Audition de Mme Marianne FLEURY, médecin urgentiste
et de M. Olivier PATEY, médecin infectiologue,
chef du service des maladies infectieuses et tropicales
du Centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges,
membres du Comité de lutte contre la grippe
(mercredi 2 juin 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons aujourd'hui Mme Marianne Fleury, médecin urgentiste et M. Olivier Patey, médecin infectiologue, chef de service des maladies infectieuses et tropicales du Centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges, membres du Comité de lutte contre la grippe (CLCG).

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Marianne Fleury et M. Olivier Patey prêtent serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

Mme Marianne Fleury - Je n'ai aucun lien d'intérêts.

M. Olivier Patey - Je n'ai aucun lien direct mais j'en dirai un mot.

Je suis, depuis de nombreuses années, avec mes autres collègues, à l'origine de l'organisation de colloques scientifiques à l'Institut Pasteur, pour lesquels il y a un soutien occasionnel de quelques laboratoires mais sans aucune intervention de leur part, ni sur le programme, ni sur les intervenants. J'y reviendrai tout à l'heure en détail.

M. François Autain, président - Avant que je vous pose les questions que le rapporteur aurait souhaité vous poser, vous avez la possibilité de faire une déclaration liminaire.

Vous avez la parole.

Mme Marianne Fleury - Je suis médecin spécialiste en anesthésie réanimation et praticien hospitalier au SAMU de Seine-Saint-Denis, rattaché à l'hôpital Avicenne de Bobigny.

Quelle est la relation entre la médecine d'urgence et les maladies infectieuses ? Au quotidien, l'exercice de la médecine d'urgence nous impose de respecter rigoureusement des mesures d'hygiène et de protection des personnels car nous n'avons en général pas ou peu d'informations sur le statut infectieux des patients.

Les SAMU sont par ailleurs maintenant mobilisés en cas de crise sanitaire, on l'a vu avec le SRAS - syndrome respiratoire aigu sévère - et plus récemment encore.

En outre, en mars 2003, j'ai été nommée chef de l'équipe médicale des SAMU, missionnée avec le docteur Jean-Claude Manuguerra, virologue à l'Institut Pasteur de Paris, par le Gouvernement français pour aider à la prise en charge des patients atteints de SRAS à l'hôpital français d'Hanoï.

Nous avons été confrontés là à une maladie infectieuse. Les mesures d'isolement, le renforcement des mesures d'hygiène et de protection des personnels ont été simples, instaurées de façon empirique avant que le virus ne soit identifié. Elles ont été rapidement efficaces, le Vietnam ayant été le premier pays à avoir jugulé l'épidémie de SRAS.

Je suis membre, depuis 2004, du Comité local de lutte contre les infections nosocomiales à l'hôpital Avicenne et, depuis 2005, de la cellule de lutte contre la grippe, devenue Comité de lutte contre la grippe en 2008.

J'ai participé à la préparation de formateurs des établissements de santé publics et privés de Seine-Saint-Denis dans le cadre du plan de lutte contre la pandémie grippale ainsi qu'aux réunions relatives à la grippe organisées par les instances départementales et l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Enfin, j'ai collaboré à l'élaboration de l'annexe « Pandémie grippale » de l'hôpital Avicenne de Bobigny.

M. Olivier Patey - Pour ma part, je suis infectiologue et chef du service des maladies infectieuses et tropicales du Centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges, rattaché au CHU Henri Mondor de Créteil, depuis 1998.

J'ai une formation de bactériologie et de virologie systématique à l'Institut Pasteur et je suis titulaire d'un diplôme d'études approfondies de santé publique, obtenu à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière auprès du professeur Marc Gentilini.

J'ai été membre de la Ligue française pour la prévention des maladies infectieuses et je participe aussi aux travaux du groupe d'études épidémiologiques et prophylactiques.

Comme je le disais, j'ai été à l'origine, dans le cadre Groupe d'études épidémiologiques et prophylactiques (GEEP), en association avec la Ligue française pour la prévention des maladies Infectieuses (LFPMI) et l'Institut Pasteur, de nombreux colloques sur le contrôle épidémiologique des maladies infectieuses.

Ces dernières années, de grands sujets de santé publique y ont été abordés : climatologie et maladies infectieuses, zoonose, immunité naturelle et vaccinale en France, maladies infectieuses et évolutions des sociétés humaines, morbidité et mortalité des maladies infectieuses à l'aube du XXI e siècle, la veille épidémiologique nationale et internationale, les infections transmises par voie aérienne et les enjeux sanitaires des flux migratoires.

