C. UNE CERTAINE PRISE DE CONSCIENCE DE L'OMS

Dans sa lettre au BMJ du 8 juin 2010 précitée, le directeur général de l'OMS reconnaît la nécessité d'améliorer les règles relatives aux conflits d'intérêts : « l'OMS doit établir et appliquer des règles plus strictes concernant les rapports avec l'industrie et c'est ce que nous faisons » 82 ( * ) .

Cette prise de conscience se traduit par des mesures intervenues récemment. Elle a donné lieu à des recommandations du Conseil de l'Europe pour aller plus loin.

1. Quelques mesures récemment intervenues
a) La gestion des conflits d'intérêts au sein de l'OMS : une procédure de 2004 complétée en 2010

D'après les informations auxquelles a eu accès la commission d'enquête à l'OMS, l'organisation internationale a défini, dès 2004, des lignes directrices pour prévenir les conflits d'intérêts. Ce dispositif a été révisé en 2010 pour en étendre la portée et le contenu.

Cette procédure repose sur un système déclaratif, une définition des conflits d'intérêts et un traitement des déclarations.

Introduite en 2010, la procédure très élaborée d'évaluation des conflits d'intérêts, par étapes, est résumée dans le tableau ci-dessous.

L'évaluation des conflits d'intérêts par l'OMS

ÉTAPE 1 : Examen initial : Pertinence et importance de l'intérêt

A la réception de la déclaration d'intérêts (DI) adressée par un expert, un examen initial est entrepris par le Coordonnateur ou Directeur de l'unité ou programme technique responsable de la réunion ou activité à laquelle l'expert doit participer pour déterminer si un intérêt a été déclaré, et si oui , s'il est d'importance mineure ou potentiellement majeure . Le Coordonnateur ou Directeur délègue normalement l'examen initial à la personne responsable de la réunion ou du contrat (l'« Administrateur responsable »).

Si, à l'issue de l'examen initial, l'Administrateur responsable détermine qu'aucun intérêt pertinent n'a été déclaré ou que cet intérêt est non majeur ou minime, il doit l'enregistrer par écrit, par exemple dans une note ou un mémorandum au Coordonnateur ou Directeur concerné. Ce n'est qu'à ce stade que le Secrétariat envoie à l'expert une invitation à participer à la réunion ou activité ou établit le contrat approprié (TSA, APW, etc.) pour que le travail puisse commencer. En cas de doute ou d'incertitude, l'Administrateur responsable doit consulter le Bureau du Conseiller juridique (LEG) et le Département Partenariats et réforme des Nations Unies (PUN) au Siège de l'OMS.


ÉTAPE 2 : Évaluation du conflit d'intérêts : Facteurs à prendre en considération

Cette évaluation a pour objet de déterminer si l'expert peut ou non participer à l'activité ou s'il peut le faire uniquement à certaines conditions .

A l'issue de l'examen initial, l'Administrateur responsable doit organiser une réunion avec le Directeur ou Coordonnateur et le personnel concerné pour commenter et passer en revue toutes les DI dans lesquelles un intérêt pertinent est déclaré. En cas de doute ou d'incertitude, l'Administrateur responsable doit consulter LEG et PUN.

ÉTAPE 3 : Évaluation du conflit d'intérêts : La mise en balance

L'évaluation d'un conflit d'intérêts consiste essentiellement en une « mise en balance ». Lors de cet exercice, le Secrétariat doit, tout en prenant pleinement en considération la contribution, les tâches et les fonctions de l'expert ainsi que la disponibilité d'autres experts ayant les compétences requises, comparer :


la nature, le type et l'importance de l'intérêt de l'expert et, partant, la mesure dans laquelle on peut raisonnablement s'attendre à ce que cet intérêt influence le jugement de l'expert ;

et


l'adéquation des mesures/options disponibles pour garantir l'indépendance et l'intégrité du processus de décision.

ÉTAPE 4 : Évaluation du conflit d'intérêts : Options éventuelles

S'il est conclu qu'un intérêt déclaré est potentiellement majeur, on peut envisager l'une des trois options suivantes, ou une combinaison des trois , pour déterminer, éventuellement, à quelles conditions l'expert peut participer à l'activité ou à la réunion.

