G. LES ENSEIGNEMENTS MAJEURS

L'appui au rapatriement des ressortissants français : c'était une erreur de ma part en évaluation initiale de la mission depuis Fort-de-France. J'ai sous-évalué cette mission et mon détachement n'était pas correctement configuré pour accomplir cette mission en plus des missions de secours et d'assistance médicale traditionnelles. On ne m'y reprendra plus !

Il faut noter la formidable montée en puissance du dispositif de secours français. En 5 jours, nous sommes passés de 44 personnes à 960 personnes.

Nous sommes des hommes aguerris. Pourtant, pour la première fois, nous avons été obligés de mettre en place, de façon très massive, le soutien psychologique pour tous nos détachements. Les détachements arrivés à Port-au-Prince ont d'abord été rapatriés sur la Martinique. Ils ont été mis au repos pendant deux jours, ont subi un déchoquage psychologique et sont ensuite rentrés à la maison.

Le problème des orphelins a été très délicat dès le départ de la mission. On a été obligés d'organiser leur rapatriement. Dans l'urgence, cela se passe très bien, mais ensuite le droit reprend ses droits. Quarante-cinq enfants, aujourd'hui, ne sont pas encore rentrés chez eux. Il faut que nous puissions avoir l'autorisation de les ramener chez eux rapidement. Le lien entre les enfants blessés, rapatriés en Martinique ou en Guadeloupe, et leur famille a été très difficile à mettre en place.

Les ressortissants français décédés : c'est vraiment un enseignement pour nous. Nos hommes sont là pour sauver les gens, c'est la mission essentielle du DICA. Avec l'arrivée de notre médecin légiste, à juste titre, l'ambassadeur de France voulait que nous allions chercher les ressortissants français afin de rendre leurs corps aux familles. Nous avons donc recherché les corps de ces malheureux durant plusieurs jours. Cette mission doit être intégrée pour nous comme une nouvelle mission lorsque les circonstances l'autorisent.

Si un même événement survenait demain à Nice, on n'acceptera pas de ne pas vouloir récupérer nos morts pour faire le deuil. Il faut vraiment l'intégrer.

J'ai abordé rapidement tout à l'heure les problèmes de sécurité. Que ce soit à Nice à la Martinique, ou à Saint-Martin, l'homme retrouve rapidement son instinct animal. En situation de crise, l'égoïsme ressurgit. Il faut vraiment faire attention à ce qu'on fait pour nos bâtiments, pour nos convois et pour nos détachements.

Nous avons parlé tout à l'heure d'autonomie des détachements. C'est un problème de fond pour nous, les personnels de la sécurité civile. Nous sommes les sauveurs du monde et de sa banlieue. On nous présente en tout cas comme tels. On part partout à travers le monde en trois heures de temps, mais on a un vrai problème. L'Etat français n'a pas de vecteur aérien de type gros porteur. Il faut d'abord trouver rapidement les avions de transport, et quand on arrive sur place il faut qu'on trouve des véhicules pour les détachements. Si on n'a pas de véhicules, on ne peut pas intervenir. C'est vraiment délicat. C'est un sujet de fond que je voulais soulever et qui se pose depuis de nombreuses années. En l'absence de véhicule, nous avons pris les véhicules des ressortissants français qui quittaient le pays, des camions prêtés par des particuliers ainsi que des véhicules loués auprès de la population locale. Les forces de l'ONU ont mis aussi quelques véhicules à disposition.

M. Roland Courteau

Je vais donner la parole à Claude Lise, président du conseil général de la Martinique et sénateur.

M. Claude Lise

Je voudrais signaler l'action qui est menée par le conseil général. Le président Courteau l'a dit au début. Je ne l'ai pas tellement trouvée à travers l'exposé du lieutenant-colonel Cova. Je pense que c'est le cloisonnement dont parlait un intervenant au début. Il existe une politique extrêmement forte menée avec des dispositifs que j'ai fait installer à partir de 1992.

Nous avons une centaine de dispositifs, dont 34 stations météo, 32 stations hydrométriques avec des limnimètres télégérés dans les cours d'eau, ce qui nous a permis de mettre en place le SDAC, le Service départemental d'alerte de crue, qui, avec l'aide de Sigma, Systèmes d'information en géographie que nous avons mis au point, permet d'avertir les services de l'Etat, lorsqu'il y a des inondations. Deux heures avant l'événement, on peut dire si l'aéroport sera inondé ou pas, si l'autoroute sera touchée.

