après année n'a rien d'une solution de facilité pour l'État, mais il lui appartient d'assumer la solidarité. L'important est que les digues soient efficaces, ce qui suppose un entretien régulier.

M. Bruno Retailleau, président. - Je souhaite que le plan digues comporte un volet budgétaire robuste, mis à l'abri des vicissitudes politiques.

M. François Baroin, ministre. - J'ai entendu le message.

M. Bruno Retailleau, président. - Les ouvrages néerlandais sont conçus pour résister même à des événements dont l'occurrence est de un pour 10 000! Sans reprendre ce dispositif, puisque nous n'avons barré aucun delta, nous devons sortir du triptyque associant ouvrage faible, conséquence forte et mémoire courte. Le « court-termisme » qui caractérise la vie moderne nous empêche d'agir dans la durée, avec persévérance. Il est donc fondamental d'imaginer des solutions pérennes.

Pour conclure, je rappelle notre intérêt pour des chiffres actualisés au sujet de France Domaine. Il en va de même pour le cumul des interventions des assurances avec celles du fonds Barnier. Monsieur le ministre, je vous remercie.

M. Jacques Auxiette, Président du conseil régional des Pays de la Loire, M. Patrick Jouin, Directeur général des services du conseil régional des Pays de la Loire

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En introduction, M. Jacques Auxiette, président du conseil régional des Pays de la Loire a déclaré que des dispositifs de prévention existaient pour anticiper la survenance de catastrophes naturelles mais que rien n'était dit sur la manière de réagir lorsque la catastrophe survenait. Il a estimé qu'il était impossible de prévoir tous les risques mais qu'en revanche il convenait de travailler à la manière de les gérer. Il a pris l'exemple d'un barrage à La Roche-sur-Yon, de sept mètres de hauteur, qu'il avait fait inspecter pour voir s'il était suffisamment solide pour ne pas rompre et noyer les maisons construites en aval, mais surtout en raison duquel il avait mis en place un dispositif d'alerte phonique automatique pour avertir les populations en cas de risques d'inondation. Or, lors de la tempête Xynthia, par exemple dans la commune de La Faute-sur-Mer, les habitants ont reçu l'information selon laquelle il y avait une alerte rouge sans indication des mesures à prendre. Ces mesures ne peuvent être du ressort de la décision individuelle.

M. Bruno Retailleau, président, a confirmé, suite notamment au récent déplacement de la mission en Gironde, que les maires avaient reçu des alertes mais sans indication des mesures à prendre et surtout, que ces alertes se multipliaient au cours de l'année, conduisant au risque de ne plus voir les habitants réagir. Aux Pays-Bas, l'alerte est donnée par téléphone, avec une explication de personne à personne, et non pas de matière impersonnelle par courriel ou sms, ce qui change considérablement la portée du message.

M. Jacques Auxiette a ensuite rappelé que la politique d'urbanisme ne relevait pas de la compétence des régions même si elle avait évidemment une place importante dans la prévention des risques. Il a ensuite indiqué que la région Pays de la Loire avait pris des mesures financières d'urgence suite au sinistre lors d'une session extraordinaire le 3 mars 2010, pour un montant de 20 millions d'euros. La région Poitou-Charentes avait pris des mesures analogues. La région agit dans ses domaines de compétences à savoir l'aménagement du territoire, les relations avec les acteurs économiques et les mesures environnementales. La région avait exprimé sa solidarité avec les communes sinistrées en aidant au colmatage des digues par des avances de fonds, les moyens financiers faisant défaut.

M. Jacques Auxiette a cité le cas d'un maire responsable de l'entretien de 21 kilomètres de digues avec un budget annuel de 70.000 euros. Il a indiqué que la région avait conçu son plan d'aide aux acteurs économiques comme des avances remboursables, les sinistrés attendant désormais les décisions des assurances. Les agriculteurs, ostréiculteurs et certains autres agents économiques restent très préoccupés de l'équilibre financier de leur exploitation dans la mesure où ils n'ont pour le moment rien perçu en dehors de ces avances qu'ils devront rembourser. Il semble qu'il existe une forte inertie nationale sur ce point.

M. Bruno Retailleau, président, a indiqué que le Ministre de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche, avait été interpellé sur ce point, notamment lors de la discussion au Sénat du projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, puis il s'était rendu sur le terrain en Vendée et en Charente Maritime. Il a confirmé que la situation de nombreux agriculteurs était difficile.

M. Jacques Auxiette a relevé que si la mobilisation des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l'Etat dans les départements touchés par la tempête Xynthia avait été unanimement saluée, la réaction au niveau national ne semblait pas à la hauteur des enjeux. Il a fait valoir que lors de la discussion des contrats de plan Etat Région, la ligne budgétaire consacrée à la défense contre la mer avait été supprimée sur la demande de l'Etat, et remplacée par une convention pour trois ans avec la région Pays de la Loire, avec un taux de cofinancement réduit.

M. Bruno Retailleau, président, a indiqué qu'il avait interrogé le Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l'Etat sur ce point, rappelant que le taux d'intervention de l'Etat était effectivement passé de 50 % à 25 %. Il a indiqué qu'il avait lui-même obtenu un simple accord oral pour le cofinancement des ouvrages de protection contre la mer en Vendée, et cela quelques jours avant la tempête Xynthia.

M. Jacques Auxiette a indiqué que la région Pays de la Loire s'était demandée comment venir en aide aux collectivités locales et avait lancé une consultation auprès des élus, notamment les maires des communes de la Faute-sur-Mer, l'Aiguillon-sur-Mer et la Tranche-sur-Mer. Il est apparu qu'une aide était souhaitée en matière d'élaboration des documents d'urbanisme. Il faut en effet affirmer la responsabilité des élus locaux en la matière, mais sous le contrôle de l'Etat. Il faut également préserver l'intégrité du territoire en protégeant le trait de côte et en permettant des activités économiques notamment de pêche, de voile, de tourisme, d'ostréiculture et de conchyliculture. L'intercommunalité doit permettre des progrès dans le développement de ces activités indispensables à la vie du littoral. Pour ce qui concerne les digues, M. Jacques Auxiette a indiqué que la mission de l'Etat n'avait pas consulté la région Pays de la Loire, mais qu'en tout état de cause les régions ne disposaient d'aucune marge de manoeuvre pour financer des opérations qui ne ressortaient pas de leur compétence.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, qui évoquait le cofinancement des régions pour les précédentes opérations sur les digues, M. Jacques Auxiette a répondu que la perte de recettes fiscales par les régions, qui depuis la suppression de la taxe professionnelle ne disposent plus que de bases fiscales réduites, avec la taxe sur les cartes grises et une partie des droits de mutation, empêchait d'envisager toute poursuite de ces dispositions. Il a ajouté que dans la situation actuelle, en l'absence de visibilité sur le budget 2011, les régions étaient incapables de prendre des engagements supplémentaires à ceux déjà pris.

Répondant à M. Bruno Retailleau, président, sur la façon dont le plan digues pourrait être conçu, M. Jacques Auxiette a fait valoir que le principe devait être celui de la responsabilité de l'Etat, détenant le pouvoir régalien. Les règles en matière de construction et d'entretien des digues devaient donc être fixées au niveau national mais déclinées au plan local. La question de la responsabilité de l'entretien des digues devait être clarifiée. Les collectivités territoriales devaient être associées au plan digues et les ressources devaient être pérennes et bien identifiées.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, sur l'utilisation des crédits du Fonds Européen de Développement Régional (FEDER), M. Patrick Jouin, directeur général des services de la région Pays de la Loire, a répondu que, tout d'abord, les régions avaient l'espoir que le Fonds de Solidarité de l'Union européenne (FSUE) intervienne, la gestion des fonds devant ensuite être assumée par les deux Préfets de région et pas déléguée à un seul d'entre eux. Il a rappelé que le Président de la République avait annoncé un cofinancement des digues par l'Etat à hauteur de 50 % puis qu'un taux de 40 % avait été évoqué avec l'intervention du FEDER en complément. Il a souhaité que l'intervention du fonds européen vienne en complément et non en substitution de la contribution de l'Etat. Pour l'après-crise, la région était déjà en train de discuter de l'affectation des crédits du FEDER.

M. Jacques Auxiette a ajouté que la région Pays de la Loire était d'accord pour réorienter une partie des crédits de FEDER vers le renforcement des digues. La révision à mi-parcours des crédits du FEDER doit intervenir à l'automne et un premier document doit être transmis aux Régions en juillet dans cette perspective. Dans le même temps sont révisés les contrats de plan Etat-Région. Un abondement de ces crédits par le budget de l'Etat serait nécessaire, comme cela s'est fait en 1999, après la tempête.

M. Bruno Retailleau, président, a indiqué que même si les régions n'avaient pas de compétences d'urbanisme, elles avaient une compétence générale en matière d'aménagement du territoire et il a demandé quelle était leur doctrine en matière d'aménagement des zones littorales où il semblait que l'on avait parfois construit de manière anarchique.

M. Jacques Auxiette a répondu qu'effectivement des problèmes se posaient, qui nécessitaient d'appliquer strictement les règles d'urbanisme et de contrôler les permis de construire. Toutefois, il a fait valoir que la création de « zones noires » avait généré de l'angoisse et du désespoir inutilement et qu'il y avait d'autres moyens de répondre à ce qui était, tout de même, un phénomène climatique exceptionnel. Il a évoqué des solutions techniques comme on en trouve en bord de Loire dans les zones inondables. Il a déclaré que le développement économique des communes littorales ne devait pas être arrêté car il fallait donner des perspectives de développement aux communes concernées. Il a ajouté que l'urbanisation posait souvent des problèmes en termes d'environnement et de paysage, en plus des questions de sécurité. Enfin, il a plaidé pour la création d'un établissement public foncier départemental ou régional qui serait un outil de développement dans la zone littorale.

M. Bruno Retailleau a précisé que le Préfet du département de la Gironde avait également l'idée de créer un établissement public foncier national. Il a ensuite demandé quelles pouvaient être les mesures pour développer en France une véritable culture du risque.

M. Jacques Auxiette a répondu qu'il existait aujourd'hui un schéma régional d'aménagement et de développement durable des territoires et qu'il fallait rendre ce document prescriptif, alors qu'il est aujourd'hui simplement un outil de communication. Le volet relatif aux risques est par ailleurs insuffisant dans ce document.

M. Bruno Retailleau, président, a déploré un abandon de la politique du littoral. Il s'est demandé s'il ne fallait pas, comme cela existe pour la montagne, intégrer plus systématiquement dans les lois nationales un volet consacré aux spécificités du littoral. Il a ajouté qu'on ne réagissait aujourd'hui qu'après des catastrophes.

M. Jacques Auxiette a répondu que, dans une région comme les Pays de la Loire, disposant de 450 kilomètres de côtes, il fallait mettre en valeur la notion d'économie maritime. Il faut une réflexion nationale sur cette notion, qui inclut également le développement durable et l'écosystème. Enfin, il a souhaité que chacun fasse preuve d'humilité face aux catastrophes naturelles : tous les risques ne peuvent être prévus, mais il faut s'y préparer.

M. Philippe Sergent, Directeur scientifique du centre d'études techniques maritimes et fluviales (CETMEF), M. Jean-Paul Vanderlinden, professeur associé à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, experts participant au programme de recherche de l'Union européenne Theseus

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La mission a ensuite procédé à l'audition de MM. Philippe Sergent, directeur scientifique du centre d'études maritimes et fluviales, et de Jean-Paul Vanderlinden, professeur associé à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, experts participant au programme de recherche de l'Union européenne Theseus.

M. Jean-Paul Vanderlinden, professeur associé à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, a tout d'abord présenté le projet Theseus qui signifie « Technologies côtières innovantes pour des côtes européennes plus sures dans le cadre du changement climatique ». Il a expliqué qu'il vise, dans un contexte de changement climatique, à améliorer la sûreté des zones côtières et des habitats côtiers européens par des études d'évaluation des risques, des réglementations et des dispositifs existants. Il a ajouté que les études se déroulent en coopération avec les gestionnaires locaux au travers d'expériences sur huit sites pilotes, avec une attention particulière pour les environnements les plus vulnérables à l'image des estuaires, des zones humides et des deltas.

Il a rappelé que ce projet prend la forme d'un consortium de 31 partenaires issus de 18 Etats différents, dont les pays moteurs appartiennent essentiellement à l'Europe du Nord, Danemark et Grande-Bretagne en tête. Ses moyens sont conséquents puisqu'il regroupe 200 personnes dont une trentaine de chercheurs et se trouve doté d'un budget s'élevant à 8.519.726 euros pour une durée prévisionnelle de 48 mois. Il a précisé que ce projet en est aujourd'hui au sixième mois.

M. Jean-Paul Vanderlinden a ajouté que la multiplication des phénomènes de submersion résulte des changements climatiques et de la hausse du nombre de tempêtes mais surtout de la remontée du niveau de la mer. Il relève que ce dernier facteur a des effets de premier ordre sur la résistance de long terme des structures de protection des côtes.

M. Bruno Retailleau, président, a fait observer à cet égard que les Pays-Bas ont enregistré une augmentation du niveau de la mer d'environ 40 centimètres en deux siècles. Au cours des prochaines décennies, il pourrait s'agir d'un mètre d'eau supplémentaire.

M. Philippe Sergent, directeur scientifique du centre d'études maritimes et fluviales, a estimé que ces observations faites aux Pays-Bas ne sont pas très éloignées de celles émises pour les côtes françaises. En effet, la hausse subie par ces dernières serait de l'ordre de 30 centimètres au vingtième siècle.

Pour ce qui concerne le projet Theseus, l'approche intégrée des risques est répartie en trois catégories, qui seront successivement présentées :

- les études relevant du génie côtier ;

- les approches écologiques ;

- les analyses économiques.

S'agissant tout d'abord du génie côtier, M. Philippe Sergent a exposé les six axes de recherche retenus :

- les dispositifs de récupération de l'énergie de la houle. Après le développement de l'énergie éolienne, cette démarche doit permettre à la fois la production d'énergie ainsi que la protection des côtes. En effet, ces dispositifs limitent l'érosion du trait de côte, principalement causée par la houle ;

- les ouvrages submersibles innovants. Il s'agit de brise-lames, dont la présence assez fréquente en Méditerranée contraste avec sa faiblesse sur la côte atlantique, en raison des marées. La construction de récifs artificiels, très utilisés en Australie, constitue une piste intéressante. Elle favorise la croissance des ressources halieutiques et la biodiversité ;

- les digues résistantes aux franchissements. Les recherches en la matière s'appuient sur des expériences de déversement de vagues sur les digues afin de maîtriser les phénomènes de franchissement et de surverse ;

- les structures flottantes. Ces ouvrages peuvent être utiles à l'instar de la digue du port de Monaco ;

- le renforcement des digues à talus. Fréquentes en Bretagne et très utiles dans les grands ports, ce type de digues présente l'intérêt d'être perméable ;

- la stabilisation des plages et les dragages. Cet axe de recherches est essentiel puisqu'il est observé que la houle résulte jusqu'à 50 % de la profondeur de l'eau à proximité des côtes. Une remontée du niveau de la mer d'un mètre produirait ainsi une hausse de 50 centimètres de la houle. Le rehaussement des digues devrait alors quasiment être de l'ordre de deux fois l'augmentation du niveau de la mer. Les objectifs de stabilisation des plages et d'encadrement des dragages doivent donc être approfondis. Il pourrait s'agir plus particulièrement de modifier les pentes côtières et de les adoucir en ajoutant, le cas échéant, des bermes. Les dragages réduisent pour leur part la sûreté des côtes parce qu'en augmentant la profondeur de l'eau, ils agissent sur la houle et les ondes de marées Dans le cas des estuaires, une ultime solution réside dans leur barrage. Venise a d'ores et déjà fait ce choix et un projet du même ordre est à l'étude à New-York.

M. Jean-Paul Vanderlinden, professeur associé à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, a ensuite annoncé les cinq pistes étudiées en matière d'écologie. Ce sont :

- les habitats naturels pour la protection côtière ;

- la gestion et la restauration des habitats naturels. A l'instar du cordon dunaire, ces zones assurent en effet une protection efficace. Elles peuvent également servir de fusibles en assurant, par exemple, la déviation de l'eau vers des plaines inondables. La question de la destruction de structures existantes en vue de leur transformation en zone d'habitat naturel peut être posée ;

- le design écologique des structures côtières. En la matière, la contrainte principale réside dans la capacité à élaborer des solutions technologiques qui soient acceptables d'un point de vue social. Le respect de critères esthétiques concernant le paysage constitue en effet une attente forte de la part des populations ;

- les conséquences écologiques des options de défense côtière ;

- les effets de multiples stress écologiques.

Enfin, pour ce qui concerne l'axe de recherche socio-économique, M. Jean Paul Vanderlinden, responsable pour l'ensemble du programme Theseus, a présenté les cinq thèmes qui feront l'objet de recherches :

- une réflexion sur les dispositifs d'assurance publics comme privés, qui doivent répartir efficacement les chaînes de responsabilité en amont de l'occurrence de la catastrophe. Il doit s'agir d'éviter les tensions ex post ;

- la communication sur le risque. Il convient en effet d'apprendre à maîtriser cet objet multiforme et d'éviter les confusions fréquentes entre différents niveaux de discours. Ceux-ci peuvent être de type normatif d'une part ou portés sur la causalité des faits d'autre part, sachant qu'un continuum de possibilités existe entre ces deux pôles ;

- la gestion de crise, l'urbanisation et la planification. Il est constaté que les victimes de catastrophes naturelles consacrent un temps relativement plus important aux activités non productives, ce qui engendre un ralentissement de la reprise d'activités économiques. Dans le contexte des plans communaux de sauvegarde, l'outil OSIRIS Inondations, conçu pour aider les élus locaux à la gestion de la crise, permet de mieux prendre en compte les risques induits et d'élaborer des scénarios de gestion des conséquences de la catastrophe ;

- les dommages causés à l'activité économique ;

- les plans d'évacuation.

Enfin, M. Jean-Paul Vanderlinden a remarqué que les produits envisagés au terme de la mise en oeuvre du projet Theseus sont de trois ordres :

- l'élaboration d'un logiciel d'aide à la décision pour les stratégies de défense côtière ;

- la formulation de recommandations sur une durée de 20 ans autour du thème des risques d'inondations et de submersions ;

- la diffusion des résultats du projet par une communication sur ces risques et sur la directive européenne du 23 octobre 2007 relative à l'évaluation et à la gestion des risques d'inondation.

M. Bruno Retailleau, président, a estimé que cette directive de 2007 va dans le bon sens mais a fait l'objet d'une transposition a minima en France. Après la catastrophe que représente la tempête Xynthia, il s'est interrogé sur les points sur lesquels il faut mettre l'accent en matière de submersion marine.

M. Philippe Sergent, directeur scientifique du centre d'études maritimes et fluviales, a relevé que les plans d'alerte et d'évacuation et, plus récemment, les plans communaux de sauvegarde constituent des avancées notables. Toutefois, les progrès sont surtout enregistrés s'agissant du risque d'inondation fluviale. Les dispositifs dédiés à la submersion marine restent clairement insuffisants alors qu'il s'agit d'un phénomène qui doit faire l'objet d'un traitement spécifique. A la différence des inondations fluviales, la submersion marine s'accompagne de marées, de houle, et d'une dynamique de flux-reflux systématique.

M. Bruno Retailleau, président, a ensuite interrogé M. Philippe Sergent sur le plan « digues ».

M. Philippe Sergent a fait remarquer que ce plan devra pleinement prendre en compte les effets des changements climatiques. Il a recommandé le recours à des ouvrages perméables, tel que l'enrochement, et la limitation des structures en béton. En outre, la question des périodes de retour appelle un travail de recherches plus approfondi. En effet, les méthodes de calcul doivent être affinées et l'évolution de ces périodes mieux connue. Ainsi, il a déploré que la France en reste à ce stade à des catastrophes centennales alors que les Pays-Bas les envisagent à un niveau millénal voire dix-millénal.

Collectif des associations des victimes de l'après Xynthia Association des victimes de La Faute-sur-Mer (AVIF)

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La mission a entendu, pour le compte du collectif des associations des victimes de l'après Xynthia, MM. Olivier Schmitt (commune de Boyarville), Michel Le Bozec (village des Boucholeurs), Pierre Beurel (commune de Loix-en-Ré), Michel Ceressia (commune de Port-les-Barques), Jean-Luc Guilmard (commune de Fouras-la-Fumée) et Thierry Demaegdt (commune de Charron), et, pour le compte de l'Association des victimes de La Faute-sur-Mer (AVIF), M. Xavier Machuron-Mandard (vice-président de l'AVIF), Mmes Evelyne Deregnaucourt et Mireille Guillet, et MM. Raymond Roucheyrolle et Éric Racofier.