L'Administrateur responsable et/ou le Directeur ou Coordonnateur doivent toujours consulter le Président de la réunion avant de divulguer l'intérêt d'un expert aux autres participants à la réunion ou d'envisager l'une quelconque des mesures ci-après.

i) Participation conditionnelle : Avec cette formule, l'Administrateur responsable décide de maintenir la participation de l'expert à la réunion ou aux travaux et de divulguer l'intérêt de l'expert à tous les participants au début de la réunion ainsi que dans le rapport de la réunion et/ou dans les publications ou produits d'activité pertinents. Cette approche est particulièrement indiquée lorsque l'intérêt de l'expert est relativement mineur .

ii) Exclusion partielle de la partie de la réunion ou des travaux pour lesquels un conflit d'intérêts a été identifié et/ou b) en l'excluant du processus de décision relatif à l'élaboration, par exemple, de lignes directrices ou recommandations. Dans ces deux cas, et après consultation du Président de la réunion (s'il y a lieu), l'intérêt signalé doit aussi être divulgué aux autres participants à la réunion et être enregistré dans le rapport de la réunion et/ou dans les publications ou produits d'activité pertinents.

iii) Exclusion complète.

Source : OMS

Préalablement à leur participation aux travaux de l'OMS, les experts remplissent une fiche de déclaration d'intérêts : ils doivent déclarer tous les intérêts pouvant constituer un conflit d'intérêts avec leur implication à une réunion ou à un travail de l'OMS. Le conflit d'intérêts peut être « réel », « potentiel » (en cas d'incertitude de la personne concernée sur l'obligation ou non qu'elle procède à une déclaration) ou « apparent » (l'objectivité de l'expertise peut être remise en cause par d'autres).

Les déclarations publiques d'intérêts envisagent les différents cas de figure où des activités ou des situations peuvent donner lieu à des conflits d'intérêts :

- l'emploi occupé (y compris comme consultant) ;

- le soutien à la recherche quelle qu'en soit la forme (monétaire ou non monétaire, subvention, parrainage...) ;

- les intérêts en matière d'investissements dans une entreprise ;

- la propriété intellectuelle ;

- les déclarations et prises de position publiques, ce qui représente une nouveauté introduite en 2010.

Des informations supplémentaires sont également demandées sur le produit faisant l'objet de la réunion ou de l'activité au regard des règles de concurrence, ainsi que sur les conséquences que la réunion ou l'activité peut avoir sur les intérêts d'autres parties avec lesquelles l'expert peut avoir des intérêts personnels, professionnels, financiers ou commerciaux majeurs. Les changements intervenus en 2010 ont étendu ce champ des obligations déclaratives, en particulier pour les obligations professionnelles et l'avantage concurrentiel.

Par ailleurs, la présentation du formulaire de déclaration d'intérêts a été modifiée, en incluant la définition des conflits d'intérêts aux questions elles-mêmes, dans un questionnaire d'un seul tenant.

Pour chaque réponse affirmative, le type d'intérêt doit être précisé, avec la mention de la société ou de l'organisation, de la personne détenant l'intérêt (l'expert, sa famille, son employeur, son unité de recherche), le montant des revenus ou des intérêts et leur caractère, ou non, actuel. Enfin, l'expert consent à la divulgation éventuelle de tout conflit d'intérêts pertinent le concernant.

Le secrétariat de l'OMS reçoit les déclarations d'intérêts. En cas de doute ou d'incertitude, il est prévu des consultations à un niveau supérieur du bureau du conseiller juridique (LEG) et du département partenariats et réforme des Nations Unies (PUN).

Dans tous les cas, il est procédé à une mise en balance de l'intérêt du recours à l'expertise et des liens d'intérêts déclarés. Les conflits d'intérêts potentiels sont entendus très largement : de manière non exhaustive, il est pris en considération la nature de l'intérêt (financier, scientifique, intellectuel), s'il est personnel (ou familial) ou concerne le département ou l'institution, ainsi que sa pertinence au regard de la réunion ou du travail à effectuer.

