III. LA MISE EN CAUSE DE L'OMS

La déclaration, le 11 juin 2009, par la directrice générale de l'OMS d'une pandémie de grippe A (H1N1)v - d'emblée considérée comme « de gravité modérée », « du moins dans ses premiers jours » 38 ( * ) - a rapidement suscité des critiques à l'égard de l'OMS, soupçonnée au mieux d'avoir surestimé le risque et recommandé aux Etats membres des mesures disproportionnées et d'un coût démesuré, au pire d'avoir « inventé » une pandémie sous l'influence des industries pharmaceutiques, désireuses de rentabiliser leurs investissements grâce à l'application des plans nationaux.

Si ces critiques sont pour certaines excessives, le rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), présenté par M. Paul Flynn 39 ( * ) , sur une proposition de recommandation présentée par M. Wolfgang Wodarg, membre sortant de l'APCE et épidémiologue, les travaux de votre commission d'enquête et divers autres éléments d'information soulèvent en tout cas un certain nombre de questions sérieuses sur l'opacité de la gestion par l'OMS de la crise pandémique, comme sur les conflits d'intérêts de certains de ses experts et leurs conséquences sur les recommandations formulées par l'OMS.

Après avoir d'abord réfuté en bloc ces critiques, considérées comme relevant de « théories du complot », l'OMS semble avoir pris conscience de la nécessité d'en tenir compte, mais les premiers indices de cette prise de conscience sont encore insuffisants.

A. LES REPROCHES ADRESSÉS À L'OMS

Les reproches adressés à l'OMS ont été de trois ordres. Ils ont porté :

- sur l'action et les priorités de l'OMS ;

- sur les conditions de déclaration de la pandémie et le suivi de l'évaluation du risque ;

- sur l'opacité de l'OMS et son incapacité - ou son manque de volonté - à gérer les conflits d'intérêts en son sein.

1. La mise en cause des priorités de l'OMS

Les critiques relatives aux priorités de l'OMS émanent souvent, ce qui n'est pas surprenant, de médecins, dont plusieurs ont été auditionnés par la commission d'enquête.

Ces critiques portent sur les missions de l'OMS et leur exercice :

- dans le choix des priorités de santé publique, l'OMS étant une organisation politique pouvant commettre des erreurs techniques ;

- en ce qui concerne les mesures préconisées, non adaptées aux pays en développement.

a) L'OMS, une organisation politique pouvant commettre des erreurs techniques d'appréciation au coût élevé

M. Marc Gentilini, professeur émérite des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, membre de l'Académie de médecine, observe que l'OMS, qui devrait être le « phare de la santé mondiale » 40 ( * ) est une organisation politique qui peut commettre des erreurs techniques dans l'exercice de sa mission, en cas de crises sanitaires 41 ( * ) .

Les réactions de l'OMS peuvent être trop tardives, par exemple pour le syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA) perçu de manière erronée comme ne frappant que l'Amérique ou des catégories limitées de populations, ou bien être précipitées et pécher par excès, comme dans le cas de la grippe. Des facteurs personnels peuvent également jouer : M. Marc Gentilini relève que le directeur général de l'OMS, originaire de Hong Kong, a elle-même été impliquée dans la lutte contre la grippe aviaire, et sensibilisée à la question des infections grippales, très présentes en Asie du Sud-Est.

Ainsi susceptible de faire des erreurs d'appréciation, l'OMS avait déjà, selon M. Ulrich Keil, directeur de l'Institut d'épidémiologie à l'Université de Munster, lancé plusieurs « fausses alertes » avant le déclenchement de la pandémie grippale de 2009 42 ( * ) . M. Ulrich Keil cite les exemples de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et de la grippe aviaire. Toutefois, à la différence des cas précédents, la grippe A (H1N1)v a donné lieu à l'engagement, pour la première fois dans de telles proportions, de mesures de production de vaccins, et à l'engagement de campagnes de vaccination de masse.