Les industries pharmaceutiques ont pu occasionnellement apporter un soutien financier à l'organisation de ces colloques. Il n'y eut cependant aucun intérêt financier direct ni aucune influence de leur part sur l'organisation ou les programmes qui étaient établis de manière totalement indépendante, avec un comité scientifique incluant des membres de l'Institut Pasteur, de l'Institut de veille sanitaire (InVS), du Service de santé des armées. Ces colloques étaient parrainés et financés par des structures publiques, comme la DGS et l'InVS.

Ceci explique l'absence de notification de ces événements dans ma déclaration publique d'intérêts (DPI). On nous a en effet remis rapidement des formulaires destinés aux membres du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) sans beaucoup d'explications.

M. François Autain, président - Quand ces documents vous ont-ils été remis pour vous permettre de déposer une déclaration publique de liens d'intérêts ?

M. Olivier Patey - En octobre-novembre 2009, je crois.

M. François Autain, président - Auparavant, vous n'aviez jamais entendu parler de problèmes concernant les liens d'intérêts ? On ne vous avait jamais demandé d'indiquer si vous aviez ou non des liens d'intérêts ?

Mme Marianne Fleury - J'ai rempli deux fois un formulaire qui ne comportait pas les mêmes questions, lorsque j'ai été amenée à participer à des groupes de travail au sein du HCSP.

M. François Autain, président - Au titre du HCSP et non au titre du CLCG ?

Mme Marianne Fleury - En effet.

M. François Autain, président - Pour ce qui est du CLCG, tout comme votre collègue, vous n'avez rien eu avant novembre 2009 ?

Mme Marianne Fleury - Je n'ai plus la date exacte en tête mais c'était en 2009.

M. François Autain, président - Alors que la législation s'applique depuis 2002 ! Il est vrai que le CLCG n'a été créé que par un décret en date du 25 juillet 2008. On ne peut donc vous demander de l'avoir appliquée avant - même s'il existait une structure préfigurant le CLCG.

M. Olivier Patey - Même si ce document aurait dû être rempli de façon plus complète, je pense qu'une certaine homogénéisation et une note explicative auraient été souhaitables.

J'ai reçu, il y a peu, une invitation aux deuxièmes rencontres parlementaires sur les vaccins consacrées à la pandémie, l'ensemble des laboratoires pharmaceutiques impliqués dans la grippe ont été sollicités.

M. François Autain, président - J'y ai été invité également. On m'a téléphoné deux ou trois fois : j'ai été obligé d'envoyer une lettre pour leur expliquer pour quelles raisons je ne pouvais y participer, dès lors qu'il s'agissait d'un colloque sponsorisé par les fabricants de vaccins. On ne peut parler librement de vaccination lorsqu'on sait que ce sont les fabricants qui les financent et les sponsorisent. C'est une position certes très minoritaire mais c'est la mienne.

Y avez-vous participé ?

M. Olivier Patey - Non.

M. François Autain, président - Vous avez bien fait ! J'aurais été curieux de savoir si, comme la loi les y oblige, les experts qui se sont manifestés à cette occasion ont pris soin de décliner, avant d'intervenir, leurs liens d'intérêts. J'ai vu quelques noms et je sais que ces gens-là ont un grand nombre de liens d'intérêts avec les laboratoires. C'est peut-être d'ailleurs trop long pour que l'on puisse l'intégrer dans une intervention !

M. Olivier Patey - En revanche, les thèmes retenus et la communication des congrès que nous organisons ne concernent ni la vaccination ni l'industrie pharmaceutique.

M. François Autain, président - Il est bien entendu que nous ne parlons que de cette rencontre parlementaire sur les vaccins intitulée : « Quelles leçons tirer d'une campagne de vaccination en cas de pandémie » , organisée le 7 avril à la Maison de la Chimie, à Paris, sponsorisée par GSK, Sanofi Pasteur, Roche et Pfizer qui tous, à un titre ou à un autre, ont fabriqué des vaccins ou des médicaments contre la grippe.

C'est une simple coïncidence mais il est nécessaire de la noter.

M. Olivier Patey - Notre dernier colloque qui vient d'avoir lieu il y a peu n'a reçu aucun soutien de l'industrie pharmaceutique ; le thème en était : « Eaux et maladies infectieuses, un enjeu du XXI e siècle » .