À titre liminaire, chacun des intervenants a rappelé brièvement les caractéristiques et les souhaits de l'association qu'il représentait.

M. Michel Ceressia a fait état de la situation particulière de la commune de Port-des-Barques, où certains habitants demandent que leur maison soit classée en « zone noire » plutôt qu'en « zone jaune », à l'inverse de la plupart des sinistrés qui réclament à voir leur habitation exclue de la « zone noire » ;

M. Thierry Demaegdt a exposé que, sur environ 150 habitations classées en « zone noire » dans la commune de Charron, 27 propriétaires contestaient ce classement ;

Les représentants des associations de victimes ont souligné que l'action de l'État n'avait pas suffisamment tenu compte des problèmes humains et sociaux rencontrés par les sinistrés, et que les propriétaires de maisons classées en zone noire ou orange étaient soumis à un stress intense et souffraient, de ce fait, d'une fragilisation psychologique pouvant entraîner la survenue de maladies mentales (dépressions, etc.).

M. Michel Le Bozec a précisé que, dans le village des Boucholeurs, classé en zone orange, des pathologies physiologiques associées au stress (maladies cardio-vasculaires) étaient apparues chez les habitants, notamment parce que, chaque semaine, les pouvoirs publics promettaient aux sinistrés de leur donner des réponses précises sur un éventuel classement en « zone noire » dans les quinze jours, sans que cette promesse ne soit jamais réalisée.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, M. Michel Le Bozec a indiqué avoir rencontré des experts envoyés sur le terrain par la préfecture de Vendée pour réaliser des expertises complémentaires, mais que ceux-ci s'étaient bornés à interroger les habitants et à effectuer des relevés pour connaître la hauteur d'eau constatée lors du passage de la tempête Xynthia sur certaines parcelles, et qu'ils ne semblaient pas tenir compte des causes du drame (à savoir, selon lui, l'existence d'une lacune d'un kilomètre de long dans la digue protégeant la zone où se situe le village des Boucholeurs).

Ayant indiqué que le zone orange tracée sur la commune de Fouras comprenait 104 maisons, dont 17 résidences principales, M. Jean-Luc Guilmard a précisé qu'aucune information n'avait été transmise aux sinistrés par la préfecture depuis le dévoilement de la cartographie des « zones noires », le 8 avril dernier, alors même que, à cette occasion, l'engagement avait été pris de régler définitivement le sort des « zones oranges » dans les quinze jours. S'associant aux propos de M. Michel Le Bozec, il a affirmé que des experts étaient venus sur le terrain pendant une demi-journée et qu'ils avaient demandé la hauteur d'eau dans certaines maisons, mais qu'aucune expertise parcellaire complète n'avait été réalisée.

M. Olivier Schmitt a précisé que, sur l'île d'Oléron, les sinistrés n'avaient reçu aucun courrier depuis le passage de la tempête Xynthia, et qu'ils n'avaient vu aucun expert. Il a souligné que, malgré l'envoi de plusieurs courriers à M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, aucune information précise n'avait été communiquée aux sinistrés sur l'avenir de leur maison à moyen terme. Enfin, il a estimé que les « zones noires » étaient dénuées de fondement légal.

M. Bruno Retailleau, président, a souligné que cette situation contrastait avec celle de la Vendée, où des lettres ont été envoyées aux sinistrés dont la propriété était classée en « zone noire » dès le début du mois d'avril.

M. Pierre Beurel a observé que, de même, aucun des sinistrés de la commune de Loix-en-Ré n'avait reçu de courrier nominatif officiel, les propriétaires de maisons classées en « zone noire » ayant seulement été prévenus par téléphone, par le maire de la commune, le 7 avril 2010. En outre, il a affirmé que, selon les déclarations des délégués à la solidarité nommés en Vendée, aucune étude n'avait été réalisée pour justifier le classement de certaines habitations de Loix en « zone noire » et que cette décision avait été prise sur le fondement des informations communiquées à la préfecture par le maire de la commune. Ayant exposé que sa maison avait été classée en « zone noire » bien que la hauteur d'eau constatée sur le terrain ait été de 73 centimètres, qu'elle soit dotée d'une zone-refuge et qu'elle soit située à plus de 500 mètres de la digue -cette dernière ayant d'ailleurs été réparée et rehaussée depuis le passage de la tempête Xynthia-, il a estimé que la cartographie était injuste, puisque, sur neuf communes inondées sur l'Île-de-Ré, seules deux avaient été partiellement classées en « zone noire », alors même que ce n'est pas dans ces secteurs que les dégâts les plus importants ont eu lieu.

M. Jean-Luc Guilmard a marqué son accord avec ces propos et a déclaré que, dans certains secteurs qui n'avaient même pas été classé en « zone jaune », des hauteurs d'eau de 1 mètre 80 à 2 mètres avaient été constatées pendant Xynthia.

M. Bruno Retailleau, président, a interrogé les représentants des associations de victimes sur l'action des délégués à la solidarité.

M. Thierry Demaegdt a considéré que les délégués à la solidarité, malgré la qualité de leur intervention, n'étaient pas compétents pour répondre à la demande principale des propriétaires de maisons classées en « zone noire », à sa voir la réalisation d'expertises maison par maison et en présence des sinistrés, et que leur présence ne remplaçait pas celle de véritables experts et ne permettait pas aux sinistrés d'obtenir des réponses à leurs interrogations sur le zonage.

M. Olivier Schmitt a indiqué que les délégués à la solidarité avaient contacté les résidents secondaires pour les pousser à faire expertiser leur maison par le service des Domaines, ce qui exerçait une véritable « pression à la vente » sur les sinistrés.

Mmes Evelyne Deregnaucourt et Mireille Guillet et M. Michel Le Bozec ont souligné que les délégués à la solidarité de Vendée n'avaient pas contacté les sinistrés et ne s'étaient pas rendus sur le terrain.

Répondant à une remarque de M. Michel Ceressia, qui rappelait que les habitants de Port-des-Barques demandaient un élargissement du périmètre des « zones noires », M. Bruno Retailleau, président, a souligné que la mission était actuellement mobilisée pour que la procédure d'acquisition amiable soit étendue à de nouveaux secteurs et que, plus particulièrement, la mission avait émis le souhait qu'une acquisition amiable soit proposée à une quarantaine de propriétaires de Gironde, dont l'habitation est située dans une zone soumise à un risque d'inondation grave et mettant en danger la vie humaine. En outre, ayant fait valoir que les engagements récemment pris par le gouvernement allaient dans un sens favorable aux sinistrés, il a estimé que des expertises complémentaires devaient être réalisées avant la constitution du dossier d'enquête publique préalable au lancement de la procédure d'expropriation et que la délimitation des zones soumises à l'enquête publique devrait être expliquée et justifiée, afin de la rendre aussi incontestable que possible. Enfin, il s'est étonné que les délégués à la solidarité de Vendée ne soient pas présents sur le terrain et qu'aucune mission n'ait été diligentée pour réaliser des expertises complémentaires : il a souligné que cette situation était contraire aux engagements pris par le gouvernement devant la mission et que la lumière devrait être faite sur les raisons de ces dysfonctionnements.

En réponse à M. Michel Ceressia, qui émettait des craintes sur l'attitude des compagnies d'assurance face aux propriétaires de maisons dans lesquelles des hauteurs d'eau conséquentes avaient été constatées, M. Bruno Retailleau, président, a rappelé que les assureurs étaient soumis à une obligation d'assurer, mais qu'ils pouvaient augmenter leurs tarifs pour tenir compte du risque.

Répondant à une question de M. Bruno Retailleau, président, sur le processus d'indemnisation :

- M. Pierre Beurel a souligné que les évaluations réalisées à Loix-en-Ré avaient été effectuées à l'initiative de la mairie, et non des sinistrés, et que le courrier envoyé par France Domaine aux sinistrés laissait entendre que, pour l'État, tout sinistré faisant une demande d'estimation de sa maison manifestait, ce faisant, le souhait de quitter son habitation ;

- M. Raymond Roucheyrolle a exposé que les sinistrés ne pouvaient pas prendre une décision éclairée, dans la mesure où ils ne connaissaient pas les termes du plan de prévention des risques d'inondation qui devait prochainement être approuvé, et que cette situation était extrêmement problématique dans un contexte où l'offre de France Domaine était valable pendant seulement trois mois. Il a donc estimé que le délai de réflexion accordé aux sinistrés devait être allongé ;

- ayant observé que certains sinistrés sollicitaient une évaluation du prix de leur maison par peur de subir des pertes financières importantes en cas d'expropriation, M. Thierry Demaegdt a rappelé que la question de l'indemnisation ne pouvait pas être séparée de celle du relogement. En outre, il a exposé que l'établissement public foncier régional créé pour répondre aux conséquences de la tempête Xynthia était une structure lourde, et donc inadaptée à la gestion d'une situation d'urgence comparable à celle que subissent les sinistrés ;

- M. Michel Le Bozec a déclaré que les évaluations de France Domaine avaient pu être utilisées comme un moyen de faire pression sur les responsables des associations de victimes, auxquels il était proposé de racheter leur maison à des prix correspondant au double du prix du marché ;

- Mme Evelyne Deregnaucourt a rappelé que le montant de l'indemnisation des résidents secondaires serait diminué si ceux-ci ne rachetaient pas un bien similaire dans un délai d'un an ; elle a estimé que cette condition était injuste vu la pénurie de terrains dans les zones touchées par Xynthia -cette pénurie ayant, en outre, été aggravée par la mise en place de « zones noires » ;

- Mme Mireille Guillet a déclaré que les agents de France Domaine avaient visité son habitation le 5 mai, mais qu'elle n'avait à ce jour reçu aucune évaluation.

M. Daniel Rouvreau, Président de la Chambre d'agriculture des Deux-Sèvres, membre du bureau de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), M. Thierry Fellmann, responsable du pôle politique agricole de l'APCA

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M. Bruno Retailleau, président. - La mission va maintenant procéder à l'audition de M. Daniel Rouvreau, président de la chambre d'agriculture des Deux-Sèvres, membre du bureau de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), et de M. Thierry Fellmann, responsable du pôle politique agricole de l'APCA.

Après avoir largement auditionné les chambres d'agriculture et les syndicats, je me suis rendu sur le terrain, le weekend de la Pentecôte, pour obtenir du ministre de l'agriculture, à l'occasion du projet de loi de modernisation agricole, l'accélération de l'indemnisation de la filière agricole qui n'avait pas encore touché un euro. Depuis lors, le ministre a annoncé le versement d'acomptes. Je m'en tiendrai donc à une seule question : où en est aujourd'hui l'indemnisation concernant, d'une part, le « 10 % vétusté » pour les assurances et, de l'autre, le Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA)? Je pense, en particulier, à la question de l'apport de gypse aux terres noyées pour lutter contre les effets du sel, autrement dit le gypsage, car, en la matière, des initiatives différentes ont été prises en Vendée et en Charente-Maritime.

M. Daniel Rouvreau, président de la chambre d'agriculture des Deux-Sèvres, membre du bureau de l'APCA. - M. Vasseur, président de l'APCA, retenu aujourd'hui, m'a demandé de le remplacer. Face aux conséquences dramatiques de la tempête sur les familles d'exploitants agricoles, la filière, très solidaire comme toujours, s'est immédiatement mobilisée. Les chambres d'agriculture de la Vendée et de la Charente-Maritime ont procédé à une estimation très précise des surfaces touchées, de l'ensemble des dégâts matériels et des pertes de fonds avant de travailler aux différentes procédures pouvant être mises en place. Pour autant, les agriculteurs demeurent très inquiets quand, d'après nos évaluations, le potentiel d'indemnisation serait au maximum de 50 %, du moins pour la Vendée, sans compter que certaines de ces familles ont déjà emprunté de manière importante pour réparer les dégâts causés par la tempête de 1999, notamment pour le gypsage des sols, et devaient rembourser leur dernière traite cette année. Pour l'heure, les agriculteurs n'ont perçu aucune indemnité.

M. Bruno Retailleau, président. - Il est prévu qu'ils reçoivent entre mardi et demain un acompte au titre du FNGCA en attendant l'accord de Bruxelles. L'État, me semble-t-il, a eu raison de ne pas suivre la procédure classique d'indemnisation à l'hectare car celle-ci aurait empêché de prendre en compte la perte de fonds liée la salinisation, soit la perte de la capacité des sols et, donc, des revenus futurs. La machine s'est bloquée à Bruxelles car la Commission européenne a considéré cette formule forfaitaire en fonction des surfaces touchées comme une surcompensation. Après des échanges avec la direction générale de l'agriculture et le service juridique, nous avons bon espoir que ce projet passe devant le collège des commissaires le 15 juin ou, au plus tard, fin juin. D'où l'idée d'acomptes, qui ne soient pas inclus dans les de minimis afin de ne pas bloquer les autres indemnisations, qui seront versées aux 150 exploitations en Vendée et 300 en Charente-Maritime, soit 5000 € pour chacune. L'idée est d'amorcer la pompe pour que les agriculteurs reprennent espoir.

Afin d'encadrer la discussion, je vous propose de distinguer ce qui est assurable -quid du 10 % vétusté ?-, de ce qui relève du FNGCA, avec la question particulière du gypsage, et du Fonds d'allègement des charges (FAC).

M. Thierry Fellmann, responsable du pôle politique agricole de l'APCA. - Le dispositif concernant le gypsage, qui comprend les frais liés au gypse proprement dit et des frais d'intervention forfaitaires déclinés selon qu'il s'agit de cultures ou de prairies, est en bonne voie d'être accepté par Bruxelles, comme vous venez de le rappeler. Quant à la question de savoir ce qui relève ou non de l'assurance, elle est complexe en raison de la détérioration de la valeur des sols ....

M. Bruno Retailleau, président. - A droit constant, une récolte rentrée et un animal à l'étable sont assurables, contrairement à une récolte sur pied ou à un animal à l'herbage. Telle est la situation tant que le projet de loi de modernisation de l'agriculture n'a pas été définitivement adopté.

M. Thierry Fellmann, responsable du pôle politique agricole de l'APCA. - Soit, mais la récolte 2010 n'est pas assurable en raison de l'état des sols... La question n'est pas seulement celle de l'assurabilité, mais aussi celle de la dégradation du potentiel des sols qui induira une absence de récolte. Pour autant, les agriculteurs mettront en culture afin d'accélérer la restructuration des sols grâce au système racinaire. Bref, ce type de catastrophe, contrairement à un phénomène de grêle, a des conséquences de long terme. Le dispositif doit donc être maintenu plusieurs années.

M. Bruno Retailleau, président. - C'est tout à fait dans cette optique qu'il a été défendu à Bruxelles. Quid du 10 % vétusté ?

M. Thierry Fellmann, responsable du pôle politique agricole de l'APCA. -Les agriculteurs ont souvent du matériel vétuste pour lequel les assurances ne jouent pas, un vrai problème se pose à partir du moment où il y a eu une perte importante de ce matériel. De nombreuses demandes de dérogations sont déposées... faut-il passer par les assurances ?

M. Bruno Retailleau, président. - Le dispositif du 10 % vétusté figure dans le code des assurances. Pour moi, il serait logique que le ministère de l'agriculture, puisqu'il a décidé de le prendre en charge pour les ostréiculteurs et les conchyliculteurs, en fasse de même pour toute la filière. Il y va de l'équité : les paysans de la mer et de la terre doivent être traités de la même façon. D'après le médiateur Boaretto, cela coûterait environ 2 millions. Pour cette question, médiateur et législateur ne peuvent rien faire, la décision est politique. Tout dépend du ministère.

M. Thierry Fellmann, responsable du pôle politique agricole de l'APCA. - L'accumulation des franchises d'assurance sur les biens professionnels pose également problème...

M. Bruno Retailleau, président. - A ce sujet, le médiateur Boaretto sera utile.

M. Thierry Fellmann, responsable du pôle politique agricole de l'APCA. - Nous aimerions aborder la question des cotisations sociales.

M. Daniel Rouvreau, membre du bureau de l'APCA. - Une cotisation a été payée à la mutualité sociale agricole en juin, une autre le sera à l'automne.

M. Bruno Retailleau, président. - Sur cette question, le ministère a réservé un crédit de 2,5 millions de crédits tandis que les intérêts d'emprunt seront pris en charge dans le cadre du FAC sans parler des aides des collectivités locales.

M. Daniel Rouvreau, membre du bureau de l'APCA. - Concernant les charges sociales des exploitants, il faudrait peut-être, comme on le fait pour les nouveaux installés, prendre pour base d'exercice non pas l'année n -1 mais l'année en cours, puisqu'elle sera marquée par un déficit. Les textes le permettent désormais, au lieu d'une moyenne triennale qui retiendrait les bonnes années.

M. Bruno Retailleau, président. - Je note ce point.

M. Thierry Fellmann, responsable du pôle politique agricole de l'APCA. - Pour le FAC, la question des de minimis reste problématique, même si nous en sommes à 15 000 euros.

M. Bruno Retailleau, président. - A mon sens, seules les grandes exploitations sont concernées. Mais peut-être faut-il se tourner vers les chambres d'agriculture pour obtenir des chiffres précis sur cet aspect.

M. Daniel Rouvreau, membre du bureau de l'APCA. - Autre question, l'exonération de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti pour les surfaces inondées avec une compensation par l'État pour les communes concernées.

M. Bruno Retailleau, président. - Des mesures d'exonération ont été annoncées par M. Woerth, mais elles ne concernent que le foncier bâti. Nous nous renseignerons sur ce point.

M. Daniel Rouvreau, membre du bureau de l'APCA. - En outre, il y a eu des difficultés en matière de contrôle des dossiers PAC, en particulier pour les agriculteurs engagés dans des mesures agro-environnementales. Dans les quinze jours qui ont suivi la tempête, les agriculteurs ont eu du mal à respecter les règles en matière de bouclage des animaux ou d'animaux morts. Peut-être aurait-il mieux valu ne pas en rajouter. J'évoque, pour être plus précis, des contrôles de la direction des services vétérinaires de la Charente-Maritime. Enfin, la question a été réglée depuis.

Par principe de précaution, dans la perspective de réforme de la PAC, il faudrait acter le caractère exceptionnel des années 2010 à 2012. (M. Bruno Retailleau, président, acquiesce).

Je voulais également évoquer la question des digues. Nous craignons les prochaines marées d'équinoxe... Quand commencera-t-on les travaux ?

M. Bruno Retailleau, président. - Vous prêchez un converti. Le Président de la République a pris des engagements à La Roche-sur-Yon. Je suis intervenu auprès de M. Borloo et de Mme Jouanno pour qu'ils soient tenus le plus rapidement possible. En outre, le plan digue fera l'objet d'une communication en Conseil des ministres en juillet. Nous veillerons à ce que ce plan, dont l'objectif prioritaire est de protéger les populations, assure également la protection des terres productives.

M. Daniel Rouvreau, membre du bureau de l'APCA. - La gouvernance des digues laisse à désirer.

M. Bruno Retailleau, président. - En effet : j'ai inspecté des dizaines de kilomètres de digues et j'ai pu constater que des problèmes se posent en termes de propriété et de gouvernance. Il est parfois difficile de décider si une digue doit être rehaussée ou non. Mais la mission ne souhaite pas la création d'une sorte de « RFF des digues ». L'Etat n'en a pas les moyens : les fonctionnaires spécialisés ne représentent que 60 équivalents temps plein et s'occupent à la fois de la mer et des fleuves. D'ailleurs, c'est un échelon trop lointain. Il est légitime et nécessaire que l'Etat définisse une stratégie nationale, impose des règles et contrôle leur application, comme cela se fait tous les cinq ans aux Pays-Bas car la sécurité civile est une mission régalienne. Mais la gestion doit être une gestion publique locale. Nous étudions des mécanismes relatifs au transfert de propriété - ce qui peut être un peu long - ou permettant une substitution dans la réalisation des travaux.

J'ai des photos de Rotterdam où l'on voit des moutons paître tranquillement au bord de l'eau...

M. Daniel Rouvreau, membre du bureau de l'APCA. - Ils contribuent en effet au tassement du sol, donc à l'entretien des digues.

M. Bruno Retailleau, président. - Il faudra expliquer à la Ligue de protection des oiseaux que la ciguë, même si elle favorise l'implantation des gorges-bleues, a un système racinaire très déstructurant pour le sol des digues et qu'il faut lui préférer un bon herbage où les moutons puissent paître, à condition de ne pas y ajouter d'amendements, faute de quoi la végétation se développe trop.