Nous disposons d'une trentaine d'accéléromètres. Je crois que c'est le département le mieux couvert sur ce plan, avec une convention que j'ai passée depuis 1996 avec l'Institut physique du Globe de Paris. De nombreux travaux sont réalisés et nous permettent d'améliorer nos infrastructures : nous fournissons des données. Des travaux théoriques sont réalisés. Nous passons ensuite à l'application pour améliorer nos infrastructures. Tout le front de mer de la ville de Fort-de-France est doté d'un viaduc qui a été réalisé par le conseil général. Il est censé pourvoir résister à des mouvements de mer importants, des tremblements de terre de forte magnitude, des problèmes de liquéfaction de sol, de glissements de terrain. Tout le centre de Fort-de-France est ainsi protégé.

En mer, nous disposons de 3 houlographes, 1 marégraphe au Nord en temps réel. Un second est prévu pour le sud. Tout ceci est l'ensemble du suivi d'études des catastrophes naturelles. Aujourd'hui nous disposons d'un véritable pôle d'excellence et j'essaie d'en faire un pôle de compétitivité. J'ai adossé tout cela au pôle PACA et au pôle Euroméditerranée.

Nous avons ensuite une politique de culture des risques. Depuis 2006, une caravane se déplace dans toute la Martinique avec un simulateur de séismes. Elle est dédiée aux Martiniquais et se déplace dans les écoles, sur les grandes manifestations. Nous nous déplaçons tout au long d'étapes. Nous faisons bénéficier de ce système de simulateur et nous développons toute une politique de culture du risque.

J'ai fait construire en 2003 un Centre de découverte des sciences de la terre, au nord, à Saint-Pierre. Il joue un rôle important dans cette diffusion de la culture du risque. Je dois mentionner aussi la coopération régionale, qui est une chose importante.

Cher lieutenant-colonel, l'Etat français a l'air de sous-estimer ce que nous avons mis en place, cependant on vient voir cela des îles voisines, de la Jamaïque, du Venezuela, de Trinidad, du Chili, des Canaries, de Madères, etc. Quand le Premier ministre passe, on ne connaît pas les services techniques du conseil général. Je suis obligé de lui faire savoir qu'on existe, qu'on vient nous voir de l'extérieur, et qu'il y a une capacité d'expertise extrêmement importante.

Ces services techniques interviennent avec un plan de mobilisation. Je signale quand même que les premiers à être arrivés avec les pompiers départementaux sont les services techniques du conseil général. On vient de l'expérimenter au Prêcheur, lorsque le Prêcheur a été coupé du reste de la Martinique. Il faut que le décloisonnement se fasse de temps en temps et que nous ne soyons pas chacun de notre côté à plaider uniquement pour notre paroisse.

Sur le plan de la coopération régionale et internationale, nous sommes en relation avec ce qu'on appelle le Groupe intergouvernemental de coordination mis en place par la commission intergouvernementale océanographique de l'UNESCO. Elle s'est réunie notamment l'année dernière en Martinique. Cela a été organisé par l'IPGP et le conseil général de la Martinique, avec un certain nombre de préconisations qui sont précisément le fait de mieux intégrer tous les acteurs en Martinique, les acteurs des Antilles françaises, mais également les acteurs de la région. Nécessité pour nous de mieux nous intégrer aux dispositifs qui sont mis en place sous l'égide de l'UNESCO.

L'année prochaine, il y aura un exercice de simulation de tsunami « Carabe Wave » qui est prévu pour mars 2011 et nous allons y participer. Mon souhait est qu'on tienne davantage compte de ce potentiel d'expertise qui existe là et que la France l'utilise davantage.

Bien avant le séisme d'Haïti, j'ai été sollicité par le gouvernement haïtien pour une coopération en relation avec la région Île-de-France pour équiper la zone des Gonaïves d'un système départemental d'alerte de crues. Cela a été interrompu par le séisme qui a maintenant la priorité. Nous envoyons en Haïti des experts des services techniques du conseil général et nous recevons des techniciens, des ingénieurs haïtiens en échange pour une formation sur ces problèmes. Je pense qu'il y a un potentiel important.

Vous savez qu'il y a eu une conférence à Fort-de-France pour poser le problème de l'intervention de la France en Haïti. J'ai été un peu provocateur, mais j'ai dit que j'avais l'impression d'être invité dans un autre pays, moi président du conseil général de Martinique, comme si je venais écouter ce que les autres allaient faire, alors que nous sommes en relation avec les Haïtiens, sur des affaires techniques très pointues. C'est superbement ignoré au niveau central. Je tiens quand même à dire que nous serons beaucoup plus efficaces à la fois pour la couverture du risque en Martinique même, aux Antilles plus généralement, mais aussi dans l'ensemble de la région, s'il y a une véritable intégration régionale dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres d'ailleurs.