Nous avions fait intervenir des anthropologues afin de mieux saisir le comportement des individus dans le cadre de la mise en place des programmes de prévention. Je pense que ce sujet sera important pour cette commission s'agissant des difficultés qui se sont présentées au cours de la campagne de vaccination.

J'ai participé, à partir de 2004, à ces groupes de travail sur la grippe, constitués par le ministère de la santé, ainsi qu'à l'organisation de formations dans le cadre du plan de lutte « Pandémie grippale », en collaboration avec l'AP-HP et le ministère de la santé.

Un des problèmes fondamentaux, probablement à l'origine de la création de cette commission d'enquête, réside dans l'échec partiel de la campagne de vaccination.

Je souhaite rappeler quelques éléments qui me paraissent importants sur le CLCG, aujourd'hui mis en cause. Le CLCG n'est pas uns instance décisionnelle ; le travail du comité technique des vaccinations (CTV) s'est effectué en partenariat avec le CLCG. Les avis du HCSP étaient dans un premier temps discutés par le CLCG, puis formalisés et votés par le CTV et validés par la commission « Maladies transmissibles » du HCSP. Le CLCG n'a participé qu'aux aspects médicaux du plan et n'a eu pour rôle que de donner des avis techniques médicaux et scientifiques, à l'exclusion de tout aspect économique, logistique et de communication.

Ce Comité est multidisciplinaire : il rassemble des virologues, des épidémiologistes, des immunologistes, des pédiatres, des infectiologues, des médecins généralistes ainsi qu'un certain nombre de cliniciens.

Il a émis des recommandations, sur saisine du ministère de la santé. Ces avis pris collectivement, étaient ensuite transmis aux autorités de tutelle.

Le CLCG n'est pas un comité des vaccinations et a travaillé principalement sur trois sujets : les mesures barrières, les traitements antiviraux et les vaccins.

L'autre point important réside dans les délais qui ont pu s'écouler entre les avis et les prises de décisions qui ont parfois pu entraîner une incompréhension du public et des professionnels de santé, ainsi que dans le manque de retour d'informations sur les décisions prises au niveau ministériel à la suite des avis du comité.

C'est la première fois que l'on vivait une pandémie en temps réel. Il a donc fallu s'adapter régulièrement à la situation ; chaque semaine, les données épidémiologiques et virologiques étaient analysées pour pouvoir donner des avis adaptés.

La situation début mai était confuse, avec des taux d'attaque de 33 % dans certaines écoles new yorkaises ; j'étais à l'époque en Algérie, où un dispositif sanitaire exceptionnel avait été mis en place à Alger.

Que savait-on du virus ? Il s'agissait d'une composition génétique totalement nouvelle. Il s'agissait d'une recomposition inconnue jusqu'alors des virologues, même si des souches H1N1 avaient déjà pu circuler auparavant.

La discussion, au sein du Comité, consistait à savoir s'il fallait considérer ce virus comme nouveau ou comme une modification des virus H1N1 préexistants, avec les conséquences éventuelles que cela pouvait engendrer sur l'élaboration des vaccins.

Le point important était également de savoir si ce virus était ou non responsable de « grippettes ». Beaucoup de choses ont été dites sur ce sujet mais il faut les resituer. Les « grippettes » se compliquent rarement d'infections graves nécessitant la mise en place de techniques sophistiquées de réanimation. Ce virus touchait par ailleurs les individus âgés entre 10 et 60 ans, et non les sujets âgés comme dans le cas de la grippe saisonnière. Entre 20 à 25 % des patients ne présentaient aucun facteur de risque.

Enfin, selon les données en provenance de l'hémisphère Sud, on pouvait estimer les décès à mille en métropole en l'absence de toute mutation du virus.

Certaines études expérimentales ont montré que le virus A (H1N1)v atteignait l'arbre respiratoire inférieur, ce qui peut expliquer les formes gaves observées chez les sujets plus jeunes.

Des résistances à l'oseltamivir pouvaient également être craintes.

Enfin, la possibilité de mutation du virus demeurait, avec un risque de virulence accrue comme cela s'est produit en Norvège, mais le virus mutant ne s'est pas propagé.

Dans ces conditions, il a fallu faire évoluer les propositions vaccinales qui sont des décisions politiques qui font intervenir d'autres éléments, notamment sociétaux et économiques.

Les vaccins sont des outils majeurs de la lutte contre les maladies infectieuses qui ont permis de faire disparaître un certain nombre de maladies...