M. Daniel Rouvreau, membre du bureau de l'APCA. - Cette catastrophe doit être l'occasion de remettre les choses à plat.

M. Bruno Retailleau, président. - En effet. L'Etat doit prendre le temps nécessaire pour élaborer un « Plan digues » qui aille au-delà, car le sujet est complexe : il faut aussi songer aux cordons dunaires, aux ouvrages hydrauliques, etc. On a trop tendance à réagir après la bataille : il est temps de mettre au point une organisation solide, dotée de financements pérennes, afin d'anticiper les catastrophes qui pourraient se multiplier dans les années à venir, à cause du réchauffement climatique.

M. Daniel Canepa, Préfet de la région Ile-de-France, Préfet de Paris, président de l'Association du corps préfectoral

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M. Bruno Retailleau, président. - Comme les élus, les préfets sont en première ligne lors des catastrophes naturelles. Tout le monde s'accorde à dire que la gestion de la tempête Xynthia de la part des services préfectoraux fut exemplaire, malgré quelques difficultés dans les rapports entre zones. Mais quand on aborda la question de la cartographie des zones à risques, les choses se gâtèrent. Les préfets ont reçu sans doute des instructions imprécises, et les mêmes hommes ont été ensuite chargés de venir en aide aux sinistrés, puis d'expliquer aux élus et à la population qu'il fallait revoir la cartographie.

Vous qui avez été secrétaire général du ministère de l'intérieur, vous avez sans doute un avis sur la question. L'Etat est prescripteur des plans de prévention des risques naturels (PPRN) et des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI), mais ces derniers sont très peu nombreux, comme le rappelait récemment le Président de la République. Les élus supportent mal les injonctions de l'Etat, j'ai encore pu le constater hier en Gironde. Ils réclament plus de concertation, mais l'Etat s'inquiète de ne voir rien venir. Touchons-nous là une des faiblesses de notre système ?

M. Daniel Canepa, préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, président de l'association du corps préfectoral. - Chaque fois que j'ai eu à affronter une crise en tant que préfet, directeur de la sécurité civile ou secrétaire général du ministère de l'intérieur, par exemple les inondations de Vaison-la-Romaine de 1993, les règles d'urbanisme furent durcies afin de mieux protéger la population. Or les maires, qui sont les premiers responsables mais sont soumis aux pressions de leurs électeurs, rechignent à adopter la culture du risque. Le problème tient au fait que les règles d'urbanisme limitent le droit de propriété. Lors des concertations préalables à l'élaboration des PPRI, de fortes réticences s'expriment et conduisent parfois à la constitution d'associations. Par la suite, des contentieux surgissent. Sur ce sujet très technique, des batailles d'experts obscurcissent les débats. Nous ne profitons pas de la paix pour préparer la guerre !

M. Bruno Retailleau, président. - Vous avez raison. L'urbanisme relève des compétences des collectivités locales, mais l'Etat a son mot à dire : 80 % des demandes de permis de construire sont instruites par les préfectures, qui sont aussi chargées du contrôle de légalité - mais les déférés préfectoraux sont rares. Pensez-vous que cette double mission nuit à l'efficacité des services préfectoraux ?

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral. - Il existait naguère une confusion des genres lorsque les services de l'équipement instruisaient les demandes de permis de construire en même temps qu'ils exerçaient des missions d'ingénierie auprès des collectivités. Désormais l'ingénierie territoriale est concurrentielle. Je ne crois pas que la double tâche des préfectures pose problème.

En revanche la volonté politique fait défaut. Faire accepter les normes de sûreté nécessaires demande du temps, de la constance et une forte mobilisation du personnel. Il faut parfois se résoudre au conflit, y compris avec les élus. Toute la question est de savoir si l'Etat y voit une priorité.

M. Bruno Retailleau, président. - La RGPP a tendance à confier au niveau régional des compétences autrefois dévolues au niveau départemental, ainsi que le personnel compétent. Cela réjouit peut-être le préfet de région que vous êtes, mais cela désole le départementaliste que je suis. Pensez-vous que les préfets de département, chargés d'instruire les dossiers et de vérifier la légalité des constructions, se trouvent ainsi démunis ? Ou bien croyez-vous que l'ordre des priorités est mal établi ? Est-ce le préfet qui le fixe, ou reçoit-il des instructions du ministère ?

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral. - Le préfet dispose d'une large faculté d'appréciation, car les instructions et circulaires ministérielles sont si nombreuses que tout devient prioritaire. Pour ce qui est du contrôle de légalité, il ne reçoit que des instructions générales. Depuis quelque temps, on voit se dessiner une stratégie cohérente : elle consiste à abandonner le contrôle tatillon de naguère, qui fait grimper les statistiques mais ne sert guère l'intérêt général, et à se concentrer sur quelques domaines prioritaires, comme les délégations de service public ou certaines questions pointues d'urbanisme, en se donnant les moyens d'exercer un contrôle rigoureux.

Quant à la RGPP, elle peut avoir des effets très bénéfiques, à condition que la répartition des baisses d'effectifs entre les administrations centrales et territoriales soit équitable.

M. Bruno Retailleau , président. - L'administration territoriale paie-t-elle un plus lourd tribut ?

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral. - Cela ne fait aucun doute. La RGPP épargne l'administration centrale, pour des raisons à la fois politiques et techniques, ainsi que les régions, dont on veut faire un des principaux échelons d'élaboration des politiques publiques. Le niveau départemental, en revanche, est délaissé.

La réforme de l'administration territoriale de l'Etat a des vertus : je l'avais moi-même préconisée en 2003-2004, et j'ai contribué à lancer dans le Lot le projet Ose. Désormais, les objectifs assignés aux services départementaux correspondent mieux aux attentes des citoyens, les projets ont une dimension interministérielle, et l'unité de commandement entre les mains du préfet est assurée.

Mais il y a des effets pervers : les directions départementales interministérielles sont déconnectées des services centraux, puisqu'elles ne relèvent d'aucun ministère spécifique pour leurs crédits et leurs effectifs. En revanche, tous les ministères leur confient des missions : leurs tâches sont donc lourdes. Le problème risque de s'accentuer, étant donné les contraintes budgétaires.

En outre, les services préfectoraux pâtissent d'une concurrence nouvelle : il est à la mode de créer à tout propos des agences, dont les effectifs sont en partie prélevés sur ceux des services de l'Etat. En ne donnant pas aux services départementaux de l'Etat les moyens de remplir leurs missions, on prépare l'effacement des départements.

M. Bruno Retailleau, président. - C'est d'autant plus problématique que cet échelon territorial joue un rôle de proximité essentiel, comme on a pu le constater lors des marées noires ou lors de la tempête Xynthia, et que les préfets de départements sont les plus directement responsables.

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral. - Cette évolution pourrait être freinée si l'on appliquait quelques règles de bon sens. Dans les préfectures, on ne remplace même pas seulement un fonctionnaire sur deux parti à la retraite, on en est à moins d'un ! C'est une régression. Cela tient à ce que l'objectif d'un remplacement sur deux est fixé au niveau national, et que les administrations centrales sont privilégiées. Or il y a beaucoup plus de cadres A en administration centrale et plus de cadres C dans les administrations territoriales.

Certains responsables s'interrogent même sur l'avenir des directions départementales, placées sous l'autorité du préfet de département, qui est lui-même subordonné au préfet de région. L'interrogation porte sur la pérennité du niveau départemental et l'intérêt de leur métier. Nous assistons à une fuite des ingénieurs généraux, des ingénieurs de l'équipement et des eaux et des forêts vers les établissements publics, les agences ou encore le secteur privé. Si la crise ralentit ces départs, ceux-ci sont potentiellement importants. Bref, nous risquons d'être en difficulté pour les cadres C, le niveau de l'exécution, et pour les cadres A, le niveau de direction. Le tableau est noir.

M. Bruno Retailleau, président. - Constatez-vous un moindre appétit des élèves sortant de l'ENA pour la fonction préfectorale ?

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral. - Non, l'intérêt demeure pour ce métier riche. Les interrogations des élèves portent davantage sur les conditions de travail. En tant que président de l'association du corps préfectoral, je note que seuls les préfets de département ont de tels doutes. Je leur adresse le message qu'ils auront toujours du grain à moudre, que le niveau départemental est un échelon de proximité et de régulation indispensable à l'État, l'échelon avancé, qui paye éventuellement... Au reste, il faut veiller à conserver à cet échelon des moyens, un système opérationnel qui permette un appui immédiat de la région au département. La tempête Xynthia a d'ailleurs montré que l'absence de la région dans le dispositif de crise était source de défaillances. Nous avons cherché, moi le premier, à ce que la gestion directe de la crise soit confiée à la zone et au département, l'échelon de mutualisation, de projection de moyens...

M. Bruno Retailleau, président. - N'oublions pas les préfets maritimes.

Pensez-vous qu'il faille rajouter un échelon dans la chaîne de commandement ?

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral. - Non, ce serait une erreur. Pour moi, le commandement doit rester à l'échelon de proximité, c'est-à-dire au préfet de département qui doit avoir un droit de tirage sur le préfet de zone. Pour autant, il faut distinguer trois temps dans la crise. Tout d'abord, celui de la prévention, de la préparation avec la question de l'alerte, difficile et jamais réglée. Météo France n'a pas un type d'alerte adapté à ce type d'événement, m'ont dit tous mes collègues. Ensuite, vient le temps de la gestion de crise avec une unité de commandement et une bonne coordination entre le préfet et le maire. Enfin, le temps de l'après-crise où chacun reprend sa liberté. Par exemple, tel maire soutient aujourd'hui des avis différents de ceux du préfet avec lequel il avait parfaitement collaboré durant la crise. Durant cette période, il faudrait mobiliser l'ensemble des services chargés de l'exécution des politiques publiques, notamment la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement ou encore la direction de la cohésion sociale, et, surtout, le préfet de région avec un système analogue de droit de tirage.

M. Bruno Retailleau, président. - Pour la cartographie et les zones de solidarité, aurait-il été utile de recourir à l'échelon régional ?

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral. - Cela aurait évité le difficile face-à-face entre le préfet de département et les maires sur des sujets complexes tels que l'urbanisme.

M. Bruno Retailleau, président. - Le débat s'apaise, mais la douleur des sinistrés reste vive. Pensez-vous que les préfets ont été placés dans une situation délicate face aux populations du fait de la diversité des communications ministérielles ?

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral. - On oublie trop que la communication est un élément essentiel de la gestion de crise et qu'il ne faut pas qu'elle ajoute de la crise à la crise. Elle doit obéir à la même règle d'unité de commandement qui fait la force de la réponse française.

M. Bruno Retailleau, président. - Tout à fait, les Néerlandais ont dit nous l'envier...

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral. - ...de même que les Japonais, qui nous ont consultés après les attaques au sarin. Durant cette crise, la communication a été, si j'ose dire, plurielle. Nous avons assisté à une concurrence dans la communication. Et l'escalade est rarement bénéfique...

M. Bruno Retailleau, président. - Merci de votre franchise.

M. Bruno Retailleau, président. - Puisque les moyens de l'Etat régressent, il doit se donner des priorités. La sécurité publique est une de ses missions régaliennes. Ne faudrait-il pas instaurer un contrôle de légalité systématique dans les zones couvertes par un PPRN ou un PPRI? La méthode du sondage n'est pas satisfaisante.

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral. - J'y serais personnellement assez favorable. Mais on est allé trop loin dans l'application du principe de précaution, érigé au rang constitutionnel. Pour qu'un PPRI soit à la fois rigoureux et respecté, il faut qu'il couvre une zone où les risques sont évidents. Si le tracé est trop large, tout le monde veut en sortir et le contrôle de légalité ne peut être effectué dans des conditions satisfaisantes. En outre, afin de limiter le nombre de contentieux, je propose d'inverser la charge de la preuve : si le préfet a constaté qu'un projet est en contradiction avec le PPRI, cela doit suffire à annuler le permis de construire, et ce doit être au demandeur d'apporter la preuve du contraire.

M. Bruno Retailleau, président. - Le système actuel explique-t-il la rareté des déférés préfectoraux - 0,024 % des cas ?

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral. - Les préfets usent du contrôle de légalité comme on se sert de l'arme nucléaire : un moyen de dissuasion, que l'on rechigne à employer réellement. En revanche ils envoient aux élus des lettres d'observations, qui les conduisent généralement à modifier leurs délibérations. Chaque fois que je menace de déférer un cas, mes relations avec le maire de Paris se tendent, comprenne qui pourra...

M. Bruno Retailleau, président. - En matière d'urbanisme, la France dispose d'une réglementation foisonnante. Mais les textes relatifs au niveau d'alerte sont mal compris par les maires, et notre droit est morcelé entre le droit de l'urbanisme et le droit environnemental, entre les PPRN, les PPRI, les Programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI), etc. D'ailleurs la culture du risque nous fait défaut. Pourquoi ?

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral. - Pour vous répondre sur un terrain philosophique plutôt que strictement administratif, je dirais que les individus ont trop tendance à croire que l'Etat finira toujours par intervenir, quoi qu'il arrive, et à ne pas tenir compte personnellement des risques. Il est vrai que l'Etat, étant ce qu'il est, ne peut demander aux gens d'assumer seuls les risques qu'ils prennent et il intervient à chaque fois. D'ailleurs, comme j'ai pu le constater dans le nord de la France entre 1993 et 2005, à chaque crise l'on crée une commission et l'on renforce les règles existantes, ce qui abaisse encore le niveau de vigilance.

M. Bruno Retailleau, président. - Tout se passe comme si le principe de précaution était un parapluie universel, qui réduit l'attention aux risques.

M. Daniel Canepa, président de l'association du corps préfectoral - C'est paradoxal, mais c'est vrai. Je n'ai jamais été un chaud partisan de l'inscription du principe de précaution dans la Constitution...

J'insisterai pour finir sur la nécessité de davantage de prudence dans la communication. Les déclarations discordantes récentes, tendant à réfuter l'idée que certaines zones à risque doivent être protégées, sont particulièrement néfastes et devraient être dénoncées.

Mercredi 16 juin 2010 Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto, déléguée à la solidarité pour la Charente-Maritime M. Philippe Bellec et M. Eric Verlhac, délégués à la solidarité pour la Vendée

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président

M. Bruno Retailleau, président. - Nous auditionnons aujourd'hui Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto, déléguée à la solidarité pour la Charente-Maritime, et MM. Philippe Bellec et Eric Verlhac, délégués à la solidarité pour la Vendée. C'est, pour nous, l'occasion d'en savoir davantage sur cette fonction et sur leur rôle dans l'apaisement des inquiétudes liées à la cartographie avant le débat de ce soir en séance publique.

Pour commencer, peut-être pourriez-vous vous présenter et nous indiquer votre parcours antérieur afin que nous puissions comprendre les raisons qui ont poussé vos supérieurs hiérarchiques à vous envoyer sur le front ?

M. Eric Verlhac, délégué à la solidarité pour la Vendée. - Je suis inspecteur général à l'administration du Développement durable, membre de la section de l'aménagement durable des territoires. J'ai été en charge de grands dossiers : le Mont Saint-Michel, l'évaluation de la loi ZRR - soit celle sur les zones de revitalisation rurale - préalablement au travail de M. Mercier sur les secteurs ruraux, ou encore le logement des plus défavorisés. Mes secteurs d'activité sont donc l'aménagement du territoire et le développement durable. J'ai fait carrière au sein de plusieurs ministères : l'Outre-mer, la Justice, l'Equipement, les Collectivités locales et le Logement social.

M. Philippe Bellec, délégué à la solidarité pour la Vendée. - Inspecteur à l'administration du développement durable, j'ai principalement travaillé dans les domaines de l'aménagement du territoire, du transport et de développement durable au sein de différentes administrations : le ministère de l'Equipement, la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale, le secrétariat général pour les affaires régionales au sein du ministère de l'Intérieur en tant que chargé de mission et, plus récemment, au sein des conseils régionaux, le Limousin, puis la Bourgogne, en qualité de directeur général adjoint.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto, déléguée à la solidarité pour la Charente-Maritime. - Je suis inspectrice générale à l'administration du Développement durable, membre de la première section du conseil général de l'environnement et du développement durable. Cette section est dédiée aux questions sociales et sociétales. Par questions sociétales, nous entendons essentiellement les considérations liées à la gouvernance et à l'information. J'ai été nommée déléguée à la solidarité en Charente-Maritime à ce titre, mais aussi eu égard à ma bonne connaissance des questions littorales car j'ai passé une grande partie de ma carrière au sein de l'administration maritime du ministère de l'Equipement. J'ai également participé à de grandes négociations sociales : la réforme des dockers en 1992-1993 ou la négociation des RTT en qualité de directrice de l'administration au sein de l'Éducation nationale. Enfin, précisons que je représente mes deux autres collègues, délégués à la solidarité pour la Charente-Maritime, retenus aujourd'hui.

M. Bruno Retailleau, président. - Quelle feuille de route vous a-t-on fixée ? Correspondait-elle aux demandes sur le terrain ?

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Le 13 avril, le Premier ministre a annoncé la nomination de délégués à la solidarité chargés, était-il dit, de « recevoir toutes les personnes qui souhaitent des explications » sur les critères qui ont été choisis par l'État pour la délimitation des zones et sur les procédures d'indemnisation et qui souhaitent « faire valoir leurs arguments lorsqu'ils contestent ces critères. » Cette triple mission a été confirmée par M. Borloo, ministre d'État, dans un courrier en date du 15 avril adressé aux maires ainsi que par la lettre de mission du vice-président du conseil général en date du 16 avril. Enfin, concernant la Charente-Maritime, le préfet a reprécisé ces éléments dans une lettre du 21 avril envoyée aux maires.

M. Bruno Retailleau, président. - En a-t-il été de même en Vendée ?

M. Eric Verlhac. - Oui, si ce n'est que le préfet n'a pas envoyé de courrier.

M. Philippe Bellec. - Pour autant, nous avons débuté notre mission par une rencontre avec les deux maires concernés. Le préfet avait donc diffusé l'information. La situation est différente en Vendée : deux communes seulement sont classées en zone noire, dite de solidarité...

M. Bruno Retailleau, président. - Combien de personnes avez-vous rencontré ? Continuez-vous à en recevoir ?

M. Philippe Bellec. - En Vendée, nous avons procédé à 55 entretiens. Les personnes rencontrées ont appris notre existence par les médias, les maires et le bouche-à-oreille.

M. Bruno Retailleau, président. - Autrement dit, les personnes concernées n'ont pas reçu de lettres individuelles...

M. Philippe Bellec. - Exact. La nature des entretiens était très diverse : certains souhaitaient obtenir des informations, une dizaine de personnes a demandé le classement en zone de solidarité, entre 27 et 30 personnes voulaient en être exclues. De nombreuses personnes nous ont également fait part de leur doléances en matière d'assurance, y compris à l'extérieur des zones de solidarité, ou de problèmes spécifiques pour les terrains nus.

M. Bruno Retailleau, président. - Quid de la Charente-Maritime ?

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Le préfet a organisé une conférence de presse au cours de laquelle il nous a présentés. L'information a été bien relayée par les médias et des éléments d'information ont été postés sur le site de la préfecture. Nous avons ensuite convenu des modalités d'entretien avec les maires. Le préfet souhaitant que les délégués soient au plus près des populations concernées, les entretiens ont eu lieu dans les mairies. En outre, chacun des trois délégués avait une spécialisation géographique. De fait, la situation est très différente entre la Vendée et la Charente-Maritime où 17 communes sont incluses dans les zones de solidarité ou les zones jaunes. Si une grande part du littoral est donc touchée, les problématiques sociologiques sont différentes à Charron et à l'Ile de Ré. Les maires nous ont aimablement reçus, malgré leurs récriminations à l'égard de l'État. Ils étaient satisfaits qu'un représentant de l'État en chair et en os puisse fournir des réponses à toutes les questions des sinistrés. Certaines communes, comme Aytré, ont simplement organisé des réunions publiques pour annoncer nos heures de permanence.

M. Bruno Retailleau, président. - Avez-vous également reçu en mairie en Vendée ?

M. Eric Verlhac. - Oui, à la mairie de La Faute-sur-Mer.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - D'autres mairies ont pris en main la situation : elles ont contacté les sinistrés et organisé des rencontres. A Charron, commune très touchée par la tempête, nous avons ainsi organisé des séances collectives rassemblant entre 10 et 25 personnes pour fournir des informations sur les modalités d'acquisition à l'amiable et d'expropriation et préféré des rencontres individuelles avec les personnes qui contestaient le zonage ou connaissaient un grand nombre de problèmes personnels.

