2. La « fausse pandémie »

Les critiques sur la fausse alerte pandémique ont été renforcées par le changement de définition de la pandémie grippale auquel aurait procédé l'OMS, dans les mois ayant précédé la déclaration du passage en phase 6 le 11 juin 2009. Dans sa proposition de recommandation, à l'origine du rapport de l'APCE présenté par M. Paul Flynn, M. Wolfgang Wodarg évoque ainsi de « fausses pandémies ».

Le programme mondial 2009 de l'OMS de lutte contre une pandémie grippale s'inscrit dans le cadre défini par le règlement sanitaire international (RSI) révisé en 2005. Le RSI révisé a établi une procédure en cas d'« urgence de santé publique de portée internationale », et non de pandémie, ce terme ne figurant pas dans le RSI. En application des dispositions du premier alinéa (1.) de l'article 12 du RSI, « le directeur général détermine, sur la base des informations qu'il reçoit, en particulier de l'Etat Partie sur le territoire duquel un événement se produit, si un événement constitue une urgence de santé publique de portée internationale » 47 ( * ) . Les recommandations de l'OMS faisant suite au passage en phase 6 du niveau d'alerte pandémique ont été la réponse à une urgence de santé publique.

Cependant, lors de son audition par la commission d'enquête 48 ( * ) , M. Tom Jefferson a observé que « la grippe pandémique est ce que l'OMS décide qu'elle est », en s'appuyant sur les travaux d'un étudiant doctorant à Harvard, M. Peter Doshi, à qui l'utilisation d'un logiciel Internet, Wayback Machine, a permis de retrouver les anciennes définitions : de 2003 à 2009, une pandémie a été définie par l'apparition de « plusieurs épidémies simultanées à travers le monde avec un grand nombre de décès et de maladies » ; un changement a été opéré entre le 1 er et le 9 mai 2009, faisant disparaître le critère de gravité. Toujours selon ces travaux, le contenu des pages Internet de l'OMS a été modifié, sans changer la date affichée.

Pour sa part, l'OMS affirme que la définition de base de la pandémie n'a jamais changé. Citée par M. Tom Jefferson lors de son audition par la commission des questions sociales, de la santé et de la famille de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe le 29 mars 2010, Mme Nathalie Boudou, porte-parole de l'OMS, a justifié le changement de définition sur le site de l'OMS par la correction d'une « erreur », en affirmant que la définition correcte d'une pandémie devait faire référence à l'apparition de foyers dans au moins deux régions du monde, mais n'avait rien à voir avec la gravité de la maladie ou le nombre de décès 49 ( * ) .

La comparaison des documents de l'OMS (cf. encadré ci-après) montre que, dès 1999, les critères de nouveauté et d'extension géographique du virus ont toujours été au coeur de la définition de la pandémie (dont l'étymologie même renvoie à sa seule diffusion), avant la gravité « probable » que revêt une pandémie. En 2005, si la gravité n'est qu'un des critères de passage d'une phase à une autre dans le plan mondial actualisé de l'OMS de préparation à une pandémie, un autre document de l'OMS de planification face à une pandémie grippale mentionne un « grand nombre de cas et de décès ». En revanche, dans le programme mondial de l'OMS d'avril 2009 de lutte contre une pandémie grippale, selon la version actuellement consultable sur son site Internet 50 ( * ) , la gravité n'est plus un critère de définition de la pandémie.

Evolution de la définition d'une pandémie grippale par l'OMS

En 1999

Dans le plan mondial de l'OMS de 1999 de préparation à une pandémie de grippe, une pandémie apparaît lorsque sont réunis des critères géographiques et de gravité :

« La pandémie sera déclarée quand il aura été montré qu'un nouveau sous-type de virus a causé des flambées sérieuses dans au moins un pays et s'est étendu à d'autres pays, avec des types de maladies indiquant qu'une grave morbidité et mortalité sont probables dans au moins un segment de la population » (« The Pandemic will be declared when the new virus sub-type has been shown to cause several outbreaks in at least one country, and to have spread to other countries, with consistent disease patterns indicating that serious morbidity and mortality is likely in at least one segment of the population ») 51 ( * ) .

En 2005

Dans le plan mondial de l'OMS de 2005 de préparation à une pandémie de grippe 52 ( * ) , la pandémie correspond à une « transmission accrue et durable dans la population générale ». Si la « gravité de la maladie » figure explicitement (note p. 9) parmi les critères permettant de distinguer les phases 3, 4 et 5, les exemples donnés en phase 5 prévoient, en revanche, la possibilité de cas isolés et en nombre limité, avant le déclenchement de la phase 6.

Mais dans la « Liste de contrôle OMS pour la planification préalable à une pandémie de grippe » diffusée par l'OMS en avril 2005 53 ( * ) , la pandémie est définie explicitement par un grand nombre de cas et de décès :

« Une pandémie de grippe survient lorsqu'apparaît un virus nouveau contre lequel le système immunitaire humain est sans défense, donnant lieu à une épidémie mondiale provoquant un nombre considérable de cas et de décès. Le nouveau virus grippal est d'autant plus susceptible de se propager rapidement dans le monde que les transports internationaux ainsi que l'urbanisation et les conditions de surpeuplement s'intensifient. »

En 2009

Le plan mondial 2009 de l'OMS de préparation à une pandémie de grippe définit clairement la pandémie du seul point de vue de sa diffusion géographique :

- en phase 5 : des « flambées soutenues à l'échelon communautaire dans au moins deux pays d'une même région OMS » ;

- en phase 6, le virus provoque « des flambées soutenues à l'échelon communautaire dans au moins un pays d'une autre région de l'OMS » 54 ( * ) .

Les critères de définition d'une pandémie ont donc été modifiés, un peu plus d'un mois avant le passage en phase 6, le 11 juin 2009, pour une pandémie alors reconnue comme étant « de gravité modérée ». Cependant, rien n'indique une modification intentionnelle de la définition, la procédure suivie par l'OMS répondant à une urgence de santé publique internationale, en application du dispositif prévu par le RSI modifié en 2005.

Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Wolfgang Wodarg a cependant estimé que la déclaration de l'état de pandémie a été permise par le changement de définition 55 ( * ) , en s'interrogeant sur l'influence de l'industrie pharmaceutique qui se préparait de longue date à une nouvelle pandémie grippale. La proposition de recommandation de M. Wolfgang Wodarg estime que « le soin de définir une pandémie alarmante ne doit pas être soumis à l'influence des marchands de médicaments ».

Ces interrogations soulèvent la question de la gestion par l'OMS des conflits d'intérêts entre ses experts et l'industrie pharmaceutique.


* 47 Source : site de l'OMS ( http://whqlibdoc.who.int/publications/2008/9789242580419_fre.pdf ).

* 48 Audition du 19 mai 2010.

* 49 Op. cit. , p. 12.

* 50 Source : http://www.who.int/csr/disease/influenza/pipguidance09FR.pdf .

* 51 Source : http://whqlibdoc.who.int/hq/1999/WHO_CDS_CSR_EDC_99.1.pdf .

* 52 Source : http://www.who.int/csr/resources/publications/influenza/FluPrep_F2.pdf .

* 53 Source : http://www.who.int/csr/resources/publications/influenza/FluCheck_F4web.pdf .

* 54 Op. cit. , p. XIII.

* 55 Audition du 16 juin 2010.

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