M. François Autain, président - Une saisine de la DGS en date du 8 mai 2009 vous demandait ce qu'il fallait faire en matière de vaccination et vous avez répondu qu'il fallait un vaccin pour tout le monde.

Vous avez donc émis un avis ; or, vous venez d'indiquer que ce type de décision est de nature politique. A la lecture du compte rendu de cette réunion téléphonique qui s'est tenue un dimanche, il est bien indiqué que vous préconisez « un vaccin pour tout le monde » - je cite au mot près.

C'est quelques jours après qu'a été adressée au laboratoire GSK la lettre d'intention qui commandait 50 millions de doses. Vous venez dire que vous n'avez jamais été sollicité pour rendre de tels avis ; il semble bien que ce soit le cas, si l'on s'en tient à la lecture des comptes rendus dont nous disposons.

M. Olivier Patay - Je parlais de décisions et non d'avis...

M. François Autain, président - Il est en effet pas question que vous preniez une décision ! Il s'agissait bien d'une proposition ou d'un avis rendu sur une saisine de la DGS. Est-on d'accord ? Nous ne le sommes pas ?

Mme Marianne Fleury - Il y a effectivement eu saisine de la DGS en date du 8 mai ; vous avez le document...

M. François Autain, président - La réponse date du 10 mai : elle a été rapide !

Mme Marianne Fleury - Nous avons été saisis le 8 pour donner une réponse le 10, lors d'un week-end ; c'était un peu difficile et très rapide pour avoir une réflexion...

M. François Autain, président - Trop rapide !

Mme Marianne Fleury - A ce moment-là, les informations étaient très parcellaires. Il était donc difficile de prendre une décision à tête reposée...

M. François Autain, président - Mais vous l'avez prise quand même !

Mme Marianne Fleury - On nous a demandé un avis ; il a été rendu en se référant à la réflexion et aux conclusions de décembre 2008 sur le H5N1, en reprenant les groupes de population...

M. François Autain, président - Ces deux virus n'avaient rien à voir entre eux !

Mme Marianne Fleury - Par ailleurs, un avis de février 2009 du Comité consultatif national d'éthique disait qu'il fallait pouvoir proposer à tous ceux qui voudraient se faire vacciner la vaccination contre le H5N1.

M. François Autain, président - C'est là un autre problème : on ne vous demande pas de prendre des décisions fondées sur l'éthique mais - me semble-t-il - fondées sur des données scientifiques.

Mme Marianne Fleury - ... De rendre un avis.

M. François Autain, président - Vous ne pouvez vous prévaloir de recommandations éthiques pour faire des propositions concernant la vaccination ! Or, en l'occurrence, en deux jours, vous avez préconisé une vaccination de l'ensemble de la population en vous référant à une décision que vous aviez prise concernant un autre virus. C'est bien cela ?

Mme Marianne Fleury - Oui, c'est le modèle de la vaccination H5N1 qui a été repris puisqu'on n'avait pas tous les éléments.

M. François Autain, président - A ce sujet, vous avez peut-être eu l'occasion de consulter certains avis du HCSP et du CTV et vous vous êtes rendu compte que les avis donnaient lieu à l'expression d'un vote. Certains experts ne participaient pas au vote du fait d'un conflit d'intérêts. Or, chez vous, il n'y a apparemment jamais eu de vote, ni de conflit d'intérêts ! Vous ne pouviez en avoir personnellement mais ne pensez-vous pas que certains membres de ce Comité avaient des conflits d'intérêts et qu'on n'en a pas tenu compte dans la délibération qui a précédé la transmission de cet avis à la DGS ? Malheureusement, vos avis n'ont pas donné lieu à publication contrairement à ceux du HCSP - ce qui est d'ailleurs regrettable !

A votre connaissance, aucun expert n'a donc jamais décidé de ne pas prendre part au vote du fait de conflits d'intérêts ?

Mme Marianne Fleury - Je n'en ai pas le souvenir. M. Jean-Claude Manuguerra a déjà répondu à cette question lors de son audition...

M. François Autain, président - Je ne crois pas car je ne lui ai pas posé la question. Je m'efforce de ne pas toujours poser les mêmes pour varier les plaisirs !

Mme Marianne Fleury - Les DPI ont été transmises à la DGS. Personnellement, je n'avais pas de consignes particulières.

M. Olivier Patey - Je souhaite apporter quelques éléments complémentaires concernant l'avis rendu et dans lequel les préconisations étaient une couverture vaccinale de la population âgée de 6 à 65 ans, ce qui excluait une partie de la population qui semblait être partiellement protégée...