M. Bruno Retailleau, président. - Quelle était la durée moyenne de ces entretiens individuels ?

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Entre 45 minutes et une heure. En Charente-Maritime, nous avons joué un rôle d'interface. La préfecture avait déjà mis sur pied des cellules dédiées à l'acquisition à l'amiable, aux problèmes d'assurance, à la médiation du crédit, au relogement et aux questions sociales ainsi qu'à l'accompagnement psychologique. En somme, notre tâche était de sérier les problèmes ; nous étions une espèce de « super numéro vert ».

M. Alain Anziani, rapporteur de la mission. - Nous avons reçu la semaine dernière des propriétaires des zones noires. Ils nous ont dit n'avoir rencontré aucun délégué. Comment expliquer cette situation ?

M. Bruno Retailleau, président. - Êtes-vous encore sur le terrain ?

M. Eric Verlhac. - Notre mission est terminée. Nous avons été sur place durant cinq semaines.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - En Charente-Maritime, notre mission n'est pas encore achevée. Nous avons pris du retard car les zones orange sont en train d'être précisées. Un des mes collègues n'a pas pu encore rencontrer les sinistrés. En tant que responsable du secteur Nord, de Charron à Aytré, j'ai reçu 180 personnes, représentant 150 foyers.

M. Eric Verlhac. - Le préfet de Vendée a mis en place un dispositif d'accueil comparable à celui qu'a décrit ma collègue de Charente-Maritime. Lorsque nous sommes arrivés, un tri avait déjà été fait entre les demandes et des réponses avaient été apportées.

Quant aux associations, il me semble difficile qu'elles n'aient pas eu vent de notre existence alors que notre intervention a été relayée par les médias et, durant un mois et demi, sur le site de la préfecture. En outre, une personne qui a assisté à une assemblée à La Faute-sur-Mer m'a confirmé que notre action était connue. Peut-être les associations n'étaient-elles pas formées alors...

M. Bruno Retailleau, président. - Pourquoi considérer votre mission achevée ?

M. Philippe Bellec. - Le préfet a constaté que les demandes diminuaient. De plus, elles portaient sur des questions étrangères à notre coeur de cible -par exemple, un désaccord avec l'assurance sur l'estimation d'un bien ou des informations sur les matériaux à utiliser dans les maisons sinistrées. En outre, le préfet vient de lancer une mission temporaire d'expertise.

M. Bruno Retailleau, président. - Soit, mais pourquoi ne pas envisager de vous déplacer une journée par semaine pour continuer de répondre aux questions des populations ? La mission d'expertise ne fait pas doublon avec votre mission, qui est axée sur la médiation. Son cahier des charges est différent du vôtre.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - En Charente-Maritime, le préfet a souhaité maintenir la mission. Nous sommes encore sur le terrain un jour par semaine et assurons un suivi téléphonique depuis Paris.

M. Eric Verlhac. - La situation en Vendée est différente. L'objectif initial de notre mission n'était-il pas de répondre aux interrogations sur le zonage ? Moi et mon collègue avons constaté que les sinistrés, qui avaient au départ une position très tranchée, avaient évolué.

M. Bruno Retailleau, président. - Était-ce avant ou après que France Domaine a fait des propositions ?

M. Eric Verlhac. - Non, avant. Les sinistrés venaient alors s'enquérir du déroulement de la procédure.

M. Michel Doublet. - Vous notez des améliorations en fin de mission. Néanmoins, en Charente-Maritime, les élus et la population sont contre le classement en zone noire. Je ne parle pas de Charron où l'on ne dénombre qu'une vingtaine de récalcitrants sur environ 150 propriétaires.

M. Eric Verlhac. - J'évoquais la Vendée, non la Charente-Maritime, et j'ai parlé d'évolution, non d'amélioration.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - La situation à Charron est particulière : une majorité de personnes souhaitait partir. Sur les 180 propriétaires, on comptait seulement 27 récalcitrants et, parmi eux, certains ont déjà accepté les conditions d'indemnisation. Aytré, où l'on déplore aussi des morts et où la mairie tenait un discours d'opposition, enregistre le plus fort pourcentage de propriétaires ayant accepté les propositions de France Domaine. De fait, dans les zones noires, une majorité de personnes ont rapidement demandé à s'inscrire dans la procédure d'acquisition à l'amiable, ce qui ne préjugeait pas de leur décision finale.

M. Michel Doublet. - La contestation est plus forte dans les communes plus éloignées telles que Chatelaillon, Yves, Fouras, Port-des-Barques, l'île d'Oléron... Les propositions de France Domaine sont supérieures de 30 % à la valeur estimée des biens, rien d'étonnant à ce que les propriétaires des maisons inondées les acceptent ! En revanche, les propriétaires de maisons où il n'y a pas eu un centimètre d'eau sont défavorables à l'expulsion et à l'indemnisation.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Le délégué à la solidarité responsable de cette zone n'a pas encore rencontré les personnes concernées car le zonage était en suspens. Pour autant, je note que la situation à Charron, où la contestation était forte, a rapidement évolué dès qu'y sont parvenues des informations sur le zonage montrant la cohérence de la démarche de l'État. Il y a aussi un effet d'entraînement parmi les propriétaires : il était plus facile d'envisager un départ dès lors que les voisins avaient décidé de quitter les lieux.

M. Bruno Retailleau, président. - Il ne faut pas confondre mission d'expertise et mission de médiation. Pourquoi ne pas envisager que les délégués à la solidarité pour la Vendée restent en place ? La procédure sera longue. Le ministre ne vous a-t-il pas donné pour mission de « recevoir toutes les personnes qui souhaitent des explications » ?

M. Philippe Bellec. - Nous les avons reçues.

M. Bruno Retailleau, président. - Est-il normal que les associations de victimes de La Faute-sur-Mer et d'Aiguillon-sur-Mer ne puissent pas rencontrer les délégués quand les autres, de l'autre côté des limites départementales, le peuvent ?

M. Philippe Bellec. - La demande des personnes que nous avons rencontrées était que nous procédions à des constats, à des expertises au cas par cas. N'aurait-on pas semé la confusion en maintenant une mission d'écoute aux côtés de la mission d'expertise ?

M. Bruno Retailleau, président. - Une mission temporaire d'expertise a t elle été également lancée en Charente-Maritime ?

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Sa création a été annoncée, sans être confirmée. La situation est différente en Charente-Maritime car l'on nous a demandé de recueillir en direct les observations des personnes qui contestaient le zonage. Je me suis moi-même déplacé à Charron et à Nieul-sur-Mer avec le responsable de l'association de défense. Avant, le seul canal d'expression de ces personnes étaient les médias et les associations. Le rapport que je rendrai au préfet comportera ces observations qui serviront à la mission d'expertise.

M. Bruno Retailleau, président. - Peut-on en conclure que la mission a été plus utile en Charente-Maritime qu'en Vendée ?

M. Philippe Bellec. - Non, nous avons transmis nos observations à notre hiérarchie au fil des semaines. Le réexamen des zones de solidarité est plus avancé en Vendée qu'en Charente-Maritime...

M. Bruno Retailleau, président. - ...selon un système de vases communicants : la zone en Vendée se réduit à mesure qu'elle s'élargit en Charente-Maritime.

M. Philippe Bellec. - L'évolution annoncée par le Gouvernement sur le tracé des zones va dans le sens de nos propositions. En Vendée, moins de sites étant concernés et la zone inondée étant plus limitée, les entretiens ont utilement mis en lumière la nécessité de prendre en compte les situations particulières pour procéder à un réajustement conforme aux souhaits de nos interlocuteurs.

M. Bruno Retailleau, président. - Est-ce à dire que la définition des premiers périmètres était trop hâtive ?

M. Philippe Bellec. - Non. Si l'État n'avait pas pris une décision rapidement, on le lui aurait également reproché. Dans tous les cas, il y aurait eu contestation.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Plutôt qu'une logique de guichet, pourquoi n'avoir pas adopté une logique proactive en allant au-devant des sinistrés ? A La Faute-sur-Mer et à L'Aiguillon-sur-Mer, des sinistrés ne connaissaient pas votre existence.

M. Philippe Bellec. - L'information est pourtant largement passée : nous avons même reçu des propriétaires de maisons secondaires...

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Ce dispositif repose effectivement sur une démarche volontaire des personnes. Nous avons reçu les personnes prioritaires, soit les propriétaires des zones de solidarité, puis ceux des zones jaunes et ceux hors zones. Nous répondons à toutes les sollicitations.

M. Bruno Retailleau, président. - A votre avis, pourquoi la population a t elle réagi si vivement au zonage ?

M. Eric Verlhac. - Apprendre que sa maison serait détruite a provoqué un choc psychologique, sans oublier la peur éprouvée durant la tempête. En expliquant les garanties et le processus juridique, nous avons progressivement réussi à apaiser ces inquiétudes.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Les sinistrés ont eu l'impression de perdre toute maîtrise sur la situation. La notion d'expropriation leur a fait peur. Pour eux, elle équivalait à celle d'expulsion.

M. Bruno Retailleau, président. - De fait, le résultat est comparable...

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Non, car il s'agit d'un processus long d'acquisition à l'amiable. Nous leur avons montré que l'étape de l'enquête publique, de la déclaration d'utilité publique et de l'expropriation n'était pas le bâton après la carotte. Dans de nombreux cas, expliquer ce processus a apaisé des angoisses très vives.

M. Bruno Retailleau, président. - Sans être géomètre ni hydraulicien, vous êtes responsable du développement durable. Que pensez-vous des critères de zonage ?

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Je n'ai pas d'avis scientifique sur la question.

M. Bruno Retailleau, président. - Donc, ils vous semblent justes...

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Ce qui m'a frappé, concernant les critères de zonages, c'est le déficit d'explication. Les personnes se sont réappropriées les critères en retenant ce qu'il y avait de plus palpable pour eux, par exemple le niveau d'eau à l'intérieur des maisons. Or certaines maisons classées en zone noire, construites sur des remblais, ce qui est fréquent dans les régions marécageuses, n'ont pas été inondées. D'où une grande incompréhension. Chacun voulait voir le niveau de l'eau dans sa parcelle, sans comprendre la cohérence de la démarche en termes d'urbanisme. Il s'agissait de délimiter des zones tout en évitant un phénomène de mitage qui aurait été ingérable. Une fois cette démarche détaillée, les personnes ont mieux compris que leur maison, quand bien même elle n'avait pas été inondée, pouvait être classée dans telle ou telle zone.

M. Bruno Retailleau, président. - Et en Vendée ?

M. Philippe Bellec. - Après l'annonce du classement en zones noires, l'émotion a été si vive que les explications techniques, au début, n'ont pas été entendues. Autre source d'incompréhension, la délimitation des zones n'est pas été seulement fonction de la tempête Xynthia, mais aussi de simulations de phénomènes climatiques semblables. Or, dans de nombreux cas, malgré toutes les informations que détiennent les services de l'État sur la topographie en Vendée, nous sommes incapables de savoir si la maison a été ou non construite sur trois parpaings au-dessus du sol naturel. Recevoir les personnes de manière individuelle a constitué une bonne préparation de la phase actuelle d'examen sur le terrain. Il est désormais possible d'envisager un aménagement des zones de solidarité. Si nous nous attendions à des échanges musclés, les personnes rencontrées ont réagi de manière rationnelle lorsqu'elles ont mesuré que leur maison, si elle n'avait pas été touchée par la tempête Xynthia, se trouvait dans une zone à risques. La réaction n'a pas été épidermique, sauf au démarrage.

M. Bruno Retailleau, président. - Je m'émeus, au nom de la mission, que la gestion de telles crises ne soit pas harmonieuse dans deux départements, de surcroît limitrophes. Voilà un bel exemple de fragmentation ! Pour vous, les délégués à la solidarité ont-ils un rôle à jouer dans la procédure d'expropriation ? C'est le rôle des commissaires enquêteurs...

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Peut-être le commissaire enquêteur voudra-t-il nous entendre... Notre travail trouve plutôt sa conclusion dans la mission d'expertise...

M. Philippe Bellec. - ...et le rapport de la mission interministérielle.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Permettez-moi d'insister sur notre rôle d'interface et la nécessité de répéter les informations basiques pour qu'elles soient assimilées en temps de crise.

M. Bruno Retailleau, président. - La pédagogie est l'art de la répétition... Je vous remercie de votre présence.

M. Takanori Isogai, Premier secrétaire de l'ambassade du Japon, M. Yasushi Masaki, Ministre en charge des affaires politiques auprès de l'ambassade du Japon

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M. Bruno Retailleau, président. - Au nom de la mission d'information, je remercie M. le premier secrétaire de l'ambassade du Japon, ainsi que M. le ministre en charge des affaires politiques auprès de cette ambassade.

Comme vous le savez, la tempête Xynthia a causé la mort de 53 personnes. Notre mission s'est constituée très vite pour tirer les leçons de ce drame, tout en sachant que nous ne pourrons pas échapper totalement aux risques climatiques. Hier encore, nous avons déploré 11 à 15 décès dans le Var.

Le Japon a une vaste culture du risque sismique, mais il a aussi subi des submersions marines. Vous avez donc beaucoup à nous apprendre.

M. Yasushi Masaki, ministre en charge des affaires politiques auprès de l'ambassade du Japon. - Nous sommes très honorés d'être aujourd'hui devant vous.

J'exprime nos condoléances sincères à toutes les familles endeuillées, dont nous partageons la souffrance.

Nous formulons les meilleurs voeux pour vos efforts de reconstruction. J'éprouve une énorme sympathie pour les habitants de la région, car j'ai effectué un stage à la préfecture de la Roche-sur-Yon il y a 24 ans, dans le cadre de mon stage à l'ENA.

Malheureusement, notre pays a subi de nombreuses catastrophes naturelles. Espérons que notre expérience en ce domaine vous sera utile. Si vous le souhaitez, notre coopération pourra se prolonger à l'avenir.

M. Bruno Retailleau, président. - Je suis très heureux d'apprendre que vous avez fait un stage à la Roche-sur-Yon. J'espère que vous avez pu aller sur le terrain.

M. Takanori Isogai, premier secrétaire de l'ambassade du Japon. - Plus particulièrement chargé de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du logement, je vous présenterai le système japonais de gestion des risques naturels. La première partie de cette présentation sera très globale.

Commençons par le bilan des catastrophes naturelles au Japon, un pays touché par des tremblements de terre, des tsunamis, des éruptions volcaniques, des typhons, des pluies diluviennes et même des avalanches de neige.

Les tremblements de terre représentent un risque majeur, puisqu'au cours des dix dernières années, un événement sismique sur cinq s'est déroulé au Japon. D'autre part, des typhons traversent chaque année notre pays, avec un record historique de dix typhons en 2004. De nombreux décès sont imputables aux glissements de terrain dus à la pluie.

Depuis 1945, le nombre de morts tend à décroître, sauf en 1995, année marquée par le terrible séisme de Kobé. Pour l'essentiel, l'amélioration est due au perfectionnement des prévisions et des communications. Après le typhon de 1959, une loi a été votée en 1961 pour organiser la gestion des risques naturels, depuis la prévention jusqu'à l'aide aux sinistrés, en passant par les secours. Nous avons ensuite tiré les leçons amères des 5000 morts et disparus déplorés en 1995. Depuis cette date, la politique de gestion des risques naturels a été renforcée. Avec plus de 300 morts et disparus, l'année 2004 est exceptionnelle en raison du très grand nombre de typhons.

En mémoire du grand séisme du 1er septembre 1923, qui a fait plus de 140 000 morts à Koto, dans la région de Tokyo, le 1er septembre est devenu « jour de gestion des risques ». Des exercices d'évacuation sont organisés dans le Japon à grande échelle.

La région de Sanriku a subi deux tsunamis majeurs en 1896 et 1933.

Pourquoi y a-t-il tant de catastrophes naturelles au Japon ? Les régions montagneuses couvrent 70 % du territoire. La surface inondable, soit 10 % du total, concentre 60 % de la population et 75 % des biens. Les pluies diluviennes provoquent des inondations même dans les centres des villes. On constate l'accroissement tendanciel des grosses précipitations, mais j'ignore s'il y a un lien avec le changement climatique.

Le Japon comporte trois niveaux d'administration : l'État, les départements et les communes. Les ministères comportent des services déconcentrés, mais il n'y a pas d'équivalent du préfet. On dénombre 47 départements et 1 700 communes qui ont à leur tête respectivement un gouverneur et un maire élus. Pour conforter la gestion des risques, un ministre est spécifiquement chargé de cette mission depuis 2001. Un service permanent assure cette mission sous son autorité, en liaison avec les ministères via le « Secrétariat de cabinet ». S'ajoute un organisme interministériel : le Conseil national de gestion des risques, présidé par le Premier ministre et associant tous les ministres, la Banque centrale du Japon, la télévision, les télécommunications et la Croix-Rouge japonaise.

M. Bruno Retailleau, président. - Des élus siègent-ils à ce conseil ?

M. Takanori Isogai. - Non, mais des experts et des chercheurs. La gestion des risques naturels concerne de vastes domaines et beaucoup d'administrations. De nombreuses coordinations horizontales et verticales sont donc nécessaires.

Nous arrivons ainsi au plan de gestion des catastrophes. Lorsqu'elles établissent ou modifient leur plan, les collectivités territoriales doivent en discuter avec l'État pour que soit maintenue la cohérence d'ensemble. Juridiquement, la commune est responsable au premier chef, le département et l'État n'intervenant qu'en fonction des nécessités. Nous retrouvons une sorte de principe de subsidiarité. En pratique, les communes jouent un rôle majeur.

J'en viens à la deuxième partie de mon exposé, qui porte sur la gestion des risques dans la zone littorale.

Le Japon comporte 35 000 kilomètres de côtes et 9 000 kilomètres de digues.

Les conditions naturelles à risque sont aggravées par la concentration de la population et des biens sur la zone littorale. Ainsi, les grandes agglomérations de Tokyo, Osaka et Isé abritent 4 millions de personnes vivant au-dessous du niveau de la mer. Les digues sont donc nécessaires. Hélas, elles sont vétustes : beaucoup ont été construites avant 1965. J'ajoute qu'entre 1978 et 1993, l'érosion marine s'est poursuivie à un rythme deux fois plus élevé qu'auparavant. Plus de 1300 hectares de plage ont ainsi disparu pendant cette période, une surface supérieure à celle du XVIe arrondissement de Paris.

Il faut donc aménager en urgence les côtes, alors que les budgets sont insuffisants : les crédits destinés aux travaux publics ont fondu des deux tiers depuis 1991. Nous sommes contraints de fixer des priorités, mais aussi d'innover pour mettre en oeuvre des protections moins coûteuses.

En principe, les côtes sont gérées par les départements, mais cette tâche peut être ponctuellement déléguée aux communes, aux ports ou à un gestionnaire spécifique. L'État intervient dans deux cas : pour les îles frontalières et lorsque des travaux exceptionnels sont nécessaires.

Je passe au système d'alerte. En cas de lames déferlantes ou de tempête, l'agence de météorologie informe les communes, qui organisent l'évacuation de la population. Bien entendu, l'information est aussi transmise aux départements, à l'État, à la police, à la presse et à la télévision. Les critères d'alerte sont convenus d'avance. Je précise que, dans six zones, l'alerte est directement transmise à l'État, les départements étant les destinataires premiers dans 120 cas. Depuis le mois de mai, nous disposons d'un nouveau système d'alerte permettant de prévoir la hauteur de la mer.

Nous abordons maintenant le lien entre risques naturels et occupations du sol. Les communes peuvent restreindre la construction dans les zones à risque, dont 30 % sont menacées par l'eau.

Pour informer la population, les administrations établissent une cartographie dénommée « hazard map », où figurent les zones à risques et les routes d'évacuation. Cette carte des risques d'inondations n'est pas opposable aux tiers.

En 2008, une lame déferlante a tué deux personnes à Toyama, où 16 habitants ont été blessés. À la suite de cette catastrophe, le ministère de l'aménagement du territoire et des infrastructures a créé un comité d'étude consacré aux lames déferlantes. Leur cause se situe en haute mer, lorsqu'une basse pression atmosphérique est combinée à de forts vents. En 2008, la hauteur exceptionnelle de cette vague a été supérieure à celle des digues ! En outre, celles-ci avait subi une importante érosion. Le rapport a formellement recommandé de reconstruire les digues et tous les ouvrages d'art. Il a aussi réclamé une enquête d'urgence sur l'érosion des côtes.