Dans la proposition de recommandation qui devait donner lieu au rapport de la sous-commission Santé de l'APCE, M. Wolfgang Wodarg insistait également sur les conséquences négatives de l'action de l'OMS :

« Les campagnes sur la " grippe aviaire " (2005/06) puis sur la " grippe porcine " semblent avoir causé de nombreux dommages, non seulement pour certains patients vaccinés et pour les budgets de santé publique mais aussi pour la crédibilité et la responsabilité d'importantes agences sanitaires internationales. Le soin de définir une pandémie alarmante ne doit pas être soumis à l'influence des marchands de médicaments . »

b) Des recommandations de l'OMS inadaptées aux pays en développement, pourtant les plus exposés à un danger de grippe pandémique

Les personnalités médicales auditionnées par la commission d'enquête ont également observé que l'OMS, chargée de diriger l'action sanitaire au niveau mondial, non seulement accorde une importance disproportionnée aux questions de santé des pays industrialisés et au risque que représenterait la grippe dans ces pays, mais aussi que les moyens envisagés de lutte contre la grippe correspondent d'abord à la situation des pays les plus riches. De plus, l'accent mis sur la grippe l'a été au détriment d'autres risques pandémiques très répandus dans les pays en développement, tels que la rougeole, contre lesquels la vaccination a fait ses preuves. Pourtant, comme l'a observé devant la commission d'enquête M. Yves Charpak 43 ( * ) , l'OMS est le lieu où se négocie la solidarité internationale pour la protection de la santé.

Parmi les moyens de lutte contre la grippe, M. Tom Jefferson a souligné, lors de son audition par la commission d'enquête 44 ( * ) , que le document d'orientation de l'OMS d'avril 2009 de réponse à une pandémie grippale cite vingt-quatre fois la vaccination, seize fois les antiviraux et seulement deux fois le lavage des mains, qui est pourtant la mesure la moins coûteuse et a priori la plus accessible aux populations des pays en développement.

Même lorsque les recommandations de l'OMS portent sur les mesures sanitaires, leur formulation n'est pas adaptée à la situation des pays en développement, comme l'a remarqué M. Marc Gentilini devant la commission d'enquête 45 ( * ) .

Seuls les pays développés disposent ainsi des ressources suffisantes pour mener des campagnes de vaccination de masse, alors qu'en cas de diffusion d'un virus grippal aussi virulent que celui de la grippe espagnole, 96 % des morts seraient constatées dans les pays en développement, où les conditions sanitaires sont moins favorables, ainsi que l'a observé M. Ulrich Keil lors de son audition par la commission d'enquête 46 ( * ) . Il a déploré un manque de hiérarchie des priorités de l'OMS et une prise en compte insuffisante du contexte social.

Si ses recommandations n'apparaissent pas adaptées aux pays en développement, l'OMS n'a pas pour autant ignoré la situation des pays les plus pauvres face à la pandémie grippale, en ayant mobilisé des ressources et coordonné les dons de vaccins. De même, la solidarité internationale doit en effet conduire à soutenir le principe que les Etats ayant acquis des vaccins approvisionnent les Etats ne disposant pas des ressources suffisantes pour en acheter.


* 38 Source : site de l'OMS

http://www.who.int/mediacentre/news/statements/2009/h1n1_pandemic_phase6_20090611/fr/index.html

* 39 Disponible sur le site de l'APCE à l'adresse suivante :

http://assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/Doc10/FDOC12283.pdf .

* 40 Audition du 5 mai 2010.

* 41 L'OMS a ainsi pour mission de « réagir aux situations de crise en veillant à ce que des mesures efficaces et rationnelles soient prises en temps voulu pour répondre aux priorités de santé publique afin de sauver des vies et d'atténuer les souffrances » (source : site de l'OMS, http://www.who.int/hac/about/faqs/fr/index.html ).

* 42 Audition du 19 mai 2010.

* 43 Audition du 28 avril 2010.

* 44 Audition du 19 mai 2010.

* 45 Audition du 5 mai 2010.

* 46 Audition du 19 mai 2010.

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