M. François Autain, président - Malgré, avez-vous dit, le caractère complètement nouveau du virus, ce qui est contradictoire !

M. Olivier Patey - On commençait à avoir quelques informations épidémiologiques mais sans données immunologiques. Il s'agissait des premières données observationnelles. Il est toujours important de se positionner au moment où les décisions sont prises. Cela allait tellement vite que les informations variaient de quinze jours en quinze jours, voire plus rapidement, en fonction des données nationales ou internationales de l'InVS et des différents réseaux de virologie.

Si l'on se penche sur les éléments épidémiologiques de la pandémie, on découvre qu'un maximum de gens entre 6 et 65 ans ont eu la grippe ; c'est dans ce groupe d'âge que l'on retrouve les formes qui n'avaient jamais été vues auparavant et les décès.

A ma connaissance - mais on manque encore de données - on n'a pas observé de formes graves chez les gens vaccinés en dépit des délais contraints puisque la vaccination a été mise en place relativement tardivement et a mis beaucoup de temps à démarrer.

M. François Autain, président - A partir de quelle date les premiers vaccinés ont pu bénéficier de la protection sérologique contre le virus ?

M. Olivier Patey - On considère qu'il faut une quinzaine de jours minimum pour avoir un début de protection - ce qui est valable pour beaucoup de vaccins - et pour bénéficier éventuellement d'une protection clinique.

M. François Autain, président - Les premiers à en bénéficier dans la population l'ont été à partir de quelle date ?

M. Olivier Patey - Cela a été tellement étalé que c'est difficile à dire.

M. François Autain, président - A tel point que, depuis fin janvier, plus personne ne se fait vacciner !

M. Olivier Patey - Un point fondamental est précisément de savoir pourquoi.

M. François Autain, président - C'est un autre problème.

M. Olivier Patey - C'est un problème crucial.

M. François Autain, président - On peut y revenir mais je vous interrogeais sur le fait de savoir à partir de quelle date les premiers vaccinés ont pu bénéficier de cette immunité vaccinale.

Vous dites qu'un grand nombre de personnes ont pu en bénéficier et ont ainsi pu échapper aux formes graves. Sur quoi vous basez-vous pour l'affirmer ?

M. Olivier Patey - Je voulais dire que, dans les formes graves qui ont été observées, il n'y avait pas de patients vaccinés.

M. François Autain, président - Si, il y en avait quelques-uns. D'après les informations que j'ai, sur les 1 350 formes graves ayant donné lieu à des hospitalisations, on comptait 18 vaccinés.

M. Olivier Patey - Cela nécessite une analyse complémentaire : s'ils ont développé une grippe sévère trois jours après la vaccination, ils n'étaient en effet pas protégés.

M. François Autain, président - Ce qui prouve bien que la vaccination n'a pas rempli le rôle qu'on voulait lui prêter.

M. Olivier Patey - Elle ne l'a pas pu à partir du moment où elle n'a pas été effectuée !

M. François Autain, président - Si elle n'a pas été effectuée, c'est parce que les vaccins n'étaient pas prêts !

M. Olivier Patey - C'est plus compliqué. Les vaccins sont parvenus tardivement. Entre leur arrivée et leur injection, un certain délai s'est écoulé. La mise en place de la vaccination, tant pour les professionnels de santé que pour la population générale, a été plus longue que prévu : l'envoi des convocations a été imparfait et les hôpitaux eux-mêmes ont convoqué certaines personnes à risque pour les vacciner, comme les patients atteints du VIH.

En outre, un certain nombre de personnes ont usé de désinformation et laissé planer le doute sur l'efficacité et l'innocuité du vaccin...

M. François Autain, président - Pensez-vous là au professeur Marc Gentilini ?

M. Olivier Patey - Pas du tout. C'est un de mes maîtres et j'ai beaucoup d'estime pour lui.

M. François Autain, président - J'aime vous l'entendre dire parce que cette estime est partagée. Nous allons même au-delà puisque nous pensons qu'il a raison - ce qui n'est peut-être pas votre cas... Apparemment non.

M. Olivier Patey - Je ne dis pas qu'il n'avait pas raison. Je voudrais revenir sur le problème de la vaccination et des raisons pour lesquelles les gens ne se sont pas fait vacciner. Dans d'autres pays où les gens se sont fait vacciner, il y a eu un certain nombre d'encouragements.