Les critères d'alerte ont été clarifiés. Une force d'assistance technique face à l'urgence, dénommée « Technical emergency control force », a été créée. En cas de catastrophe majeure, une équipe disposant des équipements adéquats apporte aux collectivités territoriales les conseils techniques portant sur les travaux à réaliser en urgence, mais aussi sur les moyens de rétablir la vie économique.

J'en suis parvenu à la troisième partie de mon intervention, qui porte sur l'indemnisation des victimes. Je mentionnerai tout d'abord le versement d'allocations décès, les exonérations d'impôts et l'attribution de prêts à des conditions préférentielles.

L'assurance privée intervient aussi, mais les risques sismiques et volcaniques ne sont pas assurables, non plus que les tsunamis ou les incendies liés aux séismes. Une assurance publique a été créée en 1968 pour couvrir tous ces risques.

Enfin, la loi relative à l'aide à la reconstruction permet de verser des allocations personnelles pouvant atteindre 3 millions de yens, soit l'équivalent de 27 000 euros pour reconstruire une maison.

M. Bruno Retailleau, président. - Cela peut suffire ?

M. Takanori Isogai. - Oui.

Cette allocation a été créée en 1999, car le séisme de Kobé avait détruit de nombreux logements, alors que seuls 10 % des ménages étaient assurés contre les tremblements de terre. Initialement, il s'agissait de couvrir les dépenses de première nécessité ; la reconstruction de logements n'a été introduite qu'en 2004. Depuis, le dispositif a été simplifié. En outre, ses destinataires potentiels sont devenus plus nombreux, puisque les critères d'âge et de revenus ont disparu. Ainsi, l'allocation est versée dès lors qu'une catastrophe importante a détruit plus de dix maisons individuelles dans une commune ou plus de 100 dans un département.

L'allocation comporte deux parties : la première est attribuée en fonction des dégâts, la seconde dépend des moyens de l'allocataire. Le versement de base, soit 1 million de yens, est attribuée lorsque le logement est totalement ou très largement détruit, ou encore lorsqu'il doit être évacué pour une longue période, par exemple en raison d'émanations de gaz toxique provoqué par une éruption. La partie supplémentaire s'échelonne entre 500 000 yens et 2 millions, selon qu'il faut louer ou reconstruire une maison.

Au nom de la solidarité, tous les départements financent le fonds d'aide à la reconstruction, qui verse ces allocations via les collectivités territoriales. J'ajoute que l'État rembourse au fonds la moitié des sommes remises aux sinistrés. En 2009, 850 millions de yens ont été distribués. En dix ans, l'équivalent de 205 millions d'euros ont été alloués aux victimes des catastrophes naturelles.

M. Bruno Retailleau, président. - Je vous remercie, d'autant plus que nous avions dû reporter votre audition.

Votre présentation qui a correspondu à ce que nous attendions nous sera très utile. Je pense que vous nous aiderez à améliorer notre système, car votre pays connaît toute la palette des risques naturels.

Le niveau de la mer est-il monté au cours du XXe siècle ? Avez-vous des prévisions pour le XXIe ?

M. Takanori Isogai. - Je ne dispose pas de chiffres, mais je vous les communiquerai.

M. Bruno Retailleau, président. - Pensez-vous pouvoir prévoir les conséquences d'une surcote de l'eau en mer ?

M. Takanori Isogai. - L'agence météorologique communique des prévisions de niveau de la mer pour chaque commune.

M. Bruno Retailleau, président. - Vous êtes en avance sur nous.

Pourquoi la vitesse de l'érosion a-t-elle doublé en dix ans ?

M. Takanori Isogai. - C'est le résultat d'un ensemble de causes associant l'affaissement des terrains, l'incidence des séismes et le tassement des sols artificiels.

M. Bruno Retailleau, président. - Avez-vous constaté une accélération des événements climatiques exceptionnels ? Sont-ils favorisés par le changement climatique ?

M. Takanori Isogai. - Nous ignorons les causes du changement climatique, mais il va relever le niveau de la mer.

M. Bruno Retailleau, président. - Quels critères président au choix des digues à restaurer ? Certaines communes sont-elles abandonnées au risque de submersion ?

M. Takanori Isogai. - Je ne connais pas tous les critères, qui sont nombreux et techniques. Je me renseignerai auprès des services concernés.

M. Bruno Retailleau, président. - Les défenses contre la mer sont elles toujours des ouvrages construits par l'homme ?

M. Takanori Isogai. - Il me semble que oui.

M. Bruno Retailleau, président. - Quelle est la part de la population vivant sur le littoral ?

M. Takanori Isogai. - Comme je vous l'ai dit, 10 % du territoire japonais est inondable, soit en raison du littoral, soit en raison des rivières. Environ 620 communes sont situées le long du littoral. Ce sont probablement les plus peuplées, car le Japon est montagneux à 70 %.

M. Bruno Retailleau, président. - Votre expérience vous inspire-t-elle des leçons à tirer de Xynthia ? En 2008, vous avez déploré deux morts. Pourquoi y en a-t-il eu 53 en France cette année ?

M. Takanori Isogai. - Ma réponse n'engage que moi, mais je vois deux raisons. La première tient au meilleur état des digues japonaises, malgré leur vétusté. La deuxième est que notre population est mieux informée. Sa sensibilisation et son éducation sont problématiques, mais les résultats sont plus poussés qu'en France.

M. Bruno Retailleau, président. - Vous êtes sans doute plus disciplinés que nous. Comment entretenir la conscience du risque ?

M. Takanori Isogai. - Outre la hazard map, la conduite en cas de catastrophe naturelle est enseignée à l'école.

M. Bruno Retailleau, président. - Comment la hazard map est-elle diffusée au public ?

M. Takanori Isogai. - Cet outil destiné au grand public est distribué à la population. Il est à sa disposition dans les mairies, mais aussi sur Internet.

M. Bruno Retailleau, président. - Je vous remercie au nom de mes collègues.

Nous sommes sensibles aux condoléances que vous avez exprimées envers les familles endeuillées par Xynthia et les pluies d'hier.

M. Michel Boutant. - Après une catastrophe naturelle, qui participe aux opérations de secours ? Les forces armées, la réserve ? Le Japon possède-t-il une force de sécurité civile ?

M. Takanori Isogai. - Tout dépend de l'ampleur de la catastrophe. Dans les cas les plus graves, l'armée d'autodéfense peut intervenir aux côtés des policiers et des pompiers.

M. Yasushi Masaki. - Pour des raisons historiques, il existe une forte réticence au Japon envers l'appel aux forces armées, mais elles ont dû intervenir lors du séisme de Kobé. Depuis, les maires hésitent de moins en moins à solliciter les militaires.

M. François Ewald, Professeur titulaire de la chaire d'assurances au Conservatoire national des arts et métiers, directeur de l'École nationale des assurances

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M. Bruno Retailleau, président. - Nos sociétés ont occulté le risque. Or, avec le réchauffement climatique, nous devons nous préparer à des évènements de plus en plus fréquents. À vos yeux, monsieur le professeur, quels sont les mécanismes en oeuvre dans la population qui expliquent que l'on ait perdu cette « culture du risque » ? Pouvez-vous nous aider à mieux comprendre cette psychologie collective ?

M. François Ewald. - Je suis tenté de vous répondre : « qu'entendez-vous par culture du risque » ?

M. Bruno Retailleau, président. - Les comportements, les organisations qui permettent à une société de répondre aux risques. Vous avez publié une tribune fort intéressante sur Xynthia dans Les Échos. Quelle analyse faites-vous du risque dans nos sociétés ? Vous avez libre cours !

M. François Ewald. - C'est une question terriblement générale...

La question du risque, c'est la question de la confiance. Les hommes naissent dans un environnement incertain : la question de savoir à quoi ou à qui se fier est fondamentale. « Confiance » est synonyme d' « assurance » : les hommes veulent vivre confiants, assurés, rassurés. Avec l'assurance, l'incertitude ne disparaît pas mais est affrontée autrement. La recherche de ce bien est fondamentale dans la culture européenne, et ce depuis les Grecs. Elle est au coeur du projet de la philosophie : dès le début du Discours de la Méthode, Descartes annonce vouloir « marcher avec assurance en cette vie ».

Disposer ou non de cette qualité de vie qu'est la confiance change la nature de la vie. Ainsi, l'avare vivra un enfer si sa fortune s'accompagne de l'angoisse de la perdre, tout comme l'amoureux jaloux. La confiance est ce qui fait la valeur des autres biens.

La confiance se trouve à travers cinq « institutions » majeures. La première est la religion : je m'en remets à la Providence, et je retrouve la quiétude. Vient ensuite le savoir : si j'épuise la causalité des choses par la connaissance, je réduis l'incertitude. Troisièmement, le travail sur soi : les morales antiques proposent des techniques pour ne pas être affecté par le sort ; aujourd'hui, la médecine de la dépression permet à l'individu de s'accommoder d'une certaine vulnérabilité. D'où le succès des magazines de philosophie et autres ouvrages de développement personnel. Quatrième institution : l'État. Dans la théorie hobbesienne du droit naturel, les hommes acceptent de renoncer à leur liberté pour jouir de la sécurité. Enfin, l'instauration de l'assurance apporte une solution financière.

Les fonctions régaliennes de l'État - la police, la justice, l'armée - ne représentent 5 % que du budget global, l'assurance sociale et privée, 90 % ! La religion n'a pas disparu mais me semble désormais marginale ; la science est devenue plus inquiétante que rassurante ; la confiance dans l'État s'amoindrit, d'où la recherche croissante de solutions individualisées, médicales, morales ou psychologiques. Reste les prestations d'assurance, qu'il s'agisse d'une économie collective - l'État providence - ou individuelle.

Le besoin de confiance a toutefois pour corollaire une certaine capacité à s'illusionner. La confiance est une valeur ambiguë : elle facilite les relations sociales, mais c'est aussi une dépendance, une perte de liberté...

M. Bruno Retailleau, président. - Vous vous êtes intéressé à Xynthia. Comment lisez-vous les évènements qui ont suivi, les réactions de l'État ou de la population ?

M. François Ewald. - Dans un univers incertain, l'État cherche à se requalifier comme le garant de la sécurité. Le Président de la République ne cesse de se présenter en grand protecteur, défenseur des victimes... Le sentiment de manque de confiance conduit à une forme de surenchère publique.

L'histoire de Xynthia est triste : les gens avaient une telle confiance dans l'information donnée qu'ils se sont retrouvés piégés par ce qui devait les protéger. Il y a un paradoxe entre la volonté protectrice de l'État et la manipulation schématique des instruments de protection ; un décalage entre les informations disponibles sur l'état des digues, la force des vents ou de la marée, et la non-évacuation des habitants !

S'il fallait se retirer de tous les endroits dangereux, le territoire français serait désertique ! L'histoire de l'homme, c'est sa capacité à rendre disponibles des terres qui ne l'étaient pas. La nature est fondamentalement hostile, les jardiniers le savent bien ! Ce n'est pas parce qu'un territoire est inondable qu'il doit par principe être inhabitable.

M. Bruno Retailleau, président. - Le système d'assurance en France est-il suffisamment robuste pour réassurer l'homme dans sa relation à la nature ?

M. François Ewald. - À mes yeux, le régime des catastrophes naturelles est un dispositif d'aménagement du territoire.

M. Bruno Retailleau, président. - C'est un point de vue original !

M. François Ewald. - Le régime de 1982 traduit l'obligation de solidarité en cas de calamité naturelle prévue par le Préambule de 1946 : il garantit l'aide de la Nation en tout point du territoire, quelle que soit la vulnérabilité de celui-ci. Dès lors, pour que tous les territoires soient à égalité face au risque, il est juste que contribuent même ceux qui n'y sont pas exposés. Le système fonctionne presque trop bien, puisqu'il donne de la valeur à des endroits qui ne devraient pas être valorisés !

M. Alain Anziani, rapporteur. - C'est oublier que le code de l'urbanisme, notamment, interdit parfois la construction !

M. Bruno Retailleau, président. - Le régime des catastrophes naturelles n'est pas un chèque en blanc !

M. François Ewald. - L'assurance protège une valeur. Le régime des catastrophes naturelles donne une valeur à des zones du territoire qui en seraient sinon dépourvues.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Autant dire qu'indemniser une victime d'un accident de la circulation revient à favoriser la conduite irresponsable : on prend le raisonnement à l'envers !

M. François Ewald. - Je n'ai pas achevé ma démonstration ! Le régime des catastrophes naturelles peut être envisagé de deux manières. D'abord, je l'ai dit, comme un principe d'aménagement du territoire. Une maison qui, du jour au lendemain, n'est plus assurable voit son prix chuter. Cela ne justifie bien évidemment pas que l'on construise des immeubles sur l'île de la Jatte du moment qu'ils sont assurés ! Une autre vision est d'inciter à l'individualisation, de valoriser la prévention au point de dire que la solidarité nationale ne joue que lorsqu'un effort a été fait pour réduire les risques. Mais une vraie différenciation sur le territoire serait compliquée à mettre en oeuvre.

M. Bruno Retailleau, président. - Pensez-vous que le régime des catastrophes naturelles pousse au crime ?

M. François Ewald. - Il joue dans deux directions : d'une part, dans une vision solidariste classique, pour homogénéiser le territoire...

M. Bruno Retailleau, président. - Vision très française !

M. François Ewald. - La philosophie de l'aménagement du territoire repose sur le principe d'égalité : où que je sois sur le territoire, j'ai accès aux mêmes services. La loi de 1982 a d'abord été interprétée sous cet angle. Si l'on fait jouer tous les instruments de prévention, on dispose au contraire de toute une technologie qui renchérit l'assurance et crée de la différenciation : c'est la tendance actuelle. Loin d'être antithétiques, ces deux visions sont compatibles.

M. Bruno Retailleau, président. - Comment lier davantage protection et prévention, pour que le régime assurantiel assure mieux la gestion du risque ex ante ?

M. François Ewald. - Il y a une contradiction : si l'on fait jouer des mécanismes assurantiels purs, certaines zones ne seront plus assurées, au risque de provoquer des mouvements de populations !

M. Bruno Retailleau, président. - Pourquoi les pouvoirs publics sont-ils si malhabiles dans la gestion des risques ?

M. François Ewald. - Nous nous gargarisons du principe de précaution, instrument à la fois sommaire et efficace de la gestion des risques, mais n'avons guère la culture de la préparation, très développée aux États-Unis.

En 1982, la réalité des catastrophes naturelles était mal connue. L'assurance était aussi celle des élus, qui jusqu'alors devaient aller quémander des secours à Paris en cas de calamité ! Avec la loi de 1982, le risque a été transféré aux assureurs. Aujourd'hui, l'information est pléthorique : les entreprises s'adressent à des agences spécialisées dans l'information sur les catastrophes naturelles. Pourquoi l'administration n'a-t-elle pas disposé de ces services ? Il est vrai que ce sont des informations sensibles, confidentielles. De même, la loi Kouchner de 2002 excluait certaines informations médicales du commerce social ou économique. Mais l'administration gère sommairement des situations qui pourraient l'être plus finement - sachant qu'une information différenciée sur chaque parcelle de terrain est plus délicate à gérer, là où le principe de précaution réduit les marges d'erreur ! Choisir la conduite adaptée, c'est sortir du tout ou rien...

M. Bruno Retailleau, président. - Pensez-vous que la loi de 1982 doive être réformée, et si oui, dans quel sens ?

M. François Ewald. - Je dis que les instruments d'information dont nous disposons peuvent compliquer considérablement l'utilisation de la loi de 1982, pas qu'il faut supprimer la solidarité.

M. Bruno Retailleau, président. - À entendre M. Bernard Spitz, président de la Fédération française des assurances, la participation des assurances à la prévention ne se ferait pas par le biais tarifaire mais plutôt via un système de mutualisation.

M. François Ewald. - Après l'inondation meurtrière de Vaison-la-Romaine, en 1992, un débat a opposé Denis Kessler, alors président de la Fédération des assurances à Jacques Vandier, patron de la Macif, qui avait résilié des contrats. Au premier qui estimait que le régime de 1982 excluait la sélection, le second répondit que le rôle d'un assureur est précisément de sélectionner les risques ! Ils étaient à front renversé.

Il y a différentes conduites face au risque. Je peux décider de ne pas l'affronter. Je peux l'affronter sans prendre de mesures particulières : c'est l'auto-assurance. Je peux faire de la prévention, afin de réduire la probabilité que le risque se réalise : il n'y a alors aucune incitation à s'assurer. Enfin, je peux recourir à l'assurance, qui garantit une compensation financière ex post si l'évènement se produit. Ces comportements sont alternatifs. Si l'État s'affiche comme grand organisateur de la prévention, il réduit la matière assurable ; sans prévention, on augmente le risque, car le comportement change selon que l'on est assuré ou non : c'est l'aléa moral.

M. Alain Anziani, rapporteur. - M. Boaretto, médiateur des assurances, a évoqué une volonté de reconnaissance publique dans le régime des catastrophes naturelles.

M. François Ewald. - Les catastrophes naturelles sont des risques politiques. Au XIXe siècle, bon nombre d'interventions au Parlement étaient des demandes de secours !

M. Alain Anziani, rapporteur. - Le politique joue aussi le rôle d'un médiateur !

M. François Ewald. - Traiter une catastrophe nationale comme un évènement purement physique ou géologique, c'est occulter une réalité qui est profondément politique ! M. Borloo l'a perçu à ses dépens quand il a défendu les zones noires. Des valeurs profondes sont en jeu dans ces réactions.

Les commissions administratives servent à objectiver un risque anormal et à traiter une situation. Faut-il rendre cet instrument purement mécanique ? Peut-être, si l'on espère que l'administration remplace le gouvernement des hommes...

M. Alain Anziani, rapporteur. - Dans votre tribune, vous rappelez que nous sommes à l'âge de la démocratie participative, dont le principe a été constitutionnalisé dans la Charte de l'environnement. Cela doit-il être le premier réflexe du politique à chaque catastrophe naturelle ?

M. François Ewald. - Ça commence avant ! De nombreuses lois instaurent cette démocratie participative, par exemple avec les comités locaux d'information pour les risques industriels. L'article 7 de la Charte de l'environnement consacre le droit de la population à être informée et à participer aux décisions. Ces droits s'exercent dans le cadre d'une loi... qui n'a jamais vu le jour ! Avec Xynthia, il y a un sentiment de faute, et donc une sur-réaction qui fait l'impasse sur la médiation ; la population réagit, et on lui cède.

Sans doute ai-je été trop vague sur le thème de la culture du risque...

M. Alain Anziani, rapporteur. - Le sujet mériterait un livre ! Le risque est au coeur des activités humaines. Quand Marco Polo part en voyage, il prend un risque : l'histoire de l'homme, c'est l'histoire du risque !

M. François Ewald. - Au Moyen Âge, la culture du chevalier, dont la valeur dépend de sa capacité à exposer sa vie, est une culture du risque. Mais le marchand aussi a une culture du risque : quand l'armateur lance ses navires autour du monde, il calcule le risque pris et le transfère. Le bourgeois n'aime pas le risque. Les plus grands acteurs économiques ont une valorisation toute relative du risque: toutes les techniques de gouvernance, de produits dérivés, visent en fait à transférer le risque !

L'aversion au risque est saine : elle encourage la prudence. Le courage est une vertu, pas la témérité : le « risquophile » ne trouvera jamais de banquier ! C'est pourquoi je suis très réservé devant les discours convenus faisant l'éloge du risque, si en vogue aux grandes heures de la mondialisation financière.

M. François Gérard, Ingénieur général des eaux, des ponts et des forêts, en charge du plan « digues », M. Philippe Dumas, Inspecteur général des finances, M. Michel Rouzeau, Inspecteur général de l'administration, M. Xavier Martin, Ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts, co auteurs du rapport de la mission interministérielle sur la tempête Xynthia

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M. François Gérard, ingénieur général des eaux, des ponts et des forêts, a souligné que la mission interministérielle, qui relève des ministères en charge de l'écologie, de l'économie, du budget et de l'intérieur, a été constituée le 3 mars 2010 par le Gouvernement. Elle s'est rendue sur le terrain la veille de sa constitution officielle. Elle a remis un pré-rapport sous dix jours. Son rapport final, commandé sous deux mois, a finalement été réalisé en un peu moins de trois mois, vu l'ampleur des travaux d'instruction à mener.