Concernant les enfants haïtiens, une quarantaine d'entre eux sont pris en charge par les assistantes maternelles du conseil général et par le foyer départemental. Ils sont pour l'instant entièrement à la charge du conseil général de Martinique. Je sais bien que l'Etat se vante de s'occuper des orphelins haïtiens. Des familles viennent faire les démarches. Je suis obligé d'intervenir auprès du ministère des Affaires étrangères, de Monsieur Kouchner, pour régler les problèmes dont je n'ai pas besoin de mentionner la complexité. Pour l'instant, les frais hospitaliers, les frais de garde sont à la charge du conseil général de la Martinique.

Concernant nos pompiers qui sont partis, je préfère ne pas m'étendre sur les pourvoyeurs de financements, pour toutes ces belles opérations. Je tenais à le dire. On est en décentralisation et de temps en temps, j'ai l'impression que nous sommes considérés comme tout à fait à la marge, sauf quand il faut payer. A ce moment-là, on se demande ce que font les collectivités territoriales. Quand elles sont actives, on les ignore.

M. Roland Courteau

Cela méritait en effet d'être précisé et rappelé. Merci de cette intervention qui s'imposait.

M. Hubert Seillan

Je voudrais apporter un témoignage. En 2000 ou 2003, je ne sais plus exactement, j'ai eu une mission, qui a été financée par le conseil général, le conseil régional, la ville de Fort-de-France. Il s'agissait de faire un exercice de communication et de gestion de la crise en cas de crise majeure.

Nous avons rencontré le préfet. J'étais avec le correspondant de la revue Préventique aux Antilles qui est Franck Hubert, que vous connaissez et Monsieur Soumbo que vous connaissez aussi. Cet exercice a été très bien organisé par les collectivités avec l'appui du préfet. Il était à l'initiative des collectives. Je voulais le souligner. C'est très intéressant de ce point de vue. Cela a été suivi, vous devez vous en souvenir, Monsieur le président, par la signature d'une charte qui est toujours en vigueur, je pense. On pourrait appeler cela un « code de bonne gouvernance » entre l'Etat et les collectivités. Je dis cela parce qu'on l'a oublié. Il ne faudrait pas que cette charte - je le disais à Franck Hubert, il y a peu de temps - soit dans un tiroir. Cela a été écrit. Je l'ai rédigée.

Lorsque j'étais là-bas, on s'inquiétait beaucoup de l'aéroport. On parle comme si l'aéroport tiendrait. Or, il n'est pas parasismique, si mes souvenirs sont exacts. Dans l'enceinte de l'aéroport, il y a une zone Seveso, qui est à quelques kilomètres du centre-ville. Que devient la zone Seveso ? C'est un stockage de carburants considérable. Si cela explose, cela provoquera des incendies et des risques chimiques.

Qu'en est-il des hôpitaux ? J'ai publié un article signé Franck Hubert qui est un spécialiste du risque parasismique. Concernant le dernier hôpital construit, on affirme qu'il est parasismique, mais il indique qu'il l'est à des normes qui sont inférieures. L'hôpital ne sera donc pas opérationnel à 100 %. Ce n'est pas moi qui parle; c'est ce qu'on disait quand j'ai fait ma mission.

Par ailleurs, quand on voit la configuration de l'île, on peut dire que la communication sera quasiment interrompue. Enfin, comme l'a souligné Monsieur Sorro, il n'y aura pas possibilité d'avoir l'aide, la solidarité, la mutualisation des moyens des Antilles même. J'avoue que je suis excessivement inquiet pour la situation des îles des Antilles françaises.

Je le dis en soulignant en même temps les qualités extraordinaires de l'organisation mise en place et des hommes qui sont là. C'était remarquable. On sait tous aussi que les meilleurs plans ont les limites de la réalité du terrain. Vous le savez bien. Là, je suis très inquiet. J'ai envoyé un SMS à mes amis des Antilles. Je leur disais qu'on était en train de parler d'eux. Je regrette un peu que Franck Hubert ne soit pas là. Il aurait eu des choses à nous dire.

Il y a une chose que je n'ai pas entendue : l'effort que fait aujourd'hui Franck Hubert pour développer les fameuses tables parasismiques dans les écoles. Cela se passe à Bordeaux, car il est en relation avec un institut du bois. Cette table est conçue pour héberger l'enfant pendant l'équivalent de quarante-huit heures. Où en est-on du projet financier ? Ce n'est pas cher. Étant bordelais, je suis le dossier de très près.