M. François Autain, président - Il y a même des pays où les gens ne se sont pas fait vacciner du tout. On trouve de tout et le résultat est d'ailleurs le même. Moi qui suis rationaliste, je ne comprends pas !

M. Olivier Patey - La vaccination est arrivée très tardivement.

M. François Autain, président - Mais dans certains endroits, elle n'est pas arrivée du tout.

M. Olivier Patey - En fin d'évolution du pic pandémique, la situation est pratiquement identique.

M. François Autain, président - C'est donc comme si on n'avait pas eu de vaccination. C'est ce que vous voulez dire ? Vous n'êtes pas le premier à le dire : le professeur Bruno Lina nous a également laissé entendre que ce vaccin avait pu avoir un effet en termes de protection individuelle, mais à la marge.

M. Olivier Patey - Il est arrivé en partie tardivement et peu de gens ont été vaccinés. Un des points fondamentaux est de savoir pourquoi peu de gens ont été vaccinés. Il faut reprendre ce qui a été dit sur les vaccins, sur leur toxicité. Les données actuelles montrent bien que ces craintes étaient infondées. Les données nationales aussi bien qu'européennes ne montrent pas de sur-risque de pathologies - maladie auto-immune, syndrome de Guillain-Barré...

M. François Autain, président - Ne pensez-vous pas que la perception du risque ne correspondait pas du tout à ce qui nous était présenté par le Gouvernement, par les médias et par les experts ? On avance un risque du niveau de celui du virus H5N1 ; or, on ne trouvait pas de malades.

Je crois donc que c'est le bon sens qui l'a emporté : les gens ne se sont pas fait vacciner parce qu'ils ont estimé le risque à sa juste valeur. Avant de se lancer dans une vaccination universelle, il faudrait être en mesure de mieux évaluer le risque. Il y a sans doute eu là un problème.

Mme Marianne Fleury - On l'a vu avec le VIH, quand on ne cherche pas, on ne trouve pas non plus...

M. François Autain, président - Je ne pense pas que l'on puisse comparer le VIH à la grippe.

Mme Marianne Fleury - Pour pouvoir établir une comparaison, il faut que les structures sanitaires et l'offre de soins soient comparables, de même que la veille sanitaire.

M. François Autain, président - La parole est aux membres de la commission.

Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez évoqué des tests conduits sur les animaux, qui ont montré des atteintes assez basses dans l'arbre respiratoire et assez graves.

Ces études ont-elles été faites au sein de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ou de laboratoires spécialisés en santé animale ?

M. Olivier Patey - Je pourrais vous fournir cette étude, publiée au début de l'épidémie, qui montrait, dans le cas du virus A (H1N1)v, une multiplication virale plus importante au niveau de l'arbre respiratoire bas qu'avec la souche de H1N1 saisonnier.

Mme Marie-Christine Blandin - Par ailleurs, il est souvent fait état de cas graves et atypiques en réanimation par le personnel hospitalier ainsi que par l'InVS. Grâce à quels mécanismes de recensement, ces cas cliniques ont-ils pu être rapportés ?

Nous connaissons la méthode d'évaluation du nombre de symptômes grippaux en cas de grippe supposée via les réseaux GROG et Sentinelles, ou des cas de grippe A (H1N1)v avérés par les tests de sérologie, mais existe-t-il un mécanisme de remontée statistique des cas graves et atypiques ?

M. Olivier Patey - Je ne suis pas épidémiologiste de l'InVS mais au cours du temps l'InVS a modifié ses méthodologies de surveillance de la grippe ; c'est un point qui est mal connu de beaucoup et qui a entraîné des interrogations au sein de la population sur la façon dont était gérée la surveillance de la grippe.

En effet, en fonction du nombre, du moment et de la gravité des cas de grippe, les méthodes de surveillance ne peuvent être les mêmes. Dès lors qu'il existe un nombre trop important de cas, on est obligé de changer son fusil d'épaule ; c'est à ce moment qu'est intervenue la surveillance au travers des réseaux des groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG) et Sentinelles. A l'hôpital, les patients ont été identifiés et l'information transmise à leur tutelle et à travers elle à l'InVS ; puis on a recensé uniquement les formes graves, au jour le jour.

Mme Marie-Christine Blandin - Madame Marianne Fleury, confirmez-vous qu'il existait dans les établissements hospitaliers un dispositif de décompte et de communication avec l'InVS ?