M. François Gérard a rappelé que la mission avait pour objectif d'établir un état des lieux et de présenter des recommandations sur les sujets suivants :

- le recensement des lieux menacés et des digues censées les protéger ;

- l'établissement des circonstances dans lesquelles s'est produite la submersion marine provoquée par la tempête ;

- l'analyse du fonctionnement du dispositif d'alerte et de la mise en oeuvre des secours ;

- l'élaboration des plans de prévention des risques ;

- les principes d'un plan d'action intégrant l'ensemble des axes de la prévention des risques et de la gestion du trait de côte, y compris dans ses conséquences financières ;

- les responsabilités de gestion sur les ouvrages de protection contre les inondations et le financement des travaux sur ces ouvrages ;

- le dispositif d'assurance contre les catastrophes naturelles, dit régime « catnat ».

M. François Gérard a précisé que le système de vigilance et d'alerte a bien fonctionné pour les vents forts et les crues, mais n'a pas correctement anticipé l'inondation par submersion. Les messages d'alerte n'ont pas attiré suffisamment l'attention des préfets et des maires.

M. Alain Anziani, rapporteur, a constaté une incompréhension à ce niveau entre ces deux catégories d'acteurs.

M. François Gérard s'est félicité de la bonne anticipation des évènements, bien que le contenu des messages d'alerte n'ait été décryptable que par des spécialistes et n'ait pas fait de recommandations quant aux décisions à prendre. La direction de la sécurité civile (DSC) et la direction générale de la prévention des risques (DGPR) travaillent, avec des organismes spécialisés, à élaborer un système de vigilance donnant une anticipation de la hauteur d'eau sur les côtes. La mission a recommandé qu'un service compétent au sein de chaque direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) informe directement les maires en cas de procédure d'alerte et les aide à gérer la crise.

Il a ajouté que la réactivité des secours a été globalement excellente, les quelques dysfonctionnements relevés pouvant être corrigés par la suite, la DSC ayant déjà fait des préconisations sur ce point. Le fait que la tempête ait concentré ses effets sur un territoire littoral situé entre deux commandements opérationnels de zone a quelque peu retardé les interventions. Le passage en vigilance rouge a toutefois permis de pré-positionner utilement les secours.

M. François Gérard a ensuite noté que le manque de culture du risque s'est avéré particulièrement prégnant. Si le risque de vent fort et de tempête est désormais bien acclimaté parmi la population, ce n'est pas le cas de celui de submersion. L'évacuation des populations exposées n'a aucunement été anticipée. Il conviendrait de rendre obligatoire l'adoption d'un plan communal de sauvegarde (PCS) dès la prescription - et non pas seulement l'adoption - d'un plan de prévention des risques naturels (PPRN).

Le corpus normatif régissant ce dernier type de plan est relativement complet. Une enquête de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a même conclu que le dispositif français en la matière était parmi les plus aboutis. Les critiques émises par la mission portent sur la sous-estimation de l'aléa de référence, l'absence de valeur ajoutée des « porters à connaissance », l'ancienneté des documents d'urbanisme et l'absence de contraintes particulières dans les autorisations d'occupation des sols.

M. Xavier Martin, ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts, en charge du plan « digues, a relevé que la tempête Xynthia a été d'une intensité inimaginable, d'où la faible pertinence des aléas de référence. La directive ministérielle assimile ce dernier à l'aléa historique le plus fort connu ou à l'évènement centennal statistique si celui-ci est supérieur. Or, aucune étude historique sérieuse n'a été menée, à de rares exceptions près, et ce alors que des vimers, caractérisés par la conjonction entre une marée astrologique et une marée météorologique, sont répertoriés depuis le XVIème siècle. Ces précédents, dont la réalité est bien tangible, n'ont pas été retenus comme aléas de référence pour bâtir les PPR ; leur ont été préférées des extrapolations et modélisations mathématiques fort théoriques et sujettes à controverse.

M. François Gérard, ingénieur général des eaux, des ponts et des forêts, a noté que la mission interministérielle a préconisé de reprendre l'atlas des inondations sur l'ensemble du littoral atlantique, voire national, ce sur quoi travaille le ministère en charge de l'écologie ; d'adopter des PPR dans les zones en étant dépourvues et de renforcer ceux existants ; de s'inspirer des risques cycloniques et sismiques en matière de zonage ; et de prévoir des mesures générales de prévention pour l'inondation, ce que permet une disposition introduite par voie d'amendement dans le projet de loi portant engagement national pour l'environnement.

M. Alain Anziani, rapporteur, s'est demandé s'il fallait imposer une date butoir pour l'adoption des PPR.

M. Xavier Martin a constaté que le problème est davantage la négociation entre les différents acteurs sur le degré de l'aléa de référence, les communes ayant tendance à le minorer, au contraire de l'Etat. Il lui paraissait donc essentiel, dans ce cas, de se référer à des études historiques objectives. Il a déclaré qu'il fallait par ailleurs que la population se réhabitue à vivre avec le risque, et n'hésite pas à se retirer des territoires où celui-ci est majeur.

Mme Marie-France Beaufils a considéré qu'il serait opportun de travailler à une simulation des risques au vu des données actuelles.

M. Xavier Martin, ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts, en charge du plan « digues, a relevé que la modélisation numérique n'est efficace que si elle est réalisée avec un haut degré de précision. Or, il a estimé que les instruments en ce domaine sont encore relativement grossiers. Sur le modèle de ce qui a été fait pour l'estuaire de la Gironde, et s'est révélé fort efficace durant la tempête Xynthia, quatre à cinq années d'effort en coopérant avec de nombreux acteurs sont nécessaires pour obtenir des résultats significatifs.

M. François Gérard, ingénieur général des eaux, des ponts et des forêts, a observé que les constats réalisés par la mission interministérielle suite à ladite tempête rejoignent ceux faits par les services d'inspection de façon régulière.

M. Xavier Martin a ajouté que la stratégie de protection doit être d'un niveau identique sur l'ensemble du territoire français, ou tout au moins dans des régions homogènes.

M. Alain Anziani, rapporteur, a noté que la tempête Xynthia était un évènement certes localisé, mais dont les enseignements doivent être généralisés.

M. François Gérard a reconnu que les ouvrages de protection contre la mer sont mal connus car leur recensement est ancien. Si le décret de 2007 sur les digues et barrages impose de les répertorier, leurs propriétaires sont peu ou mal identifiés. L'article 33 de la loi de 1807 sur les digues, toujours en vigueur, permet cependant à l'Etat et aux collectivités locales de se substituer à eux en cas de défaillance de leur part.

En réponse à M. Alain Anziani, rapporteur, qui lui a demandé s'il avait inspecté l'état des digues, M. François Gérard a remarqué qu'il avait dressé un constat général, sans le préciser pour chaque territoire. Il a ajouté que la mission a proposé trois scénarios d'évolution pour la gestion des digues et du cordon dunaire :

- le statu quo aménagé, scénario où l'Etat inciterait les intervenants à se regrouper dans le cadre de territoires à risque et, le cas échéant, à consentir des délégations de maîtrise d'ouvrage à des acteurs de niveau supérieur ;

- le transfert de la gestion des digues à des communes, à leurs groupements ou aux départements ;

- la constitution au niveau national d'un établissement public administratif national chef de file pour, au minimum, exercer en matière de politique d'entretien des digues des fonctions d'animation, de coordination et d'élaboration de schémas stratégiques de programmation financière.

M. Éric Doligé a souligné les similitudes entre les inondations provoquées par la tempête Katrina à la Nouvelle-Orléans, le 30 août 2005, et la submersion qui a résulté du passage de Xynthia. Le constat, les défaillances et les conséquences à en tirer sont d'ores et déjà connues : les digues ainsi que les autres ouvrages de protection ne sont pas correctement recensés, leurs niveaux de sécurité sont très variables et, enfin, les responsabilités des différents propriétaires restent incertaines. Il convient d'aller au-delà de la réalisation d'un énième rapport et de prendre le plus rapidement possible les mesures adéquates, en veillant avec vigilance à leur mise en oeuvre effective.

M. Michel Rouzeau, inspecteur général de l'administration, a précisé que les trois scénarios n'ont pas été hiérarchisés entre eux, à la fois parce que la commande passée à la mission d'inspection ne l'exigeait pas et parce que chacun d'entre eux présentait des faiblesses. En effet, le statu quo serait particulièrement malvenu suite au passage de Xynthia. Le fait de confier la responsabilité de la gestion des digues aux collectivités territoriales apparaît, quant à lui, problématique dans un contexte de polémique sur les transferts de compétences et leurs modalités de compensation par l'Etat. Enfin, la gestion par un établissement public national laisse en suspens la question du partage des coûts entre l'Etat et les collectivités.

M. François Gérard a déclaré que la réflexion sur les ouvrages de protection doit s'insérer dans une approche globale du risque de submersion marine et de gestion du trait de côte. Des outils existants pourraient être étendus à ce risque spécifique. Ainsi, les programmes d'action de prévention des inondations (PAPI), lancés par l'Etat sur une base contractuelle avec les collectivités, devraient être étendus à la submersion marine. Le versement d'aides serait alors conditionné par leur existence. Par ailleurs, les normes de construction pourraient être plus contraignantes. En outre, la gestion du risque de submersion marine doit être cohérente avec la gestion du trait de côte.

M. Xavier Martin, ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts, a estimé que l'analyse de l'état des digues et de leur contribution à leur protection constitue la question centrale. Leur capacité à faire face aux crues centennales n'est qu'un objectif de niveau intermédiaire. Le niveau de protection pourrait être beaucoup plus élevé mais il s'agit d'un arbitrage coût/efficacité pour les pouvoirs publics.

M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité savoir si les techniques de construction sont parfaitement maîtrisées et si les matériaux utilisés sont parmi les plus résistants. Les Pays-Bas, pour leur part, ont développé une maîtrise technique particulière s'agissant d'ouvrages faisant alterner le sable et l'argile, comme l'a mis en évidence la mission lors de son déplacement.

M. Xavier Martin a indiqué que les techniques sont aujourd'hui aussi bien maîtrisées en France qu'ailleurs, mais que leurs coûts sont très variables. La réalisation d'ouvrages de moindre qualité tels que des tas de terre ou la simple formation de talus, ne peut constituer une solution de remplacement au regard de la construction de digues modernes, conformes aux techniques de génie civil actuelles, mais plus onéreuses.

M. Alain Anziani a souhaité connaître les propositions de la mission interministérielle en matière d'assurances, en particulier sur le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles (« catnat ») et sur le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) dit fonds Barnier.

M. Philippe Dumas, inspecteur général des finances, a rappelé que suite à l'épisode de la sécheresse de 2003, le régime catnat a été étudié en 2005 par une précédente mission interministérielle, qui avait formulé de nombreuses recommandations, dont aucune n'a, à ce jour, été effectivement retenue, ni mise en oeuvre. Il en est de même pour les conclusions, rendues publiques en 2009, par le groupe de travail de la commission des finances du Sénat.

S'agissant des forces du régime catnat, il convient de relever qu'il est fondé sur une synthèse - propre à la France - entre une logique de solidarité nationale et des mécanismes assuranciels privés. Il constitue donc un équilibre satisfaisant, globalement perçu de façon positive.

Fondé sur une cotisation additionnelle aux contrats multirisques, ce régime a de plus été jusqu'à présent rentable pour les assureurs et réassureurs. Sa situation après s'être détérioré de 1992 à 2003, s'est redressée depuis lors, revenant à un niveau comparable et même supérieur à la moyenne des années 1996-2002.

En outre, la solidité financière de la Caisse centrale de réassurance (CCR), détenue à 100 % par l'Etat et qui, en raison de la garantie illimitée que lui accorde ce dernier, jouit d'une position de premier ordre sur le marché français de la réassurance des catastrophes naturelles, s'est sensiblement renforcée depuis 2004. L'amélioration de ses capacités correspond à une anticipation de l'occurrence de catastrophes de grande ampleur, c'est-à-dire d'un coût supérieur à dix milliards d'euros.

Pour ce qui concerne les faiblesses du régime, M. Philippe Dumas a mentionné trois éléments principaux :

- un cadre juridique peu précis en raison de l'utilisation par la loi des deux notions « d'intensité anormale » d'un agent naturel et de « cause déterminante » des dégâts matériels que doit avoir constitué cette intensité ;

- un recours insuffisant à l'expertise scientifique qui contraste avec un appel trop fréquent à des généralistes ;

- des mécanismes insuffisants d'incitation à la prévention. Ce point est le plus délicat et doit donc être souligné.

M. Philippe Dumas a indiqué que, par ailleurs, un renforcement significatif de la mise en oeuvre sur le terrain de la politique de prévention des risques d'inondation est apparu indispensable à la mission interministérielle. Celle-ci recommande à cet égard, contre l'avis des sociétés d'assurance, une modulation des primes catnat en fonction de l'exposition aux risques naturels et du respect des dispositions légales et réglementaires. Le caractère modeste des surprimes, aujourd'hui de l'ordre de 20 euros par contrat, ne serait pas remis en cause, y compris par une modulation de 35 % qui ne porterait leur montant qu'à 27 euros. Une indication explicite du coût de la surprime catnat alliée à un travail pédagogique auprès des assurés contribuerait à responsabiliser les individus. Les franchises pourraient elles aussi faire avantageusement l'objet de modulations. En outre, la légitimité de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait renforcée par la participation de personnalités scientifiques au processus de décision ainsi que par une publicité des motifs de l'acte pris à cette fin.

M. Philippe Dumas a souligné qu'il convient parallèlement de veiller à la mise à disposition de moyens financiers conséquents. La mission interministérielle juge que le fonds Barnier constitue l'instrument le plus approprié en matière de financement par l'Etat. Elle souligne qu'il devra faire face à trois nouvelles dépenses qui vont résulter de la tempête Xynthia :

- le rachat des biens situés dans les zones de solidarité pour un montant compris entre 400 et 700 millions d'euros ;

- dans le cadre du plan « digues », la réfection des ouvrages de protection dont le coût global reste incertain. D'après M. Jean-Louis Borloo, ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, le montant des ressources mobilisables sur le FNPRM affectées à leur financement serai de l'ordre de 470 millions d'euros sur six ans (lettre au Premier ministre en date du 10 mai 2010). Cette évaluation qui ne repose pas sur un recensement précis des ouvrages - ainsi que cette durée n'ont pas encore été arbitrées au niveau interministériel ;

- la réalisation des PPR littoraux.

S'agissant du rythme de dégagement des ressources mobilisables du fonds Barnier, son produit annuel est de 140 millions d'euros issu d'un prélèvement de 12 % sur la surprime catnat - elle-même de 12 % du montant des contrats - sachant que sa trésorerie devrait couvrir une somme initiale d'environ 75 millions d'euros et que ses recettes récurrentes représentent 70 millions d'euros chaque année, à condition de renoncer à d'autres dépenses ou de les différer. Les ministères chargés de l'économie et du budget évaluent quant à eux plutôt à 100 millions d'euros le flux annuel qu'il serait nécessaire de mobiliser sur le fonds, ce qui impliquerait de revoir les priorités de celui-ci.

M. Philippe Dumas a indiqué que les arbitrages à rendre au niveau interministériel vont donc devoir porter sur les éléments suivants :

- le montant et le rythme des travaux sur les ouvrages de protection ;

- le montant des dépenses hors Xynthia susceptibles d'être annulées ou différées au cours des cinq prochaines années ;

- le cas échéant, d'éventuelles recettes complémentaires pour le fonds.

M. Philippe Dumas a fait valoir que, dans cette dernière hypothèse, les pistes suivantes peuvent être mentionnées :

- l'affectation au fonds d'une part significative (50 à 75 %) du produit net d'une modulation des primes catnat. A titre d'hypothèse, si 10 % des assurés voyaient leur prime catnat en moyenne de 20 euros par contrat augmenter de 25 % par cette modulation, le produit pour le fonds serait de l'ordre de 15 à 20 millions d'euros ;

- le relèvement du taux de base des primes catnat elles-mêmes (12 % actuellement, soit un produit annuel de 1,3 milliard d'euros). L'affectation au fonds Barnier de la totalité de cette augmentation représenterait autour de 100 millions d'euros de ressources nouvelles, pour une augmentation de 1 % du taux de ces primes ;

- la voie d'une augmentation du taux des prélèvements opérés sur les primes catnat au profit du fonds Barnier paraît très délicate. En effet, ces prélèvements ont déjà fortement augmenté ces dernières années. Fixés initialement à 2 %, ils ont ainsi été portés à leur niveau actuel de 12 % par étapes successives, pour la dernière fois en 2009.

M. Michel Rouzeau, inspecteur général de l'administration, a ajouté que la piste d'un prélèvement exceptionnel sur les réserves de la Caisse centrale de réassurance (CCR) ne saurait être exclue de la liste des recettes complémentaires envisageables. La situation financière de cet organisme est particulièrement favorable puisque le total de sa provision d'égalisation et de sa réserve au titre des activités de réassurance des catastrophes naturelles dépasse aujourd'hui trois milliards d'euros contre 0,9 seulement en 2004.

M. Philippe Dumas, inspecteur général des finances, a ensuite fait part de modes de financement par les collectivités territoriales, pour la part qui leur incombera en matière de travaux de réfection des digues. Deux axes sont envisagés :

- un scénario dans lequel la loi autoriserait, éventuellement pendant une période de cinq ans renouvelable, les communes sur le territoire desquelles sont situés un ou plusieurs ouvrages de protection contre les inondations à percevoir une taxe additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés bâties et non bâties. Cette taxe additionnelle pouvant être le cas échéant limitée aux parcelles et aux immeubles situés dans les zones à risque protégées par ces ouvrages ;

- un autre scénario, fondé sur la perception effective par les collectivités territoriales de la redevance de participation aux dépenses engagées sur les ouvrages en cause, prévue par l'article L. 211-7 du code de l'environnement. Elle serait mise à la charge des propriétaires de biens protégés.

M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité avoir des précisions sur le montant du prélèvement exceptionnel qui pourrait être opéré sur les réserves de la CCR.

M. Michel Rouzeau, inspecteur général de l'administration, a indiqué que ce montant n'a pas été précisément chiffré mais qu'il ne devra pas, en tout état de cause, affecter significativement les montants des réserves de la CCR. De l'ordre de trois milliards d'euros, ces dernières sont à rapprocher des besoins estimés : environ 400 millions d'euros pour les acquisitions amiables et quelques centaines de millions d'euros pour le plan digues.

M. Philippe Dumas, inspecteur général des finances, a invité à distinguer au sein de cette enveloppe de trois milliards d'euros, la part de réserves proprement dites des provisions d'égalisation. Celles-ci sans avoir le statut juridique de fonds propre peuvent y être assimilées et contribuent à un mécanisme de lissage pluriannuel.

M. Michel Rouzeau a observé le caractère fluctuant des résultats annuels de la CCR : ils ont ainsi représenté 262 millions d'euros en 2005 et 711 millions d'euros en 2008. Il faudra donc veiller à ce que le montant du prélèvement exceptionnel sur les réserves de la CCR n'affecte pas brutalement le produit de ses résultats annuels.

Mercredi 23 juin 2010 M. Jean-Marie Danjou, Délégué général de l'AFOM, M. Alexandre Galdin, Responsable des relations institutionnelles, de l'Association française des opérateurs mobiles, M. Thierry Baure, Responsable de la gestion des risques et des crises chez SFR, M. Pierre-Dominique Lansard, Directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président.

M. Bruno Retailleau, président. - Merci de venir nous éclairer sur la sécurité des réseaux de communication en temps de crise. Nous avons tous en mémoire l'effondrement des réseaux durant l'ouragan Katrina aux États-Unis en 2005 et leur très grande fragilité lors de la tempête Xynthia. Que pensez-vous du réseau numérique ANTARES (Adaptation nationale des transmissions aux risques et aux secours) ? En outre, quelles leçons tirez-vous de la tempête de Xynthia et des événements survenus dans le Var pour renforcer la robustesse des réseaux mobiles ? Lors de mon déplacement en Vendée le 28 février et le 1er mars, seul fonctionnait le téléphone cellulaire que pompiers, gendarmes et élus devaient se partager...

M. Jean-Marie Danjou, délégué général de l'AFOM. - Merci de nous recevoir. M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission des infrastructures vitales de France Télécom, ainsi que M. Thierry Baure, responsable de la gestion des risques et des crises chez SFR, se chargeront de répondre à vos questions techniques portant sur les aspects opérationnels pour chacun de leurs réseaux.