On travaille beaucoup. Comme vous l'avez dit Monsieur Cova, il est vrai qu'il y a aux Antilles un modèle de mobilisation préventive, mais avec des moyens très insuffisants. Je crois surtout que la coordination entre les pouvoirs locaux et le pouvoir de l'Etat est trop faible pour que ce soit efficace. Je l'ai remarqué. C'est la raison pour laquelle j'insiste sur cette charte qui voulait que cela change, qu'il y ait une gouvernance d'un autre type. Il faudrait la retrouver.

M. Claude Lise

Sur les hôpitaux, le lieutenant-colonel Cova a apporté certains éléments. Sur Mangot Vulsin, l'hôpital est à peu près aux normes. Ce ne sont pas les dernières normes, mais sauf séisme extrêmement grave, il devrait tenir. Ce qui m'inquiète c'est le Centre hospitalier régional universitaire (CHRU). C'est le plateau technique le plus important. Il sera par terre. Pour la S.A.R.A. (raffinerie de pétrole), qui se trouve sur la fameuse zone Seveso, un plan de mise aux normes est engagé, mais je ne sais pas à quelle phase ils en sont.

Sur la coordination, vous y avez fait allusion, je crois qu'elle peut être améliorée. J'ai été volontairement un petit peu provocateur, parce que j'ai toujours l'impression qu'il faut répéter que des choses se font du côté de la collectivité départementale notamment, mais la coordination s'améliore. On s'occupe de cet élément.

Pour ce qui est de la table des écoliers de Franck Hubert, pour l'instant, on ne peut pas dire que ce soit généralisé, mais il y a une diffusion de l'information sur ce dispositif. Je pense que cela va être certainement cofinancé. Il y aura certainement une prise en compte par les différents partenaires. C'est actuellement bien pris en compte par les médias.

Quelqu'un a mis au point un système de lits qui permet aussi de tenir, avec même des éléments de premiers secours au-dessus du lit. Ce sont des lits à colonnes avec des éléments transversaux qui permettent de s'en sortir en cas d'effondrement d'un plafond. Il y a beaucoup d'inventivité sur ce sujet.

Il est vrai qu'il y a aussi un manque de moyens financiers. Tout ce qu'on a fait, tout ce que j'ai cité a déjà consommé énormément de crédits, sans qu'on ait beaucoup d'aides sur les dispositifs que j'ai indiqués. Je les ai beaucoup développés à une époque parce qu'on avait les moyens. Maintenant, comme tous les départements, nous sommes littéralement asphyxiés. Nous ne pouvons plus beaucoup progresser.

M. Hubert Seillan

J'ai dit tout à l'heure que j'étais inquiet. Voici une anecdote Monsieur Cova. Quand le préfet a signé la charte, nous avons fait une petite fête. A cette occasion, je lui ai demandé ce qu'il en était pour les morts, quelles étaient ses estimations. Il m'a répondu dans une boutade parfaite : 65 000 sacs. Cela veut dire qu'on estimait qu'il pouvait y avoir - vous avez parlé de 30 000 morts - 65 000 morts. Cela a été dit et il y avait des témoins. Il voulait dire qu'on ne pourrait rien faire. C'était sûrement extrême, mais le chiffre est là.

M. Philippe Cova

Je voudrais répondre au président avec qui on travaille en parfaite collaboration, depuis quatre ans. Dans mon exposé, je n'ai pas parlé de tous les moyens préventifs du conseil général, car on m'a demandé de présenter trois cas de gestion concrète. C'est ce que j'ai fait en présentant l'exercice, en présentant le séisme et en présentant Haïti.

L'Etat français a envoyé ces trois dernières années 5 détachements de sécurité civile en Martinique pour les opérations de traitement de l'eau, pour la distribution d'eau des 80 000 Martiniquais, suite aux glissements de terrain, lors du cyclone Dean. Je ne peux pas non plus laisser dire qu'il n'y a pas de collaboration entre l'Etat et le conseil général. Depuis quatre ans que je suis en Martinique, j'ai découvert des acteurs qui s'impliquent et il y a vraiment une excellente collaboration entre le conseil général, le conseil régional et l'Etat.

Concernant les dépenses engagées par le conseil général, concernant les sapeurs-pompiers, conformément à la loi de sécurité civile 2004, toutes les opérations de sécurité civile sont prises en charge et remboursées par l'Etat.

M. Roland Courteau

Nous abordons la dernière table ronde.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page