Mme Marianne Fleury - Au sein de l'AP-HP, on avait chaque jour un bulletin avec le nombre de consultations dédiées, le nombre de patients hospitalisés pour grippe, le nombre de patients admis en réanimation. Toutes ces informations étaient transmises à l'InVS. La transmission de l'information était continue.

Mme Marie-Thérèse Hermange - A-t-on pu constater que les nourrissons des femmes enceintes qui s'étaient fait vacciner avaient des problèmes respiratoires ? Je connais un cas dans cette situation : y aura-t-il une étude ultérieure ?

Par ailleurs, suggéreriez-vous à celles et à ceux qui se sont fait vacciner l'année dernière de le refaire à la rentrée ?

M. Olivier Patey - Un certain nombre d'études ont été mises en place dans ce domaine soit par l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), soit par l'Institut de maladies infectieuses de l'INSERM. Je pense donc que des informations nous parviendront ultérieurement sur ce groupe de population.

Concernant la revaccination, je crois que la question se pose pour la population en général. On vit depuis un an une pandémie - c'est ainsi qu'elle est identifiée - au jour le jour, en temps réel, avec des informations qui se complètent de jour en jour et de mois en mois.

L'efficacité immunologique est un élément facile à identifier. Il suffit de doser les anticorps et de voir comment ils évoluent dans le temps. Ces études sont en cours sur un certain nombre de groupes de population pour regarder comment diminue le taux d'anticorps et voir s'il y aura lieu ou non de proposer des revaccinations, quel que soit le type de population, en particulier celles à haut risque.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Les femmes enceintes ne vont peut-être pas retomber enceintes l'année prochaine. Que leur conseille-t-on ?

M. Olivier Patey - Pour l'instant, on n'a pas encore - à ma connaissance - le résultat de toutes les études. Il faut attendre le résultat des essais vaccinaux pour étudier la décroissance des anticorps. Il semble qu'elle soit beaucoup moins importante avec les vaccins adjuvés. En fonction de la baisse du titre d'anticorps, on pourra discuter ou non de la proposition de revacciner une partie de la population.

Il est sûr que les groupes à risques sont dans une situation différente par rapport aux groupes qui ne le sont pas. Le HCSP a émis des recommandations récentes sur les vaccinations des populations à risques, en particulier des femmes enceintes pour l'hémisphère Sud au cours de l'hiver prochain. Elles sont sorties fin avril dans les derniers avis du HCSP, ainsi que dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire, sorti il y a vingt-quatre heures, concernant les recommandations pour les voyageurs.

M. Gilbert Barbier - Votre décision a-t-elle été influencée par les recommandations de l'OMS ?

Par ailleurs, avez-vous été soumis, dans le cadre de vos fonctions au CLCG, à des pressions quelconques de la part des laboratoires ou autres ?

Vous avez également évoqué le nombre de cas graves au sein de la population âgée de 10 à 25 ans. Il semble en effet que les services pédiatriques ont eu à faire face à un certain nombre de cas particulièrement graves puisqu'il a fallu commander en urgence des appareils de réanimation adaptés aux enfants...

Enfin, quelle proportion de la population doit être vaccinée pour obtenir un effet barrière contre le virus ?

M. François Autain, président - Nous attendons cette dernière réponse avec impatience et intérêt.

M. Olivier Patey - Aucun laboratoire n'a exercé de pressions pour que nous émettions des avis sur la nécessité de produire des vaccins ou sur les quantités nécessaires pour protéger la population. Les recommandations tenaient compte de plusieurs situations, en fonction de l'arrivée du pic pandémique et des vaccins.

Il existe plusieurs situations. On peut essayer de réduire la diffusion de l'agent infectieux dans la population, comme on l'avait fait pour le H5N1 : en vaccinant les enfants, on était arrivé à diminuer de manière extrêmement importante la diffusion du virus au sein de la population, mais cela signifiait qu'il fallait vacciner les gens avant l'arrivée de la pandémie et sa diffusion dans la population, même si cela n'empêchait pas complètement la circulation du virus.

M. François Autain, président - Je ne vois pas en quoi une pression des laboratoires aurait pu changer quoi que ce soit puisque vous avez préconisé la vaccination de toute la population. Que pouvaient-ils espérer obtenir de plus du CLCG ?

M. Olivier Patey - Les personnes âgées n'étaient pas incluses dans les premières préconisations. Les premières données semblaient montrer qu'il existait un nombre limité de cas...

M. François Autain, président - A quelle délibération du CLCG faites-vous allusion ? J'ai en mémoire celle du 12 mai, qui s'est tenue téléphoniquement un dimanche et qui préconisait un vaccin pour tout le monde.