En cas de conflits d'intérêts, une large gamme de réponses est envisagée, y compris l'exclusion totale ou partielle des activités, l'intérêt pouvant également donner lieu à une divulgation publique. L'exclusion totale signifie une absence de participation aux travaux et aux discussions.

L'OMS dispose donc aujourd'hui d'une procédure complète, graduée et assortie de voies de recours à d'autres instances du secrétariat de l'OMS en cas de doute. En particulier, les décisions d'exclure totalement un expert d'une réunion ou d'un projet pour conflit d'intérêts doivent être prises en consultation avec le sous-directeur général compétent (ou le directeur de la gestion des programmes, dans le cas des bureaux par pays ou régionaux).

L'efficacité de ce dispositif repose cependant sur l'effectivité des déclarations d'intérêts et la mise en oeuvre des garde-fous prévus, actuellement impossible à apprécier faute de publicité des déclarations d'intérêts. Par ailleurs, il est encore trop tôt pour évaluer l'application des nouvelles règles, avec lesquelles les unités techniques de l'OMS sont priées de se familiariser. Ce dispositif étendu et clarifié (en particulier, grâce à la présentation par étapes) tend à combler les lacunes de l'ancien système, sans résoudre toutefois la question de la transparence.

b) Le comité d'examen du règlement sanitaire international (RSI) : une structure nouvelle, dont la présidence a été confiée à une personnalité incontestable

Critiquée pour sa gestion de la grippe pandémique, l'OMS a engagé une procédure d'évaluation interne. Mis en place en janvier 2010, le comité d'examen du règlement sanitaire international a tenu sa première réunion du 12 au 14 avril 2010.

Bien que l'engagement des travaux du comité d'examen ait été décidé par l'Assemblée mondiale de la santé en 2008, soit avant le déclenchement de la pandémie de grippe, celle-ci donne l'occasion d'une première évaluation du fonctionnement du RSI révisé, afin d'évaluer la riposte de l'OMS et de la communauté internationale à la pandémie et d'en tirer les enseignements pour préparer au mieux les réponses aux futures urgences sanitaires.

Les travaux du comité d'examen portent notamment sur le fonctionnement du comité d'urgence et l'efficacité des recommandations formulées, « en rapport avec la définition des phases de la pandémie » , et sur « les travaux des comités d'experts, groupes consultatifs et autres groupes scientifiques concernés qui donnent des avis à l'OMS, ainsi que l'adéquation des recommandations formulées par l'OMS à la suite de leurs travaux » 83 ( * ) . En d'autres termes, les critiques adressées à l'OMS sur la définition de la pandémie (même si l'OMS préfère parler de « définition des phases de la pandémie » ), le rôle des experts et les conflits d'intérêts, ainsi que l'élaboration et la portée de ses recommandations entrent dans le champ des travaux du comité d'examen, dont les conclusions sont attendues en 2011.

Le choix du président du comité d'examen, formé de vingt-neuf membres, apparaît comme un gage d'indépendance : le professeur Harvey V. Fineberg, président de l'Institut de médecine de Washington D.C., a été coauteur en 1978 d'un ouvrage critique sur la gestion de l'épidémie de grippe de 1976 aux Etats-Unis, dont la qualité est unanimement reconnue 84 ( * ) .

Un autre signe de la volonté d'une évaluation indépendante par le comité d'examen a été la démission de deux de ses membres, M. John MacKenzie et M. Tony Evans, membres du comité d'urgence, en raison de leur proximité avec les travaux de l'OMS durant la pandémie A (H1N1)v. Ils continueront cependant de contribuer aux travaux du comité d'examen en tant qu'experts, quand ils y seront invités.


* 82 Op. cit.

* 83 Source : rapport du comité d'examen à l'issue de sa première réunion (14 avril 2010).

* 84 MM. Richard E. Neustadt et Harvey V. Fineberg, The Swine Flu Affair : Decision-Making on a Slippery Disease, DHEW, 1978.

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