Pour commencer, rappelons que le réseau mobile est constitué de 50 000 stations de base, qui couvrent chacune une cellule d'environ 1 km, reliées entre elles par des réseaux filaires. Le 27 février, la tempête Xynthia a entraîné la mise hors service de 700 à 1 000 stations de base par opérateur dans quatre zones. Le réseau a été rétabli quatre jours après quand il avait fallu une semaine pour parvenir à ce résultat lors de la tempête Klaus en Gironde, événement climatique de moindre ampleur.

M. Bruno Retailleau, président. - Cette défaillance du réseau s'expliquerait à 80-85 % par la rupture de l'alimentation électrique. Vos stations de base ne sont-elles pas équipées de batteries ? En outre, prenez-vous en compte les plans de prévention des risques inondation pour déterminer la hauteur à laquelle est positionnée la batterie sur le mât ?

M. Thierry Baure, responsable de la gestion des risques et des crises chez SFR. - Oui, mais ces batteries ont une autonomie de 2 à 3 heures. Elles sont insuffisantes pour prendre le relais en cas de rupture du réseau électrique, contrairement aux groupes électrogènes dont nous équipons nos sites stratégiques. Quant au positionnement des batteries, celles-ci peuvent se trouver sur la terrasse de l'immeuble ou dans les caves. En fait, tout dépend de la typographie du site et de l'accord passé avec la copropriété, souvent conclu au terme d'une négociation difficile.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Les ruptures d'alimentation électrique sont-elles localisées ou générales ?

M. Thierry Baure, responsable de la gestion des risques et des crises chez SFR. - Pour SFR ou Bouygues, la résilience du réseau dépend du bon fonctionnement du réseau électronique et du réseau France Télécom dans la mesure où les données sont transférées via le réseau filaire. Leurs défaillances sont respectivement causes de 75 % et de 15 % des incidents constatés lors de la tempête Xynthia.

M. Jean-Marie Danjou, délégué général de l'AFOM. - D'où l'importance d'une meilleure coordination avec ERDF. Si les opérateurs mobiles savaient quels sont les sites stratégiques du réseau électrique, ceux où ERDF intervient en premier en cas de crise, ils pourraient mieux placer leurs groupes électrogènes et rétablir plus vite le réseau.

M. Bruno Retailleau, président. - Autrement dit, la coordination est mauvaise...

M. Thierry Baure, responsable de la gestion des risques et des crises chez SFR. - Non seulement nos réseaux filaires sont différents, mais nous ne connaissons pas les priorités d'ERDF si bien que nous plaçons parfois des groupes électrogènes là où le courant électrique sera rétabli dans les deux heures...

M. Ronan Kerdraon. - Après les tempêtes Klaus et Xynthia, des tables rondes entre les opérateurs mobiles et ERDF ont-elles été organisées pour remédier à cette situation ?

M. Jean-Marie Danjou, délégué général de l'AFOM. - Récemment, a été fondé un groupe de travail sur ORSEC télécom, pilotée par la direction de la sécurité civile du ministère de l'intérieur. En tant qu'opérateurs, nous participons à la commission interministérielle de coordination des réseaux et des services de communications électroniques pour la défense et la sécurité publique, présidée par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité à Bercy.

M. Thierry Baure, responsable de la gestion des risques et des crises chez SFR. - Le problème ne se situe pas seulement dans la relation entre ERDF et les opérateurs, mais aussi dans la relation avec le préfet chargé de la gestion de la crise au niveau local. A la suite de Xynthia, la direction de la sécurité civile a créé un groupe de travail rassemblant tous les opérateurs de réseaux -eau, télécommunications, électricité, hydrocarbures- afin de définir un plan ORSEC réseaux, soit les priorités de rétablissement du réseau. La constitution de ce groupe de travail, qui se réunira pour la deuxième fois à la fin de ce mois, répond à nos attentes. Pour autant, nous en sommes seulement au début de la réflexion.

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Permettez-moi de remettre ces événements en perspective : le réseau mobile a été rétabli en un mois après la tempête de 1999, en une semaine après Klaus et en trois jours après Xynthia dont les conséquences, pour les opérateurs, ne se sont pas limitées à la Vendée et à la Charente-Maritime. Grâce à cette concertation et à une nouvelle approche de l'État en termes des secteurs d'activités d'importance vitale, nous abordons maintenant officiellement les problèmes d'interdépendance après que chacun a établi son plan de sécurité opérateur et son plan particulier de protection sur les points d'importance vitale. Il y a donc de réelles perspectives d'amélioration. Enfin, France Télécom rencontre ERDF tous les mois, comme les autres opérateurs certainement.

M. Bruno Retailleau, président. - Les équipes sont intervenues efficacement après la tempête. Toute la question est de savoir comment prévenir au mieux les difficultés en cas de crise. Comment êtes-vous associés à la gestion de crise ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Le préfet définit les priorités de rétablissement au niveau départemental. Or il ne semble pas toujours savoir hiérarchiser les priorités. Dans le cas de Xynthia, il y a eu une difficulté supplémentaire. Contrairement à ce que prévoit le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), nous avons seulement reçu des alertes locales alors que la tempête touchait l'ensemble du territoire. D'après mes informations, la cellule interministérielle de crise ne s'est pas réunie.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Quand vous recevez une alerté météo, comment cela se passe-t-il concrètement ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Si l'événement est national, le COGIC nous alerte. Pour Xynthia, l'alerte se limitait aux zones de défense. Celles-ci étant au nombre de deux, cela a d'ailleurs posé des problèmes d'hélicoptères. En cas d'alerte, nous réquisitionnons des personnes et pré-positionnons des groupes électrogènes dans les zones rouges.

M. Bruno Retailleau, président. - Je reviens à Xynthia : quelle a été l'information déterminante vous concernant : le risque « vent » ou le risque « inondation » ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Le risque « vent », car personne ne nous avait prévenus d'une possibilité de rupture des digues.

M. Bruno Retailleau, président. - Cela aurait-il changé quelque chose ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - La noyade par eau salée est un phénomène très rare. En la matière, nous avons des leçons à tirer de Xynthia.

M. Bruno Retailleau, président. - En tirez-vous d'autres conclusions, par exemple concernant l'installation des stations de base en zone inondable ? Je prends l'exemple du centre de secours de L'Aiguillon-sur-Mer : lorsque les pompiers l'ont rejoint au milieu de la nuit, il était sous l'eau... Imaginez-vous de placer vos éléments actifs en hauteur pour éviter le risque de noyade ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Trouver des points hauts devient de plus en plus difficile... Nous le faisons dans les zones qui se trouvent en aval de barrages importants, mais nous n'avions pas anticipé d'inondation dans ces départements.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Comment assurer la sécurité des communications mobiles en cas de crise en mobilisant l'ensemble des réseaux, notamment satellitaires et cellulaires ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Les offres de téléphone satellitaire sont très marginales. La semaine dernière, lors d'une réunion à Vienne, nous avons constaté la grande défiance des personnes chargées des premiers secours envers les opérateurs de télécommunications. Ils sont persuadés que nous sommes incapables de leur fournir un service à la hauteur de leurs besoins.

M. Thierry Baure, responsable de la gestion des risques et des crises chez SFR. - En outre, les secours ont leur propre réseau.

M. Bruno Retailleau, président. - Soit, mais le téléphone portable cellulaire permet de sauver des vies. Avez-vous pris des mesures pour parer aux risques de rupture et de saturation du réseau ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Pour éviter le risque de rupture, oui. En revanche, si nous voulons prévenir la saturation, il faudrait prioriser les appels de premiers secours, soit le 18 et le 15. Ce système a très bien fonctionné au Royaume-Uni pendant la crise de juillet 2007 dernier. En France, jusqu'à présent, nous n'avons pas le droit de mettre en place un tel mécanisme, de casser certains appels pour en laisser passer d'autres.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Pourquoi cette interdiction ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Comment savoir quels appels en cours casser ? Une possibilité serait qu'il existe des offres de services de « priorisation ».

M. Ronan Kerdraon. - Au Royaume-Uni, ce dispositif a nécessité une modification législative ? (Assentiment)

M. Bruno Retailleau, président. - Bref, une modification du code des postes et des communications électroniques serait nécessaire.

M. Jean-Marie Danjou, délégué général de l'AFOM. - Peut-être faudrait-il travailler sur la notion d'obligation de continuité de service public...

M. Bruno Retailleau, président. - Qu'en est-il de la mutualisation des moyens entre opérateurs en temps de crise.

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Dans ce cas, l'urgence du secours prend le pas sur la concurrence.

M. Bruno Retailleau, président. - Un client Orange, en cas de saturation, peut donc utiliser le réseau SFR, plus disponible ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Dans la plupart des cas, un réseau mobile reste opérationnel car les zones couvertes par les opérateurs se chevauchent.

M. Thierry Baure, responsable de la gestion des risques et des crises chez SFR. - La mutualisation est possible à partir du moment où le client conserve sa carte SIM, indispensable pour le localiser.

M. Bruno Retailleau, président. - Monsieur Danjou, pourriez-vous nous transmettre une note sur les mutualisations possibles ? Que pensez-vous du réseau ANTARES ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - La principale difficulté d'ANTARES ou de TETRAPOL est le sous-équipement des unités de secours. D'où une utilisation des GSM par la sécurité civile.

M. Bruno Retailleau, président. - Ce système serait cher...

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Oui, car il s'en vend 5 000 par an en Europe.

M. Bruno Retailleau, président. - Y a-t-il une spécificité française en la matière ?

M. Pierre-Domiminique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Il existe TETRA en Europe et TETRAPOL en France.

M. Bruno Retailleau, président. - Est-ce une technologie efficace ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Proches des premières technologies mobiles américaines, elle paraît aujourd'hui ancienne.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Bref, ANTARES est cher, dépassé et peu utilisé...

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Mieux vaut interroger les personnes qui l'utilisent... Je vous ai simplement fait part des conclusions de la réunion de Vienne.

M. Bruno Retailleau, président. - Dans quel cadre avait lieu cette réunion ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Le groupe SPCE qui regroupe tous les acteurs de la sécurité civile en Europe. J'étais le seul représentant français.

M. Bruno Retailleau, président. - Pourriez-vous nous transmettre les conclusions de ces travaux ? (Assentiment). Quelles sont les alternatives à ANTARES ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Une piste serait de réserver des sous-cellules.

M. Bruno Retailleau, président. - Lors de l'arrêt de la télévision analogique, j'ai écrit au ministère de l'intérieur pour demander s'il ne serait pas possible de réserver cette fréquence à la sécurité civile à l'instar des Japonais.

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Au niveau européen, il est envisagé de libérer la fréquence 430-450 MHz.

M. Bruno Retailleau, président. - Soit la fréquence basse. Pourquoi celle-ci ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - En raison de sa capacité à transporter loin. Avec la norme WiMax, qui permet une couverture plus dense des cellules, il serait possible de couvrir jusqu'à 20 km.

M. Bruno Retailleau, président. - Certes. Mais, avec cette norme, il n'y a plus de réseau en cas d'obstacle, comme un immeuble ou une forêt... Cela reste une piste à creuser... Qui est responsable d'étudier les alternatives à ANTARES en France ?

M. Alain Anziani, rapporteur. - Nos voisins européens ont-ils des systèmes plus efficaces que le nôtre ?

M. Jean-Marie Danjou, délégué général de l'AFOM. - La commission interministérielle de coordination des réseaux et des services de communications électroniques pour la défense et la sécurité publique qui rassemble les opérateurs de téléphones mobiles, les opérateurs de téléphones fixes, les fournisseurs de services publics. Des réflexions sont en cours sur la « priorisation » des appels d'urgence.

M. Ronan Kerdraon. - Les Japonais ont un système qui a fait la preuve de son efficacité. Y a-t-il un échange des données au niveau international ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Nous avons un système efficace, appelé le système EPLMP. Regardons de près comment s'y sont pris nos amis britanniques...

M. Bruno Retailleau, président. - J'en reviens à la phase d'alerte. Avez-vous les moyens techniques d'envoyer en masse des SMS pour prévenir les populations ?

M. Thierry Baure, responsable de la gestion des risques et des crises chez SFR. - Oui, techniquement, cela est possible. Nous avons été auditionnés récemment à ce sujet par un cabinet d'étude missionné par le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Marie Danjou, délégué général de l'AFOM. - Nous en sommes au début de la réflexion au sein de la commission interministérielle.

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Reste que certains opérateurs ont des solutions qu'ils vendent aux collectivités.

M. Bruno Retailleau, président. - Êtes-vous capables de transmettre l'alerte lorsque le téléphone est éteint ?

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Pour atteindre les personnes situées dans la zone rouge, mieux vaut passer par le téléphone fixe, internet, puis le mobile.

M. Bruno Retailleau, président. - Avez-vous des observations complémentaires ?

M. Jean-Marie Danjou, délégué général de l'AFOM. - Pour rétablir au plus vite le réseau, il faudrait améliorer le partage des informations au niveau national, entre autres, avec ERDF et adapter le niveau de pilotage à la nature de la crise, locale ou nationale.

M. Thierry Baure, responsable de la gestion des risques et des crises chez SFR. - Dans le cas de Xynthia, la gestion de crise a été déléguée aux préfets alors que la tempête touchait plusieurs départements. D'où une difficulté à statuer sur les priorités de rétablissement.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Je reviens à l'envoi de messages d'alerte aux populations par SMS. La difficulté, avez-vous dit, est de localiser les personnes dans la zone rouge. Mais n'est-il pas possible d'utiliser la géo-localisation ?

M. Thierry Baure, responsable de la gestion des risques et des crises chez SFR. - C'est techniquement faisable...

M. Pierre-Dominique Lansard, directeur de la mission infrastructures vitales de France Télécom. - Sauf si la personne a éteint son téléphone portable, puis s'est déplacée. Pour ma part, j'ajoute que nous aurions aimé avoir accès aux photos confidentielles des zones dévastées par Xynthia.

M. Bruno Retailleau, président. - Merci de votre présence. Beaucoup reste donc à faire pour assurer la sécurité des réseaux. Si vous avez besoin de nous, nous serons là pour vous aider à progresser dans cette voie !

M. Yvon Bonnot, Président de l'Association nationale des élus du littoral, membre du Bureau de l'Association des maires de France

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M. Bruno Retailleau, président, a indiqué en préambule que les membres de la mission avaient souhaité entendre l'Association nationale des élus du littoral (ANEL) en raison de sa parfaite connaissance des problématiques liées au littoral. Il a souligné la nécessité d'assurer dans le même temps la gestion du risque et l'aménagement du littoral.

M. Yvon Bonnot, président de l'Association nationale des élus du littoral, s'est félicité de cette initiative, précisant que le risque de submersion marine avait trop longtemps été ignoré par les divers débats et travaux consacrés aux risques naturels.

A ses yeux, le traumatisme généré par la tempête Xynthia, ayant suscité une prise de conscience, avait conduit les pouvoirs publics à réagir rapidement et de façon extrême par la détermination de zones noires qui ne prenait pas suffisamment en compte les réalités du terrain.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. Yvon Bonnot, président de l'Association nationale des élus du littoral, a précisé que l'ANEL n'avait pris officiellement position sur les « zones noires ». Il a toutefois jugé nécessaire de se donner le temps de la réflexion et de tenir compte des spécificités de chaque site, en principe bien connues par les élus locaux.

Alors que l'ANEL s'était toujours efforcée de mettre en garde les élus contre des projets d'urbanisation situés dans des zones visiblement trop exposées, il lui paraissait à présent déraisonnable de répondre au risque par le simple abandon des surfaces menacées.

M. Yvon Bonnot, président de l'Association nationale des élus du littoral, a indiqué, en particulier, que l'aménagement des zones sensibles devait être considéré en intégrant l'existence d'un réseau de digues restauré et complété, des digues mal entretenues équivalant selon lui à une absence de digue. Il a ajouté que le principe dit « de transparence des digues », consistant à ne pas prendre en compte l'existence de digues dans la définition des zones à risque, n'était pas acceptable. Il a fait valoir que ce principe conduirait les Pays-Bas à devoir renoncer aux deux tiers de leur territoire.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les moyens d'assurer l'exploitation et le développement des territoires littoraux en prenant en compte les risques de submersion marine, M. Yvon Bonnot a préconisé une détermination et une mise en oeuvre réfléchies des plan locaux d'urbanisme (PLU) dans le cadre, bien adapté selon lui, des schémas de cohérence territoriale (SCOT) littoraux.

A M. Alain Anziani, rapporteur, qui l'interrogeait sur la gestion et le financement des digues, M. Yvon Bonnot a indiqué que l'Etat devait financer et pouvait gérer le réseau de digues, rappelant cependant qu'une gestion de proximité s'était souvent avérée plus efficace.

M. Yvon Bonnot, président de l'Association nationale des élus du littoral, a ainsi précisé qu'une partie du territoire de sa commune menacé par la submersion marine avait pu être efficacement protégé par des travaux d'enrochement.

M. Bruno Retailleau, président, ayant regretté que l'Etat donne parfois le sentiment de se désintéresser des zones littorales, notant au passage que les élus de ces territoires n'avaient pas su s'organiser aussi efficacement que les élus des zones de montagne, puis l'ayant interrogé sur les outils de gouvernance appropriés, M. Yvon Bonnot s'est félicité du maintien du Conseil national du littoral, un moment menacé puis rebaptisé Conseil national de la mer et des littoraux.

Il a indiqué que, de par sa composition notamment, cette instance pourrait légitimement devenir une structure de pilotage sur ces questions, en collaboration avec le Secrétariat général de la mer et la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), et qu'il lui manquait simplement les moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions : un secrétariat permanent permettrait en particulier de ne pas être tributaire de la bonne volonté de l'Etat, les réunions du conseil, insuffisamment nombreuses depuis sa création, n'ayant permis jusqu'à présent qu'un traitement superficiel des questions à l'ordre du jour.

A M. Ronan Kerdraon qui l'interrogeait sur la mission première d'un conseil du littoral rénové et doté de moyens d'agir, évoquant notamment la loi « littoral », M. Yvon Bonnot a indiqué que selon lui, la loi avait eu le grand mérite d'éviter le pire dans certaines zones et qu'elle devait être précisée pour mieux s'adapter aux réalités du terrain, l'application uniforme de la limite des 100 m lui paraissant inadaptée à la variété des sites. Il a souligné le cas spécifique des hameaux, pris en compte dans une directive communautaire, faisant valoir qu'une commune ayant 10 km de profondeur devrait pouvoir construire sur le littoral au bord d'un hameau.

Souhaitant donner à la mission des exemples de questions susceptibles d'être traitées par le Conseil national de la mer et des littoraux, M. Yvon Bonnot a évoqué la possibilité de mettre sous le coup de la loi « littoral » tous les espaces visibles depuis la mer, ou encore la mise en place de procédures d'articulation entre deux SCOT voisins s'étendant sur les zones de natures différentes.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, qui soulignait l'utilité d'outils de planification de l'espace, tels que les zones de préemption, M. Yvon Bonnot a jugé nécessaire une réflexion globale associant tous les partenaires. Il s'est dit convaincu que le maire ne peut agir tout seul. Les élus, qui connaissent bien leurs territoires, peuvent parfois ressentir le besoin d'être assisté dans leur réflexion. Ils auraient tout à gagner dans la mise en place d'un Conseil permanent, qui les aiderait à décider, dans l'intérêt général, de l'exploitation et de l'aménagement, ou au contraire de la sanctuarisation, de telle ou telle zone.

Interrogé par M. Ronan Kerdraon sur les procédures d'alerte, M. Yvon Bonnot, président de l'Association nationale des élus du littoral, a considéré qu'en cas de danger, beaucoup restait à faire pour qu'une information compréhensible et exploitable arrive à temps jusqu'aux élus et aux populations placés en première ligne.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur le rôle des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI), M. Yvon Bonnot a souligné leur utilité. Il a mis l'accent sur l'insuffisante conscience des risques sur le littoral et sur la nécessité de prendre plus de précaution dans la conception des constructions.

M. Bruno Retailleau, président, ayant conclu sur l'importance de conjuguer la prise en compte des risques, probablement croissants, de submersion marine et la nécessité d'aménager et de mettre en valeur les territoires du littoral, M. Yvon Bonnot, président de l'Association nationale des élus du littoral, a fait observer que les littoraux n'étaient pas tous identiques, certains exigeant plus de précaution. Il a illustré ses dires en citant les exemples du Forum de Trégastel et du centre de thalassothérapie de Douarnenez endommagés par la mer et reconstruits selon des normes plus adaptées à leur environnement.