M. Olivier Patey - Les enfants ont de toute façon besoin de deux doses en primo-vaccination...

M. François Autain, président - Y compris pour la vaccination saisonnière...

M. Olivier Patey - En effet. Il y avait donc déjà là un besoin.

Les propositions ne concernaient pas l'ensemble de la population mais les personnes entre 6 et 65 ans, ce qui excluait a priori les personnes âgées compte tenu des informations dont nous disposions. Tout était évolutif. On a bien vu que la recommandation du nombre de doses est passée de deux à une, en fonction des données immunologiques qui sont parvenues au fur à mesure, ce qui n'était pas évident initialement.

M. François Autain, président - Estimez vous que l'on peut enrayer une épidémie à partir d'un certain taux de vaccination ?

M. Olivier Patey - La réponse est variable en fonction de l'efficacité vaccinale à la fois sur les plans immunologique et clinique. Le vaccin contre la grippe n'est pas aussi efficace que le vaccin contre la poliomyélite ou le tétanos.

M. François Autain, président - D'autant qu'il faut le renouveler presque tous les ans ! Quand on a commencé, il faut continuer.

M. Olivier Patey - Il semble que les virus post-pandémiques deviennent saisonniers au cours du temps. L'épidémiologie est différente de celle que l'on a rencontrée avec le H1N1, qui a touché des sujets plus jeunes et provoqué des formes graves mais sans toucher jusqu'à présent les personnes âgées.

Le problème d'une politique vaccinale au long cours n'est alors plus le même : vacciner les personnes pendant un ou deux ans lors de l'arrivée d'un nouveau virus pandémique n'est pas la même chose que de proposer ensuite à tout le monde une vaccination contre ce virus.

Les indications de la vaccination antigrippale saisonnière contre les virus concernent les sujets à risque ou les sujets âgés, qui développent des formes graves.

M. François Autain, président - En matière de grippe saisonnière, il faut avouer que l'on manque de statistiques fiables. On serait, par exemple, incapable de donner le taux d'hospitalisations dues à la grippe saisonnière. Si vous êtes en mesure de le faire, j'apprécierais !

M. Olivier Patey - Je ne puis m'exprimer à la place de l'InVS, mais un certain nombre d'éléments de surveillance permettent d'identifier au moins partiellement la responsabilité des vraies grippes dans les syndromes grippaux via des prélèvements systématiques en période de poussée. Cela permet d'en connaître le pourcentage et de voir comment ils évoluent d'une année sur l'autre.

En septembre 2009, les syndromes relevaient plus de l'ORL que de la grippe ; en reprenant les données virologiques, on a constaté que le nombre d'épisodes grippaux avérés liés au virus H1N1 étaient limités, d'où l'importance de ce type de surveillance au long du temps. C'est ce qui a permis, au moment de l'augmentation importante du nombre et du pourcentage de prélèvements positifs au virus H1N1, de proposer une modification de la prise en charge des patients avec traitement systématique par les antiviraux. On savait que, parmi ces syndromes, plus de la moitié était liée au virus grippal et pratiquement 100 % au virus H1N1.

M. François Autain, président - En cas de pandémie, existe-t-il un taux de vaccination barrière permettant d'enrayer l'épidémie ? Si vous ne pouvez répondre, dites-le nous.

M. Olivier Patey - Je pense qu'il vaut mieux poser la question aux épidémiologistes.

M. François Autain, président - Très bien. Si j'en juge d'après la proposition faite par le CLCG, ce n'est pas 30, 40 ni 70 % mais 100 %. Cela dit, vous ne prenez pas de risque, mais encore faut-il s'interroger sur la faisabilité d'une vaccination universelle.

M. Olivier Patey - J'ai dit tout à l'heure que nous avions auditionné, lors de notre colloque, des anthropologues et des sociologues dont les avis n'ont pas été suffisamment pris en compte. Je pense en effet que la mise en place d'une politique de santé publique de ce type nécessite de prendre en compte l'apport des sciences humaines et la dimension financière des décisions prises. Certaines réactions irrationnelles vis-à-vis de la vaccination ont entraîné un échec complet de cette campagne. Il faut essayer d'en analyser les causes. Peut-être la commande de vaccins y a-t-elle sa part mais la situation aurait été différente si 50 ou 60 % de la population avait été vaccinée !

M. François Autain, président - Nous vous remercions infiniment pour votre contribution à l'enquête que nous menons.

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