Jeudi 1er juillet 2010 M. Paul Girod, ancien Sénateur, Président du Haut Comité français pour la défense civile, M. Christian Sommade, Délégué général du Haut Comité

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président

M. Bruno Retailleau, président. - Notre réflexion vise à éviter un nouveau drame tel que Xynthia ou les récents évènements dans le Var. Nous remettrons notre rapport final la semaine prochaine. Nous avons conduit 170 auditions, qui ont porté sur l'alerte, la vigilance, la sécurité civile, etc. Notre sujet charrie de nombreux thèmes. Nous nous sommes déplacés pour observer les expériences de nos voisins, aux Pays-Bas notamment.

Nous sommes heureux d'accueillir notre ancien collègue dans ses fonctions actuelles. Quelle est la fonction du Haut Comité ? Quelle est votre approche de ces évènements ?

M. Paul Girod, président du Haut Comité français pour la défense civile (HCFDC). - Le Haut Comité a été créé à l'initiative de feu notre collègue Maurice Schumann, qui en a été président jusqu'à sa mort. Il m'avait sollicité, puisque j'étais rapporteur pour avis du budget sécurité civile, pour occuper les fonctions de vice-président.

Cet organisme a beaucoup changé. Il avait été conçu comme un moyen de pression sur le gouvernement, afin d'amodier la doctrine qui avait cours alors : nous avions choisi le tout-dissuasion nucléaire et faire des plans pour protéger la population aurait laissé penser que nous ne croyions pas à notre dispositif puisqu'une riposte aurait pu nous atteindre. Certains, tels Maurice Schumann ou le général Billotte, jugeaient ce raisonnement un peu court et ont cherché à infléchir les choses. Certes, le pari a été gagné et il n'existe plus de menace nucléaire crédible aussi le débat a-t-il été élargi à l'ensemble de la protection civile.

La défense du pays, conformément à l'ordonnance du général de Gaulle de 1959 est militaire mais aussi civile; elle exige préparation et protection. Je disais du reste au ministre de la défense que l'intitulé de ses attributions me dérangeait, car la défense va au-delà des seules forces armées. Le Haut Comité comporte un collège d'élus, un collège d'entreprises, un autre de gérants d'infrastructures critiques, un d'experts, de scientifiques. C'est un point de rencontre entre toutes les administrations d'Etat concernées par la préparation du pays aux dangers et aux crises et tous les intervenants privés. Nous organisons des petits-déjeuners autour d'un invité, des colloques réguliers. Nos moyens, modestes, proviennent des parlementaires, du ministère de l'intérieur, du ministère de la santé et de nos membres du secteur privé. Le Comité a un budget d'un million d'euros et il emploie dix personnes. Il a une grosse activité de formation.

Nous avons créé une formation nationale pour les responsables de la sécurité, de tout niveau. Nous ne sommes pas l'Institut des hautes études de défense nationale, mais nous réunissons des représentants de toutes les grandes entreprises, la RATP, et bien d'autres.

Nous n'avons pas été très étonnés par les événements récents. Je voudrais d'abord faire la distinction entre la sécurité civile, bras armé de la protection de la population, et la défense civile, qui inclut l'anticipation des crises. Pour moi, l'inquiétude doit être permanente : je ne veux pas parler de peur mais d'un esprit non quiet, pas tranquille. Or, depuis le Moyen Age, rien n'a vraiment changé : « Dormez tranquilles, bonnes gens, le guet veille ! ». Ce qui devrait susciter l'inquiétude devient sujet d'apaisement parce que des plans existent...

Au niveau de l'Etat, il existe un Orsec sectoriel, qui a été assoupli, mais l'organisation préfectorale n'est pas si réactive. Je ne me suis pas rendu sur les lieux de la catastrophe Xynthia, mais de mon enquête je conclus que l'alerte a été complète et l'interprétation, nulle. Personne au ministère, à la préfecture de zone, aux préfectures de département -sans parler des préfectures de région, qui ne jouent aucun rôle alors que c'est là que l'Etat concentre ses cerveaux...- ne s'est interrogé en voyant qu'un périmètre limité était en rouge sur la carte. On a certes réveillé quelques maires à deux heures du matin, ils étaient informés depuis la veille au soir, ils avaient regardé la télévision...C'est sans cesse le même phénomène : on manque d'imagination, on ne se pose pas de question, on se fie à ce qu'on a préparé. Quel orgueil...

M. Bruno Retailleau, président. - Quelle est votre explication sur cette catastrophe humaine ?

M. Paul Girod, président du HCFDC. - Elle a plusieurs origines. On a cédé sur les permis de construire sous la pression des élus ; là où des permis ont été accordés dans des zones à risque, on n'a pris aucune précaution minimale sur les plans ; on n'a jamais informé la population sur les secteurs dangereux, sur les réflexes à avoir. Je l'observe hélas partout.

M. Bruno Retailleau, président. - S'il s'agit d'une zone dangereuse, le permis de construire le mentionne.

M. Paul Girod, président du HCFDC. - Il y a incontestablement une carence administrative, sur le contrôle en particulier. A Toulouse, on nous dit que l'usine AZF avait été construite en pleine ville, c'est faux. L'usine initiale avait été construite à trois kilomètres de la ville. Si des exercices d'évacuation avaient été organisés à mesure que les alentours s'urbanisaient, la pression foncière n'aurait pas été la même. A Roissy, les zones non aedificandi se sont peu à peu réduites, jusqu'au ras des pistes. Le Concorde s'est écrasé sur un hôtel qui n'aurait jamais dû être construit à cet emplacement. On a de façon répétée transgressé la réglementation d'origine, sans prévenir la population des inconvénients ni des dangers, sans procéder à des exercices. La préfecture de police l'a reconnu, il faudrait prévoir à Paris 800.000 évacuations. Et dans le Val-de-Marne, personnes n'a dit aux habitants des maisons pieds dans l'eau qu'ils devraient trouver un proche susceptible de les recueillir un peu plus loin ; quant aux immeubles de grande hauteur, ils seront fermés, faute d'ascenseur et d'assainissement. Si on doit évacuer, qui décide, qui annonce, qui protège les biens et les personnes ? L'affaire ne s'improvise pas !

L'information est trop segmentée. Les digues de la région touchée par Xynthia avaient été inspectées, des travaux prévus ici et là ; mais quelqu'un a-t-il eu toute l'information, afin de décider une réflexion globale ?

M. Bruno Retailleau, président. - Qu'aurait-il fallu faire en matière d'alerte ?

M. Alain Anziani, rapporteur. - Un plan-type est-il envisageable ?

M. Paul Girod, président du HCFDC. - Notre Comité est le seul organisme qui récompense, en décernant le « pavillon orange », les efforts des maires pour élaborer un plan communal de sauvegarde. Ainsi peuvent-ils diffuser dans la population des consignes certifiées par quelqu'un d'autre. L'Etat, lui, exige des plans mais ne donne pas suite.

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Un rapport de 1991 avait jugé obsolète le système d'alerte en France. Les sirènes étaient à l'origine gérées par les 45 bureaux interdépartementaux d'alerte, sous le contrôle de l'armée de l'air ; on craignait surtout, à l'époque, les bombardiers soviétiques. Le système était confié aux PTT, mais aujourd'hui France Télécom se contente d'envoyer ses factures. Ce réseau n'intéresse plus personne.

Avec ces drames, nous payons vingt ans d'inaction. Le Livre blanc de 2008 a mis en évidence les problèmes du système d'alerte et l'on a demandé à la Sécurité civile d'en mettre en place un nouveau. Le Système d'alerte et d'information des populations (SAIP) a coûté 80 millions d'euros. Aux maires la sauvegarde, à l'Etat le secours. Les capteurs finaux sont laissés à la charge financière des municipalités. L'Etat met en oeuvre un système national au maillage fin, géré par les SDIS.

M. Bruno Retailleau, président. - Les sirènes sont-elles dépassées ?

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Non ! Il n'y a rien de mieux à trois heures du matin, quand les téléphones portables sont en mode silencieux...

M. Paul Girod, président du HCFDC. - La sirène ne suffit pas, elle est une alerte. Lorsqu'elle retentit, les personnes doivent comprendre : écoutez les instructions à la radio.

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - A Gonfreville l'Orcher, dans les zones dangereuses, chacun a son alert box et sait qu'il doit allumer sa radio pour entendre les consignes. Les équipements ont été payés par la mairie et la communauté urbaine du Havre. Ailleurs, on exige des maires la réalisation des plans communaux de sauvegarde sans les accompagner en rien. La Sécurité civile vient juste de procéder au premier recensement : seulement 22 % des communes ont mis en place un PCS. Dans certains cas, il est sérieux et complet ; dans d'autres, il s'agit d'un vague document de trois pages élaboré par un stagiaire et remisé sur un haut d'étagère ; s'il est envoyé en préfecture, c'est pour ouvrir le parapluie sans rien faire... Il est fondamental de mieux diffuser une culture de la sécurité, de faire des exercices et pour cela, il faut des ressources et de l'appétence.

M. Bruno Retailleau, président. - Nombre de communes vendéennes ne comptent pas 2.000 habitants. Quelle assistance peuvent-elles obtenir ?

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Nous avons créé le pavillon orange pour cette raison : le site regroupe toutes les informations nécessaires et un logiciel - à télécharger gratuitement - sert à élaborer ou mettre à jour le plan communal. Une formation d'une journée et demie est également proposée aux communes.

Nos ressources proviennent du secteur public pour moins de 10 % ; pour 35 à 40 %, des cotisations des grandes entreprises ; et pour 50 % de nos activités.

M. Bruno Retailleau, président. - Combien de communes avez-vous aidées ?

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Cette année, 17. Le processus est lent, la prise de conscience récente. Les catastrophes cependant ont fait réagir les mairies.

Je veux dire également que nous sommes mal vus de la Sécurité civile. « De quoi se mêlent-ils ? », voilà le jugement qu'elle porte sur nous.

M. Alain Anziani, rapporteur. - La loi pourrait-elle poser que le plan communal doit être conforme à un cahier des charges précis ?

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Le décret du 13 septembre 2005 le prévoit déjà.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Mais les plans sont de pure forme ?

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Il nous manque surtout la culture de la sécurité.

M. Paul Girod, président du HCFDC. - La conscience des risques fait défaut jusque dans les territoires comportant des sites classés Seveso ! Et qui va juger les plans ? Les services de Sécurité des préfectures sont de plus en plus restreints et pas toujours motivés.

M. Bruno Retailleau, président. - Pourrait-on prévoir un référent dans chaque département, soit un agent de la préfecture, soit un volontaire, jeune retraité par exemple, qui agirait comme un commissaire-enquêteur en quelque sorte. Il serait formé pour cela.

Il faudrait ensuite, après avoir élaboré les plans communaux, les faire vivre, porter le dispositif à la connaissance des populations, monter des exercices d'évacuation puis les évaluer. Je vous suggère aussi de rebaptiser le Haut Comité « de défense et de protection civile », ce qui éclairerait mieux la réalité, même si cela choque quelques fonctionnaires au fin fond de couloirs obscurs.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Le plan communal de sauvegarde pourrait être, comme document d'urbanisme, soumis à l'avis de diverses instances, dont le Haut Comité.

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Le maire qui se connecte sur notre site y trouve 250 questions ; lorsqu'il ne sait pas répondre sur tel ou tel point, cette lacune suscite sa réflexion. Cette voie est moins coûteuse ! Le plus important est la volonté politique.

M. Paul Girod, président du HCFDC. - Les référents existent théoriquement dans chaque préfecture, le chef du pôle Défense et protection civile, mais ils sont débordés. Le problème est là. La sécurité est comme les autres services soumise à la RGPP. Dans l'Aisne, chez un paysan, tel contrôleur particulièrement rigoureux des services sanitaires vient faire un prélèvement ADN sur un veau pour vérifier s'il est bien issu de telle vache, et sans même qu'elle soit de race pure ! On pourrait l'affecter à des tâches plus sérieuses !

M. Bruno Retailleau, président. - C'est vrai qu'il faut vraiment aimer les bêtes pour en élever sous cette férule ! L'Etat ferait mieux de se concentrer sur ses missions régaliennes.

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - La réforme de l'Etat dans les territoires entraîne des difficultés. Les services sont accablés de travaux de planification et sont de moins en moins capables d'intervenir localement. Quant aux élus, ils se disent « si ça va mal, j'appelle le préfet et les pompiers » ; ils n'ont pas encore véritablement intégré leur mission de sauvegarde. Or, si une catastrophe touche un périmètre restreint, les secours s'y concentrent, mais si la zone est vaste, les militaires ne sont pas forcément disponibles. Et il faut cinq à six jours pour mobiliser les 10.000 réservistes.

M. Bruno Retailleau, président. - Le CNFPT ne pourrait-il dispenser une formation aux risques, destinée aux maires et adjoints, afin d'enclencher une acculturation ?

M. Paul Girod, président du HCFDC. - Je suis d'accord ! Mais on ne saurait se satisfaire d'une formation purement administrative. Il faut aussi faire des simulations en grandeur nature, sous l'oeil d'observateurs extérieurs.

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - La France est le seul pays qui ne soit pas doté d'un site internet public décrivant de façon systématique les risques et la conduite à tenir lorsqu'ils surviennent. Un projet est en chantier depuis des années. Il n'aboutit pas. Cela tient peut-être au fait que la prévention et la protection, dans notre mentalité, relèvent de l'Etat et de lui seul. Le citoyen n'a pas à s'occuper de lui-même. Il en va tout autrement dans les pays anglo-saxons, où la doctrine est : « soyez autonome chez vous pendant 72 heures » en attendant les secours.

M. Bruno Retailleau, président. - Et les préfectures, ne dispensent-elles pas de documents sur les risques ?

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Il y a un dossier départemental sur les risques majeurs mais aucune consigne. La Grande-Bretagne possède un site national en dix-sept langues, dont l'ourdou, l'hindi et même le français. Il traite de tous les risques. Des forums regroupent le secteur privé, public, les grandes associations, etc. pour préparer la résilience économique et la gestion post-crise.

On pourrait prévoir un forum de résilience par zone de défense ou par région économique car si on ne sensibilise pas les collectivités locales, y compris les petites, et les entreprises, y compris les PME, le redémarrage d'après-crise est retardé : ou on ralentit la reprise générale, ou on laisse chacun y mettre du sien et c'est chaotique. Nous n'avons pas de plan Orsec de gestion post-crise.

M. Bruno Retailleau, président. - Comment informer la population ?

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - En termes d'alerte pure, le self broadcast, avec les téléphones portables, fonctionne bien le jour. Mais la nuit, surtout si le téléphone filaire est mis hors d'état par la catastrophe, il n'y a que les sirènes pour informer d'un danger immédiat.

M. Bruno Retailleau, président. - Sur tous les sites industriels soumis à un plan particulier d'intervention (PPI), sur tous les sites nucléaires, il y a des sirènes. Dans les villes également. Il y en a à chaque barrage, mais pas sur chaque digue... Il ne faudrait pas en rajouter beaucoup pour tout couvrir. Je signale aussi que seuls 20 à 30 % des établissements scolaires ont élaboré leur plan de sûreté.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Qui doit actionner la sirène ?

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Celui qui est au plus près du danger. Il faut plusieurs décideurs. Au niveau du département, le centre opérationnel départemental d'incendie et de secours (CODIS), qui reçoit tous les appels d'urgence ; le maire, -qui n'était pas responsable dans l'ancien système d'alerte mais qui doit aujourd'hui diriger le secours tant que le préfet n'a pas pris la main ; si c'est très grave, le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC).

M. Bruno Retailleau, président. - Le réseau Antarès, tant vanté, semble coûter très cher...

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Acropol, le réseau crypté de la police, avait coûté cher ; l'infrastructure existait, on a jugé qu'elle pouvait servir aussi pour les pompiers et les colonnes de secours. Antarès va encore plus loin dans la sécurité, il a coûté un peu plus cher. L'infrastructure nationale partagée des transmissions fut une bonne idée, mais il faut à présent la renforcer, y accueillir le SAMU, ainsi que des opérateurs d'importance vitale, comme ERDF. Sans communications, la gestion des crises devient plus épineuse...

M. Bruno Retailleau, président. - Je reviens à la culture du risque. Le président de la Fédération nationale de la protection civile suggérait une formation des collégiens.

M. Paul Girod, président du HCFDC. - En 2004, la loi a prévu des interventions par des personnes de l'extérieur dans les écoles primaires : elle est restée lettre morte, l'éducation nationale ne prisant pas les intrusions... Quant aux instituteurs, ils n'ont pas intégré ce volet dans leurs programmes. Dommage car grâce aux enfants, c'eût été la meilleure façon de faire passer des messages aux parents ! J'en ai vu les résultats inespérés pour le tri sélectif !

M. Bruno Retailleau, président. - La France est-elle à la traîne pour la gestion des risques ?

M. Paul Girod, président du HCFDC. - Nous sommes un pays où on croit encore que le Roi fait tout, règle tout, protège tout. Voilà notre problème.

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Un député propose que l'on établisse un parcours civique et citoyen à l'école, comme cela se fait dans tant de pays européens. Un traitement des problèmes de sécurité existe, centralisé. Mais il n'implique pas assez la population. Il faudrait changer la posture de l'Etat, ce qui se produit progressivement, faute de moyens. Mais il faut aussi que la greffe prenne dans le terreau des collectivités.

Le ministère de l'écologie a un projet d'indice de résilience des territoires, avec un observatoire, pour évaluer comment, dans chaque zone, on prévient, protège mais aussi réagit à la crise et après. Nous remettrons une note sur ce sujet à la mission.

Le nombre de plans et de textes est infini. Mais qu'y a-t-il derrière ? N'y a-t-il pas un trou dans la raquette ? Un Observatoire des risques majeurs et de la résilience me paraît une bonne idée.

M. Bruno Retailleau, président. - Encore un observatoire !

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Le ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer s'occupe de prévention et de sécurité civile ; de secours, aussi, mais pas complètement. La fragmentation est préjudiciable, personne ne considère la totalité du problème.

M. Bruno Retailleau, président. - Qui est le mieux à même de le faire : le préfet ?

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Il est juge et partie.

M. Paul Girod, président du HCFDC. - Et l'administration refuse l'intrusion de personnes extérieures. Elle sait.

M. Bruno Retailleau, président. - Et elle se protège.

La catastrophe est survenue non seulement à la limite entre deux départements et deux régions mais entre deux zones de défense. Entre les zones de défense, est-il possible d'éviter les césures et d'avoir un continuum ?

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - Le système est organisé en poupées russes, au dessus des zones, c'est le COGIC et le Centre interministériel de crise, qui arbitrent. L'emboîtement se fait bien.

M. Paul Girod, président du HCFDC. - On est là au stade de l'intervention mais on manque de cellules où, quand un signal passe au rouge, on se pose des questions.

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - M. Patrick Lagadec, pour EDF, a proposé des forces d'intervention rapide, mais on est là au stade de la crise avérée ; quand on est simplement en vigilance, personne ne réunit de cellule d'anticipation.

M. Bruno Retailleau, président. - Au niveau de l'Etat, y a-t-il une fragmentation entre ministères ? Ne peut-on tout rattacher au Premier ministre ?

M. Christian Sommade, délégué général du HCFDC. - D'après les textes, la gestion des crises relève du Premier ministre mais le Livre blanc a désigné trois têtes de pont : la Défense pour le domaine militaire, l'Intérieur pour les territoires, les Affaires étrangères pour ce qui survient à l'extérieur. Pour la crise du nuage islandais, c'est le ministère de l'écologie qui a été désigné. L'important est que cela fonctionne au niveau interministériel. Or au ministère de l'Intérieur, il y a déjà deux services, la Direction de la planification de sécurité nationale et la Direction de la Sécurité civile. Et on compte ensuite le CPCO - Centre de planification et de conduite des opérations- à la Défense et les centres de l'Intérieur : le COGIC, le COB -Centre opérationnel Beauvau-, le CROGEN -Centre de renseignement et d'opérations de la gendarmerie nationale- et la récente cellule interministérielle de suivi et de crise. Il y a des tensions entre services et le système n'a pas encore trouvé ses marques.

M. Paul Girod, président du HCFDC. - Je terminerai en citant Tocqueville : « Ce qui caractérise déjà l'administration en France, c'est la haine violente que lui inspirent indistinctement tous ceux, nobles ou bourgeois, qui veulent s'occuper d'affaires publiques, en dehors d'elle. (...) La plus petite association libre, quel qu'en soit l'objet, l'importune. (...) Les grandes compagnies industrielles elles-mêmes lui agréent peu ; en un mot, elle n'entend point que les citoyens s'ingèrent d'une manière quelconque dans l'examen de leurs propres affaires . »

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